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14/01/2008 | LUXEMBOURG | N°23556

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 14 janvier 2008, 23556


Tribunal administratif N° 23556 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 octobre 2007 Audience publique du 14 janvier 2008 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 19, L.5.5.2006)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 23556 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 octobre 2007 par Maître Olivier LANG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le â

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Tribunal administratif N° 23556 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 octobre 2007 Audience publique du 14 janvier 2008 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 19, L.5.5.2006)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 23556 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 octobre 2007 par Maître Olivier LANG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Algérie), de nationalité algérienne, demeurant actuellement à L-…, tendant 1) à la réformation d’une décision du ministre des Affaires Etrangères et de l'Immigration du 17 septembre 2007 lui refusant une protection internationale et plus particulièrement le statut de la protection subsidiaire et 2) à l’annulation de l'ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 30 novembre 2007 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Olivier LANG et Monsieur le délégué du Gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 7 janvier 2008.

Le 19 mars 2007, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration une demande en protection internationale au sens de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.

Le même jour il fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur son identité.

Il fut encore entendu les 30 mars 2007 et 18 avril 2007 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en protection internationale.

Par décision du 17 septembre 2007, expédiée par lettre recommandée le 20 septembre 2007, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration informa Monsieur … de ce que sa demande avait été rejetée comme étant non fondée après l’avoir évaluée par rapport aux conditions d’obtention du statut de réfugié et de celles d’obtention du statut conféré par la protection subsidiaire et lui précisa en outre que la décision valait ordre de quitter le territoire. Cette décision est libellée comme suit :

« J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection que vous avez présentée auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration en date du 19 mars 2007.

En application de la loi précitée du 5 mai 2006, votre demande de protection internationale a été évaluée par rapport aux conditions d'obtention du statut de réfugié et de celles d'obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.

En mains le rapport du Service de Police Judiciaire de la même date et le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration daté des 30 mars et 18 avril 2007.

Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire que vous auriez quitté une première fois votre pays le 4 février 2000. Vous auriez embarqué sur un bateau en partance pour Marseille. Vous auriez voyagé avec votre passeport algérien muni d'un visa français. Vous auriez passé quatre mois à Paris et à Lyon chez des membres de votre famille. Après cela, vous seriez parti par l'Eurostar en Angleterre. Vous auriez à ce moment voyagé avec les papiers d'identité d'un ami, un certain …. Vous auriez séjourné et travaillé en Angleterre pendant un an. De là, vous seriez allé en Irlande où vous auriez passé dix ou onze mois à Dublin. A l'occasion d'un de vos voyages à Londres, vous auriez obtenu un passeport au consulat français, au nom d'…. Avec ce passeport vous vous seriez envolé pour le Canada. Là, vous auriez déposé une demande d'asile sous le nom de …. Après un séjour de plus de trois ans au Canada, vous seriez reparti en Algérie volontairement. Vous y auriez vécu un an avant de quitter à nouveau votre pays à bord d'un tanker allant en France. Arrivé à Saint-Nazaire, vous seriez allé en Belgique. Vous auriez vécu cinq mois à Charleroi, puis à Mons. Vous seriez encore reparti en Algérie en février 2006. Finalement, en février 2007, vous auriez de nouveau quitté l'Algérie par un vol Alger / Milan / Moscou. Vous auriez voyagé avec votre passeport muni d'un visa russe. Vous auriez passé une semaine à Saint-Pétersbourg avant de repartir à Milan. De Milan, vous seriez allé à Charleroi et finalement à Luxembourg.

Le dépôt de votre demande de protection internationale date du19 mars 2007.

Vous ne présentez aucune pièce d'identité car vous auriez caché votre passeport, votre permis de conduire et votre carte d'identité dans un trou, sous une pierre près de l'aérodrome de Milan.

Il résulte de vos déclarations que vous souffririez d'une maladie psychiatrique.

