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31/12/2007 | LUXEMBOURG | N°22695

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 31 décembre 2007, 22695


Tribunal administratif Numéro 22695 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 mars 2007 Audience publique du 31 décembre 2007 Recours formé par Monsieur … et son épouse, Madame … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de dénonciation d’une décision judiciaire illégale

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 22695 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 15 mars 2007 par Maître Lydie LORANG, avocat à la Cour, inscr

ite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, administrateur de ...

Tribunal administratif Numéro 22695 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 mars 2007 Audience publique du 31 décembre 2007 Recours formé par Monsieur … et son épouse, Madame … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de dénonciation d’une décision judiciaire illégale

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 22695 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 15 mars 2007 par Maître Lydie LORANG, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, administrateur de sociétés, et de son épouse, Madame …, administratrice de sociétés, demeurant ensemble à B-…, tendant à l’annulation, d’une part, d’une décision implicite de refus résultant du silence gardé par l’administration pendant un délai de plus de trois mois à la suite de l’introduction d’un recours gracieux en date du 13 décembre 2006 contre une décision prise en date du 17 novembre 2006 par le ministre de la Justice par laquelle il a refusé de donner une suite favorable à une demande lui soumise tendant à déférer à la Cour de cassation, par l’intermédiaire du procureur général d’Etat, une décision judiciaire illégale et, d’autre part, de la décision précitée du ministre de la Justice du 17 novembre 2006 ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 27 avril 2007 par le délégué du gouvernement ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 25 mai 2007 par Maître Lydie LORANG pour compte de Monsieur … et de son épouse, Madame … ;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif le 19 juin 2007 par le délégué du gouvernement ;

Vu le mémoire en triplique déposé au greffe du tribunal administratif le 18 juillet 2007 par Maître Lydie LORANG pour compte de Monsieur … et de Madame … ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée du ministre de la Justice du 17 novembre 2006 ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Maître Lydie LORANG, assistée de Maître Jean BORNET, avocat au barreau de Bruxelles, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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A la suite d’une commission rogatoire internationale n° 111/03 du 19 mars 2004 émanant du juge d’instruction Michel CLAISE près le tribunal de première instance de Bruxelles dans le cadre d’une information suivie contre Monsieur … et son épouse, Madame …, du chef de faits qualifiés par le juge requérant de blanchiment de capitaux, association de malfaiteurs et fraude fiscale, complétée par une information obtenue en date du 4 mai 2004, le procureur général d’Etat du Grand-Duché de Luxembourg a émis un avis favorable en date du 5 mai 2004 quant à l’exécution de ladite commission rogatoire internationale au Luxembourg.

Monsieur le juge d’instruction TURK, dans son ordonnance du 24 mai 2004, a décidé « qu’il n’y a pas lieu d’accorder l’entraide pénale internationale sollicitée par la commission rogatoire internationale n° 111/03 du 19 mars 2004 émanant de Monsieur Michel CLAISE, juge d’instruction près le tribunal de grande instance de Bruxelles », au motif que les conditions légales luxembourgeoises n’étaient pas remplies en l’espèce. Il se dégage notamment de ladite ordonnance du juge d’instruction TURK qu’en date du 18 mars 2004, Maître Jean BORNET, le mandataire belge des époux …-…, assisté de deux avocats luxembourgeois, avait déposé en nom et pour compte de leurs clients des pièces au cabinet d’instruction.

Par requête déposée en date du 3 juin 2004 au greffe de la chambre du conseil du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, le procureur d’Etat près du tribunal d’arrondissement de Luxembourg introduisit une demande tendant à voir annuler l’ordonnance précitée du juge d’instruction de Luxembourg du 24 mai 2004, sur base de l’article 8 de la loi du 8 août 2000 sur l’entraide judiciaire internationale en matière pénale. Par la même requête, le procureur d’Etat pria la chambre du conseil près du tribunal d’arrondissement de Luxembourg de renvoyer l’affaire au juge d’instruction directeur « aux fins de désignation d’un autre magistrat instructeur pour l’exécution des devoirs d’entraide judiciaire ».

Par ordonnance du 18 octobre 2004, la chambre du conseil du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg déclara la prédite requête en nullité introduite par le procureur d’Etat en date du 3 juin 2004 recevable et fondée et annula partant l’ordonnance précitée du juge d’instruction luxembourgeois du 24 mai 2004, en renvoyant l’affaire au juge d’instruction directeur en vue de saisir un autre magistrat instructeur de la commission rogatoire du 19 mars 2004.

Par ordonnances de perquisition et de saisie prises en date du 20 octobre 2004, Monsieur le juge d’instruction Gilles DORNSEIFFER fit droit à l’exécution de la commission rogatoire internationale précitée du 19 mars 2004 et de son « complément du 04.05.2004 » émanant de Monsieur le juge d’instruction Michel CLAISE de Bruxelles en ordonnant des perquisitions et saisies auprès de différentes banques établies au Luxembourg.

Une opposition formulée en date du 17 novembre 2004 par le mandataire des époux …-… contre l’ordonnance précitée de la chambre du conseil du tribunal d’arrondissement de Luxembourg du 18 octobre 2004 fut rejetée comme étant irrecevable par une ordonnance de la même chambre du conseil du 10 janvier 2005. Cette ordonnance de la chambre du conseil du tribunal d’arrondissement fut confirmée sur appel relevé pour compte des époux …-… par un arrêt de la chambre du conseil de la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg du 16 mars 2005. Par arrêt du même jour de la chambre du conseil de la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, un appel relevé pour compte des époux …-… contre l’ordonnance précitée de la chambre du conseil du tribunal d’arrondissement de Luxembourg du 18 octobre 2004 fut également déclaré irrecevable, au motif que les appelants n’étaient ni requérants ni parties en cause dans la première procédure, de sorte qu’ils n’avaient pas qualité pour relever appel de la décision ainsi intervenue.

Par une demande adressée au ministre de la Justice en date du 9 novembre 2006, les époux …-…, agissant par l’intermédiaire non seulement de leurs mandataires luxembourgeois, mais également de leurs mandataires belges, inscrits respectivement aux barreaux de Verviers et de Bruxelles, ont fait introduire une demande tendant à dénoncer une décision judiciaire illégale.

