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16/01/2008 | LUXEMBOURG | N°22830

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 16 janvier 2008, 22830


Numéro 22830 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 avril 2007 Audience publique du 16 janvier 2008 Recours formé par Madame …, … contre un arrêté du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 22830 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 avril 2007 par Maître François MOYSE, avocat à la C

our, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à ...

Numéro 22830 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 avril 2007 Audience publique du 16 janvier 2008 Recours formé par Madame …, … contre un arrêté du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 22830 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 avril 2007 par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à Curtea de Arges (Roumanie), de nationalité roumaine, demeurant à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’un arrêté du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 19 mars 2007 (réf. : 408 320c NR/LS), lui refusant l’entrée et le séjour au pays et l’enjoignant de quitter le pays dans un délai de 15 jours à partir de la notification dudit arrêté ;

Vu l’ordonnance du président du tribunal administratif du 25 avril 2007 déclarant une requête en sursis à exécution sinon en institution d’une mesure de sauvegarde introduite par la demanderesse non justifiée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 12 septembre 2007 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 12 octobre 2007 par Maître François MOYSE pour compte de la demanderesse ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 12 novembre 2007 ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître François MOYSE et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 19 mars 2007, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-

après dénommé « le ministre », émit à l’encontre de Madame …, préqualifiée, un arrêté lui refusant l’entrée et le séjour au pays et lui enjoignant de quitter le pays dans un délai de 15 jours dès la notification dudit arrêté, lequel fut basé sur les motifs suivants :

« Vu l'article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l'entrée et le séjour des étrangers ;

Vu le rapport no 2/G.E.S./T.E.H/092 du 15 mars 2007 établi par la police grand-

ducale, service de police judiciaire ;

Attendu que dans un jugement rendu en date du 19 février 2004 (jugt. no 678/20046) par la chambre correctionnelle du tribunal d'arrondissement de et à Luxembourg, tout contrat, quelle qu'en soit la dénomination, signé entre une « artiste de cabaret » et un gérant de cabaret est à considérer comme contrat de louage de services au sens de l'article 1779 (1) du code civil ;

Attendu que dans un jugement rendu en date du 10 octobre 2005 (N° 19455 du rôle) par le tribunal administratif une « artiste de cabaret » revêt de par la nature de son occupation la qualité d'employé privé conformément aux dispositions sub g) de l'article 3, alinéa 2 du texte coordonné du 5 décembre 1989 comprenant les lois portant règlement légal de louage de services des employés privés, devenues les dispositions sub 7. de l'alinéa 2 du paragraphe (2) de l'article L.121-1 du code du travail ;

Attendu que par le même jugement le tribunal administratif a confirmé que les travailleurs originaires des nouveaux Etats membres ayant adhéré à l'Union européenne en date du 1er mai 2004, à l'exception des ressortissants chypriotes et maltais, restent soumis à l'obligation du permis de travail pendant la période transitoire prévue aux traités d'adhésion de ces Etats membres à l'Union européenne ;

Attendu que le Gouvernement luxembourgeois a décidé en date du 27 avril 2006 de maintenir en vigueur les mesures nationales appliquées depuis le 1er mai 2004 à l'égard des ressortissants des Etats membres en question ;

Attendu que la même obligation du permis de travail existe dans le chef des travailleurs originaires de la Bulgarie et de la Roumanie, Etats membres ayant adhéré à l'Union européenne en date du 1er janvier 2007 ;

Attendu que l'intéressée est dépourvue du permis de travail requis ;

Attendu qu'elle n'est pas en possession de moyens d'existence légalement acquis ;

Attendu qu'elle se trouve en séjour irrégulier ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 18 avril 2007, Madame … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté ministériel en question.

