Tribunal administratif Numéro 23944 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 janvier 2008 Audience publique du 23 janvier 2008 Recours formé par Monsieur …, Schrassig contre un arrêté du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative
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JUGEMENT
Vu la requête, inscrite sous le numéro 23944 du rôle, déposée le 14 janvier 2008 au greffe du tribunal administratif par Maître Gilles PLOTTKE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur Anthony AUGUSTNE, né le … à Tonga (Soudan), de nationalité soudanaise, actuellement placé au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d'une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 20 décembre 2007, ordonnant la prorogation de son placement pour une nouvelle durée d’un mois à partir de la notification ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 16 janvier 2008 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 16 janvier 2008 par Maître Gilles PLOTTKE pour compte du demandeur ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Mélissa BRUEL, en remplacement de Maître Gilles PLOTTKE, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-
Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l'audience publique du 21 janvier 2008.
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A la suite d’une demande d’asile présentée auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration le 27 janvier 2004, Monsieur … se vit refuser la délivrance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés suivant décision du 14 juillet 2004 du ministre de la Justice. Un recours contentieux dirigé contre ladite décision ministérielle du 14 juillet 2004 fut définitivement rejeté comme étant non fondé par un arrêt de la Cour administrative du 30 juin 2005.
Une demande en obtention d’une autorisation de séjour, voire d’un statut de tolérance présentée par le demandeur fut refusée par le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministre », suivant une décision implicite résultant du silence gardé par le ministre pendant une période de plus de trois mois, un recours contentieux introduit contre ladite décision ayant été rejeté comme non fondé par un jugement du tribunal administratif du 3 mai 2006.
En date du 27 novembre 2007, Monsieur … fut interpellé par la police grand-ducale à l’aéroport de Luxembourg, alors qu’il arrivait de Vienne.
Par arrêté du 27 novembre 2007, le ministre ordonna le placement de Monsieur … au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, pour une durée maximale d’un mois à partir de la notification de ladite décision dans l’attente de son éloignement du territoire luxembourgeois. Ladite décision lui fut notifiée le même jour et mise en exécution à partir de la même date du 27 novembre 2007.
Par une décision du ministre du 20 décembre 2007, notifiée le 27 décembre 2007, la mesure de placement fut prorogée pour une nouvelle durée d’un mois à partir de sa notification sur base des motifs et considérations suivants :
« Vu l’article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers ;
Vu le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière ;
Vu mon arrêté pris en date du 27 novembre 2007 décidant du placement temporaire de l’intéressé ;
Considérant qu’un laissez-passer a été demandé à plusieurs reprises auprès des autorités soudanaises ;
- qu’en attendant l’émission de ce document, l’éloignement immédiat de l’intéressé n’est pas possible ;
Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d’éloignement ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 14 janvier 2008, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle de placement précitée du 20 décembre 2007.
Etant donné que l'article 15, paragraphe (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l'entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3.
l'emploi de la main-d'œuvre étrangère, institue un recours de pleine juridiction contre une décision de placement, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation introduit contre la décision litigieuse.
Ledit recours ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. Le recours en annulation introduit en ordre subsidiaire est dès lors irrecevable.
Le demandeur, après avoir exposé être placé au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig « au sein du Centre Pénitentiaire de Luxembourg » et après avoir affirmé que le régime auquel il y serait soumis serait « similaire voire identique » à celui des détenus normaux, conclut que le placement au sein du Centre pénitentiaire devrait rester une mesure d’exception indiquée uniquement au cas où l’étranger serait susceptible de compromettre la sécurité, la tranquillité ou l’ordre publics.
Il reproche dès lors au ministre de ne pas avoir motivé sa décision par un quelconque risque à l’ordre public dans son chef et estime que la simple référence à un risque de fuite, qui resterait « à l’état de simple hypothèse », ne saurait, à elle seule, justifier la mesure de rétention.
Il est en l’espèce constant que le demandeur est placé non pas dans un établissement pénitentiaire, mais au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière. Or, force est de constater que le centre en question est a priori à considérer comme un établissement approprié au sens de la loi précitée du 28 mars 1972.
