Tribunal administratif N° 23165 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 juillet 2007 Audience publique du 19 décembre 2007 Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 19 loi du 5.5.2007)
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 23165 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 juillet 2007 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Fédération de Russie), de nationalité russe, demeurant actuellement à L-…, tendant, d’une part, à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 6 juin 2007, portant refus de sa demande de protection internationale et, d’autre part, à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire luxembourgeois inscrit dans la même décision ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 septembre 2007 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport ainsi que Maître Louis TINTI et Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives à l’audience du 10 décembre 2007.
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Le 19 juin 2006, Monsieur …, introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection.
Il fut entendu le même jour par un agent du Service de Police judiciaire, section police des étrangers et des jeux de la police grand-ducale, sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur son identité.
Il fut entendu en date des 12 septembre 2006 et 27 juillet 2007 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 6 juin 2007, expédiée par lettre recommandée le 6 juin 2007, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après dénommé « le ministre », informa Monsieur … que sa demande de protection internationale fut rejetée comme étant non fondée. Cette décision est libellée comme suit :
«En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 19 juin 2006 et les rapports de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration du 27 juillet et du 12 septembre 2006.
Il ressort du rapport du Service de Police judiciaire que vous auriez quitté Perm / Russie le 12 juin 2006 pour venir retrouver votre grand-père qui vit au Luxembourg. Vous auriez traversé la Biélorussie, la Pologne, l'Allemagne et la France. Vous seriez arrivé ici le 16 juin 2006. Vous auriez dû remettre aux passeurs votre passeport international et ils ne vous l'auraient pas rendu.
Il résulte de vos déclarations à l'agent ministériel que vous auriez vécu avec votre mère qui se serait remariée. Vous ne vous entendriez pas avec votre beau-père qui ne s'occuperait que de sa propre fille et pas de vous. Vous auriez eu aussi des difficultés avec votre grand-père au Luxembourg. Vous n'auriez subi aucune persécution caractérisée dans votre pays.
En tout état de cause, les motifs d'ordre personnel que vous invoquez ne sauraient constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu'ils ne fondent dans votre chef aucune crainte fondée d'être persécuté dans votre pays d'origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l'article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève ainsi que les articles 31 et 32 de la loi précitée du 5 mai 2006. Vous ne faites pas état de persécutions ou de problèmes quelconques en Russie. Les conditions permettant l'octroi du statut de réfugié ne sont par conséquent manifestement pas remplies.
En outre, vous n'invoquez pas non plus des motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 37 de la loi précitée du 5 mai 2006. En effet, selon le même raisonnement que celui appliqué à l'évaluation de votre demande d'asile, les motifs d'ordre personnel que vous invoquez ne justifient pas la reconnaissance du statut conféré par la protection subsidiaire parce qu'ils n'établissent pas que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptible de faire l'objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
Votre demande en obtention d'une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens de l'article 19§1 de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.
La présente décision vaut ordre de quitter le territoire.
La décision de rejet de votre demande de protection internationale est susceptible d'un recours en réformation devant le Tribunal administratif. Ce recours doit être introduit par requête signée d'un avocat à la Cour dans un délai de un mois à partir de la notification de la présente.
Un recours en annulation devant le Tribunal administratif peut être introduit contre l'ordre de quitter le territoire, simultanément et dans les mêmes délais que le recours contre la décision de rejet de votre demande de protection internationale. Tout recours séparé sera entaché d'irrecevabilité.
Je vous informe par ailleurs qu'un recours gracieux n'interrompt pas les délais de la procédure.» Par requête déposée le 6 juillet 2007, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 6 juin 2007 par laquelle il s’est vu refuser la reconnaissance d’un statut de protection internationale et un recours tendant à l’annulation de la décision du même jour, incluse dans le même document, portant à son encontre l’ordre de quitter le territoire luxembourgeois.
1. Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 6 juin 2007 portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 19 (3) de la loi précitée du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées, une demande en réformation a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle déférée.
Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
A l’appui de son recours, le demandeur expose qu’il aurait quitté son pays d’origine le 12 juin 2006, qu’il serait arrivé au Luxembourg le 16 juin 2006 et qu’il aurait déposé sa demande en protection internationale le 19 juin 2006. Il déclare qu’il aurait été victime d’injures et de vols à l’école. Le demandeur verse à l’appui de son récit un rapport d’Amnesty International décrivant la situation difficile des enfants en Russie du fait notamment d’arrestations, d’emprisonnements et de mauvais traitements. Le demandeur relate en outre qu’il vivrait dans des circonstances familiales pénibles et que ni sa mère ni son beau-père ne s’occuperaient de lui.
