Tribunal administratif N° 22771 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 avril 2007 Audience publique du 19 décembre 2007 Recours formé par la société à responsabilité limitée …s.à .rl., … contre deux décisions du ministre des Travaux publics en matière de permission de voirie
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 22771 et déposée le 5 avril 2007 au greffe du tribunal administratif par Maître Arsène KRONSHAGEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée …s.à r.l., établie et ayant son siège social à L- … , immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro … , représentée par son gérant actuellement en fonctions, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d'une décision de refus d'autorisation pour la mise en place de deux panneaux publicitaires à Pétange, rue de Luxembourg et à Rodange, rue de Longwy du ministre des Travaux Publics, signée par l'Ingénieur … du 5 mars 2007, respectivement d'une décision de refus d'autorisation pour la mise en place des panneaux publicitaires prémentionnés du ministre des Travaux Publics intervenue en date du 22 janvier 2007;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif en date du 5 juillet 2007 par le délégué du Gouvernement ;
Vu le mémoire en réplique déposé par Maître Arsène KRONSHAGEN au greffe du tribunal administratif en date du 21 septembre 2007 au nom de la demanderesse ;
Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 22 octobre 2007 par le délégué du Gouvernement ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, Maîtres Estelle PLANÇON, Frédérique LERCH et Marie-Christine GAULTIER, en remplacement de Maître Arsène KRONSHAGEN, et Madame le délégué du Gouvernement Marie-Anne KETTER ainsi que Messieurs les délégués du Gouvernement Guy SCHLEDER et Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives lors des audiences publiques des 12 et 26 novembre 2007 ainsi que 17 décembre 2007.
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Par courrier du 7 novembre 2005 la société à responsabilité limitée …s.à r.l., ci-après « la société …», déposa auprès de la Division des Services Régionaux de la Voirie de l'administration des Ponts et Chaussées une demande en permission de voirie relative à l'installation de deux panneaux publicitaires à Rodange, coin de la rue de Longwy et du chemin de Brouck (n° cadastral 724/6482) et à Pétange, coin de la rue de Luxembourg et de la Cité CFL (n° cadastral 548/7346).
Par courrier du 22 janvier 2007 (n° 6860/05) adressé au directeur de l’administration des Ponts et Chaussées, le ministre des Travaux Publics (ci-après « le ministre»), se référant à un précédent courrier adressé au Médiateur, refusa les demandes en permission de voirie sus-visées en les termes suivants :
« Je vous prie de bien vouloir trouver en annexe copie d'une lettre que je viens d'adresser à Monsieur Marc Fischbach, Médiateur du Grand-Duché de Luxembourg, dans le cadre d'un refus ministériel concernant la mise en place de panneaux publicitaires à images changeantes.
Les deux projets de permission de voirie annexés à la présente concernent le même type de panneaux et sont donc également à refuser pour les mêmes motifs que ceux énoncés dans la lettre précitée.
Vous voudrez en informer les sociétés concernées et me retourner les dossiers après usage fait. (…) » Par courrier du 5 mars 2007 du ministère des Travaux publics, signé par l’ingénieur conducteur principal, la susdite décision de refus fut portée en les termes suivants à la connaissance de la société …:
« Faisant suite à votre demande du 07 novembre 2005, concernant la mise en place de deux panneaux publicitaires à Pétange, rue de Luxembourg, et à Rodange, rue de Longwy, j'ai le regret de porter à votre connaissance, que Monsieur le Ministre des Travaux Publics, par sa décision du 22 janvier 2007, No.6860/05, vient de réserver une suite défavorable à votre demande.
Les panneaux représentent un danger certain pour les automobilistes qui détournent leur attention de la route. Les distractions pour les conducteurs sont déjà trop nombreuses et il n'y a pas lieu d'aggraver cette situation de fait par l'implantation de panneaux publicitaires rotatifs.
Conformément à l'article 14 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l'Etat et des communes, il m'appartient de vous informer qu'au cas où vous vous estimez lésés par cette décision, vous disposez la faculté d'introduire, par voie d'avoué, un recours en réformation auprès du tribunal administratif et fiscal, dans un délai d'un mois à compter de la présente notification. (…) ».
Par requête déposée en date du 5 avril 2007, la société …a introduit un recours en réformation sinon en annulation contre les courriers précités des 22 janvier et 5 mars 2007.
Le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit conformément à l’article 4, alinéa 2 de la loi modifiée du 13 janvier 1843 sur les autorisations de faire des constructions ou des plantations le long des routes qui prévoit un recours de pleine juridiction en la matière.
Le recours subsidiaire en annulation est partant irrecevable.
En ce qui concerne la recevabilité du recours en réformation, le délégué du Gouvernement soulève son irrecevabilité dans la mesure où il est dirigé contre le courrier du 5 mars 2007 adressé par l’ingénieur conducteur principal de l’administration des Ponts et Chaussées à la société CITY IMAGE, ce courrier ne constituant que la communication à la partie intéressée de la décision ministérielle de refus.