Il convient par ailleurs de rappeler que la mise en place d’un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière repose précisément sur la prémisse qu’au-
delà de toute considération tenant à une dangerosité éventuelle des personnes concernées, celles-ci, eu égard au seul fait de l’irrégularité de leur séjour et de l’imminence de l’exécution d’une mesure d’éloignement dans leur chef, présentent en principe et par essence un risque de se soustraire à la mesure d’éloignement, fût-il minime, justifiant leur rétention dans un centre de séjour spécial afin d’éviter que l’exécution de la mesure prévue ne soit compromise.
Le demandeur n’ayant pas contesté en l’espèce entrer dans les prévisions de la définition des « retenus » telle que consacrée à l’article 2 du règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière, le moyen basé sur l’absence de risque de fuite dans son chef laisse encore d’être fondé.
Pour le surplus, il échet de retenir que le demandeur, hormis l’affirmation vague et non circonstanciée qu’il serait soumis à un régime « similaire voire identique » de celui des détenus de droit commun, n’a fait état d’aucun élément personnel duquel il ressortirait que les limites apportées à sa liberté de circulation seraient disproportionnées par rapport à l’objectif d’une mesure de placement.
Force est au tribunal de constater que les conditions de rétention résultent en leurs grandes lignes du régime spécifique tel qu’instauré par le règlement grand-ducal précité du 20 septembre 2002, règlement qui renvoie en son article 5 directement pour toutes les questions qu’il ne règle pas lui-même au règlement grand-ducal modifié du 24 mars 1989 concernant l’administration et le régime interne des établissements pénitentiaires.
Or, l’autorité chargée de l’application de ces règlements grand-ducaux n’est pas le ministre, mais conformément à l’article 18 du prédit règlement grand-ducal modifié du 24 mars 1989, le ministre de la Justice, dont dépend l’administration des établissements pénitentiaires, ainsi qu’en application de l’article 19 du même règlement grand-ducal, le procureur général d’Etat, chargé de la direction générale et de la surveillance des établissements pénitentiaires.
En ce qui concerne les modalités pratiques de la rétention, force est de constater que ces modalités, en ce qu’elles concernent la gestion journalière du centre de rétention intégré au centre pénitentiaire, relèvent, conformément à l’article 68 du prédit règlement grand-ducal modifié du 24 mars 1989, des compétences du directeur de l’établissement qui, aux termes de cet article, assure, sous l’autorité du procureur général d’Etat, la direction et l’administration de l’établissement et qui est responsable du bon fonctionnement de l’établissement en question.
Force est par ailleurs de constater que le règlement grand-ducal modifié du 24 mars 1989 instaure une voie de recours spécifique auprès du procureur général d’Etat au profit des détenus et, en application de l’article 5 du règlement grand-ducal du 20 septembre 2002, également au profit des retenus, qui s’estiment lésés par une décision du directeur.
Il se dégage dès lors de l’ensemble des considérations qui précèdent que le grief mis en avant par le demandeur, qui s’analyse en un grief relatif aux modalités concrètes et matérielles de son placement, est étranger à la décision du ministre, telle que déférée et au cadre légal dans lequel la décision déférée a été prise, à savoir la loi précitée du 28 mars 1972, de sorte que le moyen tiré du caractère inapproprié du Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière est à rejeter comme étant non fondé. Cette conclusion n’est pas énervée par les développements du demandeur quant à son état de santé, étant donné que tant le certificat médical établi le 8 janvier 2008 par le docteur J.C., suivant lequel le demandeur « est suivi régulièrement au Service Médico-Psychologique Pénitentiaire depuis son incarcération », que les déclarations du demandeur suivant lesquelles il aurait du mal « à se tenir dans la position debout » ne sont pas de nature à établir le caractère inapproprié du Centre de séjour au sein duquel le demandeur a été placé par le gouvernement, en l’absence d’autres indications de nature à démontrer d’une manière plus précise en quoi ledit état de santé rendrait ledit centre inapproprié dans son chef.
