Tribunal administratif N° 23440 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 septembre 2007 Audience publique du 10 décembre 2007 Recours formé par Monsieur et Madame …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 19, L.5.5.2006)
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 23440 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 septembre 2007 par Maître Olivier LANG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Monténégro), et de son épouse, Madame …, née le … (Monténégro), agissant en leurs noms propres ainsi qu’au nom et pour le compte de leurs enfants …, nés le … , tous de nationalité macédonienne et demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant 1) à la réformation d’une décision du ministre des Affaires Etrangères et de l'Immigration du 14 août 2007 lui refusant une protection internationale et plus particulièrement le statut de la protection subsidiaire et 2) à l’annulation de l'ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 novembre 2007 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Oliver LANG et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 26 novembre 2007.
Le 13 août 2003, Monsieur … et son épouse, Madame … accompagnés de leurs trois enfants …, ci-après la « famille …-… », introduisirent une demande en reconnaissance du statut de réfugiés au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relatif au statut des réfugiés, approuvé par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant dénommé « la Convention de Genève ».
Cette demande fut refusée par une décision du ministre de la Justice du 23 septembre 2003, décision confirmée le 2 décembre 2003, suite à l’introduction d’un recours gracieux.
Les deux décisions ministérielles de refus furent confirmées par un jugement du tribunal administratif du 19 mai 2004, n° 17400 du rôle et ensuite par un arrêt de la Cour administrative du 12 octobre 2004, n° 18263C du rôle.
Le 6 juillet 2007, la famille …-… introduisit par écrit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande de protection internationale au sens de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après la loi du 5 mai 2006, tout en précisant qu’ils se prévalent particulièrement des dispositions tendant à l’octroi de la protection subsidiaire.
Monsieur … et Madame … furent entendus séparément par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur leur situation et sur les motifs à la base de leur demande de protection internationale en date du 18 juillet 2007.
Par décision du 14 août 2007, notifiée par lettre recommandée expédiée le 16 août 2007, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration informa la famille …-… de ce que sa demande avait été rejetée comme non fondée après l’avoir évaluée par rapport aux conditions d’obtention du statut de réfugié et de celles d’obtention du statut conféré par la protection subsidiaire et leur précisa en outre que la décision vaut ordre de quitter le territoire.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 17 septembre 2007, la famille …-… a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 14 août 2007 lui refusant une protection internationale et plus particulièrement le statut conféré par la protection subsidiaire et à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision.
1. Quant au recours dirigé contre la décision portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 19, paragraphe 3 de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées, une demande en réformation a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle déférée.
Il s’ensuit que le recours en réformation introduit à titre principal est recevable dans la mesure où il est dirigé contre ce volet de la décision déférée pour avoir été par ailleurs introduit dans les formes et délai prévus par loi.
1.1. Quant au statut de réfugié Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».
Les articles 31 et 32 de la loi du 5 mai 2006 précisent également le contenu de la notion de réfugié.
Quant au volet du statut de réfugié, les demandeurs font valoir qu’ils avaient expressément limité leur demande de protection internationale à celle visant la protection subsidiaire, de sorte qu’ils n’entendent dès lors pas prendre position quant aux développements ministériels concernant les critères de qualification s’attachant exclusivement au « volet réfugié politique ».
C’est à bon droit que le délégué du Gouvernement relève qu’aucune disposition de la loi du 5 mai 2006 ne permet de formuler une demande de protection subsidiaire isolée et qu’un demandeur de protection internationale voit donc sa demande analysée d’abord selon les critères de qualification du statut de réfugié et ensuite, si le demandeur ne répond pas à ces critères, selon les critères du statut conféré par la protection subsidiaire.
Etant donné que les demandeurs ne formulent aucun reproche à l’encontre de la décision litigieuse en ce qu’elle leur a refusé le statut de réfugié, le tribunal ne saurait mettre en cause la légalité de la décision déférée considérée sous cet aspect.
1.2. Quant au statut conféré par la protection subsidiaire Les demandeurs soulèvent d’abord que la lecture de la décision litigieuse ferait clairement ressortir que les faits par eux exposés n’auraient pas été examinés sous l’angle de la protection subsidiaire et que l’ensemble des développements porterait exclusivement sur les critères de qualification du statut de réfugié.
