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10/12/2007 | LUXEMBOURG | N°23160

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 décembre 2007, 23160


Tribunal administratif Numéro 23160 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 4 juillet 2007 Audience publique du 10 décembre 2007 Recours formé par Madame …, épouse …, … et la société X. S.A., … contre une décision du ministre de la Justice en matière d’activités privées de gardiennage et de surveillance

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 23160 du rôle et déposée le 4 juillet 2007 au greffe du tribunal administratif par Maître Michel MOLITOR, a

vocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, épo...

Tribunal administratif Numéro 23160 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 4 juillet 2007 Audience publique du 10 décembre 2007 Recours formé par Madame …, épouse …, … et la société X. S.A., … contre une décision du ministre de la Justice en matière d’activités privées de gardiennage et de surveillance

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 23160 du rôle et déposée le 4 juillet 2007 au greffe du tribunal administratif par Maître Michel MOLITOR, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, épouse …, employée privée, demeurant à L-…, et de la société X. S.A., établie et ayant son siège social à L-…, inscrite au RCS de Luxembourg sous le numéro B 9546, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 4 avril 2007 refusant d’approuver l’engagement de Madame … en tant qu’agent de sécurité auprès de la société X. S.A. ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 8 août 2007 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 11 octobre 2007 par Maître Michel MOLITOR pour compte de Madame … et de la société X.

SECURTIY SERVICES S.A. ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Nadine CAMBONIE, en remplacement de Maître Michel MOLITOR, et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline GUILLOU-JACQUES en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 1er mars 2007, la société X. S.A., ci-après dénommée « la société X. », sollicita auprès du ministère de la Justice l’agrément de Madame … en tant qu’agent de sécurité, conformément à l’article 8 de la loi du 12 novembre 2002 relative aux activités privées de gardiennage et de surveillance, ci-après « la loi de 2002 ».

Suivant courrier recommandé du 4 avril 2007, le ministre de la Justice, ci-après dénommé « le ministre », s’adressa à Madame … en les termes suivants :

« Madame, J’ai l’honneur de me référer au courrier du 1er mars 2007 par lequel la société X. S.A. a sollicité l’autorisation de Monsieur le ministre de la Justice en vue de votre engagement comme agent de sécurité.

Or, il résulte de l’enquête menée à ce sujet que vous avez fait l’objet de la condamnation prononcée par la Cour d’appel de Luxembourg le 12 juillet 2006 du chef de vol d’usage.

Cette condamnation s’oppose à la délivrance de l’agrément ministériel sollicité, alors qu’elle témoigne d’un comportement irrespectueux envers la loi, incompatible avec la mission qui consiste à protéger les biens d’autrui.

Par conséquent, l’autorisation prévue par l’article 8 de la loi du 12 novembre 2002 relative aux activités privées de gardiennage et de surveillance est refusée ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 4 juillet 2007, Madame … et la société X. ont fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision prévisée du ministre du 4 avril 2007.

Aucun recours au fond n’étant prévu en la présente matière, le tribunal n’est pas compétent pour connaître du recours principal en réformation. Le recours subsidiaire en annulation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de leur recours, les parties demanderesses concluent en premier lieu à une violation de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, au motif que la décision critiquée ne serait pas suffisamment motivée, étant donné qu’elle ne préciserait nullement sur quels motifs énumérés à l’article 8 de la loi de 2002 le refus d’agrément aurait été pris.

C’est cependant à juste titre que le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce moyen, étant donné que la décision critiquée indique clairement les motifs tant en droit qu’en fait sur lesquels le ministre s’est basé pour justifier sa décision.

En effet, le ministre, en se référant à l’article 8 de la loi de 2002, fait état de la condamnation prononcée à l’encontre de Madame … par arrêt de la Cour d’appel de Luxembourg du 12 juillet 2006 du chef de vol d’usage, tout en déduisant de cette condamnation un comportement irrespectueux envers la loi incompatible avec la mission qui consiste à protéger les biens d’autrui.

Il s’ensuit que le moyen tiré d’un défaut de motivation de la décision critiquée est à rejeter pour ne pas être fondé.

Quant au fond, les parties demanderesses soutiennent que, s’il est exact que Madame … a été condamnée par arrêt de la Cour d’appel de Luxembourg en date du 12 juillet 2006 à une peine d’emprisonnement de 3 mois avec sursis et à une amende de 1.500.- € du chef de vol d’usage, les faits à la base de cette condamnation ne justifieraient pas le refus d’approbation de l’engagement de Madame … en tant qu’agent de sécurité. Dans ce contexte, elles relèvent que Madame … aurait toujours eu l’intention de restituer le véhicule soustrait auprès de son ex-

employeur au plus tard à la fin du préavis, qu’en réalité elle avait déjà restitué ledit véhicule avant la fin de son préavis et que l’affaire à la base de la condamnation pénale se serait déroulée dans un contexte particulier, à savoir, les suites d’un changement de direction auprès de son ex-

employeur après une restructuration avec une nouvelle direction qui aurait tout mis en œuvre pour évincer le personnel existant.

