Tribunal administratif Numéro 23221 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 juillet 2007 Audience publique du 10 décembre 2007
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Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de police des étrangers
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 23221 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 juillet 2007 par Maître Adrian SEDLO, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le .. à Lomé (Togo), de nationalité togolaise, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 7 juin 2007 refusant de faire droit à sa demande tendant à se voir délivrer une autorisation de séjour, sinon un statut de tolérance ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 24 août 2007 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 21 septembre 2007 par Maître Adrian SEDLO pour compte du demandeur ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Cécilia COUSQUER, en remplacement de Maître Adrian SEDLO, et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.
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Le 27 mai 2004, Monsieur … formula une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés qui a été rejetée par une décision du 3 juillet 2006 du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après dénommé le « ministre », du 3 juillet 2006. Le recours contentieux dirigé contre la décision ministérielle précitée fut définitivement rejeté par un arrêt de la Cour administrative du 19 avril 2007 (n° 22427C du rôle).
Par courrier de son mandataire du 15 mai 2007, Monsieur … fit introduire auprès du ministre une demande en obtention d’une autorisation de séjour pour raisons humanitaires et, en ordre subsidiaire, en obtention d’un statut de tolérance sur base de l’article 22 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection. Par courrier du 21 mai 2007, Monsieur … compléta sa demande en soumettant une nouvelle pièce au ministre.
Par décision du 7 juin 2007, le ministre refusa de faire droit à la demande d’une autorisation de séjour au motif que Monsieur … ne disposerait pas de moyens d’existence personnels suffisants conformément à l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers, 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, et que l’intéressé ne ferait pas non plus état de raisons humanitaires valables justifiant une autorisation de séjour au Luxembourg. Il rejeta également la demande en obtention d’un statut de tolérance, formulée à titre subsidiaire, au motif qu’il n’existerait pas de preuves que l’exécution matérielle de l’éloignement de Monsieur … serait impossible en raison de circonstances de fait.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 18 juillet 2007, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 7 juin 2007.
Aucun recours au fond n’étant prévu en matière d’octroi d’une autorisation de séjour sur base de l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972, ni en matière de refus d’un statut de tolérance sur base de l’article 22 de la loi précitée du 5 mai 2006, le tribunal n’est pas compétent pour connaître du recours principal tendant à la réformation de la décision déférée.
Le recours subsidiaire en annulation est recevable pour avoir être été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, le demandeur soutient tout d’abord en ce qui concerne le motif du défaut de moyens d’existence personnels, qu’il pourrait compter sur des amis installés au Luxembourg pour l’aider financièrement et notamment sur sa compagne, Mme …, de nationalité portugaise, qui vivrait au pays depuis 16 ans et qui aurait signé le 12 juillet 2006 une déclaration de prise en charge en sa faveur, de sorte qu’il ne serait pas une charge pour l’Etat luxembourgeois. Il reproche dans ce contexte à l’administration de ne pas avoir pris en considération cette déclaration de prise en charge qui aurait pourtant été annexée à sa demande. Il précise encore que depuis le mois de juillet 2006, il vivrait chez sa compagne avec laquelle il entretiendrait une relation sentimentale depuis novembre 2005 et qu’ils envisageraient de se marier prochainement. Il ajoute qu’il aurait toujours été bon élève et qu’il aurait travaillé comme mécanicien durant 18 mois à Lomé avant de se mettre à son compte comme « moto-taxi », ce qui démontrerait sa volonté de ne pas vivre à la charge des autres, et qu’il souhaiterait homologuer son diplôme de mécanicien pour pouvoir travailler au Luxembourg.