Se plaignant de ce qu’ils n’ont pas pu obtenir une décision juridictionnelle sur le fond à la suite de l’introduction, en date du 3 juin 2004, d’un recours formé par le procureur d’Etat contre l’ordonnance précitée du 24 mai 2004 de Monsieur le juge d’instruction Michel TURK, de sorte qu’ils n’auraient pas pu assurer la défense de leurs droits, ils estimaient qu’il y avait lieu de faire application de la procédure de dénonciation à la Cour de cassation, par le procureur général d’Etat près la Cour de cassation, sur ordre du ministre de la Justice, afin d’obtenir l’annulation d’« un acte judiciaire contraire à la loi ». Ils estimaient en effet que des décisions judiciaires erronées en droit auraient été prises à leur encontre et qu’ils n’auraient d’autre moyen que de recourir à la procédure précitée. Ils estimaient plus précisément que la décision précitée de la chambre du conseil du tribunal d’arrondissement de Luxembourg du 18 octobre 2004 serait nulle et qu’il appartiendrait partant à la Cour de cassation, saisie par ladite procédure de dénonciation, d’en prononcer la nullité, de même que de prononcer la nullité des actes judiciaires qui en découlent « jusque et y compris la désignation de Monsieur le juge d’instruction DORNSEIFFER et l’exécution de la demande d’entraide judiciaire internationale ». A l’appui de ladite demande adressée au ministre de la Justice, les époux …-… estimaient que la décision juridictionnelle précitée du 18 octobre 2004 violerait plusieurs règles juridiques, à savoir : « 1.

la Chambre du conseil a rendu la décision du 18.10.04 alors qu’elle n’était pas valablement saisie, le Procureur d’Etat ne disposant pas d’un recours en nullité devant elle 2.

en toute hypothèse, même à considérer que le Procureur d’Etat disposait d’un recours, ce recours en nullité a été exercé en dehors des délais légaux et la Chambre du conseil aurait dû déclarer ce recours irrecevable 3.

en toute hypothèse, même à considérer que le Procureur d’Etat disposait d’un recours et qu’il l’ait exercé dans le délai légal, la Chambre du conseil n’a pas pu valablement siéger en l’absence d’invitation des requérants à comparaître et la Chambre du conseil aurait dû reporter l’examen de la cause pour permettre cette convocation ».

Au vu de ces différents motifs qui, d’après eux, devraient entraîner la nullité de la décision juridictionnelle précitée du 18 octobre 2004, les époux …-… estimaient dans ledit courrier que leur « seule et dernière possibilité » « de faire rétablir l’orthodoxie juridique face à une situation illégale qui leur cause préjudice, est de solliciter de Monsieur le Ministre de la Justice qu’il donne ordre au Procureur général près la Cour de cassation de dénoncer à la Cour de cassation cette décision illégale ». Ils basaient leur demande sur l’article 6 de la loi du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation.

Par rapport à cette demande précitée du 9 novembre 2006, le ministre de la Justice répondit par un courrier du 17 novembre 2006 adressé à l’un des mandataires des époux …-…, dont le libellé est le suivant :

« J’ai l’honneur de me référer à votre lettre avec dossier en annexe datée du 9 novembre 2006.

Conformément aux usages en vigueur au Luxembourg, le ministre de la Justice n’intervient pas dans les affaires en cours, usage que je compte respecter également dans la présente affaire.

Il vous est toutefois loisible de prendre l’attache de Monsieur le procureur général d’Etat, chargé d’après la loi de veiller à l’application de la loi pénale sur toute l’étendue du territoire national, et de lui exposer vos doléances ».

Un recours gracieux adressé au ministre de la Justice par courrier du mandataire des époux …-… du 13 décembre 2006 resta sans réponse de la part du ministre. Ledit recours gracieux est de la teneur suivante :

« J'ai bien reçu Votre courrier du 17 novembre 2006 dernier m'informant que Vous n'entendez pas, conformément aux usages, réserver une suite favorable à ma demande Vous adressée le 9 novembre pour compte des époux …-….

Votre recommandation de m'adresser à Monsieur le Procureur Général d'Etat m'a quelque peu étonné alors que la demande n'est pas basée sur l'article 422 du Code d'instruction criminelle accordant au Procureur Général un pourvoi en cassation dans l'intérêt de la loi.

En effet notre demande est basée sur l'article 6 de la loi du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation qui dispose : « Le Gouvernement pourra, par l'intermédiaire du procureur général, et sans préjudice des droits des parties, déférer à la Cour de cassation tous actes par lesquels les juges auraient excédé leurs pouvoirs, en contrevenant aux lois et règlements légalement pris et publiés » ainsi que sur l'article 421 du Code d'instruction criminelle.

Néanmoins, suite à Votre suggestion, Maître François Reinard, co-mandataire des époux …-… s'est adressé par courrier du 27 novembre 2006 (voir annexe) à Monsieur le Procureur Général d'Etat. Madame Martine Solovieff, Premier Avocat Général a répondu par lettre du 30 novembre 2007 (voir annexe) qu'elle ne voit pas d'intérêt dans l'immédiat d'une entrevue, la loi sur l'entraide judiciaire internationale en matière pénale ne prévoyant pas qu'une requête quelconque puisse être déposée entre les mains du Procureur Général. Madame Solovieff a informé oralement Maître Reinard que notre demande du 9 novembre 2006 ne lui avait pas été continuée par Vos soins.

Le Parquet Général n'ayant pas été saisi par Vous sur base de l'article 6 de la loi précitée du 18 février 1885, ce que nous ignorions jusqu'à qu'au (sic !) moment où Madame Solovieff en a fait part à Maître Reinard, je me permets de m'adresser une nouvelle fois à Vous.

Nous comprenons Votre position de ne pas vouloir intervenir dans les « affaires en cours » et nous la respectons pleinement. Or notre demande ne vise nullement à ce que vous fassiez exception à ces usages. En effet, les recours intentés par mes clients et non encore évacués concernent des demandes en nullité introduites contre des ordonnances d'un juge d'instruction en matière de CRI.

Notre demande du 9 novembre 2006 à Votre adresse a comme finalité de déboucher sur un pourvoi en cassation contre l'ordonnance N° 2114/2004 de la Chambre du conseil du tribunal d'arrondissement de et à Luxembourg du 18 octobre 2004 rendue suite à un « recours » de Monsieur le Procureur d'Etat adjoint Jean-Paul Frising du 3 juin 2004 tendant à la nullité d'une ordonnance de Monsieur le Juge d'instruction du 24 mai 2004.

Nous sommes en effet d'avis que l'ordonnance du 18 octobre 2004 est entachée de nullité alors que rendue sur base d'un recours non prévu par la loi.

Il ne s'offre à mes clients aucun autre moyen légal pour constater l'illégalité de l'ordonnance du 18 octobre 2004 que de s'adresser à Vous comme ils l'ont fait à travers la demande du 9 novembre 2006.