Force est cependant au tribunal de constater que la décision litigieuse est libellée in fine de la façon suivante :
« En outre, vous n'invoquez pas non plus des motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 37 de la loi précitée du 5 mai 2006. En effet, il ne ressort pas de votre dossier que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptible de faire l'objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
En effet, vous ne faites pas état d'un jugement ou d'un risque de jugement vous condamnant à la peine de mort, ni de risques concrets et probables de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants en cas de retour au Nigeria.
Par ailleurs, vous ne faites pas état de risques émanant d'une violence aveugle résultant d'un conflit armé interne ou international ».
Au vu de ces précisions, il y a lieu de retenir que le reproche formulé de la part des demandeurs à l’encontre de la décision du 14 août 2007 ne saurait être retenu.
Quant aux risques encourus par la famille …-… Quant au fond, les demandeurs, appartenant à la minorité ethnique des Bochniaques et étant de confession musulmane, font valoir qu’ils feraient l’objet de nombreuses discriminations de la part des Macédoniens dans la vie de tous les jours. Ils ajoutent que la situation serait telle en Macédoine que de nombreuses difficultés de coexistence subsisteraient entre les Macédoniens et les Bochniaques et qu’ils n’auraient aucun droit. Ils estiment que leur vie serait en danger à cause de leur appartenance à la communauté bochniaque et à cause de l’insoumission de Monsieur …. A ce sujet ils précisent que Monsieur … aurait été appelé à deux reprises à la réserve en 2001 et 2003 et qu’il aurait réussi, les deux fois, à se cacher.
Les demandeurs se prévalent du risque sérieux et avéré de faire l’objet dans leur pays, de tortures, de traitements inhumains ou dégradants, alors que leur situation particulière les exposerait à des sanctions pénales ou extrajudiciaires, de la part des autorités macédoniennes du fait de l’insoumission de Monsieur …, ainsi qu’à l’exclusion et l’humiliation de la part de l’immense majorité de la population du fait de leur origine bochniaque et de leur confession musulmane.
Ils estiment que la torture et le traitement inhumain seraient sérieux, même si actuellement la volonté politique tend à améliorer les conflits interethniques et les discriminations à l’encontre des minorités. Ils ajoutent qu’il serait concevable que revenant après cinq années d’absence dans une situation de vulnérabilité extrême dans une société qui leur est très hostile, ils deviendraient des cibles faciles et privilégiées des plus extrémistes des Macédoniens-orthodoxes et qu’ils ne pourraient de toute façon pas échapper aux autorités lesquelles sanctionneront tôt ou tard Monsieur … pour son insoumission.
Le risque de traitement dégradant serait également réel puisqu’en cas de retour, leur situation particulière les empêcherait de circuler librement sans craindre d’être la cible de regards méprisants empreints de haine et d’hostilité. Ils font valoir que leurs enfants seraient à nouveau exclus dans la mesure où l’enseignement ne serait pas dispensé en langue bochniaque mais en macédonien, langue qu’ils ne connaissent pas, de sorte que cette situation créerait dans leur chef des sentiments de peur, d’angoisse et d’infériorité propres à les humilier, à les avilir, et à briser éventuellement leur résistance physique ou morale.
En ce qui concerne le refus du ministre d’accorder aux demandeurs le bénéfice de la protection subsidiaire, il y a lieu de rappeler qu’aux termes de l’article 2, e) de la loi du 5 mai 2006, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire», « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37, l’article 39, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
L’article 37 de la même loi énumère en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Force est de retenir que c’est à juste titre que le ministre a retenu que les demandeurs n’ont pas fait état, en cas d’un retour dans leur pays, d’un risque réel de se voir infliger la peine de mort ou de se faire exécuter ou encore de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants respectivement de faire l’objet de menaces graves et individuelles contre leur vie en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
En effet les demandeurs n’ont avancé aucun élément pertinent et tangible de nature à établir que Monsieur … encourait un risque réel de subir des atteintes graves en cas de retour en Macédoine à cause de son soumission. A ce sujet il convient de souligner que les éléments invoqués relatifs à l’insoumission sont exactement les mêmes que ceux soumis dans le cadre de la première demande d’asile posée le 13 août 2003. Les demandeurs restent en défaut de verser une quelconque pièce ou de faire état d’un seul élément concret permettant de retenir que Monsieur … encourrait un risque réel de subir des atteintes graves. En effet Monsieur … ne sait même pas qui était à sa recherche, si c’étaient des personnes de la police ou des paramilitaires.
