Tribunal administratif N° 23662 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 novembre 2007 Audience publique du 19 décembre 2007 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de protection internationale (art.23, L.5.5.2006)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 23662 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 15 novembre 2007 par Maître Yvette NGONO YAH, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Nigeria), de nationalité nigériane demeurant à L- … , actuellement incarcéré au centre pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig tendant à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 5 octobre 2007 par laquelle ledit ministre a déclaré irrecevable sa nouvelle demande tendant à l’obtention d’une protection internationale ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 28 novembre 2007 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Paul REITER en ses plaidoiries respectives à l’audience publique du 17 décembre 2007.
Le 6 septembre 2004, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
Cette demande fut rejetée par une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 1er juin 2005 confirmée suite à un recours gracieux le 11 juillet 2005.
Le recours contentieux introduit par Monsieur … à l’encontre de ces décisions fut rejeté par jugement du tribunal administratif du 13 février 2006 (n° 20277 du rôle), confirmé en appel par un arrêt de la Cour administrative du 11 mai 2006 (n° 21090C du rôle).
Le 21 août 2007, Monsieur … sollicita auprès du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration un réexamen de son dossier d’asile introduit en 2004 au motif qu’il devrait quitter le territoire après avoir purgé sa peine de prison. Il expose qu’il ne pourrait retourner dans son pays d’origine pour des raisons de sécurité, ne pourrait demander l’asile dans un autre Etat européen et serait dès lors contraint de demander le réexamen de sa demande d’asile étant donné qu’il ne saurait quoi faire ni où aller.
Par décision du 5 octobre 2007 notifié le 18 octobre 2007, le ministre rejeta cette demande pour être irrecevable, décision libellée en les termes suivants :
« Par la présente, j'accuse réception de votre demande en obtention d'une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection que vous avez présentée auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration par courrier du 21 août 2007, reçu le 23 août 2007.
Vous avez déposé une première demande d'asile en date du 6 septembre 2004.
Une décision de rejet de cette demande vous a été notifiée le 6 juin 2005. Vous avez été débouté de votre demande par un arrêt de la Cour Administrative du 11 mai 2006. Il ressort de l'arrêt précité que « le fait d'avoir été kidnappé (par des membres de l'OPC) pour avoir enfreint la règle de couvre-feu et d'avoir été retenu dans un lieu de culte pour être sacrifié, abstraction de la circonstance que toutes ces affirmations restent à l'état de pures allégations, ne correspondent pas aux critères de fond de la Convention de Genève, l'enlèvement constituant une infraction de droit commun et les membres de l'OPC n'ayant pas qualité d'agents de persécution au sens de la Convention de Genève.
Le ministre a encore souligné à bon droit que l'OPC défend les Yorubas, ethnie dont l'actuel appelant fait partie, de sorte que le récit de ce dernier est peu crédible (…). » Il ressort de votre demande de protection internationale du 21 août 2007 que vous ne pourriez pas retourner dans votre pays d'origine étant donné que votre vie serait en danger, de plus vous ne pourriez pas vous rendre dans un autre pays (sous-entendu européen) car c'est illégal. Vous demandez une reconsidération de votre demande parce que vous ne sauriez pas quoi faire, ni où aller.
Il convient de relever que l'agent en charge de l'entretien s'est rendu au centre pénitentiaire le 28 septembre 2007 afin de procéder à l'entretien, cependant vous n'auriez pas eu « envie » de le rencontrer. Ce comportement constitue un refus flagrant de coopération avec les autorités.
A cela s'ajoute que votre demande de protection internationale n'a pour but que d'empêcher l'exécution d'une décision antérieure entraînant un éloignement futur du territoire luxembourgeois. En effet, vous demandez dans votre lettre vouloir que l'on reconsidère votre demande en raison de l'ordre que vous avez reçu de quitter le Luxembourg dès votre peine de prison terminée.
Je suis au regret de vous informer qu'en vertu des dispositions de l'article 23 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection, votre demande de protection internationale est irrecevable au motif que vous n'avez présenté aucun élément ou fait nouveau augmentant de manière significative la probabilité que vous remplissiez les conditions requises pour prétendre à une protection internationale.
Votre nouvelle demande en obtention d'une protection internationale est dès lors déclarée irrecevable.
La présente décision est susceptible d'un recours en annulation devant le Tribunal administratif. Ce recours doit être introduit par requête signée d'un avocat à la Cour dans un délai d'un mois à partir de la notification de la présente. La décision du Tribunal administratif ne sera susceptible d'aucun appel… ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 15 novembre 2007, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle du 5 octobre 2007.
Etant donné que l’article 23 (3) de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection1 prévoit un recours en annulation en matière de nouvelles demandes déclarées irrecevables, ledit recours, par ailleurs introduit dans les formes et délai de la loi, est dès lors recevable.