Sans Vous immiscer dans les prérogatives du Pouvoir Judiciaire, la Loi Vous confère le pouvoir de faire vérifier par la Cour de cassation, la légalité des actes judiciaires.

Je me permets dès lors de réitérer par la présente ma demande de la tenue d'une réunion en Votre cabinet ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 15 mars 2007, Monsieur … et son épouse, Madame …, ont fait introduire un recours en annulation, d’une part, contre une décision implicite de refus résultant du silence gardé par le ministre de la Justice pendant plus de trois mois à la suite de l’introduction, en date du 13 décembre 2006, d’un recours gracieux dirigé contre la décision prise par le ministre de la Justice en date du 17 novembre 2006 par laquelle il a refusé de faire droit à une demande tendant à faire dénoncer une décision judiciaire illégale à la Cour de cassation par le biais du procureur général d’Etat et, d’autre part, contre la décision ministérielle précitée du 17 novembre 2006.

Le mémoire en triplique déposé par les demandeurs au greffe du tribunal administratif en date du 18 juillet 2007 est à admettre parmi les écrits de la présente instance, étant donné qu’il a été déposé à la suite du mémoire en duplique de l’Etat, dans lequel l’Etat a invoqué un nouveau moyen, non discuté antérieurement, tiré du défaut de caractère décisionnel des décisions attaquées, moyen par rapport auquel les demandeurs ont dû prendre position afin de sauvegarder leurs droits de la défense.

Le délégué du gouvernement conclut tout d’abord à l’irrecevabilité du recours, en ce que celui-ci omettrait d’indiquer l’objet de la demande. La requête introductive d’instance violerait partant l’article 1er de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

Le représentant étatique estime encore ignorer, pour le cas où l’objet de la demande devrait être retenu comme étant clairement indiqué dans le recours, si les demandeurs visent le pourvoi en cassation pour excès de pouvoir en se référant à l’article 6 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation ou s’ils s’appuient sur l’article 421 du code d’instruction criminelle, tel qu’introduit par une loi du 17 juin 1987.

Enfin, l’Etat fait valoir qu’il ignorerait les moyens des demandeurs invoqués à l’appui de leur recours, de sorte que celui-ci serait également irrecevable de ce chef.

C’est tout d’abord à bon droit que les demandeurs font répliquer que leur recours sous analyse contient clairement un objet dans la mesure où il ressort sans le moindre doute possible de la requête introductive d’instance que le recours tend à obtenir l’annulation, d’une part, de la décision précitée du ministre de la Justice du 17 novembre 2006, ainsi que, d’autre part, d’une décision implicite de rejet résultant du silence gardé par ledit ministre pendant un délai de plus de trois mois à la suite de l’introduction d’un recours gracieux en date du 13 décembre 2006 dirigé contre la prédite décision du 17 novembre 2006. Dans la mesure où le présent recours possède ainsi un objet clairement défini, en ce que les demandeurs ont indiqué dans leur requête introductive d’instance le résultat qu’ils entendent obtenir, et sur lequel l’Etat n’a d’ailleurs pas pu se méprendre, ce premier moyen est à rejeter pour ne pas être fondé, aucune violation de l’article 1er de la loi précitée du 21 juin 1999 à cet égard ne pouvant être retenue.

En ce qui concerne les doutes exprimés par l’Etat dans son mémoire en réponse sur la base légale sur laquelle les demandeurs entendaient baser leur recours, il échet encore de confirmer l’argumentation développée par les demandeurs dans leur mémoire en réplique suivant laquelle il se dégage sans aucune ambiguïté possible des développements très clairs contenus dans la requête introductive d’instance que le recours est basé sur les articles 6 et 54 de la loi précitée du 18 février 1885. C’est d’ailleurs également à bon droit que les demandeurs font exposer dans leur mémoire en réplique que les dispositions se dégageant notamment de l’article 6 de la loi précitée du 18 février 1885 se complètent par celles figurant à l’article 421 du code d’instruction criminelle, de sorte qu’il ne se dégage aucune contradiction entre les deux dispositions légales. Dans la mesure où ainsi non seulement la base légale du recours se trouve clairement définie dans la requête introductive d’instance et que celle-ci développe également amplement les moyens sur lesquels s’appuie le recours, l’Etat n’a pas pu se méprendre sur les arguments en droit et en fait invoqués à l’appui de ce recours, de sorte qu’également à cet égard, il n’y a pas lieu de constater une violation de l’article 1er de la loi précitée du 21 juin 1999 et que le moyen afférent est à rejeter pour ne pas être fondé.

Le délégué du gouvernement conclut encore à l’incompétence des juridictions administratives pour connaître du recours sous examen, en estimant que la procédure dans laquelle les demandeurs entendraient intervenir constituerait une procédure judiciaire pour laquelle les juridictions administratives n’auraient aucune compétence. Dans la mesure où il appartiendrait à la Cour de cassation de statuer, plus particulièrement en matière pénale, on ne se trouverait pas en présence d’une décision administrative relevant de la compétence du tribunal administratif. Le représentant étatique estime qu’alors même que cette procédure exige l’intervention préalable du gouvernement ou du ministre de la Justice, avant que le procureur général ne puisse saisir la Cour de cassation, il n’en resterait pas moins qu’il s’agirait d’une procédure judiciaire ne relevant pas du champ de compétence des juridictions administratives. Il s’oppose par ailleurs à une séparation artificielle de la procédure en plusieurs phases, dont la première serait de nature administrative et la deuxième de nature judiciaire.

Déjà dans leur recours introductif d’instance, les demandeurs avaient conclu à la compétence des juridictions administratives pour connaître des décisions soumises au tribunal administratif dans le cadre de la présente procédure contentieuse, en soutenant que la procédure qu’ils avaient souhaité voir mettre en œuvre ne constituerait pas une procédure de pourvoi en cassation ordinaire, mais une procédure tout à fait particulière, dans la mesure où le ministre de la Justice aurait le droit d’ordonner au procureur général d’Etat de former un recours tel que prévu par les articles 4 et 6 de la loi précitée du 18 février 1885. Ils estiment partant que la décision du ministre de la Justice de ne pas faire droit à une requête lui soumise avec l’objectif que le procureur général d’Etat obtienne l’instruction de saisir la Cour de cassation constituerait une décision de nature administrative susceptible de faire l’objet d’un recours contentieux devant les juridictions administratives. Les demandeurs estiment encore que la demande adressée au ministre de la Justice dans le cadre des articles 6 et 54 de la loi précitée du 18 février 1885 aurait eu pour objet d’inciter le ministre à entamer une procédure relativement à une décision judiciaire coulée en force de chose jugée, partant définitive, de sorte que les instances juridictionnelles de droit commun ne se seraient plus trouvées saisies du dossier au moment où la demande a ainsi été introduite auprès du ministre de la Justice. Le ministre de la Justice se trouverait ainsi chargé d’un contrôle préalable avant même qu’une instance juridictionnelle puisse à nouveau être saisie du dossier.

