Tribunal administratif N° 22979 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 mai 2007 Audience publique du 14 janvier 2008 Recours formé par la société à responsabilité limitée …sàrl, Differdange et Monsieur …, Differdange contre une décision du ministre de l’Intérieur et de l’Aménagement du Territoire en matière d’urbanisme et d’aménagement du territoire
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 22979 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 23 mai 2007 par Maître Dominique BORNERT, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société …sàrl, établie et ayant son siège social à L-…, représentée par ses gérants actuellement en fonction, et de Monsieur …, architecte diplômé, associé gérant de la société à responsabilité limitée …sàrl, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Intérieur et de l’Aménagement du Territoire du 25 janvier 2007 portant refus d’inscription sur la liste des personnes qualifiées pour l’élaboration d’un plan d’aménagement général prévue à l’article 7 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 2 août 2007 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 3 octobre 2007 par Maître Dominique BORNERT au nom de la société …sàrl et de Monsieur … ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Dominique BORNERT et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 26 novembre 2007.
Le 8 août 2006, Monsieur …, architecte et administrateur-délégué de la société …sàrl, fit parvenir au ministre de l’Intérieur et de l’Aménagement du territoire, ci-après « le ministre », une demande d’inscription sur la liste des personnes qualifiées pour dresser des plans d’aménagement généraux prévue à l’article 7 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain. Le ministre informa Monsieur … par décision du 25 janvier 2007 que sa demande avait été avisée négativement par la commission d’aménagement et qu’après examen de son dossier et sur base des pièces versées, il y a lieu de retenir qu’il ne remplit pas les critères tels que définis à l’article 7 (2) de la loi modifiée du 19 juillet 2004, de sorte qu’il n’a pas été inscrit sur la liste des personnes qualifiées établie par arrêté ministériel du 10 janvier 2007.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 23 mai 2007, la société à responsabilité limitée …sàrl et Monsieur … ont fait introduire un recours contentieux tendant à l’annulation de cette décision de refus d’inscription.
Aucun recours de pleine juridiction n’étant prévu par la loi concernant les décisions prises sur une demande d’inscription à la liste prévue par l’article 7 (2) de la loi modifiée du 19 juillet 2004, seul un recours en annulation a pu être introduit en la présente matière.
Le recours en annulation ayant pour le surplus été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
A l’appui de leur recours, les parties demanderesses reprochent d’abord au ministre d’avoir violé l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, au motif que la décision de refus déférée ne remplirait pas les exigences de motivation légales.
Elles estiment en particulier dans ce contexte que le courrier de refus serait de type standardisé et ne préciserait pas les raisons du refus d’agrément, voire les critères qui ne seraient pas satisfaits en l’espèce. Dans ces conditions il serait impossible d’apprécier tant la réalité que la validité des motifs de refus de la décision déférée au regard des exigences de la loi.
L’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 consacre dans son alinéa 1er le principe général que toute décision administrative doit être légalement motivée et dans son alinéa 2 que la décision doit formellement indiquer les motifs par l'énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base, ceci dans l’hypothèse notamment où elle refuse de faire droit à la demande de l'intéressés.
Il se dégage du libellé de la décision déférée que le refus ministériel repose sur la considération que Monsieur … ne remplit pas les critères tels que définis à l’article 7 (2) de la loi modifiée du 19 juillet 2004, ce motif de refus ayant été complété en cours d’instance moyennant prise de position du délégué du Gouvernement et se trouvant en concordance avec l’avis de la commission d’aménagement auquel le ministre s’est expressément référé.
Il s’ensuit que le reproche d’un défaut d’indication des motifs de refus laisse d’être vérifié en fait, ceci indépendamment de la question de la justification au fond de la décision déférée.
Quant au fond, les parties demanderesses invoquent l’inconstitutionnalité de la loi du 19 juillet 2004 prévoyant une procédure d’agrément des personnes autorisées à élaborer des plans d’aménagement suivant une liste à établir par le ministre, au motif que l’article 7 (2) de ladite loi serait contraire à l’article 36 de la Constitution, en ce sens que le support de l’expérience avérée y énoncée ne serait pas suffisamment explicité par la loi par rapport aux matières d’aménagement du territoire et d’urbanisme visées. Les parties demanderesses prennent appui à cet égard sur un jugement rendu par le tribunal administratif en date du 26 juin 2006 (n° du rôle 20019) pour soutenir qu’en l’absence de dispositions réglementaires spécifiques définissant ledit critère, notamment quant à la durée, à la forme et à la nature de l’expérience requise, le critère de l’expérience tel que prévu par l’article 7 (2) de la loi du 19 juillet 2004 ne serait pas directement applicable, de sorte que le ministre n’aurait pas pu, sous peine de violer l’article 36 de la Constitution, édicter de sa propre initiative des règles pour l’application dudit critère.