En ce qui concerne le reproche du ministre qu’il ne ferait pas valoir de raisons humanitaires, le demandeur expose qu’il aurait dû quitter son pays d’origine, le Togo, en raison de ses activités au sein du parti politique d’opposition UFC (Union des Forces de Changement), et notamment en raison de la distribution de tracts, ce qui lui aurait valu d’être arrêté et incarcéré arbitrairement par les militaires du parti au pouvoir dans son pays. Il soutient que le gouvernement togolais l’accuserait en outre d’avoir participé aux violentes manifestations ayant eu lieu en avril 2004 sur le campus de Bénin et qui auraient opposé les étudiants à l’armée. Ce serait également en raison de son activisme en faveur de l’UFC qu’il aurait été convoqué à trois reprises par la gendarmerie nationale togolaise qui aurait alors arrêté son père à sa place, de sorte qu’il aurait été contraint de quitter son pays. Il insiste encore, en se référant à des rapports d’organisations internationales, sur la situation générale prévalant actuellement au Togo et notamment sur la situation des droits de l’homme, qu’il courrait des risques pour sa sécurité en cas de retour dans son pays d’origine du fait de ses opinions politiques.
En ordre subsidiaire, concernant le refus du ministre de lui octroyer un statut de tolérance, le demandeur fait encore valoir que les risques réels et actuels de faire l’objet de persécutions du fait de ses opinions politiques en cas de retour dans son pays d’origine constitueraient manifestement des circonstances de fait qui empêcheraient l’exécution matérielle de son éloignement et partant un statut de tolérance devrait lui être reconnu.
Le délégué du gouvernement rétorque que le demandeur ne disposerait d’aucun revenu personnel le mettant notamment en mesure de supporter lui-même ses frais de séjour au pays et qu’il ne disposerait pas du visa requis, de sorte que la décision du ministre serait valablement justifiée sur base de l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972. Il ajoute que le fait que le demandeur serait pris en charge par sa compagne et qu’il pourrait compter sur l’aide de ses amis serait sans pertinence dans la mesure où il ne disposerait pas d’un permis de travail lui permettant de se procurer des moyens d’existence. Il précise en ce qui concerne l’affirmation du demandeur qu’il serait logé par sa compagne que celle-ci serait mariée. Quant aux raisons humanitaires avancées par le demandeur, le représentant étatique fait valoir que tous les moyens développés au sujet du Togo auraient déjà été toisés dans le cadre de la procédure d’asile, l’autorité de la chose jugée s’opposant à leur prise en considération.
Il soutient en outre qu’une décision du ministre d’octroyer une autorisation de séjour pour raisons humanitaires constituerait une décision de pure opportunité qui devrait échapper au contrôle de légalité à effectuer par les juridictions administratives dans le cadre d’un recours en annulation. Pour le surplus, il fait valoir que si les raisons humanitaires invoquées par le demandeur étaient retenues comme étant justifiées par le tribunal, celui-ci ne pourrait en tout état de cause pas annuler une décision qui serait par ailleurs légalement motivée.
Enfin, quant à la demande de Monsieur … tendant à se voir délivrer un statut de tolérance, le délégué du gouvernement rappelle que le concept de la tolérance serait étranger à toute notion de protection internationale et viserait uniquement le cas des demandeurs d’asile définitivement déboutés dont le rapatriement ne pourrait pas avoir lieu pour des raisons purement matérielles. Or, le demandeur n’aurait avancé aucune raison matérielle qui l’empêcherait de regagner son pays d’origine.
Dans son mémoire en réplique, le demandeur critique le délégué du gouvernement d’avoir fait référence à une jurisprudence selon laquelle l’étranger devrait être en possession d’un permis de travail pour pouvoir justifier de revenus personnels suffisants, alors que l’étranger devrait d’abord être en possession d’une autorisation de séjour avant de se voir reconnaître un permis de travail. Il expose dans ce contexte qu’il bénéficierait d’une promesse d’embauche de la part d’un employeur luxembourgeois et que sa compagne disposerait de revenus suffisants pour subvenir aux besoins de leur couple, tout en précisant que celle-ci serait juridiquement séparée depuis le 11 juin 2001. Il s’interroge encore sur la valeur d’une déclaration de prise en charge dans la mesure où l’administration fournirait un document pré-imprimé à cette fin.
