Tribunal administratif N° 22855 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 avril 2007 Audience publique du 19 décembre 2007 Recours formé par Madame …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière d’autorisation de séjour
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 22855 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 23 avril 2007 par Maître Yvette NGONO YAH, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … (Serbie), de nationalité serbe, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 23 janvier 2007 refusant de faire droit à sa demande en obtention d’une autorisation de séjour ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 avril 2007 ;
Vu la requête en prorogation du délai pour déposer le mémoire en réplique déposée au greffe du tribunal administratif le 29 mai 2007 par Maître Yvette NGONO YAH au nom de Madame … ;
Vu l’ordonnance de Madame le vice-président du 4 juin 2007 déclarant la requête déposée le 29 mai 2007 irrecevable ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Yvette NGONO YAH et Monsieur le délégué du Gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 5 novembre 2007.
Par courrier daté du 21 juillet 2006, Madame …, par le biais de son mandataire, introduisit une demande en obtention d’une autorisation de séjour auprès du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après dénommé « le ministre », la demande précisant que la demanderesse désirerait s’installer au Luxembourg auprès de son fils, Monsieur …, celui-ci s’engageant à subvenir à tous ses besoins.
La demanderesse se vit adresser par courrier du ministre datant du 23 janvier 2007, notifiée le 24 janvier 2007, la décision suivante :
« En réponse à votre courrier du 21 juillet 2006, par lequel vous sollicitez une autorisation de séjour dans le chef de Madame …, j’ai le regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de faire droit à votre requête.
En effet, une autorisation de séjour ne saurait être délivrée à l’intéressée, alors qu’elle ne dispose pas de moyens personnels suffisants permettant d’assurer son séjour au Grand-Duché indépendamment de l’aide matérielle ou des secours financiers que de tierces personnes pourraient s’engager à lui faire parvenir, conformément à l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers.
Par conséquent, au cas où l’intéressée se trouverait toujours au pays, elle est invitée à le quitter sans délai.
Je regrette de ne pouvoir réserver d’autres suites à cette affaire. » Le 19 mai 2004, Madame … a fait introduire un recours en annulation contre la décision ministérielle de refus du 23 janvier 2007.
Le recours en annulation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, Madame … fait plaider qu’elle serait divorcée en Serbie et que son ex-mari habiterait actuellement en Allemagne. De ce mariage elle aurait eu trois enfants dont seule sa fille, qui n’aurait que des revenus très faibles, continuerait à résider en Serbie. Elle ne toucherait pas de pension alimentaire de son ex-mari et dépendrait ainsi financièrement de son fils …. Elle estime que c’est à tort que le ministre aurait fondé sa décision sur les dispositions de l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers, le contrôle médical des étrangers et l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, ci-après la loi du 28 mars 1972, dès lors que sa demande serait basée sur le regroupement familial. Elle aurait en effet informé le ministre qu’elle serait prise en charge par son fils … et qu’elle n’entendrait pas se livrer à une activité salariée sur le territoire luxembourgeois. A ce titre elle expose que son fils disposerait de ressources financières suffisantes pour la prendre en charge, notamment du fait que Madame …, la sœur de l’épouse de son fils, mettrait un logement à la disposition des époux …-… à titre gratuit. Elle estime encore que la décision de refus porterait atteinte à son droit et respect de la vie familiale en référence à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme.
Le délégué de Gouvernement estime que la demanderesse ne dispose pas de moyens personnels suffisants et qu’elle aurait par ailleurs reconnu qu’elle n’avait nullement l’intention de s’adonner à une activité salariée au Luxembourg. Quant au regroupement familial, il estime que la simple contribution financière entre parents et enfants ne saurait suffire pour justifier le regroupement familial et que la demanderesse aurait encore d’autres enfants dont l’un vivrait en Serbie.
Conformément aux dispositions de l’article 2 de la loi du 28 mars 1972 : « l’entrée et le séjour au Grand-Duché pourront être refusées à l’étranger :
- qui est dépourvu de papiers de légitimation prescrits, et de visa si celui-ci est requis, - qui est susceptible de compromettre la sécurité, la tranquillité, l’ordre ou la santé publics, - qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour. » Ainsi, au vœu de l’article 2 précité, une autorisation de séjour peut être refusée notamment lorsque l’étranger ne rapporte pas la preuve de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour, abstraction faite de tous moyens et garanties éventuellement procurés par des tiers (cf. trib. adm. 17 février 1997, Pas. adm.
2004, V° Etrangers, n° 168 et autres références y citées).
Il est constant en cause que le seul motif de refus invoqué par le ministre à l’appui de la décision de refus du 29 mars 2004 repose sur le défaut de moyens personnels suffisants.