Vous auriez déjà été soigné à Halifax, à Mons et à Paris. Vous dites que cette maladie vous forcerait à voyager beaucoup, sans que vous sachiez pourquoi ni où vous voulez aller. Vous pensez que vous avez quitté l'Algérie à cause de votre maladie. D'après vous, vous auriez été traumatisé quand, alors que vous aviez 18 ans, en 1998, des terroristes auraient frappé à la porte de votre maison familiale pour demander de l'argent à votre père. Votre père leur aurait répondu qu'il n'avait pas d'argent et les terroristes seraient repartis. Vous auriez appris, alors que vous aviez déjà quitté l'Algérie qu'ils seraient repassés encore une fois. Vous ignorez si votre père leur a donné de l'argent cette fois-là.

Vous dites qu'en général, les terroristes tuent des gens et que vous, vous auriez ainsi vu tuer des voisins. Deux ans après le passage de ces terroristes à votre domicile, en 2000, vous auriez ressenti les effets de votre maladie. Vos parents vous aurait envoyé consulter le marabout du coin qui vous aurait remis un verset du Coran comme gri-gri.

Enfin, vous admettez n'avoir subi aucune persécution ni mauvais traitement, et ne pas être membre d'un parti politique.

Il y a d'abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Or, les faits que vous alléguez ne sauraient constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu'ils ne peuvent, à eux seuls, établir dans votre chef une crainte fondée d'être persécuté dans votre pays d'origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l'article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève ainsi que les articles 31 et 32 de la loi précitée du 5 mai 2006.

Je constate, en effet, outre que votre récit est particulièrement décousu et peu crédible que, à part le prétendu passage de « terroristes» il y a plusieurs années, vous n'avez subi aucune persécution dans votre pays. La venue même de ces terroristes est sujette à caution, car une fois vous dites qu'ils seraient venus quand vous aviez 18 ans, ce qui fait en 1995, puis, plus loin, vous dites qu'ils sont passés en 1998. Quoiqu'il en soit, je relève que ces terroristes étaient bien élevés et très polis avec votre père, malgré le fait qu'ils portaient des armes, d'après vous. Que leur venue vous ait traumatisé deux ans après est peu crédible. Quant aux gens qui auraient été tués, vous reconnaissez vous-

même que ce sont des choses vues à la télévision, qu'il ne s'agissait que de voisins et non de personnes de votre famille.

En ce qui concerne plus particulièrement votre maladie, je relève que vous avez dit ne pouvoir vivre sans vos médicaments, mais il résulte du rapport du docteur …, du CHL que vous ne vous êtes plus présenté à la consultation depuis le 20 juin 2007. Votre « maladie psychiatrique» elle-même est sujette à caution.

Ainsi, vous n'alléguez aucun fait susceptible d'établir raisonnablement une crainte de persécution en raison d'opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l'appartenance à un groupe social, susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Les conditions permettant l'octroi du statut de réfugié ne sont par conséquent pas remplies.

En outre, votre récit ne contient pas de motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 37 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection. En effet, les faits invoqués à l'appui de votre demande ne nous permettent pas d'établir que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptible de faire l'objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.

Votre demande en obtention d'une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens de l'article 19§1 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.

La présente décision vaut ordre de quitter le territoire.

La décision de rejet de votre demande de protection internationale est susceptible d'un recours en réformation devant le Tribunal administratif. Ce recours doit être introduit par requête signée d'un avocat à la Cour dans un délai d'un mois à partir de la notification de la présente.

Un recours en annulation devant le Tribunal administratif peut être introduit contre l'ordre de quitter le territoire, simultanément et dans les mêmes délais que le recours contre la décision de rejet de votre demande de protection internationale. Tout recours séparé sera entaché d'irrecevabilité.

Je vous informe par ailleurs que le recours gracieux n'interrompt pas les délais de la procédure. (…) » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 19 octobre 2007, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 17 septembre 2007 lui refusant une protection internationale et à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision.

1. Quant au recours dirigé contre la décision portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 19, paragraphe 3 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées, une demande en réformation a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle déférée.

Il s’ensuit que le recours en réformation introduit à titre principal est recevable dans la mesure où il est dirigé contre ce volet de la décision déférée pour avoir été par ailleurs introduit dans les formes et délai prévus par loi.