A ce sujet l’avocat des demandeurs estime que le fait de ne pas savoir qui viendra chercher Monsieur … pour le remettre aux autorités serait inopérant et que la seule considération pertinente à prendre en compte serait la certitude d’être recherché et de subir des sanctions du fait de l’insoumission. Il ajoute que si la famille …-… n’était pas capable d’identifier précisément les personnes qui pourraient se transformer en leurs tortionnaires, ils auraient cependant démontré l’existence d’un risque sérieux et avéré de faire l’objet d’atteintes graves en cas de retour en Macédoine.
Il y a lieu de préciser qu’il résulte des 4 rapports d’audition que les personnes à la recherche de Monsieur … n’étaient pas à sa recherche pour le remettre aux autorités à cause de la prétendue insoumission, mais étaient au contraire à sa recherche pour le recruter en tant que réserviste. En effet lors de l’audition du 18 juillet 2007, Monsieur … répond à la question « Etes-vous recherché par quelqu’un en Macédoine ? », « Oui, j’ai été recherché pour aller à la guerre, mais je n’ai pas voulu y aller » et au cours de l’audition du 8 septembre 2003, il répond à la question « Quand était la première fois qu’on est venu vous chercher ? », « Ils sont venus mobiliser, je n’étais pas le seul, d’autres personnes étaient aussi concernés ».
Madame … précise également que « ces gens » sont venus chercher son mari pour faire la guerre.
Au vu de ce qui précède et en l’absence d’éléments nouveaux le tribunal ne saurait que se rallier à l’arrêt de la Cour administrative du 12 octobre 2004 (n° 18263 du rôle) en ce qu’il a été retenu que « les appelants n’ont pas établi à suffisance de droit qu’une condamnation serait encore susceptible d’être prononcée à son encontre du chef d’une éventuelle insoumission, voire qu’un jugement déjà prononcé serait encore effectivement exécuté, ceci au vu de la situation actuelle en Macédoine et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par le parlement macédonien en mars 2002. » A cette constatation, le rapport d’Amnesty International invoqué par les demandeurs n’enlève rien. En effet comme le souligne à juste titre le mandataire des demandeurs ce rapport couvre la période en Macédoine de janvier à décembre 2002, c’est-à-dire une période précédant même celle du départ de la famille …-… de leur pays en août 2003, de sorte qu’il ne saurait servir à établir un risque réel de subir des atteintes graves dans le chef des demandeurs en cas de renvoi en Macédoine fin 2007, c’est-à-
dire 5 ans après la période visée par ledit rapport.
En ce qui concerne le risque de subir des atteintes graves en raison de leur appartenance à la minorité bochniaque, force est également de retenir que la famille …-… n’a avancé aucun élément pertinent et tangible de nature à établir qu’ils encouraient un risque réel de subir des atteintes graves en cas de retour en Macédoine.
En effet les craintes alléguées par les demandeurs sont trop vagues, trop peu circonstanciées et ne revêtent qu’un caractère hypothétique. A cela s’ajoute que les demandeurs n’ont soumis au tribunal aucun élément qui permettrait de retenir qu’il existe à l’heure actuelle, à savoir plus de 4 ans après les événements relatés, un risque réel dans leur chef de subir des atteintes graves. La simple affirmation qu’ils deviendraient les cibles faciles et privilégiés des plus extrémistes des Macédoniens-orthodoxes et que leurs enfants seraient exclus de l’enseignement dans la mesure où l’enseignement se ferait en macédonien ne saurait suffire à cet égard. A cela s’ajoute que Monsieur … a répondu lors de l’entretien du 18 juillet 2007 à la question de Maître LANG « Vos enfants, ont-ils pu aller normalement à l’école lorsque vous vous trouviez là-bas » de la façon suivante : « Oui, ils sont allés à l’école, mais ils ont dû suivre les cours en langue macédonienne, il n’y a pas de cours dans notre langue maternelle. Mais cela n’est pas grave étant donné qu’ici mes enfants parlent aussi une autre langue. Mon fils a déjà 18, 19 ans. Mes enfants devront tout recommencer là-bas et je n’y vois plus aucun avenir pour eux. Vu que nous n’avons pas encore les papiers mes enfants ont aussi des problèmes pour continuer leurs études et dans mon pays c’est encore pire ».