Les parties demanderesses soulignent encore que la peine prononcée par l’arrêt du 12 juillet 2006 serait peu importante et que la Cour d’appel n’aurait pas constaté un préjudice pour la partie civile. Finalement, elles insistent sur la considération que les faits reprochés à Madame … remontent à l’année 2003 et qu’eu égard au temps écoulé entre les faits et la décision critiquée et au curriculum vitae de Madame …, ladite décision ne se justifierait pas, de sorte qu’elle devrait encourir l’annulation pour erreur manifeste d’appréciation.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement estime que toute l’argumentation en relation avec le changement de direction auprès de l’ex-employeur de Madame … ne serait pas pertinente et qu’une employée qui se servirait dans le parc de véhicules de son employeur ne serait certainement pas une candidate appropriée pour un poste d’agent de sécurité. Pour le surplus, le représentant étatique est d’avis que même si la Cour d’appel a considéré les bons antécédents judiciaires de Madame … lors de la fixation du taux de la peine, ladite peine ne constituerait cependant pas un argument suffisant pour conclure à une erreur manifeste d’appréciation dans le chef du ministre au moment du refus d’agrément.

En relation avec les faits ayant donné lieu à la condamnation pénale, le représentant étatique conteste qu’il s’agirait de faits trop éloignés dans le temps, étant donné qu’en matière de surveillance et de gardiennage, l’autorité responsable devrait pouvoir prendre en considération des faits pénaux remontant à au moins 5 années, voire plus, en fonction de leur gravité.

Concernant le caractère soi-disant isolé des faits, le délégué du gouvernement relève que le vol d’usage dont Madame … s’est rendue coupable s’est étalé sur une période allant de novembre 2001 à mars 2003, ce qui témoignerait un certain sang-froid dans le chef de celle-ci.

Finalement, le représentant étatique souligne qu’un emploi au sein d’une société de gardiennage ne serait pas un emploi comme d’autres, mais un emploi visant des activités pour lesquelles une absence d’antécédents judiciaires en matière pénale serait de rigueur. Partant, en présence des éléments du dossier, ce serait à juste titre que le ministre aurait estimé que la délivrance de l’agrément au profit de Madame … n’aurait pas été indiquée.

Dans leur mémoire en réplique, les parties demanderesses soulignent encore que l’autorité administrative saisie aurait dû examiner les faits in concreto avant de refuser ou d’accorder l’autorisation sollicitée. Or, en se fondant uniquement sur l’avis du Parquet, tenant en deux lignes, le ministre n’aurait pas pu effectuer un pareil examen.

Les parties demanderesses insistent plus particulièrement sur la considération que la Cour d’appel, dans son arrêt du 12 juillet 2006, a retenu que Madame … aurait toujours eu l’intention de restituer le véhicule après son usage. Pour le surplus, les demanderesses soutiennent que la situation à la base de la condamnation pénale serait née soit d’une absence totale de contrôle du parc automobile par l’ex-employeur de Madame …, soit constituerait un avantage en nature attribué oralement à cette dernière, avantage que la nouvelle direction aurait souhaité remettre en cause. Partant, les parties demanderesses estiment que l’affaire relèverait plutôt du droit du travail et qu’il conviendrait de prendre en compte que les faits à la base de la condamnation pénale seraient éloignés dans le temps et resteraient isolés.

Finalement, les demanderesses précisent encore que Madame … exercera ses nouvelles fonctions dans le service des ressources humaines et qu’elle ne remplirait donc pas des fonctions directes de surveillance des biens et des personnes, de sorte qu’une autorisation en tant qu’agent de sécurité ne serait pas formellement requise, mais qu’une réglementation interne auprès de la société X. imposerait à chacun de ses salariés de solliciter pareille autorisation.

Dans le cadre d’un recours en annulation, s’il incombe au juge de vérifier les faits formant la base de la décision administrative qu’il lui est soumise et d’examiner si ces faits sont de nature à justifier la décision, examen qui peut amener le juge à vérifier également si les faits à la base de la décision sont établis et si la décision prise est proportionnelle par rapport aux faits établis, cette faculté est cependant limitée aux cas exceptionnels ou une flagrante disproportion des moyens laisse entrevoir un usage excessif du pouvoir par l’autorité qui a pris la décision, voire un détournement du même pouvoir par cette autorité. Elle ne saurait avoir pour but de priver l’autorité, qui doit assumer la responsabilité politique ou civile de la décision, de son pouvoir d’appréciation sur la nature et la gravité de la mesure qu’il lui incombe de prendre, si celle-ci est par ailleurs légale et n’est pas sujette à un recours en réformation. Il appartient à l’autorité compétente de peser en définitive la valeur des intérêts publics et privés en discussion et de prendre sa décision en conséquence en assumant à l’égard des intéressés, à l’égard des organes politiques qui ont pour mission de contrôler son activité et à l’égard de l’opinion publique, la responsabilité de cette décision, de sa sévérité ou de sa clémence (cf. Cour adm. 21 mars 2002, n° 14261 du rôle, Pas. adm. 2006, V° Recours en annulation, n° 14 et autres références y citées).