Le demandeur reproche encore au ministre de ne pas avoir pris les mesures appropriées afin qu’il puisse être éloigné du pays dans les meilleurs délais, afin d’écourter ainsi au maximum sa privation de liberté.
Le délégué du gouvernement répond que ce reproche ne saurait être accepté, dans la mesure où le ministre aurait, en date du 8 janvier 2008, recontacté l’ambassade du Soudan en vue de l’émission d’un laissez-passer.
L’article 15, paragraphe 2 de la loi précitée du 28 mars 1972 dispose que « la décision de placement (…) peut, en cas de nécessité absolue, être reconduite par le ministre (…) à deux reprises, chaque fois pour la durée d’un mois ».
Il appartient dès lors au tribunal d’analyser si le ministre a pu se baser sur des circonstances permettant de justifier qu’une nécessité absolue rendait la prorogation de la décision de placement inévitable.
Etant relevé qu’une mesure de rétention est indissociable de l’attente de l’exécution d’un éloignement d’un étranger non autorisé à séjourner légalement sur le territoire luxembourgeois, il incombe à la partie défenderesse de faire état et de documenter les démarches qu’elle estime requises et qu’elle est en train d’exécuter, afin de mettre le tribunal en mesure d’apprécier si un éloignement valable est possible et en voie d’organisation, d’une part, et que les autorités luxembourgeoises entreprennent des démarches suffisantes en vue d’un éloignement ou transfert rapide du demandeur, d’autre part.
Il résulte du dossier administratif que les autorités luxembourgeoises n’ont envoyé un rappel à l’ambassade de la République du Soudan qu’en date du 8 janvier 2008 pour leur rappeler la demande de délivrance d’un laissez-passer leur adressée le 30 novembre 2007, et rappelée une première fois en date du 18 décembre 2007. Etant donné que la décision de prorogation date du 20 décembre 2007 et qu’elle a été notifiée et mise en exécution à partir du 27 décembre 2007, et compte tenu du fait que le deuxième rappel a seulement été adressé 12 jours après la prise d’effet de la décision de prorogation et plus de trois semaines après un premier rappel, le critère de « nécessité absolue » pourtant exigé par le texte de loi applicable en la matière ne saurait être considéré comme étant respecté en l’espèce, étant relevé pour le surplus que sur question afférente posée par le tribunal au cours de l’audience des plaidoiries, le délégué du gouvernement n’a pas pu faire état d’autres démarches qui auraient été accomplies par le gouvernement depuis le 8 janvier 2008 afin d’obtenir une réponse rapide de la part de la République du Soudan en vue de l’émission d’un laissez-passer devant permettre un éloignement du demandeur dans les plus brefs délais.
Le tribunal est partant amené à réformer la décision querellée et à ordonner la libération immédiate du demandeur.
En ce qui concerne encore les développements du demandeur suivant lesquels un retour dans son pays d’origine serait impossible, en considération de sa situation personnelle au jour de son départ de son pays d’origine et de la situation politique régnant actuellement au Soudan, il échet de relever que le tribunal n’est pas compétent pour analyser de telles considérations dans le cadre d’un recours dirigé contre une décision portant rétention administrative dans le chef d’un étranger séjournant irrégulièrement sur le territoire luxembourgeois, mais que ces développements devraient plutôt avoir leur place dans le cadre d’un recours dirigé contre une mesure d’éloignement du territoire ou de refus de séjourner sur celui-ci. Il y a partant lieu d’écarter cette argumentation pour n’être pas pertinente en l’espèce.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
donne acte au demandeur de ce qu’il déclare bénéficier de l’assistance judiciaire ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond, le déclare justifié ;
partant, par réformation de la décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 20 décembre 2007, notifiée le 27 décembre 2007, ordonne la mise en liberté de Monsieur … ;
déclare irrecevable le recours en annulation ;
condamne l’Etat aux frais.
Ainsi jugé par :
M. Schockweiler, premier vice-président, Mme Gillardin, juge, Mme Eberhard, juge, et lu à l’audience publique du 23 janvier 2008 par le premier vice-président, en présence de M. Legille, greffier.
s. Legille s. Schockweiler 5