Les développements ainsi contenus dans la requête introductive d’instance ont été repris, en y renvoyant, dans le mémoire en réplique des demandeurs.

Aux termes de l’article 6 de la loi précitée du 18 février 1885 « le Gouvernement pourra, par l’intermédiaire du procureur général, et sans préjudice du droit des parties, déférer à la Cour de cassation tous actes par lesquels les juges auraient excédé leurs pouvoirs, en contrevenant aux lois et règlements légalement pris et publiés ».

L’article 54 de la même loi détermine encore la procédure à suivre par le procureur général lorsqu’il forme un recours notamment en vertu de l’article 6 précité ainsi que la procédure à suivre par la Cour supérieure de justice.

Ainsi, d’après l’article 6 de la loi précitée du 18 février 1885, ensemble avec l’article 54 de la même loi, la Cour supérieure de justice, siégeant comme Cour de cassation, est saisie par le procureur général d’Etat en vertu de l’ordre exprès que le gouvernement, à savoir le ministre de la Justice, a donné, soit d’office, soit sur la réclamation des parties. Il s’ensuit que si la demande lui paraît devoir être admise, lorsqu’il statue sur une réclamation ou la saisine par une partie, le ministre de la Justice transmet le dossier au procureur général d’Etat qui en saisit la Cour de cassation.

C’est partant le ministre de la Justice qui doit statuer et prendre la décision de transférer le dossier au procureur général d’Etat afin que celui-ci saisisse la Cour de cassation ou de ne pas faire droit aux plaintes ou saisines qui lui sont parvenues. Ainsi, s’il est vrai, comme l’a relevé l’Etat, que la décision définitive est d’ordre judiciaire, dans la mesure où elle sera prise par la Cour de cassation, la sélection préalable des dossiers à transmettre au procureur général d’Etat pour être transmis par la suite à la Cour de cassation, est d’ordre administratif.

Il découle encore des développements qui précèdent que, par définition, la procédure de dénonciation d’une décision judiciaire illégale est engagée relativement à une décision judiciaire coulée en force de chose jugée, partant définitive, de sorte que les instances juridictionnelles ne se trouvent plus saisies du dossier au moment où la demande en dénonciation d’une décision juridictionnelle illégale est introduite auprès du ministre de la Justice.

Ainsi, au cas où une partie à un litige ayant eu lieu préalablement auprès d’instances juridictionnelles saisit le ministre de la Justice d’une demande portant dénonciation d’une décision juridictionnelle illégale, sur base de l’article 6 de la loi précitée du 18 février 1885, elle saisit dès lors une autorité administrative chargée d’un contrôle préalable, avant même qu’une instance juridictionnelle puisse être de nouveau saisie du dossier.

En vertu de l’article 6 en question, le ministre de la Justice ne transmet le dossier de la procédure au procureur général d’Etat que si la demande en dénonciation d’une décision juridictionnelle illégale lui paraît devoir être admise. En effet, ce n’est que dans cette hypothèse où le procureur général d’Etat en saisit la Cour de cassation et que les instances juridictionnelles reprennent compétence en la matière. Il se dégage également de ce qui précède qu’au cas contraire, à savoir au cas où le ministre de la Justice estime que la demande en dénonciation d’une décision juridictionnelle illégale lui paraît ne pas devoir être admise, il décide de ne pas transmettre le dossier de la procédure au procureur général d’Etat. Dans cette deuxième hypothèse, les instances juridictionnelles ne seront pas saisies à nouveau de l’affaire.

Il suit encore des développements qui précèdent que la prise de position du ministre de la Justice de ne pas transmettre le dossier de la procédure au procureur général d’Etat, au motif que la demande en dénonciation d’une décision juridictionnelle illégale lui paraît ne pas devoir être admise, ne participe dès lors pas aux compétences des organes juridictionnels, mais relève de la sphère générale d’ordre administratif dans laquelle s’agencent normalement les pouvoirs ministériels. Cette prise de position tranche partant un ensemble d’éléments de fait et de droit et revêt dès lors un caractère décisionnel.

Etant donné que malgré la motivation quelque peu surprenante utilisée par le ministre de la Justice dans sa décision attaquée du 17 novembre 2006, précisée néanmoins dans le mémoire en réponse du délégué du gouvernement, le ministre de la Justice a statué dans le cadre des dispositions de l’article 6 de la loi précitée du 18 février 1885 visant, au-delà des termes y employés, à ne pas transmettre le dossier de la procédure au procureur général d’Etat, cette décision ayant été confirmée implicitement mais nécessairement du fait du silence gardé par le ministre de la Justice pendant un délai de plus de trois mois à la suite d’un recours gracieux introduit par le courrier précité du 13 décembre 2006 contre la décision ministérielle litigieuse du 17 novembre 2006.

Il est vrai que dans son mémoire en duplique, le délégué du gouvernement invoque un nouveau moyen suivant lequel le courrier précité du ministre de la Justice du 17 novembre 2006 ainsi que la décision confirmative résultant du silence gardé par le ministre à la suite de l’introduction d’un recours gracieux devant lui par le courrier précité du 13 décembre 2006 ne constitueraient pas des décisions, en relevant que dans le courrier du 17 novembre 2006 le ministre aurait simplement rappelé que « pendant le stade d’exécution d’une demande d’entraide judiciaire le pouvoir politique n’entend pas intervenir dans la procédure judiciaire en cours », et que le courrier du mandataire des demandeurs du 13 décembre 2006 ne serait pas à interpréter comme constituant un recours gracieux, en ce que ce terme n’aurait pas été utilisé dans ledit courrier, ce courrier ayant, d’après l’Etat, simplement pour objet « la tenue d’une réunion en votre cabinet », entraînant qu’une décision susceptible de recours n’existerait pas en l’espèce.

L’acte émanant d’une autorité administrative, pour être sujet à un recours contentieux, doit constituer, dans l’intention de l’autorité qui l’émet, une véritable décision, à qualifier d’acte de nature à faire grief, c'est-à-dire un acte de nature à produire par lui-même des effets juridiques affectant la situation personnelle ou patrimoniale de celui qui réclame1.