Si aux termes de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 des acteurs non étatiques peuvent être des acteurs d’atteintes graves il faut cependant qu’il puisse être démontré que l’Etat, des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire ce celui-ci, y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les atteintes graves. A ce titre les demandeurs n’ont pas démontré l’existence d’un défaut de protection de la part des autorités publiques de leur pays d’origine.
S’il est certes exact qu’il appartient au ministre d’évaluer, en coopération avec le demandeur, les éléments pertinents de la demande et qu’il tient compte à ce moment entre autre de tous les faits pertinents concernant le pays d’origine, y compris les lois et règlements du pays d’origine et la manière dont ils sont appliqués, il appartient d’abord au demandeur de présenter tous les éléments nécessaires pour étayer sa demande. Or comme il a été retenu ci-
avant, la famille …-… est restée en défaut de présenter de tels éléments. C’est dès lors à bon droit que le ministre a pu se référer au dernier rapport onusien du 13 juin 2007 pour faire valoir que la situation en général et la situation des minorités en particulier s’est améliorée en Macédoine depuis les années 2001. A ce titre la référence du mandataire des demandeurs à d’autres rapports tous antérieurs en date à celui cité par l’Etat ne saurait mettre en cause l’évolution favorable de la situation en Macédoine. En effet le rapport invoqué d’Amnesty International couvre la période de janvier à décembre 2002, tandis que les deux autres articles cités ont trait aux irrégularités ayant eu lieu pendant les élections municipales intervenues le 13 mars 2005.
Quant à l’état de santé des demandeurs Les demandeurs estiment encore qu’un retour au pays entraînerait un risque de traitement inhumain et dégradant dans leur chef dans la mesure où aucun traitement adapté à leurs pathologies ne serait actuellement disponible en Macédoine, et que même dans le cas contraire, ils ne pourraient bénéficier d’une quelconque couverture sociale leur donnant accès à de tels soins.
Force est de constater, d’une part, que l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 parle de traitements ou de sanctions « infligées », tandis que l’article 28 de la même loi énumère les acteurs des atteintes graves, de sorte à nécessiter une intervention, une responsabilité humaine et à exclure de son champ d’application l’éventualité d’ « atteintes graves » lorsqu’aucun acteur ne peut en être tenu responsable.
Il en résulte que la maladie ensemble la situation sanitaire et sociale du pays de destination, en l’absence de toute circonstance permettant de déduire que cette situation aurait été infligée ou qu’elle résulterait d’une intervention directe ou indirecte humaine, ne constitue pas un motif valable d’obtention de la protection subsidiaire au sens de la loi du 5 mai 20061. Les affirmations que l’accès au soin leur aurait toujours été refusé et que la discrimination serait systématique par rapport à un macédonien musulman restent à l’état de simples allégations.
Au vu de ce qui précède sous les points 1. et 2., le ministre a dès lors valablement pu, au terme de l’analyse de la situation de la famille …-… rejeter la demande de protection internationale comme non fondée au sens de l’article 19, paragraphe 1 de la loi du 5 mai 2006, de sorte que le recours est à rejeter comme étant non fondé.
2. Quant au recours dirigé contre la décision portant ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 19, paragraphe 3 de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire et que le recours a été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
Aux termes de l’article 19, paragraphe 1 de la loi du 5 mai 2006, une décision négative du ministre en matière de protection internationale vaut ordre de quitter le territoire en conformité des dispositions de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère.
A titre principal, les demandeurs estiment que la décision d’ordre de quitter le territoire encourrait l’annulation suite à la réformation de la décision portant refus d’une protection internationale.