Aux termes de l’article 1er de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, un recours est ouvert « contre toutes les décisions administratives à l’égard desquelles aucun autre recours n’est admissible ».
Cette disposition limite dès lors l’ouverture d’un recours devant les juridictions administratives notamment aux conditions cumulatives que l’acte litigieux doit constituer une décision administrative, c’est-à -dire émaner d’une autorité administrative légalement habilitée à prendre des décisions unilatérales obligatoires pour les administrés et qu’il doit s’agir d’une véritable décision, affectant les droits et intérêts de la personne qui la conteste1.
L'acte émanant d'une autorité administrative, pour être sujet à un recours contentieux, que ce soit devant le juge administratif siégeant en matière administrative ou devant le juge administratif siégeant en matière fiscale, doit dès lors constituer, dans l'intention de l'autorité qui l'émet, une véritable décision, à qualifier d'acte de nature à faire grief, c'est-à -dire un acte de nature à produire par lui-même des effets juridiques affectant la situation personnelle ou patrimoniale de celui qui réclame2.
Plus particulièrement n'ont pas cette qualité de décision faisant grief, comme n'étant pas destinées à produire, par elles-mêmes, des effets juridiques, les informations données par l'administration, tout comme les déclarations d'intention ou les actes préparatoires d'une décision3.
Il s’avère à l’étude du courrier du 5 mars 2007 que celui-ci est dépourvu de caractère décisionnel propre mais qu’il a pour seul objet de porter officiellement à la connaissance de la partie demanderesse le contenu de la décision ministérielle du 22 janvier 2007, tout en indiquant les voies de recours ouvertes contre cette décision.
Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours est irrecevable dans la mesure où il est dirigé contre le prédit courrier du 5 mars 2007, étant dirigé à l’encontre d’un acte ne revêtant pas de caractère décisionnel propre.
1 F. Schockweiler, Le contentieux administratif et la procédure administrative non contentieuse en droit luxembourgeois, 1996, n° 46, p. 28.
2 Trib. adm., 18 juin 1998, n° 10617 et 10618, Pas. adm. 2006, V° Actes administratifs, n° 12, et autres références.
3 Trib. adm., 23 juillet 1997, n° 9658, confirmé sur ce point par arrêt du 19 février 1998, n° 10263C, Pas. adm. 2006, V° Actes administratifs, n° 17, et autres références.
Le recours en réformation dirigé contre la décision ministérielle du 22 janvier 2007, notifiée à la demanderesse par courrier du 5 mars 2007 est par contre recevable pour avoir été déposé dans les formes et délai de la loi.
Il appartient d’abord au tribunal de vérifier la légalité extrinsèque de l’acte lui déféré, avant de se livrer, par le biais de l’examen de la légalité des motifs, au contrôle de la légalité intrinsèque.
C’est au titre de la légalité externe que le tribunal a soulevé lors des plaidoiries la question de la compétence du ministre au vu de l’article 4 de la loi modifiée du 13 janvier 1843 sur les autorisations de faire des constructions ou des plantations le long des routes, cette question, ayant trait à la compétence des organes administratifs, étant d’ordre public, et dès lors à soulever d’office par le tribunal, dans la mesure où ils n’ont pas été invoqués au cours de la procédure écrite, le tout sous respect du principe du contradictoire.
Si la partie demanderesse s’est rapportée à ce sujet à la sagesse du tribunal, le délégué du Gouvernement s’est référé à diverses décisions du tribunal administratif, elles-mêmes basées sur une décision du Conseil d’Etat4.
Aux termes de l’article 4 de la loi précitée du 13 janvier 1843 « quiconque voudra construire, reconstruire, réparer ou améliorer des édifices, maisons, bâtiments, murs, ponts, ponceaux, aqueducs, faire des plantations ou autres travaux quelconques le long des grandes routes, soit dans les traverses des villes, bourgs ou villages, soit ailleurs, dans la distance ci-après fixée, devra préalablement y être autorisé par le conseil de gouvernement (…) ».
Il s’ensuit que la loi modifiée du 13 janvier 1843 a explicitement conféré compétence au Conseil de Gouvernement pour délivrer les autorisations requises au titre de son article 4.
Si le tribunal peut aisément suivre le Conseil d’Etat en ce que les termes « Conseil de Gouvernement » utilisés par ladite loi du 13 janvier 1843, intervenue sous l’empire de la Constitution du 12 octobre 1841, dont les dispositions relatives au Gouvernement figuraient au chapitre III sous la dénomination « du Conseil de Gouvernement, du Gouverneur et du Secrétaire-général » ne font que traduire l’idée de l’exercice collégial des attributions retenues par le texte constitutionnel de 1841, il ne saurait en revanche admettre qu’au regard de l’arrêté royal grand-ducal modifié du 9 juillet 1857 portant organisation du Gouvernement grand-ducal et de l’arrêté grand-
ducal modifié du 7 août 2004 portant énumération des ministères et détermination des compétences ministérielles, il y aurait lieu de retenir que ce serait le ministre des Travaux publics qui aurait été habilité à exercer les attributions réservées par la loi modifiée du 13 janvier 1843 au Gouvernement.