Etant donné que ni la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1° l’entrée et le séjour des étrangers ; 2° le contrôle médical des étrangers, 3° l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, ni aucune autre disposition légale n’instaure un recours au fond en matière de refus d’entrée et de séjour, le tribunal est incompétent pour connaître du recours en réformation introduit. Par contre, le recours en annulation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a pas lieu de faire droit à la demande de jonction avec les 3 affaires introduites en date du même jour sous les numéros 22828, 22829 et 22831 du rôle, telle que formulée par le délégué du gouvernement dans son mémoire en réponse, demande à laquelle la partie demanderesse ne s’est pas opposée dans son mémoire en réplique, étant donné qu’une demande de jonction entre plusieurs affaires n’est justifiée que dans la mesure où elles concernent les mêmes parties et qu’elles ont trait au même objet (cf. trib. adm. 12 juin 2003, n° 15385 du rôle, Pas. adm. 2006, V° Procédure contentieuse, n° 520).

Or, force est de constater en l’espèce que les 4 affaires litigieuses, même si le contenu des arrêtés ministériels critiqués est strictement identique, concernent 4 parties demanderesses différentes, de sorte que la demande tendant à joindre les 4 rôles est à rejeter.

A l’appui de son recours, la demanderesse conclut en premier lieu à l’annulation de l’arrêté ministériel litigieux au motif que celui-ci manquerait singulièrement de précision en relation avec les éléments concernant à son état civil. La demanderesse précise dans ce contexte qu’elle se prénommerait … et non pas … et qu’elle serait née à Curtea de Arges et non pas à Romania comme indiqué dans la décision litigieuse et que ces erreurs factuelles laisseraient présager une instruction trop superficielle contraire à l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes.

C’est cependant à bon droit que le délégué du gouvernement conclut au rejet dudit moyen, étant donné que la demanderesse ne s’est pas méprise sur le fait que l’arrêté litigieux lui était destiné et qu’elle reste en défaut d’expliquer en quoi cette erreur matérielle serait constitutive d’une violation de l’article 6 du règlement grand-ducal précité du 8 juin 1979 et violerait partant ses droits de la défense.

Quant au fond, la demanderesse reproche en premier lieu à la décision ministérielle litigieuse d’avoir considéré à tort qu’elle serait dépourvue du permis de travail requis.

D’après Madame …, aucun permis de travail ne serait requis dans son chef, étant donné qu’elle exécuterait un travail d’artiste indépendant, à savoir un spectacle de danse à caractère choréographique, de sorte qu’elle ne relèverait pas d’une profession réglementée et ne serait donc pas soumise à des formalités particulières. Madame … soutient dans ce contexte que l’article 20 de la loi modifiée du 28 décembre 1988 réglementant l’accès aux professions d’artisan, de commerçant et d’industriel ainsi qu’à certaines professions libérales lui serait applicable, de sorte qu’en tant que ressortissante d’un des Etats membres de l’Union européenne, elle serait dispensée de toute autorisation administrative de la part des autorités luxembourgeoises et aucune restriction temporaire relative à l’accès au marché du travail ne lui serait applicable en tant que prestataire de services.

En relation avec l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972, Madame … précise qu’on ne saurait lui reprocher d’avoir été dépourvue des papiers de légitimation prescrits respectivement d’un visa, étant donné que précisément elle serait dispensée de visa. Pour le surplus, l’absence d’un permis de travail dans son chef ne pourrait pas non plus être considérée comme une cause de refus de délivrance d’un titre de séjour prévue par la loi et le ministre n’aurait pas correctement motivé en quoi elle pourrait porter atteinte à la sécurité, la tranquillité, l’ordre ou la santé publics.

Madame … critique encore le fait que le ministre, pour fonder sa décision de refus, se serait basé sur deux décisions isolées du tribunal correctionnel du 19 février 2004 et du tribunal administratif du 10 octobre 2005 et que ce faisant le ministre se serait substitué au législateur en fondant sa décision sur deux jugements se substituant « au vide laissé par la loi relativement à la nature des relations entre les artistes indépendantes et les cabarets ».