Etant donné que le tribunal n’a pas procédé à la réformation de la décision portant refus d’une protection internationale, ce moyen n’est pas fondé.
Les demandeurs estiment encore que la décision d’ordre de quitter le territoire devrait encourir l’annulation, alors qu’elle violerait l’article 8 de la Convention européenne des Droits de l’Homme. En effet, le retour porterait gravement atteinte au droit à la vie privée des requérants et notamment à celle de leurs enfants, alors que ces derniers se trouvent établis au Luxembourg depuis cinq années et y seraient parfaitement intégrés. Leur vie privée se 1 Cf. TA 9 juillet 2007, n° 22948, disponible sous www.ja.etat.lu trouverait désormais au Luxembourg où ils auraient tissé de forts liens d’amitié et où ils poursuivraient une scolarité prometteuse d’un bel avenir. Les plus jeunes auraient d’ailleurs oublié leur langue maternelle L’ordre de quitter le territoire serait dès lors constitutif d’une atteinte illégitime à la vie privée des requérants.
L’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme dispose que :
« 1) Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2) Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-
être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».
Etant donné que l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme n’instaure pas le droit pour les demandeurs de choisir l’implantation géographique de leur séjour et étant donné que le retour de la famille …-… en Macédoine se conçoit seulement en visant toute la famille, c’est-à-dire les parents ensemble tous leurs enfants, aucune atteinte à l’article 8 ne saurait être retenue.
Ils estiment encore que l’ordre de quitter le territoire serait contraire à la Convention relative aux droits de l’enfant, entrée en vigueur le 2 septembre 1990 et ratifiée par le Luxembourg le 7 mars 1994 et plus particulièrement à son article 3 (1) qui dispose que « Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ».
Ils soulèvent que pour les enfants, un refoulement serait un véritable traumatisme dû à l’humiliation engendrée mais aussi au fait qu’en cas de retour, leurs parents n’auraient rien à leur offrir, ni logement, ni éducation, ce qui serait constitutif d’un traitement inhumain et dégradant contraire à l’article 3 de la CEDH, et aux articles 3 et 14 de la Convention Internationale relative aux Droits de l’Enfant.
Etant donné qu’il n’est pas du tout établi que le retour des enfants les priverait définitivement de toute scolarité en Macédoine, les violations alléguées de l’article 3 de la CEDH et des articles 3 et 14 de la Convention Internationale relative aux Droits de l’Enfant ne sont pas fondées.
Enfin, les demandeurs estiment que la décision d’ordre de quitter le territoire violerait de manière autonome l’article 14 in fine de la loi modifiée du 8 mars 1972 qui dispose que «l'étranger ne peut être expulsé, ni éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont gravement menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ou à des traitements au sens des articles 1er et 3 de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.» Ils estiment qu’ils auraient établi la réalité du risque par eux encourus en raison de leur appartenance à la minorité bochniaque, l’insoumission de Monsieur … ainsi que les violences, brimades et humiliations subies par leurs enfants.
Etant donné que les demandeurs n’ont pas établi la réalité du risque par eux encouru, tel que retenu ci-avant par le tribunal, aucune violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme ne saurait être retenue à ce titre.
Par ailleurs, ils considèrent qu’ils auraient établi la gravité de leur état de santé et la nécessité des traitements qu’ils devraient obligatoirement suivre pour éviter une dégradation irréversible de leur état de santé, de sorte que leur retour dans leur pays où ils ne pourraient pas se procurer les traitements préconisés reviendrait à les placer délibérément dans une situation réelle et immédiate de danger pour leur sécurité, leur vie et leur dignité et serait dès lors incontestablement constitutive de traitements inhumain et dégradant contraire à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Il est vrai qu’une mesure d’éloignement relève de la Convention européenne des droits de l’homme dans la mesure où son exécution risquait de porter atteinte au droit inscrit à l’article 3. Ce n’est donc pas la nature de la mesure d’éloignement qui pose problème de conformité à la Convention, spécialement à l’article 3, ce sont les effets de la mesure en ce qu’elle est susceptible de porter atteinte aux droits que l’article 3 garantit à toute personne.