S’il n’est en l’espèce pas contesté que la demanderesse ne dispose pas de moyens personnels suffisants, son mandataire estime cependant que les moyens d’existence de son fils, résidant sur le territoire national, devraient être pris en considération.
En ce qui concerne l’engagement pris par Monsieur …, fils de la demanderesse, de prendre en charge tous les frais en rapport avec le séjour de sa mère au Luxembourg, il y a lieu de rappeler que ne sont pas considérés comme moyens personnels une prise en charge signée par un membre de la famille du demandeur ainsi qu'une aide financière apportée au demandeur par celui-ci (trib. adm. 9 juin 1997, n° 9781, Pas. adm. 2006, V° Etrangers, n° 170 et autres références y citées).
En effet, si dans sa teneur antérieure à la loi du 18 août 1995, l’article 2 n’exigeait que la preuve de moyens suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour, la loi du 18 août 1995, modifiant la loi du 28 mars 1972 en ajoutant l’adjectif « personnels», a dissipé les doutes possibles à la teneur de la disposition en question.
C’est donc à bon droit et conformément à l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 que le ministre a pu refuser l’autorisation sollicitée en se basant sur l’absence de preuve de moyens personnels du demandeur.
Si le refus ministériel se trouve dès lors, en principe, justifié à suffisance de droit par ledit motif, il convient cependant encore d’examiner le moyen d’annulation soulevé par les demandeurs et tiré de la violation du droit au regroupement familial.
Dans la mesure où la demande de regroupement familial, comme faisant partie du droit au respect de la vie privée et familiale, se réfère à l’application de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la demande de Madame … est encore à examiner sur cette base légale.
L’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme dispose :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. » S’il est de principe, en droit international, que les Etats ont le pouvoir souverain de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers, il n’en reste pas moins que les Etats qui ont ratifié la Convention européenne des droits de l’homme ont accepté de limiter le libre exercice de cette prérogative dans la mesure des dispositions de la Convention.
L’étendue de l’obligation des Etats contractants d’admettre des non-nationaux sur leur territoire dépend de la situation concrète des intéressés mise en balance avec le droit de l’Etat à contrôler l’immigration.
En ce qui concerne dès lors la violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, il y a lieu de rappeler qu’en matière d’immigration, le droit au regroupement familial est reconnu s’il existe des attaches suffisamment fortes avec l’Etat dans lequel le noyau familial entend s’installer, consistant en des obstacles rendant difficile de quitter ledit Etat ou s’il existe des obstacles rendant difficile de s’installer dans l’Etat d’origine. Cependant, l’article 8 ne saurait s’interpréter comme comportant pour un Etat contractant l’obligation générale de respecter le choix par les membres d’une famille d’y établir leur domicile commun et d’accepter l’installation d’un membre non national d’une famille dans le pays (CEDH, 28 mai 1985, ABDULAZIS, CABALES et BALKANDALI ; CEDH, 19 février 1996, GÜL; CEDH, 28 novembre 1996, AHMUT). Il se dégage encore de la jurisprudence précitée de la Cour européenne des droits de l’homme et de l’analyse qui en a été faite que l’article 8 ne garantit pas le droit de choisir le lieu le plus approprié pour développer une vie familiale et qu’il faut « des raisons convaincantes pour qu’un droit de séjour puisse être fondé sur cette disposition » (cf.
Bull. dr. h. n° 1998, p.161).
Il y a dès lors lieu d’examiner en l’espèce si la vie privée et familiale dont fait état la demanderesse pour conclure dans son chef à l’existence d’un droit à la protection d’une vie familiale par le biais des dispositions de l’article 8 CEDH rentre effectivement dans les prévisions de ladite disposition de droit international qui est de nature à tenir en échec la législation nationale.
A cet égard, il ressort des éléments du dossier que la demanderesse continuait de résider en Serbie alors que son fils s’est installé au Luxembourg. Aucun élément versé au dossier soumis à l’appréciation du tribunal n’établit l’existence d’une vie de famille effective entre les membres de sa famille ayant immigré au Luxembourg et la demanderesse avant l’arrivée sur le territoire luxembourgeois de cette dernière. De même les divers transferts d’argent par le biais de Western Union au profit de membres de la famille de la demanderesse témoignent d’une certaine aide financière de la part de Monsieur …, mais ne sauraient constituer la preuve d’une vie familiale effective.
Il s’ensuit que le ministre a valablement pu refuser l’autorisation de séjour sollicitée sans méconnaître l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en annulation est à déclarer non fondé et partant la demanderesse est à en débouter.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en annulation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 19 décembre 2007 par :
M. Ravarani, président, Mme Thomé, juge, M. Fellens, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.
s. Schmit s. Ravarani 5