Constitue ainsi une décision ministérielle à qualifier d’acte administratif susceptible de faire l’objet d’un recours contentieux la décision de refus de soumettre au procureur général d’Etat un dossier afin que celui-ci en saisisse la Cour de cassation, dans la mesure où une telle décision constitue une étape finale dans la phase administrative de la procédure, de nature à faire grief à la personne concernée, ayant saisi le ministre du dossier afférent, en affectant directement la situation personnelle de celui-ci et en lui causant un préjudice individualisé2.

En l’espèce, il ne fait aucun doute que par le courrier précité du 9 novembre 2006, le ministre de la Justice a été saisi d’une demande basée sur l’article 6 de la loi précitée du 18 février 1885 tendant à mettre en route la procédure de la dénonciation à la Cour de cassation d’une décision juridictionnelle illégale. Malgré le fait que le ministre de la Justice n’a pas spécifiquement motivé sa décision de refus d’entamer la procédure ainsi légalement prévue, puisqu’il n’a pas directement répondu à la demande lui ainsi adressée, il ressort néanmoins de manière indubitable du courrier ministériel du 17 novembre 2006 que le ministre de la Justice n’entendait pas faire droit à la demande lui ainsi adressée par le courrier précité du 9 novembre 2006 auquel il se réfère directement, au motif qu’il refusait de s’immiscer dans les affaires en cours auprès des juridictions ordinaires.

Il s’ensuit que le courrier ministériel précité du 17 novembre 2006 constitue bien une décision administrative individuelle de nature à faire grief aux demandeurs, de sorte qu’elle est susceptible de faire l’objet d’un recours contentieux.

1 cf. trib. adm. 18 juin 1998, n°s 10617 et 10618 du rôle, Pas. adm. 2006, V° Actes administratifs, n° 12 et autres références y citées 2 v. trib. adm. 16 janvier 2003, n° 13756 du rôle, Pas. adm. 2006, V° Actes administratifs, n° 23 Quant au courrier précité des mandataires des demandeurs du 13 décembre 2006, s’il est vrai que le courrier en question ne contient pas les termes de « recours gracieux », il s’en dégage néanmoins de manière claire et non équivoque que les demandeurs ont entendu réclamer contre la décision ministérielle précitée du 17 novembre 2006 en exposant de manière précise les raisons pour lesquelles ils ne sauraient se rallier aux conclusions auxquelles a abouti le ministre de la Justice, le courrier en question devant ainsi nécessairement être interprété, au-delà des termes y utilisés, comme constituant une réclamation contre la décision ministérielle précitée du 17 novembre 2006, réclamation par rapport à laquelle le ministre n’a pas pris position par une décision écrite. Il est vrai que ledit courrier du 13 décembre 2006 contient également une demande de rendez-vous auprès du ministre de la Justice, cette seule considération n’est toutefois pas de nature à lui enlever le caractère de recours gracieux.

Il suit de ce qui précède que du fait que le ministre de la Justice n’a pas répondu dans un délai de trois mois audit recours gracieux, il y a lieu de constater l’existence d’une décision implicite de refus de faire droit à la demande présentée par les demandeurs, décision implicite contre laquelle un recours contentieux peut être introduit devant les juridictions administratives.

Comme les décisions précitées du ministre de la Justice sont à qualifier de décisions administratives à l’égard desquelles aucun autre recours n’est admissible d’après les lois et règlements, conformément à l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, seul un recours en annulation a pu être introduit à leur encontre, recours en annulation qui est à déclarer recevable pour avoir été par ailleurs introduit dans les formes et délai de la loi.

Quant au fond, les demandeurs font valoir à l’appui de leur recours que les décisions attaquées du ministre de la Justice violeraient l’article 6 de la loi précitée du 18 février 1885 ainsi que l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes.

En ce qui concerne tout d’abord le moyen tiré d’une violation de l’article 6 du règlement grand-ducal précité du 8 juin 1979, les demandeurs reprochent au ministre de n’avoir fait usage, dans sa décision attaquée du 17 novembre 2006, que d’une référence, qui serait d’ailleurs inapplicable au cas d’espèce, à un certain usage, sans motiver autrement son refus de faire droit à la demande lui présentée par les demandeurs dans leur courrier précité du 9 novembre 2006. Les demandeurs estiment en effet que cette simple référence à un certain usage ne saurait être considérée comme constituant une énonciation au moins sommaire de la cause juridique se trouvant à la base de la décision ministérielle de refus.

Malgré le fait que le délégué du gouvernement n’a pas pris position par rapport à ce moyen ni dans son mémoire en réponse ni dans son mémoire en duplique, il échet néanmoins de constater que s’il est vrai que dans sa décision litigieuse du 17 novembre 2006, le ministre de la Justice n’a pas motivé sa décision de refus par rapport à la demande lui adressée, il n’en reste pas moins que la sanction de l’obligation de motiver une décision administrative ne consiste que dans la suspension des délais de recours. La décision reste valable et l’administration peut produire ou compléter les motifs postérieurement et même pour la première fois devant le juge administratif3. Par ailleurs, les motifs sur lesquels repose l’acte, si l’acte lui-même ne les précise pas, peuvent être communiqués au plus tard au cours de la procédure contentieuse pour permettre à la juridiction administrative d’exercer son contrôle de légalité, étant donné qu’il est loisible à l’administration de présenter ses motifs en cours d’instance, à condition que la juridiction administrative puisse en contrôler la légalité au moment où elle est appelée à statuer4.

En l’espèce, le délégué du gouvernement a suppléé à la carence du ministre de la Justice en fournissant à l’appui de son mémoire en réponse ainsi que dans son mémoire en duplique les motifs qui se sont trouvés à la base de la décision ministérielle critiquée, de sorte que le moyen tiré de la violation de l’article 6 du règlement grand-ducal précité du 8 juin 1979 est à écarter pour ne pas être fondé.

