Tribunal administratif N° 22845 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 20 avril 2007 Audience publique du 12 décembre 2007 Recours formé par Monsieur … et Madame … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de police des étrangers
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 22845 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 20 avril 2007 par Maître Sandra FADI, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur Monsieur …, né le … (Maroc) et Madame …, née le … (Maroc), demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 29 janvier 2007 par laquelle la délivrance d’une autorisation de séjour leur a été refusée ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 12 septembre 2007 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport ainsi que Maître Michel KARP, en remplacement de Maître Sandra FADI, et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives lors de l’audience publique du 26 novembre 2007.
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Le 28 novembre 2001, une autorisation de séjour d’une durée limitée d’une année fut accordée à Monsieur et Madame …-… sur base d’une déclaration de prise en charge de leur fille, Madame … et de son mari Monsieur ….
Cette autorisation ne fut plus prolongée par décision du ministre de la Justice du 16 mai 2003.
Le 20 juin 2005, Madame … s’adressa au ministre compétent afin de demander dans le chef de ses parents une autorisation de séjour. Ce courrier fit l’objet d’une lettre de rappel de Maître FADI du 24 octobre 2006 qui précisa que les époux …-…, pris en charge par leur fille …, souhaitent voir leur situation de séjour régularisée au Luxembourg et obtenir une autorisation de séjour dans le cadre du regroupement familial.
Le 29 janvier 2007, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration refusa l’autorisation de séjour aux époux …-… dans les termes suivants :
« …Or, j’ai le regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de donner suite à votre requête. En effet Madame …, ne saurait prendre ses parents à charge alors qu’elle-
même est bénéficiaire du RMG et donc à charge de l’Etat.
Le dossier pourra être reconsidéré dès que Madame … sera en possession d’un permis de travail établi à son nom par le service des permis de travail sur base d’un contrat de travail à plein temps et à durée indéterminée sur le premier marché de l’emploi ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 20 avril 2007, les époux …-… ont fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle du 29 janvier 2007.
Dans la mesure où ni la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1° l’entrée et le séjour des étrangers ; 2° le contrôle médical des étrangers, 3° l’emploi de la main-d’oeuvre étrangère, ni aucune autre disposition légale n’instaure un recours au fond en matière d’autorisation de séjour, seul un recours en annulation a pu être introduit.
Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
A l’appui de leur recours, les demandeurs font exposer que la condition tenant aux moyens personnels suffisants devrait être appréciée de façon concrète par l’autorité administrative compétente. Ils renvoient à ce sujet à trois décomptes couvrant la période du 1er décembre 2006 au 28 février 2007. Ils estiment que leur fille bénéficiait à ce titre d’une rémunération professionnelle brute de 1570, 28 € soit 1.381,06 € nets, montant supérieur au revenu minimum garanti. Ils ajoutent que ce serait à tort que la décision précise que le dossier pourra être reconsidéré dès lors que Madame … sera en possession d’un permis de travail établi à son nom par le service de permis de travail, au motif que Madame … est de nationalité française et qu’elle ne serait donc pas soumise aux exigences relatives au permis de travail. Elles précisent que depuis le 1er avril 2007, Madame … bénéficierait d’un contrat à durée indéterminée. Ils estiment que dans la mesure où ils justifient d’une existence familiale effective depuis plusieurs années au Luxembourg ensemble avec leur fille laquelle les héberge dans un logement décent permettant la cohabitation, ils devraient bénéficier du droit au regroupement familial.
Il résulte des pièces versées au dossier que Madame … a signé une convention relative à l’organisation d’une activité d’insertion professionnelle en date du 23 novembre 2006 pour la période du 1er décembre 2006 au 28 février 2007. Ladite convention fait partie intégrante du contrat d’insertion signé pour la période du 1er décembre 2006 au 31 mai 2007. Elle a bénéficié pour les mois de décembre 2006 à février 2007 d’une indemnité d’insertion nette de respectivement 1364, 55 €, de 1390,48 € et de 1385,49 €.
Il résulte par ailleurs des pièces versées que la convention relative à l’organisation d’une activité d’insertion professionnelle a été conclue dans le cadre de la loi modifiée du 29 avril 1999 portant création d’un droit à un revenu minimum garanti. Au titre de l’article 1er, alinéa 2 de la dite loi, le revenu minimum garanti consiste soit en l’octroi d’une indemnité d’insertion soit en l’octroi d’une allocation complémentaire soit en l’octroi conjoint d’une indemnité d’insertion et d’une allocation complémentaire.