Monsieur … demande en premier lieu l’annulation de la décision pour violation de l’article 9, alinéa 1 de la loi du 5 mai 2006 au motif qu’il n’aurait pas été entendu dans sa cause par un agent du ministère. Cette façon de procéder violerait également l’article 6, paragraphe 1 de la Convention européenne des droits de l’homme qui garantirait à toute personne que sa cause soit entendu. Il se réfère encore à l’article 3 de la directive 2005/85/CE.
Quant au fond, le mandataire de Monsieur … fait valoir que la crainte de persécution, au vu de la lettre du 21 août 2007, résiderait dans le fait que sa vie serait en danger dans son pays d’origine et qu’il lui serait pour le surplus difficile de prendre position plus en avant étant donné que son mandant ne lui a pas fourni d’autres précisions.
Il résulte des pièces du dossier que Monsieur … purge actuellement une peine d’emprisonnement de 30 mois au centre pénitentiaire de Schrassig.
1 Ci-après la loi du 5 mai 2006 Il résulte encore des pièces du dossier que le demandeur a fait l’objet en date du 14 juillet 2006 d’une décision de refus d’entrée et de séjour au pays et qu’il a été invité à quitter le pays immédiatement après sa mise en liberté.
En ce qui concerne la violation alléguée de l’article 9, paragraphe 1 de la loi du 5 mai 2006, force est de constater que cet article n’est pas tel quel applicable à la procédure à suivre pour l’examen d’une nouvelle demande introduite par une personne à laquelle la protection internationale a été définitivement refusée, ce qui est le cas en l’espèce.
En effet en l’espèce l’article 23 de la loi modifiée est applicable.
L’article 23 est libellé comme suit :
« (1) Le ministre considérera comme irrecevable la demande de protection internationale d’une personne à laquelle le statut de réfugié ou la protection internationale ont été définitivement refusés ou d’une personne qui a explicitement ou implicitement retiré sa demande de protection internationale, à moins que des éléments ou des faits nouveaux apparaissent ou sont présentés par le demandeur et qu’ils augmentent de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié ou au statut conféré par la protection subsidiaire, à condition que le demandeur concerné a été, sans faute de sa part, dans l’incapacité de les faire valoir au cours de la précédente procédure, y compris durant la phase contentieuse.
(2) Le demandeur concerné devra indiquer les faits et produire les éléments de preuve à la base de sa nouvelle demande de protection internationale dans un délai de quinze jours à compter du moment où il a obtenu ces informations. Le ministre peut procéder à l’examen préliminaire prévu au paragraphe (1) en le limitant aux seules observations écrites présentées hors du cadre d’un entretien… » Cet article est basé directement sur les dispositions pertinentes prévues à ce titre par la directive 2005/85/CE du Conseil du 1er décembre 2005 relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres.
L’article 32 de la directive 2005/85/CE est libellé comme suit :
« ….3. Une demande d’asile ultérieure est tout d’abord soumise à un examen préliminaire visant à déterminer si, après le retrait de la demande antérieure ou après la prise d’une décision visée au paragraphe 2, point b), du présent article sur cette demande, de nouveaux éléments ou de nouvelles données se rapportant à l’examen visant à déterminer si le demandeur d’asile remplit les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié en vertu de la directive 2004/83/CE sont apparus ou ont été présentés par le demandeur.
4. Si, après l’examen préliminaire visé au paragraphe 3 du présent article, des éléments ou des faits nouveaux apparaissent ou sont présentés par le demandeur et qu’ils augmentent de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié en vertu de la directive 2004/83/CE, l’examen de la demande est poursuivi conformément aux dispositions du chapitre II…. » L’article 34 de la directive 2005/85/CE est libellé comme suit :
« Règles de procédure 1. Les États membres font en sorte que les demandeurs d’asile dont la demande fait l’objet d’un examen préliminaire en vertu de l’article 32 bénéficient des garanties fournies à l’article 10, paragraphe 1.
2. Les États membres peuvent prévoir, dans leur législation nationale, des règles sur l’examen préliminaire effectué en vertu de l’article 32. Ces règles peuvent notamment :
a) exiger du demandeur concerné qu’il indique les faits et produise les éléments de preuve justifiant une nouvelle procédure ;
b) exiger du demandeur concerné qu’il présente les informations nouvelles dans un délai déterminé à compter du moment où il a obtenu ces informations ;
c) permettre de procéder à l’examen préliminaire en le limitant aux seules observations écrites présentées hors du cadre d’un entretien personnel… » Etant donné dès lors que l’article 23, paragraphe 2 permet au ministre de procéder, en conformité des dispositions pertinentes de la directive 2005/85/CE, à l’examen préliminaire de la nouvelle demande en ne prenant en considération que les seules observations écrites présentées par le demandeur hors du cadre de l’entretien, aucun reproche ne saurait dès lors être retenu à ce titre à l’encontre de la décision sous examen.
