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05/12/2007 | LUXEMBOURG | N°23415

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 05 décembre 2007, 23415


Tribunal administratif N° 23415 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 septembre 2007 Audience publique du 5 décembre 2007 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 19, L.5.5.2006)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 23415 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 10 septembre 2007 par Maître Olivier LANG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né

le … (Nigeria), de nationalité nigériane, demeurant actuellement à L-…, tendant 1) à l...

Tribunal administratif N° 23415 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 septembre 2007 Audience publique du 5 décembre 2007 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 19, L.5.5.2006)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 23415 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 10 septembre 2007 par Maître Olivier LANG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Nigeria), de nationalité nigériane, demeurant actuellement à L-…, tendant 1) à la réformation d’une décision du ministre des Affaires Etrangères et de l'Immigration du 9 août 2007 lui refusant une protection internationale et plus particulièrement le statut de la protection subsidiaire et 2) à l’annulation de l'ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 novembre 2007 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Oliver LANG et Madame le délégué du Gouvernement Jacqueline JACQUES en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 19 novembre 2007.

Le 6 avril 2004, Monsieur … introduisit une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relatif au statut des réfugiés, approuvé par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant dénommé « la Convention de Genève ».

Cette demande fut refusée par une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 16 février 2006, décision confirmée le 31 mars 2006, suite à l’introduction d’un recours gracieux.

Les deux décisions ministérielles de refus furent confirmées par un jugement du tribunal administratif du 4 décembre 2006, n° 21360 du rôle et ensuite par un arrêt de la Cour administrative du 13 mars 2006, n° 22401C du rôle.

Le 13 juillet 2007, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande de protection internationale au sens de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après la loi du 5 mai 2006.

Il fut entendu le 30 juillet 2007 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 9 août 2007, notifiée par lettre recommandée expédiée le 9 août 2007, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration informa Monsieur … de ce que sa demande avait été rejetée comme étant non fondée après l’avoir évaluée par rapport aux conditions d’obtention du statut de réfugié et de celles d’obtention du statut conféré par la protection subsidiaire et lui précisa en outre que la décision valait ordre de quitter le territoire.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 10 septembre 2007, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 9 août 2007 lui refusant une protection internationale et à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision.

1. Quant au recours dirigé contre la décision portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 19, paragraphe 3 de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées, une demande en réformation a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle déférée.

Il s’ensuit que le recours en réformation introduit à titre principal est recevable dans la mesure où il est dirigé contre ce volet de la décision déférée pour avoir été par ailleurs introduit dans les formes et délai prévus par loi.

1.1. Quant au statut de réfugié Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

Les articles 31 et 32 de la loi du 5 mai 2006 précisent également le contenu de la notion de réfugié.

Quant au volet du statut de réfugié, le demandeur fait valoir qu’il avait expressément limité sa demande de protection internationale à celle visant la protection subsidiaire. Il ajoute qu’il ne conteste pas qu’il a été définitivement statué sur sa demande d’asile de sorte qu’il n’entend dès lors pas prendre position quant aux développements ministériels concernant les critères de qualification s’attachant exclusivement au « volet réfugié politique ».

C’est à bon droit que le délégué du Gouvernement relève qu’aucune disposition de la loi du 5 mai 2006 ne permet de formuler une demande de protection subsidiaire isolée et qu’un demandeur de protection internationale voit donc sa demande analysée d’abord selon les critères de qualification du statut de réfugié et ensuit, si le demandeur ne répond pas à ces critères, selon les critères du statut conféré par la protection subsidiaire.

Etant donné que le demandeur ne formule aucun reproche à l’encontre de la décision litigieuse en ce qu’elle lui a refusé le statut de réfugié, le tribunal ne saurait mettre en cause la légalité de la décision déférée considérée sous cet aspect.