Etant donné dès lors qu’il est établi que Madame … était bénéficiaire du revenu minimum garanti pendant la période prise en compte, c’est à bon droit que le ministre a retenu que celle-ci ne saurait prendre en charge ses parents étant donné qu’elle-même est bénéficiaire du revenu minimum garanti et donc à charge de l’Etat. En effet une possibilité effective de prendre en charge ses ascendants doit résulter du fait que celui qui déclare prendre en charge ses ascendants est capable de subvenir par ses propres moyens aux besoins des personnes prises en charge. Or un bénéficiaire du revenu minimum garanti n’est par définition pas en mesure de se procurer des moyens suffisants d’existence par ses propres moyens, de sorte qu’il ne saurait se porter garant de prendre en charge tous les frais en rapport avec le séjour de ses ascendants au Luxembourg. Il n’y a dès lors pas lieu d’analyser de façon concrète si le revenu minimum garanti perçu pendant les trois mois en cause permettait de subvenir aux besoins de Madame … et de ses parents.
Le fait que Madame … est engagée moyennant un contrat à durée indéterminée à partir du 1er avril 2007 ne saurait avoir une influence sur la légalité de la décision sous examen étant donné que ce fait est postérieur à la décision prise et n’a dès lors pas pu être pris en compte par le ministre au moment de l’examen de la demande introduite par les époux …-
… et ne saurait non plus être pris en compte par le tribunal, siégeant en tant que juge de l’annulation. Cependant le ministre a lui-même déjà remarqué dans la décision prise que le dossier pourra être reconsidéré dès que Madame … sera en possession d’un permis de travail établi à son nom par le service des permis de travail sur base d’un contrat de travail à plein temps et à durée indéterminée sur le premier marché de l’emploi, de sorte qu’il est loisible aux demandeurs d’introduire une nouvelle demande d’autorisation de séjour en soumettant au ministre les nouveaux éléments de fait. Etant donné que Madame … est de nationalité française elle n’est pas soumise à l’exigence d’un permis de travail.
Les demandeurs estiment encore que le droit au regroupement familial constituerait un droit dérivé se rattachant à la base directement au droit de séjour du ressortissant duquel ils dépendent et que les conditions relatives à l’autorisation de séjour seraient dès lors à apprécier dans la relation ascendant-descendant.
S’il est certes exact que la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil de l’Union européenne relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres, modifiant le règlement (CEE) n° 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE, prévoit dans son article 7, paragraphe 2 un droit de séjour dérivé pour les membres de familles n’ayant pas la nationalité d’un Etat membre lorsqu’ils accompagnent ou rejoignent dans l’Etat membre d’accueil le citoyen de l’Union il faut cependant que ce dernier satisfasse aux conditions énoncées au paragraphe 1 a), b) ou c). A ce titre il faut notamment que le citoyen de l’Union dispose, pour lui et pour ses membres de sa famille, de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système d’assistance sociale de l’Etat membre d’accueil.
Or tel qu’il résulte des développements qui précèdent, force est de constater que Madame … ne satisfait pas à cette condition, de sorte que ses parents, même indépendamment du fait de savoir s’ils se trouvent à charge, ne sauraient bénéficier d’un droit de séjour dérivé.
Il y a encore lieu d’analyser le moyen soulevant que la décision litigieuse violerait l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.
L’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme dispose que :
« 1) Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2) Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-
être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».
S’il existe en l’espèce une vie familiale entre les demandeurs et leur fille, il ne se dégage pas des éléments soumis au tribunal que l’ingérence dans la vie familiale opérée à travers la décision déférée n’est pas justifiée à suffisance de droit au regard de l’ensemble des intérêts en cause.
En effet, dans le cadre du contrôle de proportionnalité à effectuer dans ce contexte, il importe de relever que l’article 8 CEDH ne confère pas directement aux étrangers un droit de séjour dans un pays précis. S’il est en effet certes constant qu’une personne en situation irrégulière demeurant sur le territoire luxembourgeois peut alléguer qu’un refus d’autorisation de séjour constitue une ingérence dans sa vie privée et familiale, il importe néanmoins de relever que le caractère précaire de sa présence sur le territoire n’est pas sans pertinence dans l’analyse de la conformité de la mesure restrictive avec notamment la condition de proportionnalité inscrite au second paragraphe de l’article 8.
En l’espèce, compte tenu du fait que les demandeurs sont venus au pays au courant de l’année 2001 dont seulement une courte période était couverte par une autorisation de séjour valable, à savoir la période du 28 novembre 2001 au 28 novembre 2002, ainsi que du fait que ces derniers se trouvaient dès lors en situation irrégulière au pays à partir de fin 2002, le moyen basé sur une ingérence injustifiée dans l’exercice de la vie familiale des demandeurs laisse d’être fondé.
Au vu de ce qui précède, le recours n’est fondé en aucun de ses moyens.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
condamne les demandeurs aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 12 décembre 2007 :
Mme Lenert, vice-président, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.
s. Schmit s. Lenert 5