1.1. Quant au statut de réfugié Le demandeur demande acte qu’il renonce à sa demande tendant à se voir accorder le statut de réfugié politique et qu’il limite sa demande de protection internationale au seul volet relatif au statut conféré par la protection subsidiaire.

Le tribunal donne dès lors acte au demandeur de sa renonciation et de la limitation de son recours au seul volet « protection subsidiaire » traité ci-après.

1.2. Quant au statut conféré par la protection subsidiaire Monsieur … expose à l’appui de sa demande afférente souffrir d’une pathologie mentale relevant vraisemblablement d’un type de schizophrénie. Il affirme ne pas avoir pu prétendre à un traitement médicamenteux ou psychiatrique en Algérie et ce, d’une part, pour des raisons d’ordre social, la folie étant considérée en Algérie comme une maladie honteuse, et, d’autre part, pour des raisons financières, le demandeur n’étant, du fait de sa maladie, pas en mesure d’exercer une activité professionnelle.

Il estime dès lors que la maladie dont il souffrirait et l’impossibilité de traiter ladite maladie en Algérie pour les raisons sus-énoncées constitueraient un risque sérieux et avéré subir un traitement inhumain, sinon dégradant s’il devait y retourner, constituant une atteinte grave au sens de l’article 37 de la loi modifiée du 5 mai 2006, le demandeur estimant que cette disposition doit être interprétée au vu de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme rendue sur le fondement de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme (« CEDH »).

Il y a lieu de rappeler qu’aux termes de l’article 2, e) de la loi modifiée du 5 mai 2006, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37, l’article 39, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 37 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Force est de constater, d’une part, que l’article 37 de la loi modifiée du 5 mai 2006 parle de traitements ou de sanctions « infligées », tandis que l’article 28 de la même loi énumère les acteurs des atteintes graves, de sorte à nécessiter une intervention, une responsabilité humaine et à exclure de son champ d’application l’éventualité d’ « atteintes graves » lorsqu’aucun acteur ne peut en être tenu responsable.

Il en résulte que la maladie ensemble la situation sanitaire et sociale du pays de destination, en l’absence de toute circonstance permettant de déduire que cette situation aurait été infligée ou qu’elle résulterait d’une intervention directe ou indirecte humaine, ne constitue pas un motif valable d’obtention de la protection subsidiaire au sens de la loi du 5 mai 20061.

Au vu de ce qui précède le ministre a dès lors valablement pu, au terme de l’analyse de la situation de Monsieur …, rejeter la demande de protection internationale et plus particulièrement celle en obtention de la protection subsidiaire comme non fondée au sens de l’article 19, paragraphe 1 de la loi du 5 mai 2006, de sorte que le recours est à rejeter comme étant non fondé.

2. Quant au recours dirigé contre la décision portant ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 19, paragraphe 3 de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire et que le recours a été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Aux termes de l’article 19, paragraphe 1er de la loi du 5 mai 2006, une décision négative du ministre en matière de protection internationale vaut ordre de quitter le territoire en conformité des dispositions de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère.

A titre principal, Monsieur … expose que la décision d’ordre de quitter le territoire n’existerait plus suite à la réformation de la décision portant refus d’une protection internationale.

Etant donné que le tribunal n’a pas procédé à la réformation de la décision portant refus d’une protection internationale, ce moyen n’est pas fondé.

A titre subsidiaire, Monsieur … fait valoir que la décision d’ordre de quitter le territoire violerait l’article 14 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers ainsi que l’article 3 CEDH.