La demanderesse soutient ensuite que le reproche tiré d’une absence de moyens d’existence légalement acquis dans son chef pour lui refuser l’entrée et le séjour sur le territoire luxembourgeois serait contraire aux principes du droit communautaire et plus particulièrement à la directive 90/364 du Conseil du 28 juin 1990 relative au droit de séjour, entretemps abrogée par la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler librement sur le territoire des Etats membres du 29 avril 2004, et il suffirait que des ressortissants des Etats membres disposent de ressources nécessaires, sans la moindre exigence quant à la provenance desdites ressources, de sorte qu’ajouter à la condition relative à l’existence des ressources suffisantes une exigence relative à la provenance des ressources constituerait une ingérence disproportionnée dans l’exercice du droit fondamental de libre circulation et de séjour garanti par l’article 18 du Traité instituant la Communauté européenne, ci-après « le traité CE ».

Concernant le reproche qu’elle se trouverait en séjour irrégulier sur le territoire luxembourgeois, Madame … soutient que la loi du 3 juillet 1992 portant approbation de la Convention d’application de l’accord de Schengen du 14 juin 1985, ci-après « la convention de Schengen », dispenserait les ressortissants roumains de la nécessité d’une autorisation de séjour ainsi que de la formalité d’un visa lorsqu’ils possèdent un passeport en cours de validité. En effet, d’après l’article 20 de la convention de Schengen, les étrangers non soumis à l’obligation de visa pourraient librement circuler sur le territoire des parties contractantes pendant une durée maximale de 3 mois au cours d’une période de 6 mois à compter de la date de première entrée et l’article 22 de ladite convention préciserait les formalités à remplir par l’étranger qui entre sur le territoire d’une des parties contractantes, à savoir qu’ils sont tenus de se déclarer dans les conditions fixées par chaque partie contractante aux autorités compétentes sur le territoire de laquelle ils pénètrent. Dans ce contexte, la demanderesse souligne qu’elle se serait déclarée auprès de l’administration communale d’Esch-sur-Alzette en date du 3 avril 2007 sans opposition ni rejet de la part des services de ladite administration communale, le tout en conformité avec les articles 1 et 2 du règlement grand-ducal du 28 mars 1972 relatif aux formalités à remplir par les étrangers séjournant au pays.

En conclusion, la demanderesse soutient que la décision ministérielle litigieuse serait constitutive d’une violation caractérisée de la loi et qu’elle serait en droit de circuler librement sur le territoire luxembourgeois.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement, par référence à la motivation contenue à l’arrêté ministériel critiqué, relève en premier lieu que les restrictions temporaires relatives à l’accès au marché du travail des ressortissants des nouveaux Etats membres s’appliquent à la demanderesse et que les travailleurs salariés originaires des nouveaux Etats membres ayant adhéré à l’Union européenne, à l’exception des ressortissants chypriotes et maltais, resteraient soumis à l’obligation du permis de travail pendant la période transitoire prévue aux traités d’adhésion de ces Etats membres à l’Union européenne.

Concernant l’absence de visa dans le chef de la demanderesse, le représentant étatique concède que les ressortissants roumains sont dispensés de visa et peuvent dès lors circuler librement pendant une durée limitée de 3 mois, possibilité qui ne leur permettrait néanmoins pas de s’établir dans un autre Etat membre en contrevenant aux restrictions temporaires relatives à l’accès au marché du travail.

Pour ce qui est de l’absence du permis de travail, le délégué du gouvernement précise qu’il serait évident que cette absence est prévue comme cause de refus au sens de l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972, permettant au ministre de refuser l’entrée et le séjour au Grand-Duché à l’étranger qui « ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ». Le représentant étatique relève encore que Madame … n’apporterait pas la preuve de l’existence de ressources indépendantes en provenance d’un travail légal au Luxembourg, de sorte que ce serait à juste titre que le ministre aurait pris en compte la provenance des seuls moyens d’existence « illégalement perçus en contradiction avec les restrictions temporaires relatives à l’accès au marché du travail ».

Concernant finalement le moyen ayant trait à la convention de Schengen, le représentant étatique fait rappeler qu’il serait de jurisprudence que si ladite convention conférerait à Madame … le droit de circuler librement sur le territoire des Etats faisant partie de l’espace Schengen pendant une durée maximale de 3 mois, cette libre circulation ne lui serait cependant permise que pour autant qu’elle disposerait de moyens d’existence et, également sous ce rapport, l’existence desdits moyens devrait nécessairement être préalable à l’exercice du droit de circulation. En effet, la libre circulation n’aurait pas été instaurée pour permettre aux ressortissants de pays tiers de quitter l’Etat où ils sont établis pour exercer des activités lucratives sur le territoire d’un autre Etat et il ne saurait être suffisant de faire une déclaration d’arrivée au Luxembourg et d’y travailler irrégulièrement pour pouvoir prétendre bénéficier des dispositions de la convention de Schengen.