En effet, ce n’est que dans l’hypothèse où après l’examen préliminaire, des éléments ou des faits nouveaux apparaissent ou sont présentés par le demandeur et qu’ils augmentent de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié ou au statut conféré par la protection internationale que l’examen de la demande est poursuivi en procédant notamment à un entretien du demandeur.
Or en l’espèce, force est de constater que la lettre présentée par Monsieur … ne fait pas état de tels éléments. Les motifs avancés, à savoir qu’il doit quitter le pays après avoir purgé sa peine d’emprisonnement, qu’il n’est pas autorisé à séjourner au Luxembourg, qu’il n’est pas admis à poser une itérative demande d’asile dans un autre pays européen et qu’il ne sait quoi faire ni où aller ne sauraient être considérés comme des éléments ou faits nouveaux augmentant de manière significative la probabilité qu’il remplisse les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié ou au statut conféré par la protection internationale. Il en est de même de l’allégation vague et non autrement circonstanciée que sa vie serait en danger dans son pays d’origine.
A cela s’ajoute qu’un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration s’est présenté le 28 septembre 2007 au centre pénitentiaire de Schrassig pour procéder à un entretien de Monsieur … suite à sa demande présentée le 21 août 2007. En effet il résulte d’une note versée au dossier :
« Concerne : L’entretien avec Mr Mutiu … Je me suis rendu en ce jour au CPL de Schrassig afin de procéder à un entretien avec Mr … suite à sa demande du 21 août 2007.
Arrivé, on m’informe que l’intéressé n’aurait pas envie de venir parler avec moi, qu’il préfère nous parler par téléphone.
J’ai demandé aux agents de la visite de lui dire qu’il devrait venir me voir en expliquant qu’il s’agit à propos de la lettre qu’il nous a envoyée à deux reprises déjà.
L’intéressé refuse pourtant de venir me voir ».
Cette note est signée par l’agent ainsi que par un responsable du centre pénitentiaire.
Le demandeur fait actuellement valoir qu’il ne résulte pas du dossier administratif qu’il a été informé par courrier de la venue d’un agent du ministère afin de procéder à son audition. De même il ne serait pas prouvé que le demandeur ait effectivement refusé de se faire entendre par un agent. Le demandeur fait actuellement valoir qu’il aurait été informé de ce qu’un responsable de son ambassade était présent à la prison pour discuter avec lui et étant donné qu’il ne serait pas disposé à rentrer dans son pays du fait des craintes par lui éprouvées il n’aurait pas voulu rencontrer l’agent de l’ambassade.
Force est de constater qu’aucune obligation légale n’impose au ministre de prévenir un détenu de la venue d’un agent afin de procéder à son audition relative à sa demande d’asile introduite.
En ce qui concerne les contestations actuelles du demandeur, force est de constater qu’au vu de la note explicite et circonstanciée versée au dossier permettant d’étayer les affirmations du ministre telles que retenues à ce sujet dans la décision sous examen, il aurait appartenu à Monsieur … d’étayer de son côté davantage ses simples affirmations.
Or à défaut d’avoir fait état d’un seul élément tangible permettant au tribunal de retenir le bien-fondé des affirmations du demandeur, il y a lieu de retenir que l’entretien n’a pas pu avoir lieu à cause du propre comportement de Monsieur ….
En ce qui concerne la violation alléguée de l’article 6, paragraphe 1 de la Convention européenne des droits de l’homme ayant trait au droit à un procès équitable, force est de constater que cet article n’est pas applicable à la procédure relative à l’examen d’une demande de protection internationale introduite par une personne à laquelle le statut de réfugié ou la protection internationale ont été définitivement refusés, de sorte que ce moyen n’est pas fondé.
De tout ce qui précède il y a lieu de retenir qu’aucun vice de procédure ne saurait être retenu.
En ce qui concerne le fond de l’affaire aux termes de l’article 23, paragarphe 1 de la loi du 5 mai 2006, le ministre considère la demande introduite comme irrecevable à moins que des éléments ou des faits nouveaux apparaissent ou sont présentés par le demandeur et qu’ils augmentent de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié ou au statut conféré par la protection subsidiaire, à condition que le demandeur concerné a été, sans faute de sa part, dans l’incapacité de les faire valoir au cours de la précédente procédure, y compris durant la phase contentieuse.
Or comme il a déjà été retenu ci-avant que le demandeur est resté en défaut de présenter dans le cadre de sa demande introduite en date du 21 août 2008 des éléments ou faits nouveaux rencontrant les caractéristiques telles qu’énoncées par l’article 23, paragraphe 1, ces éléments n’ayant pas non plus été explicités dans le cadre de la requête introductive d’instance, il y a lieu de conclure que c’est à bon droit que le ministre a déclaré la demande introduite irrecevable.
Il se dégage des considérations qui précèdent que le recours formé par le demandeur est à rejeter comme n’étant pas fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en annulation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 19 décembre 2007 par :
Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, M. Fellens, juge.
en présence de M. Schmit, greffier en chef.
s. Schmit s. Thomé 8