Quant aux raisons humanitaires non reconnues par le ministre, le demandeur fait encore valoir que le tribunal devrait vérifier si la motivation invoquée à la base de la décision litigieuse serait donnée en l’espèce et que même s’il avait déjà été débouté de sa demande d’asile, les faits invoqués devraient être reconnus comme raisons humanitaires justifiant la délivrance d’une autorisation de séjour, respectivement d’un statut de tolérance dans son chef.
Il fait ensuite valoir que sa compagne serait enceinte de lui et que l’accouchement serait prévu pour le mois d’avril 2008. Il soutient ainsi qu’une autorisation de séjour devrait lui être délivrée sur base de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme afin de lui permettre de vivre ensemble au Luxembourg avec sa compagne et leur enfant à naître et d’éviter que sa compagne soit séparée de ses enfants issus d’un premier mariage. Il soutient ainsi que le refus de faire droit à sa demande d’une autorisation de séjour constituerait une ingérence injustifiée du ministre dans son droit fondamental au respect de sa vie privée et familiale.
En ce qui concerne tout d’abord le premier volet de la décision ministérielle déférée du 7 juin 2007, il échet de constater que conformément aux dispositions de l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972, « l’entrée et le séjour au Grand-Duché de Luxembourg pourront être refusés à l’étranger :
- qui est dépourvu de papiers de légitimation prescrits, et de visa si celui-ci est requis, - qui est susceptible de compromettre la sécurité, la tranquillité, l’ordre ou la santé publics, - qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ».
Il se dégage de la prédite disposition qu’une autorisation de séjour peut être refusée lorsque l’étranger ne rapporte pas la preuve de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour, abstraction faite de tous moyens et garanties éventuellement procurés par des tiers (cf. trib. adm. 17 février 1997, n° 9669 du rôle, Pas. adm. 2006, V° Etrangers, n° 168 et autres références y citées).
En l’espèce, le demandeur ne conteste pas qu’il ne dispose pas d’un permis de travail, mais fait valoir qu’il serait disposé à travailler, à condition de disposer d’un permis de travail, en faisant état de ce qu’un employeur établi à Esch-sur-Alzette serait d’accord à l’engager comme serveur dès qu’il serait régularisé.
Cet argument n’est cependant pas pertinent, étant donné qu’un étranger qui, au moment de la prise de la décision ministérielle afférente, n’est pas en possession d’un permis de travail et, partant, pas autorisé à occuper un emploi au Luxembourg et à toucher des revenus provenant de cet emploi, ne justifie pas l’existence de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour (cf. trib. adm., 28 juillet 1999, n° 10841 du rôle, Pas. adm. 2005, V° Etrangers, n° 174 et autres références y citées).
Il s’ensuit que la seule promesse d’embauche ne peut être prise en considération afin de justifier, au jour de la décision litigieuse, de l’existence de moyens personnels suffisants au sens de l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972.
Il se dégage également des développements qui précèdent que ni l’aide financière éventuellement accordée par des amis du demandeur, ni la prise en charge signée par la compagne du demandeur, Mme …, ne sauraient être prises en considération, puisque les fonds ainsi éventuellement procurés au demandeur ne sont pas à considérer comme constituant des moyens personnels au sens de l’article 2 précité.
Si le refus ministériel se trouve dès lors, en principe, justifié à suffisance de droit par le défaut de moyens d’existence personnels suffisants, il convient cependant encore d’examiner le moyen d’annulation soulevé par le demandeur et tiré des raisons humanitaires invoquées par lui.
En ce qui concerne les raisons, qualifiées d’humanitaires, avancées par le demandeur aux fins de justifier l’obtention de l’autorisation de séjour sollicitée, il convient de rappeler que si le contrôle juridictionnel propre à un recours en annulation ne saurait en principe aboutir à priver l’autorité administrative de son pouvoir d’appréciation, il n’en reste pas moins que, confronté à une décision relevant d’un pouvoir d’appréciation étendu, le juge administratif, saisi d’un recours en annulation, est appelé à vérifier, d’après les pièces et éléments du dossier administratif, si les faits sur lesquels s’est fondée l’administration, sont matériellement établis à l’exclusion de tout doute et s’ils sont de nature à justifier la décision, de même qu’il peut examiner si la mesure prise n’est pas manifestement disproportionnée par rapport aux faits établis, en ce sens que cette disproportion laisse entrevoir un usage excessif du pouvoir par l’autorité qui a pris la décision, voire un détournement du même pouvoir par cette autorité (cf. trib. adm. 12 février 2003, n° 15238 du rôle, confirmé par Cour adm. 4 novembre 2003, n° 16173C du rôle, Pas. adm. 2006, V° Recours en annulation, n° 17).