Quant au moyen tiré de la violation de l’article 6 de la loi précitée du 18 février 1885, les demandeurs estiment qu’à partir du moment où le ministre de la Justice est saisi d’une dénonciation d’excès de pouvoir par violation de la loi, il aurait l’obligation d’analyser ladite dénonciation et lorsqu’il viendrait à la conclusion que les violations de la loi lui dénoncées ne seraient pas dénouées de tout fondement et qu’une « interprétation clarificatrice de la Haute Juridiction » s’imposerait dans l’intérêt de la loi ou des justiciables, il aurait l’obligation de donner instruction au procureur général d’Etat de déférer la question afférente à la Cour de cassation. Ils reprochent au ministre d’avoir refusé « toute analyse plus approfondie en se retirant derrière l’usage au Grand-Duché de Luxembourg que l’exécutif s’interdit toute immixtion dans des affaires judiciaires pendantes », de sorte qu’il aurait refusé d’appliquer la loi. Pour le surplus, les demandeurs reprochent au ministre d’avoir fait une analyse erronée des faits et de l’usage en question. En effet, ils soutiennent qu’en l’espèce aucune procédure judiciaire n’aurait été pendante, étant donné que les décisions juridictionnelles auxquelles ils font référence seraient déjà coulées en force de chose jugée, de sorte qu’il n’existerait aucun risque d’interférence dans un dossier judiciaire en cours.

Les demandeurs s’estiment en effet lésés du fait qu’ils n’ont pas pu obtenir une décision juridictionnelle sur le fond dans le cadre du recours en nullité introduit par le ministère public contre l’ordonnance du juge d’instruction TURK du 24 mai 2004. Ils n’auraient ainsi pas pu contester la décision du procureur d’Etat de recourir en nullité contre la décision leur favorable rendue par le juge d’instruction TURK et ils n’ont ainsi pas pu voir analyser leurs prétentions dans les recours adressés contre l’ordonnance de la chambre du conseil du tribunal d’arrondissement rendue à la suite de l’introduction du recours en nullité par le procureur d’Etat.

Ils estiment partant que seule la procédure de la dénonciation à la Cour de cassation, par le procureur général d’Etat, sur ordre du ministre de la Justice, serait de nature à leur donner satisfaction, puisque cette procédure serait de nature à faire disparaître, voire à annuler un acte judiciaire contraire à la loi. Ils contestent dans ce contexte le fait que cette procédure particulière s’identifierait à un pourvoi en cassation, en reconnaissant qu’ils n’auraient pas le droit de former pareil pourvoi.

3 cf. Cour adm. 8 juillet 1997, n° 9918C du rôle, Pas. adm. 2006, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 49 et autres références y citées 4 cf. trib. adm. 26 avril 2004, n° 17153 du rôle, Pas. adm. 2006, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 49 et autres références y citées Ils soutiennent plus particulièrement que l’ordonnance de la chambre du conseil du tribunal d’arrondissement de Luxembourg du 18 octobre 2004, précitée, serait nulle, et qu’il appartiendrait partant à la Cour de cassation, saisie par une procédure de dénonciation, d’en prononcer la nullité, ainsi que la nullité des actes judiciaires qui en découleraient « jusque et y compris la désignation de Monsieur le juge d’instruction DORNSEIFFER et l’exécution de la demande d’entraide judiciaire internationale ». De ce fait, les demandeurs sollicitent également l’annulation des saisies auxquelles il a été procédé.

Les demandeurs invoquent la violation de plusieurs règles juridiques qui auraient dû amener le ministre de la Justice à saisir le procureur général d’Etat afin de dénoncer l’illégalité de la décision précitée de la chambre du conseil du tribunal d’arrondissement du 18 octobre 2004.

Ainsi, en premier lieu, les demandeurs soutiennent que ladite décision de la chambre du conseil du 18 octobre 2004 serait illégale dans la mesure où le procureur d’Etat n’aurait pas disposé de la possibilité d’introduire un recours en nullité devant elle dirigé contre l’ordonnance précitée du juge d’instruction TURK du 24 mai 2004. Ils estiment dans ce contexte que dans la mesure où la loi du 8 août 2000 sur l’entraide judiciaire internationale en matière pénale organiserait un régime autonome relatif à une matière particulière dans laquelle le juge d’instruction et les juridictions d’instruction interviennent, ce régime autonome organiserait un système complet relatif aux voies de recours dérogeant ainsi au régime prévu par l’article 126 du code d’instruction criminelle, tel que modifié par la loi du 17 juin 1987.

Les demandeurs soutiennent que dans la mesure où l’article 8 de la loi précitée du 8 août 2000 n’accorderait le droit au procureur d’Etat d’introduire un recours en nullité que contre les actes du juge d’instruction exécutant la décision d’entraide judiciaire internationale, un tel droit de recours en nullité n’existerait pas contre les actes du juge d’instruction refusant d’exécuter la demande d’entraide internationale. Il s’ensuivrait, d’après les demandeurs, que le procureur d’Etat n’aurait pas pu introduire en date du 3 juin 2004 une requête en nullité contre l’ordonnance précitée du juge d’instruction TURK du 24 mai 2004. La chambre du conseil du tribunal d’arrondissement de Luxembourg aurait partant dû déclarer, dans son ordonnance précitée du 18 octobre 2004, ledit recours du procureur d’Etat irrecevable. Du fait de ne pas avoir conclu à cette irrecevabilité, cette décision illégale devrait être dénoncée à la Cour de cassation.

En deuxième lieu, les demandeurs soutiennent que le prédit recours du procureur d’Etat aurait été exercé en dehors des délais légaux, de sorte que la chambre du conseil aurait dû, dans son ordonnance précitée du 18 octobre 2004, déclarer ledit recours du procureur d’Etat irrecevable. Ils font soutenir à cet effet qu’au cas où le ministère public aurait entendu saisir la chambre du conseil d’une requête en nullité sur base de l’article 126 du code d’instruction criminelle, sa requête devrait être déclarée irrecevable pour avoir été introduite au-delà du délai de trois jours de l’acte d’instruction entrepris, suivant les dispositions de l’article 126 (3) du code d’instruction criminelle, prévoyant ledit délai à peine de forclusion. Pour le cas où le ministère public aurait entendu saisir ladite chambre du conseil sur base de l’article 8 de la loi précitée du 8 août 2000, il y aurait également lieu de déclarer cette requête irrecevable, puisqu’elle ne serait pas prévue par la loi, suivant les développements qui précèdent.