1.2. Quant au statut conféré par la protection subsidiaire Monsieur … soulève d’abord que la lecture de la décision litigieuse ferait clairement ressortir que les faits par lui exposés n’auraient pas été examinés sous l’angle de la protection subsidiaire et que l’ensemble des développements porterait exclusivement sur les critères de qualification du statut de réfugié.

Force est cependant au tribunal de constater que la décision litigieuse est libellée in fine de la façon suivante :

« En outre, vous n'invoquez pas non plus des motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 37 de la loi précitée du 5 mai 2006. En effet, il ne ressort pas de votre dossier que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptible de faire l'objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.

En effet, vous ne faites pas état d'un jugement ou d'un risque de jugement vous condamnant à la peine de mort, ni de risques concrets et probables de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants en cas de retour au Nigeria.

Par ailleurs, vous ne faites pas état de risques émanant d'une violence aveugle résultant d'un conflit armé interne ou international ».

Au vu de ces précisions, il y a lieu de retenir que le reproche formulé de la part du demandeur à l’encontre de la décision du 9 août 2007 ne saurait être retenu.

Quant aux risques encourus par le demandeur Monsieur … argue que les faits relatés par lui dans le cadre de sa première demande d’asile introduite le 6 avril 2004 lesquels sont les mêmes que ceux relatés dans le cadre de sa demande de protection internationale introduite le 13 juillet 2007 révéleraient dans son chef un risque réel de subir des atteintes graves et plus précisément des tortures, traitements inhumains ou dégradants et des menaces graves et individuelles contre sa vie et sa personne en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne.

Les faits relatés par le demandeur ont été résumés à juste titre par le ministre dans la décision sous analyse de la façon suivante :

« Il ressort de votre dossier que vous avez déposé une demande d'asile le 6 avril 2004, demande qui a été rejetée comme non fondée par une décision ministérielle en date du 16 février 2006. Vous aviez invoqué à la base de cette demande d'asile que le 10 juillet 2002, un groupe de Hausas nommé Arewa People aurait lors d'un conflit, qui aurait déjà éclaté en 2000 et opposant ce groupe à l'OPC (O'odua People's Congress), mis le feu à votre maison.

Votre père et vos 2 soeurs auraient succombé dans les flammes, cependant vous auriez pu vous sauver de justesse en sautant par la fenêtre. Suite à la chute, vous auriez eu un bras et une jambe cassés. Alors, on vous aurait transporté à l'hôpital, où on vous aurait soigné pendant 7 mois. Vous expliquez que votre père aurait été membre de l'OPC, plus précisément de la faction de Gani Adams, et au souhait de votre père, vous y auriez également adhéré en 2000, sans pour autant vous considérer comme un membre à part entière. Depuis l'incident, Monsieur Alhaji, un adepte de l'OPC et ami de votre père, se serait occupé de vous et de votre mère. Lors de votre hospitalisation, Monsieur Alhaji, vous aurait raconté que les Arewa People se seraient renseignés sur vous pour vous tuer, car le gouvernement nigérien aurait lancé une enquête sur l'incident. Par conséquent, vous auriez quitté votre pays.

Il convient de rappeler dans ce contexte que vos déclarations étaient marquées de nombreuses incohérences de façon que ces dernières altéraient votre crédibilité entière. A cela s'ajoute que vous aviez déclaré de ne pas vouloir retourner dans votre pays d'origine comme vous n'y auriez plus de parents.

Le rejet de la demande a été confirmé par la Cour administrative en date du 13 mars 2007.

Le 13 juillet 2007 vous présentez une demande en obtention d'une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 et vous avez été entendu à ce sujet en date du 30 juillet 2007.

Vous invoquez à la base de cette demande que vous seriez toujours en danger au Nigeria. En premier lieu, vous invoquez que vous êtes HIV positif au « Stade A » et qu'en cas d'un retour au Nigeria, vous ne seriez plus en mesure de continuer votre traitement contre cette maladie mortelle, comme vous ne pourriez pas recevoir les soins adéquats au Nigeria.