Dans son mémoire en réplique, Madame … fait relever que la question de savoir si les artistes de cabarets sont soumises à l’obligation d’obtenir un permis de travail serait une « question épineuse » qui n’aurait pas fait l’objet d’une réponse claire de la part du législateur.

Pour le surplus, le traité du 25 avril 2005 relatif à l’adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie à l’Union européenne ne prévoirait aucune obligation pour les anciens Etats membres d’appliquer des mesures restrictives à l’encontre des ressortissants des nouveaux Etats membres et le droit luxembourgeois prévoirait précisément l’absence de permis de travail pour les ressortissants des nouveaux Etats membres « sans préjudice des mesures prises en application des dispositions transitoires au traité d’adhésion à l’Union européenne ». Or, sur ce point, le ministre resterait en défaut d’indiquer une base légale en relation avec son affirmation qu’une obligation du permis de travail existerait dans le chef des travailleurs originaires de la Bulgarie et de la Roumanie, Etats membres ayant adhéré à l’Union européenne en date du 1er janvier 2007, et aucune mesure visant l’application de dispositions transitoires au traité d’adhésion du 25 avril 2005 n’aurait été adoptée, de telles dispositions transitoires ne pouvant certainement pas résulter d’une simple pratique administrative. Par conséquent, aucune base légale appropriée n’existerait pour introduire une période transitoire au cours de laquelle les ressortissants roumains ne bénéficieraient pas des mêmes droits, notamment en matière de permis de travail, que les ressortissants des anciens Etats membres de l’Union européenne. Partant, la prétendue base légale sur laquelle est fondée l’obligation d’un permis de travail dans son chef serait inexistante et l’arrêté ministériel critiqué serait à annuler.

Dans son mémoire en duplique, le délégué du gouvernement renvoie aux résultats des travaux du Conseil de gouvernement du 16 avril 2004 desquels il ressortait que dans le cadre des mesures de lutte contre la traite des êtres humains, l’Etat luxembourgeois n’émet plus d’autorisations pour les ressortissants d’Etats non membres de l’Union européenne souhaitant travailler à Luxembourg comme « artiste de cabaret » ou dans une activité similaire avec effet au 1er mai 2004 et il ressortirait clairement d’un courrier de l’Association luxembourgeoise des exploitants d’établissements de spectacles du 30 septembre 2004 que la décision du Conseil de gouvernement du 16 avril 2004 était connue.

En relation avec l’existence des mesures provisoires prises en application des dispositions transitoires au traité d’adhésion à l’Union européenne, le représentant étatique soutient que Madame … partirait d’une prémisse erronée pour conclure à l’absence de base légale valable pour restreindre le libre accès au marché de l’emploi. Dans ce contexte, le représentant étatique souligne que l’origine du droit d’accéder librement au marché du travail des Etats membres de l’Union européenne découlerait des dispositions communautaires et les restrictions trouveraient également leur fondement dans les textes communautaires qui permettraient aux Etats membres de continuer à appliquer les mesures nationales, qui ne devraient pas obligatoirement être d’ordre législatif, et ceci par dérogation aux articles 1 à 6 du règlement (CEE) 1612/68 du Conseil relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté. En effet, l’annexe 7 relative au traité d’adhésion visant la Roumanie préciserait que les dispositions relatives à la libre circulation des travailleurs et à la libre prestations des services ne s’appliqueraient pleinement que sous réserve des dispositions transitoires prévues aux paragraphes 2 à 14 pour ce qui est de la libre circulation des travailleurs et de la libre prestation de services impliquant une circulation temporaire de travailleurs, que par dérogation aux articles 1 à 6 du règlement 1612/68 et jusqu’à la fin de la période de deux ans suivant la date d’adhésion, les Etats membres actuels pourraient appliquer des mesures nationales ou mesures résultant d’accords bilatéraux qui réglementent l’accès des ressortissants roumains à leur marché du travail et que les Etats membres actuels pourraient continuer à appliquer ces mesures jusqu’à la fin de la période de cinq ans suivant la date de l’adhésion.