En troisième lieu, les demandeurs soutiennent que la chambre du conseil saisie par le procureur d’Etat suivant les développements qui précèdent, n’aurait pas valablement pu siéger en leur absence, puisque ladite chambre du conseil ne les aurait pas invités à comparaître devant elle et qu’ils n’auraient partant pas pu y faire valoir leurs droits. Il y aurait partant lieu de constater « une violation flagrante des droits de la défense » dans leur chef et le principe du contradictoire aurait ainsi été violé. Les demandeurs se plaignent dans ce contexte que les pièces dont disposait le juge d’instruction TURK pour prendre son ordonnance précitée du 24 mai 2004, n’auraient pas été transmises à la chambre du conseil ensemble avec la requête en nullité, de sorte que ladite chambre du conseil aurait disposé de moins d’informations que ledit juge d’instruction, en n’ayant en sa possession que la demande d’entraide judiciaire internationale, l’avis favorable du parquet général ainsi que le recours du ministère public. Les demandeurs concluent alors, soit à une violation de l’article 126 (4) et (6) du code d’instruction criminelle, pour le cas où le ministère public aurait exercé son recours en nullité sur la base de l’article 126 du code d’instruction criminelle, soit à une violation de l’article 10 (2) de la loi précitée du 8 août 2000 au cas où le ministère public aurait entendu se baser sur l’article 8 de ladite loi lors de l’introduction de sa requête en nullité. Les demandeurs rappellent encore dans ce contexte qu’ils n’ont pas eux-mêmes pu agir en nullité contre la décision judiciaire illégale constituée par l’ordonnance précitée de la chambre du conseil du 18 octobre 2004, dans la mesure où tous leurs recours exercés à l’encontre de ladite ordonnance ont été déclarés irrecevables.

En quatrième et dernier lieu, les demandeurs soutiennent que la nullité de l’ordonnance précitée de la chambre du conseil du 18 octobre 2004 se justifierait encore du fait, comme l’aurait retenu à bon droit le juge d’instruction TURK dans son ordonnance précitée du 24 mai 2004, que « l’action publique [en Belgique] contre … et … en rapport avec l’affaire TEA S.A.

était éteinte par prescription », de sorte à ne plus être « punissable dans l’Etat requérant de sorte que la condition de l’article 506 – 3 du code pénal n’est pas remplie pour retenir la qualification de blanchiment ».

Pour justifier la décision ministérielle prise, le délégué du gouvernement expose dans son mémoire en réponse que le recours exercé par le ministère public était basé sur l’article 8 de la loi précitée du 8 août 2000 et que ce recours était recevable tant en ce qui concerne la qualité du requérant qu’en ce qui concerne le délai, le recours ayant été introduit le 10ième jour suivant celui de la date de l’ordonnance du juge d’instruction TURK du 24 mai 2004, qu’en ce qui concerne son objet, à savoir une décision prise par un juge d’instruction dans le cadre de l’exécution d’une demande d’entraide judiciaire internationale en matière pénale. Il estime en outre que le reproche du non-respect du principe du contradictoire ne serait pas fondé, dans la mesure où les demandeurs n’auraient pas encore été impliqués, à ce stade, dans la procédure d’entraide entamée au Luxembourg. Il relève dans ce contexte qu’au niveau de l’exécution d’actes d’instruction, comme ce serait le cas en l’espèce, les personnes concernées par un tel acte d’instruction ne pourraient l’attaquer qu’une fois qu’il a été posé. Ainsi, à titre de comparaison, il fait valoir que dans le cadre d’une procédure nationale un cas de figure similaire serait donné, lorsque le ministère public relèverait appel contre une ordonnance du juge d’instruction qui refuserait de procéder à un acte d’instruction spécifique formellement requis par le ministère public, en soulignant que la personne qui aurait été concernée si l’acte requis avait été pris ne serait pas convoquée à l’audience de la juridiction d’appel, car elle ne serait pas encore en cause.

Le représentant étatique expose encore que les demandeurs n’encourraient aucun préjudice, puisque dans l’affaire qui les concerne ils auraient gardé tous leurs droits de recours contre les actes pris en exécution de la demande d’entraide judiciaire internationale, à la suite de l’annulation du refus du premier juge d’instruction de faire droit à l’exécution de la demande d’entraide internationale au Luxembourg. Il souligne dans ce contexte que les demandeurs auraient d’ailleurs fait usage de leurs droits en déposant 13 requêtes en annulation contre l’ordonnance précitée de la chambre du conseil du tribunal d’arrondissement du 18 octobre 2004 et les diverses ordonnances exécutant la demande d’entraide.

En conclusion, le délégué du gouvernement soutient qu’en dehors du fait qu’en l’espèce il n’y aurait pas d’actes judiciaires contraires à la loi, les demandeurs disposeraient « encore de toute une série de recours », de sorte qu’ils ne pourraient « en tout état de cause pas se rabattre à l’heure actuelle sur l’article 421 du code d’instruction criminelle ou l’article 6 de la loi précitée du 18 février 1885 qui constituent des procédures d’exception devant céder le pas aux recours de droit commun », en ajoutant que de toute façon, le ministre de la Justice exercerait dans la matière sous examen un pouvoir discrétionnaire pour décider des cas dans lesquels il transmet un dossier au procureur général d’Etat afin d’en saisir la Cour de cassation dans le cadre de l’article 6 précité.

Dans le cadre de leur mémoire en réplique, les demandeurs réitèrent leur argumentation initiale, en reprochant au délégué du gouvernement de ne pas y avoir pris position.

Dans son mémoire en duplique, l’Etat rappelle que l’article 10 (7) de la loi précitée du 8 août 2000 a formellement exclu toute possibilité d’introduire un pourvoi en cassation à l’encontre des arrêts de la chambre du conseil de la Cour d’appel statuant dans la matière visée par la loi en question et craint que par la procédure sous analyse, les demandeurs essaient de trouver un moyen détourné, afin « d’obtenir à tout prix un recours en cassation que le législateur a spécifiquement exclu en la matière » en insistant sur le fait qu’il appartiendrait au ministre de la Justice seul pour prescrire au procureur général d’Etat l’introduction d’un pourvoi pour excès de pouvoir de l’autorité judiciaire. Il s’agirait partant d’un pouvoir discrétionnaire que le gouvernement pourrait exercer « selon ce qu’il juge opportun ».

Pour le surplus, il estime que la chambre du conseil du tribunal d’arrondissement dans sa décision litigieuse du 18 octobre 2004 aurait statué dans les limites de ses pouvoirs légaux et n’aurait partant pas commis un excès de pouvoir, tel qu’allégué par les demandeurs. Il s’ensuivrait que la décision afférente ne saurait être attaquée pour excès de pouvoir.

L’Etat reproche encore aux demandeurs de critiquer en fait l’interprétation qu’aurait retenue la chambre du conseil au sujet de l’étendue du recours en nullité du procureur d’Etat, et rappelle que sous cet aspect, l’ordonnance en question ne pourrait pas faire l’objet d’un recours en cassation pour excès de pouvoir.