Vous ajoutez que même si les soins adéquats seraient accessibles, vous ne pourriez pas les financer comme d'un côté le traitement serait très cher et de l'autre côté vous ne trouveriez pas de travail en raison de votre maladie. Selon votre raisonnement, un retour au Nigeria signifierait par conséquent votre mort.

En deuxième lieu, vous répétez lors de l'entretien du 30 juillet 2007, ainsi que dans une lettre, adressée au Ministre des Affaires étrangères et de l'Immigration en date du 13 juillet 2007, vos dires de votre première demande d'asile. Selon ces déclarations, votre père aurait été membre de l'OPC (O'odua People's Congress), un parti que vous auriez aussi adhéré en 2000, conformément à la coutume locale qui veut que les descendants suivent les traves du père. Après une scission des membres du parti, en un groupe de Arewa et un groupe de Yoruba, une lutte sanguinaire aurait débuté lorsque le 10 juillet 2002, des membres du groupe Arewa aurait attaqué votre quartier de résidence. Votre père et vos sœurs auraient trouvé la mort dans un incendie dans votre foyer. Cependant, vous et votre mère auriez pu vous enfuir en sautant par une fenêtre. Vous précisez encore que, suite à la chute, vous auriez eu un bras et deux jambes cassés et que vous auriez été hospitalisé pendant 7 mois. Enfin, comme les membres du groupe Arewa seraient toujours à votre recherche pour vous tuer, vous auriez décidé de quitter votre pays natal ».

Monsieur … estime qu’il court un risque réel de subir des atteintes graves en raison de son appartenance à l’ethnie YORUBA. Il expose qu’il serait plus que concevable que les AREWAS s’en prendraient à lui, étant donné qu’ils auraient déjà tué son père et ses deux sœurs et que dans l’esprit des AREWA PEOPLE il serait susceptible de reprendre les activités de son père au sein de l’O’odua People’s Congress (OPC).

En ce qui concerne le refus du ministre d’accorder au demandeur le bénéfice de la protection subsidiaire, il y a lieu de rappeler qu’aux termes de l’article 2, e) de la loi du 5 mai 2006, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire», « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37, l’article 39, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 37 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Même en faisant abstraction des incohérences soulevées par le ministre ayant trait notamment aux doutes émis quant à l’authenticité de l’acte de décès de la mère de Monsieur … versée et à l’honnêteté des témoignages produits, force est de retenir que c’est à juste titre que le ministre a retenu que le demandeur n’a pas fait état, en cas d’un retour dans son pays, d’un risque réel de se voir infliger la peine de mort ou de se faire exécuter ou encore de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants respectivement de faire l’objet de menaces graves et individuelles contre sa vie en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.

En effet le demandeur n’a avancé aucun élément pertinent et tangible de nature à établir qu’il encourait un risque réel de subir des atteintes graves en cas de retour au Nigeria, de sorte que le tribunal est amené à retenir que les craintes par lui alléguées sont trop vagues, trop peu circonstanciées et ne revêtent qu’un caractère hypothétique. A cela s’ajoute que les événements auxquels se réfère Monsieur … ont commencé en 2000 et se sont terminés en 2002, de sorte qu’il lui aurait appartenu de soumettre au tribunal des éléments qui permettent de retenir qu’il existe à l’heure actuelle, à savoir plus de 5 ans après les événements relatés, un risque réel dans son chef de subir des atteintes graves.