En effet, si l'article 76 de la Constitution autorise le Grand-Duc à régler l'organisation de son gouvernement et s’il résulte de ce texte que le Grand-Duc peut librement créer les ministères et faire la répartition des départements ou des affaires ministérielles entre les ministres, cette disposition constitutionnelle conférant au 4 Conseil d’Etat, 12 juillet 1995, n° 9199.
Grand-Duc en matière d'organisation du gouvernement un pouvoir réglementaire direct et autonome, il n’en reste pas moins que ce pouvoir, pour être autonome, est strictement limité à l’organisation du Gouvernement, c’est-à -dire à sa prérogative de régler le fonctionnement des services dans leurs rapports avec le Grand-Duc et dans les relations intergouvernementales en répartissant notamment les différentes compétences attribuées par la loi à un ministre déterminé entre les différents membres de son Gouvernement.
En l’espèce cependant, la loi de 1843 ne prévoit pas la compétence du Gouvernement en tant qu’organe générique du pouvoir exécutif, au sein duquel le Grand-Duc aurait la prérogative d’attribuer librement des compétences individuelles, mais la compétence du Conseil de Gouvernement agissant collégialement, c’est-à -dire par délibération commune des ministres, de sorte qu’un arrêté grand-ducal portant énumération des ministères et détermination des compétences ministérielles ne saurait, sous peine de violer la loi et de sortir du cadre limité de l’article 76 de la Constitution, remplacer la compétence collégiale voulue par le législateur au profit de la compétence d’un ministre individuel : si la loi ordonne que des mesures d’exécution doivent être édictées par la voie d’un arrêté pris par le Gouvernement en conseil - au sens d’une décision individuelle concrète, mais non d’une décision à portée réglementaire - cette loi doit être exécutée strictement selon sa teneur5.
Il est certes vrai que la référence à une décision du Gouvernement en Conseil résulte d’une disposition surannée, basée sur l’article 47 de la Constitution du 12 octobre 1841 qui mentionnait les décisions du Conseil de Gouvernement au nombre des mesures qui pouvaient être prises pour la gestion des affaires publiques6.
Cependant, le juge est tenu d’appliquer la loi, aussi perfectible que celle-ci puisse paraître le cas échéant, sans pouvoir l’adapter aux nouvelles circonstances de fait au-
delà de son contenu précis, cette prérogative étant réservée au pouvoir législatif 7.
Or, si le législateur a confié explicitement par la loi du 17 juin 1976 portant limitation des accès à la voirie de l’Etat la compétence spécifique des permissions de voirie en matière d’accès à la voirie de l’Etat au ministre des Travaux publics, il n’en a pas fait de même en ce qui concerne la compétence plus générale des autorisations relatives aux constructions ou plantations le long des routes.
Il s’ensuit qu’en l’état législatif actuel, le ministre des Travaux publics ne dispose pas de compétence individuelle en matière de permission de voirie relative aux constructions ou plantations le long des routes. Or, le tribunal administratif, encore qu'il soit saisi d'un recours en réformation, doit se borner à annuler une décision et à renvoyer l'affaire devant l'autorité administrative compétente si la décision afférente a été prise par une autorité incompétente8, de sorte qu’il convient en l’espèce d’annuler la décision déférée et de renvoyer l’affaire au ministre des Travaux publics aux fins de transmission à l’autorité compétente.
5 Alfred Loesch, Le pouvoir réglementaire du Grand-Duc, Pas. XV, p.51.
6 Ibidem.
7 Trib. adm. 9 février 2004, n° 16995, Pas. adm. 2006, V° Lois et règlements, n° 56.
8 Trib.adm. 14 janvier 2002, n° 13483, confirmé par arrêt du 28 mai 2002, 14586C, Pas. adm. 2006, V° Recours en réformation, n° 12.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
déclare le recours irrecevable dans la mesure où il est dirigé contre le courrier du 5 mars 2007 ;
reçoit le recours en réformation en la forme dans la mesure où il est dirigé contre l’arrêté ministériel du 22 janvier 2007;
au fond le dit justifié ;
partant par réformation annule la décision du ministre des Travaux publics du 22 janvier 2007 déférée et renvoie l’affaire au ministre des Travaux publics aux fins de transmission à l’autorité compétente ;
déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable ;
condamne l’Etat aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 19 décembre 2007 par :
Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, M. Fellens, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.
s. Schmit s. Thomé 6