Il est vrai qu’une mesure d’éloignement relève de la Convention européenne des droits de l’homme dans la mesure où son exécution risquait de porter atteinte aux droits 1 Cf. trib. adm. 9 juillet 2007, n° 22948, www.ja.etat.lu inscrits à l’article 3. Ce n’est donc pas la nature de la mesure d’éloignement qui pose problème de conformité à la Convention, spécialement à l’article 3, ce sont les effets de la mesure en ce qu’elle est susceptible de porter atteinte aux droits que l’article 3 garantit à toute personne. C’est l’effectivité de la protection requise par l’article 3 qui interdit aux Etats parties à la Convention d’accomplir un acte qui aurait pour résultat direct d’exposer quelqu’un à des mauvais traitements prohibés. S’il n’existe pas, dans l’absolu, un droit à ne pas être éloigné, il existe un droit à ne pas être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants. Donc il existe un droit à ne pas être éloigné quand une mesure aurait pour conséquence d’exposer à la torture ou à une peine ou des traitements inhumains ou dégradants.

La Cour européenne des droits de l’homme a ensuite étendu la protection par ricochet à des hypothèses dans lesquelles les autorités de l’Etat de destination ne sont pas elles-mêmes à l’origine du risque de mauvais traitement. L’arrêt D. c/ Royaume-Uni du 2 mai 1997 va encore plus loin dans la rupture du lien entre le traitement considéré et les autorités publiques, puisqu’il conclut à la violation de l’article 3 au cas où le requérant, malade du sida se trouvant en fin de vie, serait expulsé vers Saint-Kitts.

La même solution n’a pas été adoptée dans deux arrêts subséquents, à savoir, l’arrêt Bensaid c/ Royaume-Uni du 6 février 2001, qui regarde comme hypothétique le risque couru par le requérant, schizophrène traité dans l’Etat défendeur, dès lors que le traitement serait possible en Algérie, en dépit de plus grandes difficultés à en bénéficier et l’arrêt Aoulmi c/ France du 17 janvier 2006 qui estime que les difficultés que pourrait éprouver le requérant pour le traitement de son hépatite en Algérie ne sauraient permettre d’atteindre le seuil de gravité que requiert l’application de l’article 32.

Les arguments du demandeur quant à son état de santé peuvent dès lors être analysés dans le cadre d’une décision d’éloignement, de sorte qu’il y a lieu d’apprécier si le renvoi en Algérie expose Monsieur … à des risques de traitements inhumains et dégradants contraires à l’article 3 CEDH.

Il n’en reste pas moins que dans ce type d’affaires, la Cour européenne des droits de l’homme soumet à un examen rigoureux toutes les circonstances de l’affaire, notamment la situation personnelle du requérant dans l’Etat qui est en train de mettre en œuvre la mesure d’éloignement. La Cour européenne des droits de l’homme recherche donc s’il existait un risque réel que le renvoi du requérant soit contraire aux règles de l’article 3 compte tenu de son état de santé. Pour cela, la Cour évalue ce risque notamment à la lumière des éléments dont elle dispose au moment où elle examine l’affaire et des informations les plus récentes sur la santé du requérant.

Le tribunal procède donc à la même analyse de l’affaire sous examen.

Il convient de prime abord de constater que si le demandeur fait plaider qu’il souffrirait d’un type de schizophrénie, aucune pièce ne vient établir cette pathologie 2 Cf. Jcl Europe Vol. 7, Fasc. 6520 et la portée de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, Collection Rencontres européennes, Bruylant 2006, p. 143.

précise que le mandataire du demandeur déduit du comportement de son mandant, du médicament qui lui a été prescrit à une occasion et du fait qu’il ait été suivi psychiatriquement. Bien au contraire, si le demandeur verse un certificat médical attestant de son traitement psychiatrique, ledit certificat reste muet quant aux raisons de ce traitement.

Si le demandeur offre certes de rapporter la preuve de sa maladie par la voie d’une expertise psychiatrique, il convient cependant de rappeler qu’aux termes de l’article 351 du Nouveau code de procédure civile, une mesure d’instruction ne peut être ordonnée sur un fait que si la partie qui l’allègue ne dispose pas d’éléments suffisants pour le prouver, une mesure d’instruction ne pouvant en aucun cas être ordonnée en vue de suppléer la carence d’une partie dans l’administration de la preuve. Or en l’espèce, le fait offert en preuve constitue un fait strictement personnel au demandeur susceptible d’être - a priori - aisément et à moindres frais établi par la production d’un certificat médical ad hoc.