A titre subsidiaire, les parties demanderesses soutiennent remplir les conditions d’éligibilité sur la liste à établir par le ministre, ceci tant au regard des conditions de spécialisation et de qualification qu’au regard de la condition de l’expérience avérée en matière d’aménagement du territoire et d’urbanisme.
Le délégué du Gouvernement fait valoir que le législateur aurait voulu instaurer une certaine qualité dans les plans d’aménagement général futurs et que cette qualité ne saurait être garantie que s’il pouvait vérifier les différents critères légaux prévus à l’article 7 de la loi, étant entendu que le fait de ne plus pouvoir vérifier si les différents candidats ont au moins travaillé une fois sur un plan d’aménagement général reviendrait, à son sens, à vider cette disposition légale de tout sens, étant donné que dans cette hypothèse tous les membres de l’Ordre des Architectes et Ingénieurs-Conseils (OAI) devraient être inscrits sur une liste de ce fait devenue inutile.
Pour conclure au rejet de cette argumentation les parties demanderesses font valoir que le ministre aurait porté son appréciation au-delà du cadre tracé par la loi qui ne définirait pas le critère de l’expérience de manière aussi restrictive. Elles se réfèrent en outre à un avis de la commission d’aménagement du 17 décembre 2004, confirmé par la suite, qui définirait plus largement le critère de l’expérience en évoquant des références précises à la conception, à l’élaboration et à la réalisation de projets en matière d’aménagement du territoire, d’aménagement communal et d’urbanisme comme auteur, co-auteur ou collaborateur, ceci au même titre que des travaux théoriques ou pratiques de projets primés lors de concours d’idées, voire de thèses de doctorat, sous la précision que ces dernières observations vaudraient surtout pour les jeunes, fraîchement promus des universités ou autres hautes écoles.
L’article 7 (2) de la loi du 19 juillet 2004, dans sa version telle qu’applicable au moment de la prise de la décision litigieuse, dispose comme suit :
« Le plan d’aménagement général d’une commune est élaboré à l’initiative du collège des bourgmestre et échevins, par une personne qualifiée.
Au sens du présent article, on entend par personne qualifiée, toute personne physique ou morale publique ou privée, légalement établie au Luxembourg ou dans un autre Etat membre de l’Union européenne, inscrite, au vu de ses spécialisation, qualification et expérience avérées en matière d’aménagement du territoire et d’urbanisme, la commission d’aménagement demandée préalablement en son avis, sur une liste établie par le ministre ».
Il se dégage du libellé précité de l’article 7 (2) que cette disposition fixe des critères pour déterminer la personne qualifiée, visée en son alinéa 1er, en vue de pouvoir être admise sur la liste prévue en son alinéa 2, ces critères étant « les spécialisation, qualification et expérience avérées en matière d’aménagement du territoire et d’urbanisme ».
Ni l’article 7 (2) de la loi du 19 juillet 2004, ni aucune autre disposition de ladite loi du 19 juillet 2004 ne prévoient le recours à un règlement grand-ducal pour préciser les critères définissant la personne qualifiée, ni ne délèguent de compétence au ministre ou à la commission d’aménagement pour la prise de règlements nécessaires à l’exécution de la loi.
Il s’ensuit que l’application dudit article 7 (2) incombe directement au ministre, sur avis de la commission d’aménagement, étant entendu qu’il n’appartient pas au pouvoir exécutif de suspendre l’exécution de la loi, qui, conformément à l’article 1er du Code civil, est exécutoire en vertu de sa promulgation, tout comme l’article 4 du Code civil fait interdiction aux juges de refuser l’application d’une loi sous prétexte de son silence, de son obscurité ou de son insuffisance.
A défaut de compétence attribuée par la loi à un organe autre que le Grand-Duc pour prendre les règlements et arrêtés nécessaires pour son exécution, la question de la constitutionnalité de l’article 7 (2) par rapport à l’article 36 de la Constitution est dès lors à déclarer dénuée de tout fondement au sens de l’article 6 alinéa 2 b) de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour Constitutionnelle ;
Concernant plus particulièrement le troisième critère énoncé par la loi tenant à l’expérience avérée en matière d’aménagement du territoire et d’urbanisme, seul litigieux en l’espèce, il appartient dès lors au ministre, lorsqu’il est saisi d’une demande d’inscription sur la liste, de vérifier au cas par cas si les exigences relatives à ce critère légal de l’expérience avérée en matière d’aménagement du territoire et d’urbanisme sont remplies, étant entendu qu’en l’absence d’automatisme légal en la matière, il incombe à chaque postulant de démontrer individuellement si ce critère légal est vérifié dans son chef1.