Partant, la dérogation à l’article 39 du traité CE serait clairement précisée et le paragraphe 3 de l’annexe 7 relative à la Roumanie préciserait que l’acquis ou l’abandon de la dérogation aux articles 1 à 6 du règlement 1612/68 s’effectueraient par simple notification de l’Etat membre à la Commission européenne. Or, le gouvernement luxembourgeois aurait informé la Commission européenne par courrier du 22 décembre 2006 que le Luxembourg entend faire usage des restrictions à la libre circulation des travailleurs roumains et bulgares dès leur adhésion le 1er janvier suivant, tout en les faisant cependant bénéficier des assouplissements sectoriels déjà retenus pour les Etats membres ayant adhéré le 1er mai 2004. Partant, aucun acte législatif au-delà de la notification opérée en date du 22 décembre 2006 ne serait requis conformément aux dispositions du traité d’adhésion, de sorte qu’il ne saurait être raisonnablement soutenu que les restrictions appliquées découleraient d’une simple pratique administrative non ancrée dans un cadre législatif approprié.

Concernant en premier lieu l’exigence d’un permis de travail dans le chef de Madame … respectivement l’applicabilité de la loi précitée du 28 décembre 1988 à son profit en tant qu’artiste indépendante, le tribunal tient à rappeler qu’il est de jurisprudence constante que les artistes de cabaret sont à considérer comme employés privés soumis à l’autorité de leur employeur. Dans ce contexte, il convient de renvoyer à l’article 3 du texte coordonné du 5 décembre 1989 comprenant les lois portant règlement légal de louage de services des employés privés, disposition actuellement reprise par l’article L-121-1 (2) du Code du travail, aux termes duquel « sont à considérer comme employés privés au sens du présent code, toute personne qui, sans distinction de sexe ou d’âge, exécute sur la base d’un engagement durable ou d’une façon continue pour le compte d’autrui et contre rémunération soit en numéraire, soit en d’autres prestations ou valeurs, en tout ou en partie, un travail d’une nature, sinon exclusivement, du moins principalement intellectuelle (…) », et plus particulièrement à l’alinéa 2 de cet article 3 sub g) (actuellement l’article L-

121-1 (2), point 7) du Code du travail) aux termes duquel « par application de la définition générale qui précède, sont à considérer notamment comme employé privé au sens de la loi (…) », toute personne qui se livre, sous quelque dénomination que ce soit, à « l’exercice d’arts libéraux, sans égard à la valeur artistique des productions, - chanteurs, musiciens, personnel artistique des théâtres et des stations d’émission de radio télévision - », de sorte que l’activité des artistes de cabaret s’analyse clairement en l’exercice d’un art libéral sous forme notamment de danse. Partant, il y a lieu de retenir, par application du texte légal prérelaté, que les personnes en question revêtent de par la nature de leur occupation la qualité d’employée privée, excluant par essence un statut d’indépendant pour la même activité (cf. trib. adm. 10 octobre 2005, n° 19455 du rôle; trib. adm. 7 novembre 2007, n° 23260 du rôle, non encore publiés).