L’article 14, alinéa dernier de la loi précitée du 28 mars 1972 dispose que « l’étranger ne peut être expulsé, ni éloigné à destination d’un pays s’il établit que sa vie ou sa liberté y sont gravement menacées ou qu’il y est exposé à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ou à des traitements au sens des articles 1er et 3 de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ».
S’il est vrai que cette disposition ne vise expressis verbis que des mesures d’expulsion ou d’éloignement pour les interdire dans les hypothèses y visées, il n’en reste pas moins que le ministre, lorsqu’il est confronté à une demande d’autorisation de séjour de la part d’un étranger qui se prévaut valablement de menaces pour sa vie ou d’un risque d’être exposé à des traitements visés par cette disposition dans son pays d’origine et qui ne saurait partant faire l’objet d’une mesure de rapatriement, commettrait un excès de pouvoir en usant de la marge d’appréciation lui conférée par l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972, même dans l’hypothèse où un motif de refus y prévu se trouve vérifié, de manière à refuser à cette personne une autorisation de séjour et à la laisser, nonobstant son droit à ne pas être expulsé ou éloigné par les autorités luxembourgeoises vers son pays d’origine, dans une situation de séjour irrégulier.
En l’espèce, le demandeur invoque la situation prévalant actuellement au Togo et les risques qu’il courrait pour sa sécurité en cas de retour au Togo du fait de ses activités politiques.
Il convient de relever que les craintes de persécutions invoquées par le demandeur ont déjà fait l’objet d’une analyse par les juridictions administratives dans le cadre de la demande d’asile introduite par le demandeur, étant rappelé que la demande d’asile a été définitivement rejetée par l’arrêt de la Cour administrative précité du 19 avril 2007, qui a retenu que le demandeur était resté en défaut de démontrer concrètement et de façon crédible l’existence d’un risque de persécution au sens de la Convention de Genève et qui a confirmé les premiers juges en ce qu’ils ont retenu que le demandeur n’était pas fondé à se prévaloir du statut conféré par la protection subsidiaire, de sorte qu’en l’absence d’éléments nouveaux apportés par lui, il n’y a plus lieu d’y revenir dans le cadre de la présente instance conformément au principe de l’autorité de chose jugée.
Il échet encore de relever que le demandeur reste en défaut de démontrer à suffisance de droit qu’un retour dans son pays d’origine risque de l’y exposer à l’une des menaces telles que prévues par l’article 14, alinéa dernier de la loi précitée du 28 mars 1972 ou à des traitements inhumains ou dégradants au sens de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme ou à des traitements au sens des articles 1er et 3 de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
Il suit de ce qui précède qu’une violation des articles 14, alinéa dernier, de la loi précitée du 28 mars 1972 et 3 de la Convention européenne des droits de l’homme ne peut être retenue en l’espèce.
Il convient encore d’examiner le moyen d’annulation soulevé par le demandeur, tiré d’une violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, laquelle disposition est de nature à tenir en échec les dispositions légales et réglementaires nationales applicables en matière de droit des étrangers.
L’article 8 de ladite Convention dispose que :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (…).
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».
S’il est de principe, en droit international, que les Etats ont le pouvoir souverain de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers, il n’en reste pas moins que les Etats qui ont ratifié la Convention européenne des droits de l’homme ont accepté de limiter le libre exercice de cette prérogative dans la mesure des dispositions de la Convention.