S’il est certes exact qu’aux termes de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 des acteurs non étatiques peuvent être des acteurs d’atteintes graves, il faut cependant qu’il puisse être démontré que l’Etat, des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire ce celui-ci, y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les atteintes graves. A ce titre Monsieur … n’a pas démontré l’existence d’un défaut de protection de la part des autorités publiques de son pays d’origine, ses allégations y afférentes permettant de dégager tout au plus un sentiment général d’insécurité, étant relevé que la mort de son père et de ses deux sœurs sont insuffisantes pour établir une incapacité actuelle et générale des autorités en place de le protéger contre les agissements éventuels des AREWA PEOPLE. Monsieur … se réfèrant encore à un rapport de HUMAN RIGHTS WATCH de février 2003 pour démonter l’incapacité des autorités en place pour fournir une protection, il y a lieu de préciser que l’extrait visé est libellé comme suit :

« By the time the violence reached its peak in the second half of 2000, hundreds of people had been killed, many by the OPC, others by other groups. Some of the most serious incidents are described below. A journalist commented : « Around 2000 was the worst period of OPC vilolence […] the police were incapable of controlling it. The OPC could shut down a whole street […] Every other week there were clashes1 »2. La référence à ce rapport permet tout au plus de mettre en évidence que la police a été incapable de contrôler les violences entre les différentes ethnies en 2000, c’est-à-dire il y a 7 ans, mais ne démontre pas l’incapacité actuelle des autorités en place d’accorder une protection contre d’éventuelles atteintes graves.

Il s’ensuit que les AREWA PEOPLE ne sauraient être considérées à l’heure actuelle comme des acteurs d’atteintes graves.

Quant à l’état de santé du demandeur En deuxième lieu, Monsieur … estime que la grave maladie dont il souffre, étant HIV positif, et l’impossibilité de traiter ladite maladie au Nigeria, constituerait un risque sérieux et avéré de croire qu’il courrait un risque réel de subir un traitement inhumain, sinon dégradant s’il devait y retourner. Il se réfère à cet égard à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CJCE) en général et plus spécialement à son arrêt D.c/Royaume-Uni du 2 mai 1997 qui reconnaîtrait formellement la qualification de traitement inhumain à la situation dans laquelle une personne est atteinte du SIDA et ne peut recevoir les soins adéquats pour freiner la maladie. Même si Monsieur … ne conteste pas la volonté politique du gouvernement nigerian de freiner l’épidémie depuis 7 ans et les moyens d’action mis en place sur le terrain grâce au soutien de nombreux intervenants, il souligne cependant que rien ne prouverait que Monsieur … puisse avoir accès aux structures et aux soins évoqués par le ministre dans la décision litigieuse. A ce titre il ajoute que le coût du traitement au Nigeria resterait élevé et représenterait pour lui une somme considérable. Il conclut qu’il n’a plus de famille au Nigeria de sorte qu’il se trouverait dans la rue, exposé aux infections opportunistes accélérant son passage au stade final de la maladie.

Le délégué du Gouvernement fait valoir que des problèmes de santé ne sauraient fonder une demande de protection internationale et qu’en outre il ne serait pas établi que Monsieur … ne puisse pas être soigné au Nigéria étant donné que l’infection VIH peut y être soignée.

L’arrêt D. c/Royaume-Uni du 2 mai 1997 invoqué par la partie demanderesse n’est pas applicable dans le cadre de l’analyse du volet de la décision sous examen ayant trait à l’octroi de la protection subsidiaire, étant donné que dans l’affaire invoquée la CJCE s’est prononcée dans le cadre d’une mesure d’éloignement, de sorte que cette affaire ne saurait être transposée telle qu’elle dans la présente matière.

Au vu de ce qui précède sous les points 1. et 2., le ministre a dès lors valablement pu, au terme de l’analyse de la situation de Monsieur … rejeter la demande de protection internationale comme non fondée au sens de l’article 19, paragraphe 1 de la loi du 5 mai 1 Human Rights Watch interwiew, Lagos, May 27, 2002 2 Human Rights Watch : The O’ODUA PEOPLE’S CONGRESS : Fighting Violence with Violence, February 2003, p. 11.

2006, de sorte que le recours est à rejeter comme étant non fondé.