En relation ensuite avec la nationalité roumaine de Madame … et la prétendue absence d’obligation d’être en possession d’un permis de travail au vu de sa qualité de ressortissante communautaire, il convient de se rapporter, tel que suggéré par le délégué du gouvernement, à l’acte relatif aux conditions d’adhésion à l’Union européenne de la République de Bulgarie et de la Roumanie, adopté dans le cadre du traité d’adhésion conclu entre les 25 pays membres de l’Union européenne et les 2 susdits pays et signé à Luxembourg le 25 avril 2005, et annexées audit traité, et plus particulièrement à son annexe VII, fixant les dispositions temporaires et mesures transitoires concernant la Roumanie, qui prévoit expressément que les articles 39 et 49, premier alinéa, du traité CE, à savoir la libre circulation des travailleurs et la libre prestation des services ne s’appliquent pleinement que « sous réserve des dispositions transitoires prévues aux paragraphes 2 à 14 pour ce qui est de la libre circulation des travailleurs et de la libre prestation de services impliquant une circulation temporaire de travailleurs, telle qu’elle est définie à l’article 1er de la directive 96/71/CE, entre la Roumanie, d’une part, et chacun des Etats membres actuels, d’autre part », le paragraphe 2 de ladite annexe précisant que par dérogation aux articles 1er à 6 du règlement 1612/68 et jusqu’à la fin de la période de deux ans suivant la date de l’adhésion, les Etats membres actuels peuvent appliquer leurs dispositions nationales, respectivement celles résultant d’accords bilatéraux, en ce qui concerne la réglementation de l’accès des ressortissants roumains aux marchés du travail des Etats membres actuels.

Finalement, le paragraphe 3 de ladite annexe précise encore qu’ « avant la fin de la période de deux ans suivant la date d’adhésion, le Conseil réexamine le fonctionnement des dispositions transitoires visées au paragraphe 2 sur base d’un rapport de la Commission.

Une fois ce réexamen terminé, et au plus tard à la fin de la période de deux ans suivant la date d’adhésion, les Etats membres actuels font savoir à la Commission s’ils continuent d’appliquer des mesures nationales ou des mesures résultant d’accords bilatéraux, ou s’ils appliquent dorénavant les articles 1er à 6 du règlement (CEE) n° 1612/68. A défaut de cette notification, les articles 1er à 6 du règlement (CEE) n° 1612/68 s’appliquent ».

Or, force est de constater que l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg a notifié en date du 22 décembre 2006 à la Commission sa décision d’introduire pour les ressortissants bulgares et roumains des mesures nationales « au vu de la situation difficile du marché national de l’emploi », de sorte qu’au regard des dispositions temporaires et mesures transitoires concernant l’adhésion à l’Union européenne de la Roumanie, la soumission à la procédure de l’obtention d’un permis de travail de la part de travailleurs roumains souhaitant travailler sur le territoire luxembourgeois, aux conditions applicables à l’accès des travailleurs au marché local de l’emploi, n’est pas de nature à constituer une restriction contraire à l’article 49 du traité CE.

Il échet de relever dans ce contexte que par le règlement grand-ducal du 29 avril 2004 modifiant le règlement grand-ducal modifié du 12 mai 1972 déterminant les mesures applicables pour l’emploi des travailleurs étrangers sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg, une modification a été apportée à l’article 1er, alinéa 4 dudit règlement grand-

ducal dans la mesure où il est plus spécifiquement fait référence aux traités d’adhésion à l’Union européenne et à l’Accord sur l’Espace économique européen, en ce sens que le règlement grand-ducal en question s’applique même aux travailleurs ressortissants d’un Etat membre de l’Union européenne, telle la Roumanie, mais seulement dans la limite des dispositions transitoires prévues dans ledit traité d’adhésion. Par la modification dudit règlement grand-ducal, le Luxembourg a partant fait application de la période transitoire de 2 ans telle que prévue à l’annexe VII de l’acte relatif aux conditions d’adhésion, précité, de sorte que le tribunal est amené à retenir que pour les ressortissants de la Roumanie, la période biennale de transition précitée vaut jusqu’au 1er janvier 2009 et que par conséquent le principe inscrit à l’article 26 de la loi précitée du 28 mars 1972, suivant lequel « aucun travailleur étranger ne pourra être occupé sur le territoire du Grand-Duché sans permis de travail » restait d’application, à la date de la prise de l’arrêté déféré du 19 mars 2007, dans le chef des travailleurs roumains souhaitant être occupés sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg.

Il suit de ce qui précède qu’au moment de la prise de l’arrêté ministériel déféré du 19 mars 2007, la demanderesse ne pouvait pas faire valablement état d’une dispense existant dans son chef de solliciter un permis de travail afin de pouvoir être engagée en tant que salariée au Luxembourg et qu’elle ne pouvait pas non plus se prévaloir d’un droit inconditionnel pour venir séjourner au pays afin d’y rechercher un emploi salarié.