1 cf. trib. adm. 3 août 2005, n° 19598 du rôle Dans le cadre d’un recours en annulation le tribunal, confronté à une décision de refus d’inscription en raison du non respect du critère de l’expérience avérée en matière d’aménagement du territoire et d’urbanisme, est à son tour amené à analyser la situation de fait et de droit à la date de cristallisation de la décision déférée, en l’occurrence au 25 janvier 2007, ainsi que de vérifier si les faits retenus par le ministre pour aboutir à sa décision de refus sont vérifiés et, dans l’affirmative, s’ils sous-tendent légalement la décision litigieuse et s’inscrivent dans le cadre légal déterminé par l’article 7 (2) de la loi du 19 juillet 2004.
En l’espèce, il se dégage de la décision déférée, ensemble l’avis de la commission d’aménagement auquel le ministre s’est référé et les explications fournies en cause par le délégué du Gouvernement, que la vérification effectuée au titre du critère de l’expérience avérée en matière d’aménagement du territoire et d’urbanisme a consisté uniquement à vérifier si la personne concernée a pour le moins participé une fois à l’élaboration ou à une modification d’un plan d’aménagement général. En effet, la commission d’aménagement a avisé négativement la demande d’inscription litigieuse au seul motif que l’intéressée n’a jamais participé à l’élaboration d’un plan d’aménagement général, sans pour autant avoir concrètement évalué l’expérience dont il a fait état à l’appui de sa demande.
Or, aux termes de l’article 7 (2) de la loi du 19 juillet 2004, l’expérience requise pour prétendre à l’inscription sur la liste s’entend d’une manière générale par rapport à la matière de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme, sans pour autant viser de manière déterminée un instrument spécifique à cette matière. La matière de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme étant susceptible d’être touchée non seulement par des plans d’aménagement généraux mais moyennant toute une panoplie d’autres instruments juridiques, il doit rester possible pour un candidat d’établir son expérience en cette matière par le biais de participations à des projets d’une autre nature, tels par exemple des plans d’aménagement particuliers d’une certaine envergure, des plans d’occupation au sol, voire d’autres instruments d’aménagement du territoire ou d’urbanisme ou des projets élaborés dans un cadre académique.
Dans la mesure où il se dégage des pièces versées au dossier que les parties demanderesses, à l’appui de leur demande d’inscription, avaient fait état d’une expérience avérée en matière d’aménagement du territoire et d’urbanisme dans le chef de Monsieur … sans pour autant avoir soumis au ministre un dossier de références pour documenter cette expérience, le ministre n’était en l’espèce pas en mesure d’apprécier concrètement l’expérience invoquée, afin d’évaluer si cette expérience peut être qualifiée en tant qu’expérience avérée en matière d’aménagement du territoire et de l’urbanisme.
Les parties demanderesses s’étant de surcroît référées dans leur demande d’inscription à une jurisprudence du tribunal administratif du 26 juin 2006 (n° 20019 du rôle) pour soutenir que le critère de l’expérience ne serait pas directement applicable, leur démarche, face à cette jurisprudence non appelée par l’Etat, était cohérente en ce sens qu’elles estimaient ne plus avoir besoin de documenter concrètement leur expérience en raison de la non-applicabilité de ce critère.
La motivation de la décision de refus déférée ayant consisté à se retrancher derrière la considération générale que l’intéressé n’a pas participé une seule fois à l’élaboration ou à la modification d’un plan d’aménagement général laisse de son côté d’être vérifiée en fait par rapport à une demande qui, par référence à une jurisprudence récente en la matière, ne comportait délibérément pas d’éléments d’appréciations afférent.
Il s’ensuit que le ministre, outre d’avoir violé la loi moyennant application d’un critère restrictif, non prévu par le législateur, dans le cadre de l’exercice du pouvoir d’appréciation lui conféré par la loi, n’était pas non plus en mesure d’apprécier en fait la situation des parties demanderesses faute de leur avoir demandé de compléter leur dossier par rapport au critère de l’expérience avérée en la matière qu’il entendait à nouveau appliquer en dépit de la jurisprudence précitée pourtant non appelée.
Les parties demanderesses ayant sollicité la condamnation de la partie défenderesse au paiement de 1000 € sur base de l’article 33 de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, il y a lieu, en l’absence de contestations de la part de l’Etat quant au principe et au montant réclamé, de faire droit à cette demande.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond le dit justifié ;
partant annule la décision déférée et renvoie le dossier devant le ministre de l’Intérieur et de l’Aménagement du Territoire ;
condamne l’Etat aux frais ainsi qu’au paiement d’une indemnité de 1000 € à la société à responsabilité limitée …sàrl et à Monsieur ….
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 14 janvier 2008 par:
Mme Lenert, vice-président, Mme Thomé, premier juge, M. Fellens, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.
s. Schmit s. Lenert 6