Au-delà de ce constat, il convient par ailleurs de relever, à supposer que le demandeur souffre effectivement de schizophrénie ou d’une autre pathologie mentale, que si la souffrance associée à une détérioration de sa santé mentale, qui pourrait s’accompagner d’hallucinations et de délires psychotiques susceptibles notamment d’entraver sa socialisation, est en principe de nature à tomber sous l’empire de l’article 3, les informations fournies par le demandeur n’indiquent pas que la situation en Algérie empêche effectivement tout accès à l’hôpital. Bien au contraire, il résulte des pièces versées en cause par le demandeur que si les malades psychiatriques rencontrent des difficultés à faire admettre la réalité et la gravité de leur maladie par la société civile en générale et par leur famille - situation qui ne diffère guère de celle existant encore en Europe occidentale-, leur maladie peut et est cependant prise en compte du point de vue médical en Algérie qui dispose d’ailleurs de services hospitaliers spécialisés.

Il convient encore de relever que l’incapacité du demandeur à pourvoir par ses propres moyens financiers au financement de son traitement n’est pas établie, le demandeur admettant avoir travaillé alors qu’il était déjà malade. S’il affirme avoir dû arrêter de travailler en Algérie à cause de sa maladie, ses explications ne sont pas convaincantes étant donné qu’il affirme avoir arrêté de travailler sur indication d’un médecin (« Il y a beaucoup de jobs en Algérie, mais j’étais malade. Le docteur m’a dit que je pouvais pas travailler, pas me concentrer ») alors qu’il prétend cependant peu après ne pas avoir vu de médecins en Algérie.

Il ne résulte par ailleurs pas des déclarations du demandeur que sa famille refuserait de le soutenir financièrement dans son traitement, mais seulement que sa famille, par honte et par manque d’instruction, ne l’aurait présenté qu’à un marabout, ce qui n’exclut que la famille refuserait par ailleurs de prendre son traitement médical en charge. Le rapport versé à ce titre par le demandeur, intitulé « Pratiques psychiatriques », est à ce sujet édifiant, étant donné que s’il relate certes la pratique traditionnelle algérienne de s’adresser dans un premier temps à des religieux et guérisseurs, il confirme cependant également que d’une manière générale, les patients et leur famille finissent par s’adresser à la psychiatrie, décrite par ce rapport comme ayant connu en Algérie « une bonne évolution de la prise en charge des malades mentaux » du fait notamment d’une nouvelle politique de santé mentale caractérisée notamment par une multiplication des psychiatres et psychologues et par une meilleure information de la population.

Si l’on peut encore prétendre que les différences consécutives à l’éloignement du demandeur sur les plans du soutien personnel et de l’accessibilité du traitement sont susceptibles d’entraîner une dégradation de son état, le fait que sa situation serait moins favorable que celle dont il bénéficie au Luxembourg n’est cependant pas déterminant 3.

Enfin, étant donné que la mise en jeu de l’article 3 CEDH requiert un degré élevé de gravité, particulièrement lorsque l’Etat contractant n’est pas directement responsable du préjudice subi, il n’y a en l’espèce pas de risque suffisamment concret que l’éloignement du demandeur soit incompatible avec les garanties de cette disposition4.

Au vu de ce qui précède, le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

donne acte au demandeur qu’il limite son recours au refus ministériel relatif à la protection subsidiaire ;

reçoit dans cette mesure le recours en réformation en la forme;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en annulation contre la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute, donne acte à Monsieur … qu’il bénéficie de l’assistance judicaire ;

condamne le demandeur aux frais.

3 Voir sur ce point particulier relatif à l’expulsion d’un schizophrène et des possibilités de traitement en Algérie :Arrêt Bensaid c. Royaume-Uni, 6 février 2001, no 44599/98, CEDH 2001-I.

4 Ibidem.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 14 janvier 2008 par :

Mme Lenert, vice-président, M. Sünnen, juge, M. Fellens, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 10


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 23556
Date de la décision : 14/01/2008

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2008-01-14;23556 ?

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