En conclusion, le demandeur estime que la décision déférée devrait être réformée pour violation de la loi sinon pour erreur manifeste d’appréciation des faits dans la mesure où les faits et motifs par lui invoqués à l’appui de sa demande de protection internationale justifieraient à suffisance de droit la reconnaissance dans son chef du statut de réfugié, sinon du statut de la protection subsidiaire.
Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.
Aux termes de l’article 2 a) de la loi précitée du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 c) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) ».
En l’espèce, l’examen des faits et motifs invoqués par le demandeur à l’appui de sa demande de protection internationale lors de ses auditions respectives, ainsi qu’au cours de la procédure contentieuse, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de sa opinions politiques ou de sa appartenance à un certain groupe social, ainsi que le prévoit l’article 2 c) de la loi précitée du 5 mai 2006.
En effet, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité de la décision querellée à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance des demandeurs de protection internationale.
En ce qui concerne la situation générale actuelle en Russie, le demandeur expose, en se basant sur un rapport d’Amnesty International, que la situation des enfants serait particulièrement difficile en Russie. Dans ce contexte, il échet de rappeler qu’une crainte de persécution doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des persécutions et force est de constater que l’existence de pareils éléments ne se dégage pas des éléments d’appréciation soumis au tribunal. Le récit du demandeur traduit en effet essentiellement un sentiment général d’insécurité, sans qu’il n’ait fait état d’une persécution personnelle vécue ou d’une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays de provenance. En effet, le demandeur n’allègue aucun fait semblable à ceux cités dans le rapport d’Amnesty International et n’expose pas dans quelle mesure les injures et vols dont il réclame avoir été victime pourraient l’exposer aux traitements tels que décrits dans le rapport d’Amnesty International.
Quant à la situation individuelle du demandeur, il fait état d’injures et de vols dont il aurait été victime de la part de camarades de son école pour avoir refusé de boire de l’alcool et de consommer des drogues avec eux. Ces faits ne sauraient être qualifiés de persécutions du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social. Il en est du même des problèmes familiaux que le demandeur expose.
En outre, le tribunal est amené à constater que les auteurs de ces agissements, à savoir des camarades de classe, ne sont pas à considérer comme étant des agents étatiques, de sorte qu’ils ne peuvent être considérés comme acteurs de persécutions ou d’atteintes graves au sens de la loi du 5 mai 2006 que dans l’hypothèse où « il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b) (l’Etat ou des parties ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves », ceci conformément aux dispositions de l’article 28, c) de ladite loi.
Or, le demandeur n’a soumis aucun indice concret dont il ressortirait une incapacité ou un refus actuels des autorités compétentes à lui fournir une protection adéquate. En effet, il ne ressort pas de son récit qu’il aurait recherché une protection effective des autorités en place en Russie ni pour quelle raison il n’a pas porté plainte contre les auteurs des vols dont il se dit victime.
En ce qui concerne le refus du ministre d’accorder au demandeur le bénéfice de la protection subsidiaire telle que prévue par la loi précitée du 5 mai 2006, il y a lieu de rappeler qu’aux termes de l’article 2, e) de ladite loi, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire», « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37, l’article 39, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
Selon l’article 37 de la loi précitée du 5 mai 2006, sont considérées comme atteintes graves la peine de mort ou l’exécution, la torture ou les traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine et les menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
Au vu des développements qui précèdent, il échet de retenir que le demandeur n’invoque aucun élément ou circonstance indiquant qu’il existe de sérieux motifs de croire qu’il serait exposés, en cas de retour en Russie, à un risque réel d’y subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi précitée du 5 mai 2006.
De tout ce qui précède, c’est partant à juste titre que le ministre a, au terme de l’analyse de la situation du demandeur, déclaré sa demande de protection internationale comme non fondée de sorte que le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.
2. Quant au recours tendant à l’annulation de la décision du ministre du 6 juin 2007 portant l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 19 (3) de la loi précitée du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, une requête sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle entreprise. Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
Aux termes de l’article 19 (1) de ladite loi, une décision négative du ministre en matière de protection internationale vaut ordre de quitter le territoire en conformité des dispositions de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère.
Le demandeur se borne à soutenir qu’il conviendrait d’annuler l’ordre de quitter le territoire, sans formuler un moyen spécifique à l’appui de sa prétention.
Le tribunal vient cependant, tel que développé ci-dessus, de retenir que le demandeur ne remplit pas les conditions pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, de sorte qu’en l’état actuel du dossier et compte tenu des moyens figurant dans la requête introductive d’instance, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause la légalité de la décision déférée portant ordre de quitter le territoire.
Partant, le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 6 juin 2007 portant refus d’une protection internationale ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 6 juin 2007 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé l’audience publique du 19 décembre 2007 par :
Mme Lenert, vice-président, Mme Thomé, juge, M. Fellens, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.
s. Schmit s. Lenert Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 19.12.2007 Le Greffier en chef du Tribunal administratif 6