La garantie du respect de la vie familiale comporte toutefois des limites. En premier lieu, elle ne comporte pas le droit de mener une vie familiale dans le pays de son choix, de sorte qu’on ne saurait obliger un Etat à laisser accéder un étranger sur son territoire pour y créer des liens familiaux nouveaux. En second lieu, elle ne s’applique qu’à une vie familiale effective, c’est-à -dire caractérisée par des relations réelles et suffisamment étroites parmi ses membres, et existante, voire préexistante à l’entrée sur le territoire national.
En effet, l’article 8 précité garantit non seulement le respect de la vie familiale préexistante avant l’entrée sur le territoire luxembourgeois, mais également la vie familiale créée au Luxembourg à partir du moment où elle a un caractère effectif et a perduré pendant une période prolongée au cours de laquelle les deux personnes formant un couple, ainsi que les enfants auxquels ils ont pu donner naissance, ont vécu une relation réelle et suffisamment étroite permettant de conclure à une vie familiale effective devant bénéficier de la protection prévue par l’article 8 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme.
La notion de vie familiale au sens de l’article 8 précité étant susceptible de couvrir le cas des couples non mariés, de sorte à couvrir, le cas échéant, également la situation familiale de M. … et de sa compagne, il y a partant lieu de vérifier si le demandeur peut se prévaloir d’une vie familiale effective, caractérisée par des relations réelles et suffisamment étroites, ainsi que de vérifier, dans l’affirmative, si la décision de refus de délivrance d’une autorisation de séjour a porté une atteinte injustifiée à cette vie familiale devant, le cas échéant, emporter son annulation pour cause de violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.
En l’espèce, le demandeur, qui est arrivé au Luxembourg en mai 2004 en tant que demandeur d’asile, affirme entretenir une relation sentimentale avec Madame … depuis le mois de novembre 2005 et vivre avec elle depuis le mois de juillet 2006.
A partir des éléments et pièces présentés en cause par le demandeur, le tribunal est amené à admettre qu’une vie familiale effective a commencé à s’établir sur le territoire luxembourgeois dans un passé récent et plus particulièrement à partir de 2006. Il échet encore de constater que Monsieur … et sa compagne, lorsqu’ils ont noué leur relation amoureuse ont nécessairement dû être au courant de la précarité de la situation de Monsieur …, admis à séjourner sur le territoire luxembourgeois en tant que demandeur d’asile.
Force est partant de constater que si la décision déférée porte certes atteinte à la vie privée et familiale du demandeur en ce sens qu’il n’est pas en mesure d’exercer son droit à une vie privée et familiale au Luxembourg, cette atteinte ne saurait pas pour autant être qualifiée d’excessive en l’espèce.
En effet, dans le cadre du contrôle de proportionnalité à effectuer dans ce contexte, il importe de relever que l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme ne confère pas directement aux étrangers un droit de séjour dans un pays précis et que le demandeur, lorsqu’il a noué sa relation amoureuse, n’était pas sans ignorer la précarité de sa situation en tant qu’étranger demandeur d’asile. S’il est en effet certes constant qu’un étranger en situation irrégulière demeurant sur le territoire luxembourgeois peut alléguer qu’une mesure de refus d’une autorisation de séjour au pays constitue une ingérence dans sa vie privée et familiale, il importe néanmoins de relever que le caractère précaire de sa présence sur le territoire n’est pas sans pertinence dans l’analyse de la conformité de la mesure restrictive avec notamment la condition de proportionnalité inscrite au second paragraphe de l’article 8 de ladite Convention. La Cour européenne des droits de l’homme n’accorde en effet qu’une faible importance aux événements de la vie d’immigrants qui se produisent durant une période pendant laquelle leur présence sur le territoire est contraire à la loi nationale, voire couverte par un statut de séjour précaire (Revue trimestrielle des droits de l’homme (60/2004), p. 926).
En l’espèce, compte tenu du caractère somme toute très récent de la relation entre M. … et Mme …, ainsi que du fait que M. … a séjourné et séjourne encore illégalement au pays, un non-respect du principe de proportionnalité entre la décision déférée dans le chef de M. … et la situation familiale de ce dernier ne peut être déduit des éléments de fait soumis au tribunal.