C’est l’effectivité de la protection requise par l’article 3 qui interdit aux Etats parties à la Convention d’accomplir un acte qui aurait pour résultat direct d’exposer quelqu’un à des mauvais traitements prohibés. S’il n’existe pas, dans l’absolu, un droit à ne pas être éloigné, il existe un droit à ne pas être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants.
Donc il existe un droit à ne pas être éloigné quand une mesure aurait pour conséquence d’exposer à la torture ou à une peine ou des traitements inhumains ou dégradants.
La CEDH a ensuite étendu la protection par ricochet à des hypothèses dans lesquelles les autorités de l’Etat de destination ne sont pas elles-mêmes à l’origine du risque de mauvais traitement. L’arrêt D. c/ Royaume-Uni du 2 mai 1997 va encore plus loin dans la rupture du lien entre le traitement considéré et les autorités publiques, puisqu’il conclut à la violation de l’article 3 au cas où le requérant, malade du sida se trouvant en fin de vie, serait expulsé vers Saint-Kitts.
Dans l’affaire D. c/Royaume-Uni, la CEDH a relevé ce qui suit :
…la Cour a constamment répété, dans ses précédents arrêts portant sur l’extradition, l’expulsion ou le refoulement de personnes vers des pays tiers, que l’article 3 prohibe en termes absolus la torture ou les peines ou traitements inhumains ou dégradants et que ses garanties s’appliquent même si cette personne s’est livrée à des agissements répréhensibles … Il est vrai que ce principe a jusqu'à présent été appliqué par la Cour dans des affaires où le risque que la personne soit soumise à l'un quelconque des traitements interdits découlait d'actes intentionnels des autorités publiques du pays de destination ou de ceux d'organismes indépendants de l'Etat contre lesquels les autorités n'étaient pas en mesure de lui offrir une protection appropriée (voir, par exemple, l'arrêt Ahmed précité, p. 2207, par. 44).
Hormis ces cas de figure et compte tenu de l'importance fondamentale de l'article 3 (art. 3) dans le système de la Convention, la Cour doit se réserver une souplesse suffisante pour traiter de l'application de cet article (art. 3) dans les autres situations susceptibles de se présenter. Il ne lui est donc pas interdit d'examiner le grief d'un requérant au titre de l'article 3 (art. 3) lorsque le risque que celui-ci subisse des traitements interdits dans le pays de destination provient de facteurs qui ne peuvent engager, directement ou non, la responsabilité des autorités publiques de ce pays ou qui, pris isolément, n'enfreignent pas par eux-mêmes les normes de cet article (art. 3). Restreindre ainsi le champ d'application de l'article 3 (art. 3) reviendrait à en atténuer le caractère absolu. Cependant, dans ce type de contexte, la Cour doit soumettre à un examen rigoureux toutes les circonstances de l'affaire, notamment la situation personnelle du requérant dans l'Etat qui expulse.
Cela étant, la Cour recherchera s'il existe un risque réel que l'expulsion du requérant soit contraire aux règles de l'article 3 (art. 3) compte tenu de l'état de santé de D. à l'heure actuelle. Pour cela, la Cour évaluera ce risque à la lumière des éléments dont elle dispose au moment où elle examine l'affaire, et notamment des informations les plus récentes sur la santé du requérant (voir l'arrêt Ahmed précité, p. 2207, par. 43)2.
Enfin la CEDH a retenu que :
« Cela étant, la Cour souligne que les non-nationaux qui ont purgé leur peine d'emprisonnement et sont sous le coup d'un arrêté d'expulsion ne peuvent en principe revendiquer le droit de rester sur le territoire d'un Etat contractant afin de continuer à bénéficier de l'assistance médicale, sociale ou autre, assurée durant leur séjour en prison par l'Etat qui expulse.
Cependant, compte tenu des circonstances très exceptionnelles de l'affaire et des considérations humanitaires impérieuses qui sont en jeu, force est de conclure que la mise à exécution de la décision d'expulser le requérant emporterait violation de l'article 3 (art. 3) ».3 La même solution n’a pas été adoptée dans deux affaires récentes, comme l’attestent les arrêts Bensaid c/Royaume-Uni du 6 février 2001, qui regardent comme hypothétique le risque couru par le requérant, schizophrène traité dans l’Etat défendeur, dès lors que le traitement serait possible en Algérie, en dépit de plus grandes difficultés à en bénéficier et Aoulmi c/ France du 17 janvier 2006 qui estime que les difficultés que pourrait éprouver le requérant pour le traitement de son hépatite en Algérie ne sauraient permettre d’atteindre le seuil de gravité que requiert l’application de l’article 34.