Partant, Madame … ne rentre dans aucune des catégories de personnes prévues par l’article 1er du règlement grand-ducal du 28 mars 1972 relatif aux conditions d’entrée et de séjour de certaines catégories d’étrangers faisant l’objet de conventions internationales qui limite son champ d’application « aux ressortissants des Etats membres de l’Union Européenne et des Etats ayant adhéré à l’Accord sur l’Espace Economique européen » et que, par voie de conséquence, elle ne saurait non plus invoquer le bénéfice dudit règlement grand-ducal et notamment celui de l’article 9 limitant les possibilités pour le ministre de prendre des mesures de police des étrangers à l’égard de personnes visées par ledit règlement grand-ducal.

Dans ces conditions, la demanderesse tombe dans le champ d’application de l’article 2 de la loi prévisée du 28 mars 1972, visé comme base légale dans l’arrêté déféré, lequel -

contrairement à l’argumentation développée par la demanderesse - prévoit expressément le motif de refus de l’entrée et du séjour tiré du défaut de moyens d’existence personnels légalement acquis, vu qu’il dispose notamment que « l’entrée et le séjour au Grand-Duché pourront être refusés à l’étranger : (…) – qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ».

Dans ce contexte, il convient de relever que la seule preuve de la perception de sommes, en principe suffisantes pour permettre à l’intéressé d’assurer ses frais de séjour au pays, est insuffisante; il faut encore que les revenus soient légalement perçus (cf. trib. adm.

15 avril 1998, n° 10376 du rôle, confirmé par Cour adm. 1er février 1998, n° 10721C du rôle, Pas. adm. 2006, V° Etrangers n° 178 et autres références y citées). – Ne remplissent pas cette condition les revenus perçus par un étranger qui occupe un emploi alors qu’il n’est pas en possession d’un permis de travail et qu’il n’est dès lors pas autorisé à occuper un emploi au Grand-Duché du Luxembourg et toucher des revenus provenant de cet emploi (cf.

trib. adm. 30 avril 1998, n° 10508 du rôle, confirmé par Cour adm. 6 octobre 1998, n° 10755C du rôle, Pas. adm. 2006, V° Etrangers n° 178 et autres références y citées).

Or, force est au tribunal de constater qu’il ne ressort d’aucun élément du dossier que la demanderesse disposait, au moment de la prise de l’arrêté litigieux, d’un quelconque moyen personnel susceptible de lui permettre de subvenir à ses besoins personnels au pays et qu’elle n’a pas non plus établi qu’elle était, à la date de l’arrêté critiqué, autorisée à travers un permis de travail à occuper un poste de travail au Grand-Duché, voire à s’adonner légalement à une activité indépendante, et qu’elle pouvait partant disposer de moyens personnels propres suffisants et légalement acquis. Il s’ensuit que c’est à juste titre que le délégué du gouvernement fait valoir que ce motif est prévu comme cause de refus au sens de l’article 2 de la loi prévisée du 28 mars 1972 et qu’il se trouve vérifié en l’espèce.

Il en découle que l’arrêté de refus d’entrée et de séjour du 19 mars 2007 est fondé sur au moins un motif qui s’inscrit valablement dans les dispositions de la loi prévisée du 28 mars 1972. Or, en présence d’une décision administrative fondée sur plusieurs motifs, elle est à considérer comme étant valablement prise dès que l’un de ses motifs se trouve légalement justifié et un recours contentieux dirigé à son encontre est à rejeter comme non fondé sans qu’il y ait lieu d’examiner encore les moyens avancés à l’encontre des autres motifs à la base de ladite décision.

Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

rejette la demande de jonction avec les affaires introduites sous les numéros 22828, 22829 et 22831 du rôle ;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, premier vice-président, M. Spielmann, premier juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 16 janvier 2008 par le premier vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 9


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 22830
Date de la décision : 16/01/2008

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2008-01-16;22830 ?

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