Cette conclusion n’est pas énervée par l’argument du demandeur soulevé dans le cadre de son mémoire en réplique tenant au fait que sa compagne serait enceinte de lui. En effet, il convient de rappeler que dans le cadre du recours en annulation l’analyse du tribunal ne saurait se rapporter qu’à la situation de fait et de droit telle qu’elle s’est présentée au moment de la prise de la décision déférée, le juge de l’annulation ne pouvant faire porter son analyse ni à la date où le juge statue, ni à une date postérieure au jour où la décision déférée a été prise, de sorte que l’élément nouveau relatif à la grossesse de la compagne du demandeur ne saurait être utilement retenu en l’espèce, étant donné qu’on ne saurait reprocher au ministre de ne pas avoir pris cet élément en considération, alors qu’il est postérieur à la prise de la décision du ministre en question.
Par voie de conséquence, le moyen du demandeur tiré du caractère disproportionné de la décision litigieuse et du non-respect de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme laisse d’être fondé.
Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de déclarer le recours non fondé quant au premier volet de la décision sous analyse portant sur le refus de délivrer une autorisation de séjour pour raisons humanitaires au demandeur.
Concernant le deuxième volet de la décision litigieuse, portant refus de délivrer au demandeur un statut de tolérance, contre lequel le recours a également été introduit, il échet tout d’abord de rappeler qu’aux termes de l’article 22 (1) de la loi précitée du 5 mai 2006 « si le statut de réfugié est refusé au titre des articles 19 et 20 qui précèdent, le demandeur sera éloigné du territoire », tandis que l’article 22 (2) dispose que « si l’exécution matérielle de l’éloignement s’avère impossible en raison de circonstances de fait, le ministre peut décider de tolérer l’intéressé provisoirement sur le territoire jusqu’au moment où ces circonstances de fait auront cessé ».
Il se dégage du libellé de la disposition légale précitée que la faculté pour le ministre de tolérer provisoirement l’intéressé sur le territoire n’est susceptible d’être exercée que dans l’hypothèse spécifique où l’exécution matérielle de l’éloignement s’avère impossible en raison de circonstances de fait, de sorte que le ministre est tenu de vérifier au préalable si cette condition d’application est vérifiée dans le chef d’un demandeur en obtention d’un statut de tolérance.
Le demandeur entend en l’espèce se prévaloir en substance des mêmes faits que ceux soumis au ministre dans le cadre de sa demande tendant à se voir délivrer une autorisation de séjour pour raisons humanitaires, qui rendraient un retour dans son pays d’origine du fait de ses activités politiques impossible.
Force est cependant de constater que le demandeur n’a pas fait état d’un quelconque obstacle qui rendrait l’exécution matérielle de son éloignement du territoire impossible, les arguments avancés en cause ayant trait à la situation politique et sécuritaire prévalant actuellement au Togo et à un sentiment général de peur dans le chef du demandeur, lesquels ne sauraient constituer un élément de nature à établir que son retour dans son pays d’origine se heurterait à une impossibilité d’exécution matérielle justifiant l’octroi du statut de tolérance dans son chef.
En ce qui concerne encore l’argumentation du demandeur que la présence requise aux côtés de sa compagne durant sa grossesse constituerait une circonstance de fait qui empêcherait l’exécution matérielle de son éloignement, il échet de constater qu’une telle circonstance de fait n’est pas de nature à établir une impossibilité d’exécution matérielle justifiant l’octroi du statut de tolérance dans son chef.
Il s’ensuit que le recours en annulation, dans la mesure où il est dirigé contre ce deuxième volet de la décision sous analyse, est également à rejeter comme étant non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond, le dit non justifié, partant en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
M. Schroeder, premier juge, M. Spielmann, premier juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 10 décembre 2007 par le premier juge Schroeder, en présence de M. Legille, greffier.
Legille Schroeder 10