Le rôle du juge administratif, dans le cadre d’un recours en annulation, est de vérifier les faits formant la base des décisions administratives qui lui sont soumises et d’examiner si ces faits sont de nature à justifier la décision. Cet examen amène le juge à vérifier si les faits à la base de la décision sont établis et si la mesure prise est proportionnelle par rapport aux faits établis5.

Si le contrôle juridictionnel propre à un recours en annulation ne saurait en principe aboutir à priver l’autorité administrative de son pouvoir d’appréciation, il n’en reste pas moins que, confronté à des décisions relevant d’un pouvoir d’appréciation étendu, le juge administratif, saisi d’un recours en annulation, est appelé à vérifier, d’après les pièces et éléments du dossier administratif, si les faits sur lesquels s’est fondée l’administration sont matériellement établis à l’exclusion de tout doute et s’ils sont de nature à justifier la décision, de même qu’il peut examiner si la mesure prise n’est pas manifestement disproportionnée par rapport aux faits établis, en ce sens que cette disproportion laisse entrevoir un usage excessif du pouvoir par l’autorité qui a pris la décision, voire un détournement du même pouvoir par cette autorité6.

En l’espèce, le ministre de la Justice devait exercer son pouvoir d’appréciation des faits lui soumis en considération de son champ de compétence tel que déterminé par l’article 6 de la loi précitée du 18 février 1885, dont le libellé est le suivant : « Le Gouvernement pourra, par l’intermédiaire du procureur général, et sans préjudice du droit des parties, déférer à la Cour de cassation tous actes par lesquels les juges auraient excédé leurs pouvoirs, en contrevenant aux lois et règlements légalement pris et publiés. ».

Il suit de ce qui précède que dans le cadre de la demande lui soumise par les demandeurs par leur courrier du 9 novembre 2006, le ministre avait à apprécier si cette demande contenait assez d’éléments pour permettre de conclure à une décision juridictionnelle illégale, auquel cas il aurait été obligé de transmettre le dossier, par l’intermédiaire du procureur général d’Etat, à la Cour de cassation afin que celle-ci puisse trancher la question.

Il se dégage des développements soumis au tribunal par l’Etat que la demande d’entraide judiciaire internationale soumise aux autorités luxembourgeoises par les autorités belges a été traitée conformément à la loi précitée du 8 août 2000, les parties semblant partant être en accord quant à la loi applicable en vertu de laquelle ladite procédure a été suivie. Suivant l’article 8 de ladite loi « dans le cadre de l’exécution d’une demande d’entraide, le procureur d’Etat, la personne visée par l’enquête ainsi que tout tiers concerné justifiant d’un intérêt légitime personnel peut déposer une requête en nullité contre l’acte exécutant la demande d’entraide auprès du greffe de la chambre du conseil du tribunal d’arrondissement.

Cette requête doit être déposée, sous peine de forclusion, dans un délai de 10 jours à partir de la notification de l’acte attaqué à la personne auprès de laquelle la mesure ordonnée est exécutée. (…) ».

En l’espèce, il échet de constater que le procureur d’Etat a fait déposer une requête en nullité contre l’ordonnance précitée du juge d’instruction TURK du 24 mai 2004 dans un délai de 10 jours auprès de la chambre du conseil du tribunal d’arrondissement. Sans vouloir prendre position quant à l’interprétation du premier alinéa dudit article 8 pour savoir si un tel recours 5 cf. trib. adm. 7 décembre 1998, n° 10807 du rôle, Pas. adm. 2006, V° Recours en annulation, n° 14 et autres références y citées 6 cf. trib. adm. 12 février 2003, n° 15238 du rôle, Pas. adm. 2006, V° Recours en annulation, n° 17 et autres références y citées peut seulement être introduit contre un acte exécutant positivement la demande d’entraide ou si un tel recours est également possible contre un acte qui refuse d’exécuter la demande d’entraide, une telle interprétation ne relevant certainement pas des juridictions administratives, mais des juridictions ordinaires, il échet de constater que conformément à l’article 10 de la même loi du 8 août 2000, au cas où une telle requête en nullité est introduite auprès de la chambre du conseil du tribunal d’arrondissement, cette chambre du conseil statue, conformément au paragraphe (2) c) dudit article 10 « après avoir entendu, le cas échéant les conseils et les parties, le conseil des requérants ainsi que le procureur d’Etat en leurs conclusions ».

A la lecture de cette disposition légale, il faut conclure qu’avant de statuer sur la requête en nullité introduite par le procureur d’Etat, la chambre du conseil du tribunal d’arrondissement, avant de prendre son ordonnance critiquée du 18 octobre 2004, aurait dû convoquer et entendre les demandeurs ainsi que leurs mandataires professionnels, ce qui ne semble pas avoir été fait, comme il ressort de l’ordonnance en question. Au vu de cette situation de fait et en considération de ce qu’il existe une très forte probabilité qu’ainsi les droits de la défense et le principe du contradictoire ont été violés, le ministre de la Justice, dans le cadre de son pouvoir d’appréciation, aurait dû soumettre le dossier au procureur général d’Etat afin d’en assurer la transmission à la Cour de cassation conformément à l’article 6 de la loi précitée du 18 février 1885. En ne donnant pas une suite favorable à la demande lui ainsi présentée par les demandeurs par leur demande du 9 novembre 2006, le ministre a basé sa décision sur des faits non matériellement établis, en ce qu’il aurait dû constater qu’il n’a pas été établi que les droits de la défense et le principe du contradictoire n’ont pas été violés en l’espèce. Il s’ensuit qu’en raison de cette seule considération la décision ministérielle du 17 novembre 2006 ainsi que celle confirmative résultant du silence gardé par le ministre pendant un délai de plus de trois mois à la suite de l’introduction d’un recours gracieux par les demandeurs encourent l’annulation, sans qu’il y ait lieu de prendre position sur les autres reproches des demandeurs.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

admet le mémoire en triplique déposé par les demandeurs ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare justifié, partant annule la décision ministérielle du 17 novembre 2006 ainsi que celle confirmative, résultant du silence gardé par le ministre pendant un délai de plus de trois mois à la suite de l’introduction, par courrier du 13 décembre 2006, d’un recours gracieux contre la décision ministérielle précitée du 17 novembre 2006, et renvoie le dossier en prosécution de cause au ministre de la Justice ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Schockweiler, premier vice-président, M. Schroeder, premier juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 31 décembre 2007 par le premier vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 17


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 22695
Date de la décision : 31/12/2007

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2007-12-31;22695 ?

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