En revanche, il incombe en tout état de cause au juge de l’annulation de vérifier sur base des pièces du dossier la réalité des faits, ainsi que, le cas échéant, l’existence d’éléments concordants de nature à établir la version des faits telle que présentée par l’autorité. Dès lors que le dossier tel que soumis au tribunal ne lui permet pas de vérifier utilement si les faits retenus à la base de la décision litigieuse sont établis, le tribunal, en présence de contestations, peut se trouver privé d’éléments permettant de dégager le caractère régulier et légal de l’acte lui déféré, l’obligeant d’annuler la décision litigieuse comme ne reposant pas sur des faits dûment établis en cause (cf. trib. adm. 16 juillet 2003, n° 16053 du rôle, Pas. adm. 2006, V° Recours en annulation, n° 11).

Aux termes de l’article 8 de la loi de 2002 :

« L’engagement du personnel chargé des missions énumérées à l’article 2 de la présente loi doit être approuvé par le ministre de la Justice.

L’autorisation d’engager est refusée si :

1. l’agent est âgé de moins de 18 ans ;

2. l’agent ne remplit pas les conditions d’honorabilité nécessaires ;

3. l’agent exerce des activités jugées incompatibles avec ces missions ».

En l’espèce, la seule condition sujette à discussion concerne les conditions d’honorabilité nécessaires que le ministre n’estime pas remplies dans le chef de Madame ….

Dans ce contexte, il convient de rappeler que les conditions de moralité pouvant être légitimement posées à l’encontre d’un candidat à l’exercice d’une activité de gardiennage et de surveillance pour le compte de tiers sont mesurées par rapport aux exigences spécifiques posées dans le chef du futur agent de sécurité en raison de la nature même de la mission dont il désire être revêtu (cf. trib. adm. 18 octobre 1999, n° 11297 du rôle, Pas. adm. 2006, V° Autorisation d’établissement, n° 146 et autres références y visés).

D’après l’article 2 de la loi de 2002, les activités de gardiennage et de surveillance y visées comprennent :

« 1. la surveillance de biens mobiliers et immobiliers ;

2. la gestion de centres d’alarme ;

3. le transport de fonds ou de valeurs ;

4. la protection de personnes ».

Or, il découle de cette définition des tâches à assumer par un candidat à l’exercice d’une activité de gardiennage et de surveillance que les critères de moralité posées par l’article 8, alinéa 2, 2., prérelaté, appellent une appréciation d’autant plus stricte que le comportement du candidat par rapport à l’intégrité physique ainsi qu’à la propriété d’autrui est visée (cf. trib. adm.

15 mai 2002, n° 14532 du rôle, Pas. adm. 2006, V° Autorisation d’établissement, n° 147).

Force est de constater que Madame … a été condamnée suivant arrêt de la Cour d’appel de Luxembourg du 12 juillet 2006 du chef d’un vol d’usage à une peine d’emprisonnement de 3 mois avec sursis, ainsi qu’à une amende de 1.500.- €, de sorte qu’il convient de retenir en premier lieu que la réalité des faits à la base de la décision de refus d’agrément se trouve vérifiée en l’espèce.

En relation plus particulièrement avec le pouvoir d’appréciation du ministre, et s’il est exact que les faits à la base de la condamnation pénale prononcée à l’encontre de Madame … remontent à mars 2003, le vol d’usage, dont celle-ci s’est rendue coupable, s’est cependant étalé sur la période du 26 novembre 2001 au 11 mars 2003, soit plus de 15 mois, de sorte que le tribunal arrive à la conclusion que les faits sanctionnés par l’arrêt de la Cour d’appel du 12 juillet 2006 sont de nature à avoir permis au ministre de retenir que les conditions d’honorabilité nécessaires prévues à l’article 8, alinéa 2 de la loi de 2002 ne sont pas remplies dans le chef de Madame … et que le ministre n’a partant pas commis une erreur manifeste d’appréciation des faits au moment de refuser d’approuver l’engagement sollicité.

En effet, même si la décision du ministre peut paraître sévère, il appartient au ministre de peser en définitive la valeur des intérêts publics et privés en discussion et la décision sous rubrique ne laisse pas entrevoir un usage excessif de ce pouvoir par le ministre justifiant l’annulation de ladite décision, étant rappelé qu’en l’espèce le ministre est amené à apprécier les conditions d’honorabilité d’un candidat chargé de missions de protection par rapport à l’intégrité physique et à la propriété d’autrui.

Dans ce contexte, le tribunal tient encore à relever que la précision contenue dans le mémoire en réplique des parties demanderesses comme quoi Madame … n’exercera que des fonctions dans le service des ressources humaines de la société X., et non pas des fonctions d’agent de sécurité proprement dites, est indifférente, étant donné que la réglementation interne de ladite société n’est pas susceptible d’influencer la décision du ministre qui est amené à statuer par rapport à la demande lui soumise visant incontestablement l’agrément de Madame … en tant qu’agent de sécurité.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en annulation est à déclarer non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les parties demanderesses aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Schockweiler, premier vice-président, M. Spielmann, premier juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 10 décembre 2007 par le premier vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 23160
Date de la décision : 10/12/2007

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2007-12-10;23160 ?

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