2. Quant au recours dirigé contre la décision portant ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 19, paragraphe 3 de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire et que le recours a été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Aux termes de l’article 19, paragraphe 1 de la loi du 5 mai 2006, une décision négative du ministre en matière de protection internationale vaut ordre de quitter le territoire en conformité des dispositions de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère.

A titre principal, Monsieur … expose que la décision d’ordre de quitter le territoire n’existerait plus suite à la réformation de la décision portant refus d’une protection internationale.

Etant donné que le tribunal n’a pas procédé à la réformation de la décision portant refus d’une protection internationale, ce moyen n’est pas fondé.

A titre subsidiaire, Monsieur … fait valoir que la décision d’ordre de quitter le territoire violerait l’article 14 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers ainsi que l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Il est vrai qu’une mesure d’éloignement relève de la Convention européenne des droits de l’homme dans la mesure où son exécution risquait de porter atteinte au droit inscrit à l’article 3. Ce n’est donc pas la nature de la mesure d’éloignement qui pose problème de conformité à la Convention, spécialement à l’article 3, ce sont les effets de la mesure en ce qu’elle est susceptible de porter atteinte aux droits que l’article 3 garantit à toute personne.

C’est l’effectivité de la protection requise par l’article 3 qui interdit aux Etats parties à la Convention d’accomplir un acte qui aurait pour résultat direct d’exposer quelqu’un à des mauvais traitements prohibés. S’il n’existe pas, dans l’absolu, un droit à ne pas être éloigné, il existe un droit à ne pas être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants.

Donc il existe un droit à ne pas être éloigné quand une mesure aurait pour conséquence d’exposer à la torture ou à une peine ou des traitements inhumains ou dégradants.

La CEDH a ensuite étendu la protection par ricochet à des hypothèses dans lesquelles les autorités de l’Etat de destination ne sont pas elles-mêmes à l’origine du risque de mauvais traitement. L’arrêt D. c/ Royaume-Uni du 2 mai 1997 va encore plus loin dans la rupture du lien entre le traitement considéré et les autorités publiques, puisqu’il conclut à la violation de l’article 3 au cas où le requérant, malade du sida se trouvant en fin de vie, serait expulsé vers Saint-Kitts.

Dans l’affaire D. c/Royaume-Uni, la CEDH a relevé ce qui suit :

…la Cour a constamment répété, dans ses précédents arrêts portant sur l’extradition, l’expulsion ou le refoulement de personnes vers des pays tiers, que l’article 3 prohibe en termes absolus la torture ou les peines ou traitements inhumains ou dégradants et que ses garanties s’appliquent même si cette personne s’est livrée à des agissements répréhensibles … Il est vrai que ce principe a jusqu'à présent été appliqué par la Cour dans des affaires où le risque que la personne soit soumise à l'un quelconque des traitements interdits découlait d'actes intentionnels des autorités publiques du pays de destination ou de ceux d'organismes indépendants de l'Etat contre lesquels les autorités n'étaient pas en mesure de lui offrir une protection appropriée (voir, par exemple, l'arrêt Ahmed précité, p. 2207, par. 44).

Hormis ces cas de figure et compte tenu de l'importance fondamentale de l'article 3 (art. 3) dans le système de la Convention, la Cour doit se réserver une souplesse suffisante pour traiter de l'application de cet article (art. 3) dans les autres situations susceptibles de se présenter. Il ne lui est donc pas interdit d'examiner le grief d'un requérant au titre de l'article 3 (art. 3) lorsque le risque que celui-ci subisse des traitements interdits dans le pays de destination provient de facteurs qui ne peuvent engager, directement ou non, la responsabilité des autorités publiques de ce pays ou qui, pris isolément, n'enfreignent pas par eux-mêmes les normes de cet article (art. 3). Restreindre ainsi le champ d'application de l'article 3 (art. 3) reviendrait à en atténuer le caractère absolu. Cependant, dans ce type de contexte, la Cour doit soumettre à un examen rigoureux toutes les circonstances de l'affaire, notamment la situation personnelle du requérant dans l'Etat qui expulse.