Les arguments des demandeurs quant à leur état de santé peuvent dès lors être analysés dans le cadre d’une décision d’éloignement, de sorte qu’il y a lieu d’apprécier si le renvoi dans leur pays expose Monsieur et Madame …-… à des risques de traitements inhumains et dégradants contraires à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Il n’en reste pas moins que dans ce type d’affaires, la CEDH soumet à un examen rigoureux toutes les circonstances de l’affaire, notamment la situation personnelle du requérant dans l’Etat qui est en train de mettre en œuvre la mesure d’éloignement. La CEDH 2 Affaire D. c/Royaume-Uni du 2 mai 1997, § 47, 49 et 50 3 Affaire D. c/Royaume-Uni du 2 mai 1997, § 54 4 Cf. Jcl Europe Vol. 7, Fasc. 6520et la portée de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, Collection Rencontres européennes, Bruylant 2006, p. 143 recherche donc s’il existait un risque réel que le renvoi du requérant soit contraire aux règles de l’article 3 compte tenu de son état de santé. Pour cela, la Cour évalue ce risque notamment à la lumière des éléments dont elle dispose au moment où elle examine l’affaire et des informations les plus récentes sur la santé du requérant.
Le tribunal procède donc à la même analyse de l’affaire sous examen.
Il résulte de différents certificats médicaux versés relatifs à l’état de santé de Monsieur … qu’il a subi une implantation le 7 octobre 2003 d’une prothèse totale de la hanche droite, qu’il a été opéré le 5 août 2005 en réalisant l’exérèse d’une tumeur bénigne au niveau de la paroi abdominale, qu’il a un conflit musculaire-tendineux au niveau du coude et de l’épaule gauche, qu’il a des douleurs abdominales récurrentes liées à une pathologie anatomo-
fonctionnelle ainsi qu’un trouble de la sensibilité du bras et avant bras gauche.
Il résulte de différents certificats médicaux versés relatifs à l’état de santé de Madame … qu’elle souffre d’une HTA (hypertension artérielle) avec des répercussions ventriculaires gauche qui nécessite un traitement et une surveillance régulière et d’une Chondropathie fémoro-tibiale sévère au niveau du genou droit qui nécessitera probablement une intervention chirurgicale.
Les demandeurs n’ont aucunement établi que Monsieur … et Madame … ne peuvent pas se procurer les médicaments et traitements dont ils ont besoin en Macédoine. Le fait que leur situation en Macédoine serait moins favorable que celle dont ils jouissent au Luxembourg n’est pas déterminant du point de vue de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme5. De même leur état de santé ne revêt pas un état de gravité important.
Au vu de ce qui précède et compte tenu toutefois du seuil élevé fixé par l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, notamment lorsque l’affaire n’engage pas la responsabilité directe de l’Etat contractant à raison du tort causé6, le tribunal n’estime pas qu’il existe un risque suffisamment réel pour que le renvoi du demandeur au Nigeria soit dans ces circonstances incompatible avec l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. Ne sont surtout pas présentes ici les circonstances très exceptionnelles et les considérations humanitaires impérieuses de l’affaire de la CEDH D. c/ Royaume-Uni du 2 mai 1997.
Au vu de ce qui précède, le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours en réformation contre la décision ministérielle portant refus d’une protection internationale ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
5 Cf Arrêt Aoulmi c/France § 57 et arrêt Bensaid c/ Royaume-Uni § 38 6 Cf Arrêt Aoulmi c/France § 59 et arrêt Bensaid c/ Royaume-Uni § 40 reçoit en la forme le recours en annulation contre la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute, donne acte aux demandeurs qu’ils bénéficient de l’assistance judicaire ;
condamne les demandeurs aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 10 décembre 2007 par :
M. Lenert, président, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.
s. Schmit s. Lenert 12