Cela étant, la Cour recherchera s'il existe un risque réel que l'expulsion du requérant soit contraire aux règles de l'article 3 (art. 3) compte tenu de l'état de santé de D. à l'heure actuelle. Pour cela, la Cour évaluera ce risque à la lumière des éléments dont elle dispose au moment où elle examine l'affaire, et notamment des informations les plus récentes sur la santé du requérant (voir l'arrêt Ahmed précité, p. 2207, par. 43)3.

Enfin la CEDH a retenu que :

« Cela étant, la Cour souligne que les non-nationaux qui ont purgé leur peine d'emprisonnement et sont sous le coup d'un arrêté d'expulsion ne peuvent en principe revendiquer le droit de rester sur le territoire d'un Etat contractant afin de continuer à bénéficier de l'assistance médicale, sociale ou autre, assurée durant leur séjour en prison par l'Etat qui expulse.

Cependant, compte tenu des circonstances très exceptionnelles de l'affaire et des considérations humanitaires impérieuses qui sont en jeu, force est de conclure que la mise à exécution de la décision d'expulser le requérant emporterait violation de l'article 3 (art. 3) ».4 La même solution n’a pas été adoptée dans deux affaires récentes, comme l’attestent les arrêts Bensaid c/Royaume-Uni du 6 février 2001, qui regardent comme hypothétique le risque couru par le requérant, schizophrène traité dans l’Etat défendeur, dès lors que le traitement serait possible en Algérie, en dépit de plus grandes difficultés à en bénéficier et Aoulmi c/France du 17 janvier 2006 qui estime que les difficultés que pourrait éprouver le requérant pour le traitement de son hépatite en Algérie ne sauraient permettre d’atteindre le seuil de gravité que requiert l’application de l’article 35.

3 Affaire D. c/Royaume-Uni du 2 mai 1997, § 47, 49 et 50 4 Affaire D. c/Royaume-Uni du 2 mai 1997, § 54 5 Cf. Jcl Europe Vol. 7, Fasc. 6520et la portée de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, Collection Rencontres européennes, Bruylant 2006, p. 143 Les arguments du demandeur quant à son état de santé peuvent dès lors être analysés dans le cadre d’une décision d’éloignement, de sorte qu’il y a lieu d’apprécier si le renvoi au Nigeria expose Monsieur … à des risques de traitements inhumains et dégradants contraires à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Il n’en reste pas moins que dans ce type d’affaires, la CEDH soumet à un examen rigoureux toutes les circonstances de l’affaire, notamment la situation personnelle du requérant dans l’Etat qui est en train de mettre en œuvre la mesure d’éloignement. La CEDH recherche donc s’il existait un risque réel que le renvoi du requérant soit contraire aux règles de l’article 3 compte tenu de son état de santé. Pour cela, la Cour évalue ce risque notamment à la lumière des éléments dont elle dispose au moment où elle examine l’affaire et des informations les plus récentes sur la santé du requérant.

Le tribunal procède donc à la même analyse de l’affaire sous examen.

Un certificat médical délivré le 31 août 2007 par un médecin du service des maladies infectieuses du Centre hospitalier de Luxembourg précise ce qui suit :

« Je soussignée, Docteur XY, certifie que Monsieur … , né le …, est suivi dans notre service pour une infection HIV depuis février 2005.

Il est actuellement au stade A car il n'a pas encore présenté d’infection opportuniste mais son immunité est très altérée avec des CD4 à 170/mm3 en novembre 2006 compromettant à court terme son pronostic. Grâce au traitement antiviral nous avons constaté une ascension des CD4 à 280/mm3 en janvier 2007 puis une stabilisation à 250/mm3 en août 2007. Un chiffre de CD4 inférieur à 300/mm3 expose à un risque important d'infection opportuniste et est une indication formelle pour poursuivre un traitement antiviral.

Ce traitement antiviral n'est probablement pas disponible dans son pays d'origine et en cas de rapatriement au Nigeria le pronostic à court terme de ce patient sera donc réservé. ».

Il est dès lors établi que Monsieur … se trouve au premier stade de la maladie, laquelle est divisée en 3 stades différents A, B et C. Monsieur … poursuit un traitement antiviral.

Il ressort par ailleurs des pièces versées au dossier que le Nigeria a mis en place un plan d’action de lutte contre le SIDA6 et que le traitement anti-viral est disponible au Nigeria.

Même si une participation au frais du traitement de 8 dollars semble être demandée dans certains centres de soin7 et même si le nombre estimé de personnes nécessitant un traitement antiviral dépasse de loin celui des personnes bénéficiant d’un traitement, il n’en reste pas moins que le demandeur peut prétendre à un traitement médical au Nigeria. Le risque que le demandeur voit son état se dégrader s’il retourne au Nigeria et qu’il ne reçoive pas le traitement antiviral nécessaire, seul traitement dont il bénéficie actuellement au Luxembourg, relève dans une large mesure de la spéculation. Le fait que sa situation dans ce pays serait moins favorable que celle dont il jouit au Luxembourg n’est pas déterminant du point de vue de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme8.

6 Cf. Summary Country Profile for HIV/AIDS TREATMENT SCALE-UP, World Health Organization December 2005.

7 Cf. Border and Immigration Agency, Country of Origin Information Service, 25 may 2007 8 Cf Arrêt Aoulmi c/France § 57 et arrêt Bensaid c/ Royaume-Uni § 38 Au vu de ce qui précède le tribunal admet que Monsieur … souffre d’une maladie sérieuse. Compte tenu toutefois du seuil élevé fixé par l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, notamment lorsque l’affaire n’engage pas la responsabilité directe de l’Etat contractant à raison du tort causé9, le tribunal n’estime pas qu’il existe un risque suffisamment réel pour que le renvoi du demandeur au Nigeria soit dans ces circonstances incompatible avec l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. Ne sont surtout pas présentes ici les circonstances très exceptionnelles et les considérations humanitaires impérieuses de l’affaire D. c/ Royaume-Uni du 2 mai 1997 où D. se trouvait en phase terminale d’une maladie incurable, que depuis août 1995 le nombre de CD4 était inférieur à 10, qu’il souffrait d’anémie chronique, d’infections pulmonaires d’origine bactérienne, de malaises et d’éruptions cutanées, qu’il était très amaigri et qu’il passait par des périodes d’asthénie. En plus, on avait fait part, le jour de l’audience dans l’affaire D. c/ Royaume-Uni, d’une nette aggravation de sa santé, de son transfert à l’hôpital et de ce que son état inspirait des inquiétudes. En effet l'arrêt brutal du traitement et des médicaments sophistiqués que l'intéressé recevait au Royaume-Uni entraînerait, comme la CEDH l'a constaté, les conséquences les plus graves, hâterait sa fin et lui causerait des souffrances physiques et morales extrêmes car le traitement médical qu'il pourrait espérer recevoir à Saint-Kitts ne saurait combattre les infections qu'il risquerait de contracter du fait de l'absence de logement et de nourriture correcte et des problèmes sanitaires dans lesquels se débat la population de cette île.

Au vu de ce qui précède, le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en réformation contre la décision ministérielle portant refus d’une protection internationale ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en annulation contre la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute, donne acte à Monsieur … qu’il bénéficie de l’assistance judicaire ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 5 décembre 2007 par :

9 Cf Arrêt Aoulmi c/France § 59 et arrêt Bensaid c/ Royaume-Uni § 40 M. Ravarani, président, Mme Thomé, juge, M. Fellens, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Ravarani 11


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 23415
Date de la décision : 05/12/2007

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2007-12-05;23415 ?

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