La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

14/11/2007 | LUXEMBOURG | N°22645

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 14 novembre 2007, 22645


Tribunal administratif N° 22645 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 mars 2007 Audience publique du 14 novembre 2007 Recours formé par Monsieur et Madame …et consorts, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de police des étrangers Vu la requête inscrite sous le numéro 22645 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 mars 2007 par Maître Olivier LANG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Monténégro) et de son épous

e, Madame … , née le … (Monténégro), agissant tant en leur nom personnel qu’en l...

Tribunal administratif N° 22645 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 mars 2007 Audience publique du 14 novembre 2007 Recours formé par Monsieur et Madame …et consorts, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de police des étrangers Vu la requête inscrite sous le numéro 22645 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 mars 2007 par Maître Olivier LANG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Monténégro) et de son épouse, Madame … , née le … (Monténégro), agissant tant en leur nom personnel qu’en leur qualité de représentants légaux de leurs filles mineures …, demeurant tous ensemble à L- …, tendant à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 28 août 2006 leur refusant l’octroi d’une autorisation de séjour au Luxembourg, ainsi que d’une décision confirmative prise par le même ministre le 5 décembre 2006 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 1er juin 2007 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaqueés ;

Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Olivier LANG et Monsieur le délégué du Gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 5 novembre 2007.

Après avoir été déboutés de leur demande d’asile introduite au Luxembourg le 6 novembre 1998, les époux …ainsi que leurs deux filles … et … étaient retournés volontairement au Monténégro en novembre 2003. Ils sont retournés au Grand-Duché de Luxembourg au mois d’avril 2004, sans préjudice quant à une date plus précise, et se sont adressés au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après « le ministre », par courrier de leur mandataire du 15 janvier 2005, afin de voir régulariser leur situation par la délivrance d’une autorisation de séjour.

Cette demande ayant fait l’objet d’une décision de refus du 20 octobre 2005, confirmée sur recours gracieux le 23 janvier 2006, ils adressèrent une itérative demande d’autorisation de séjour au ministre par courrier de leur mandataire datant du 2 août 2006.

Cette demande fut rejetée par courrier du ministre du 28 août 2006 au motif que la famille …ne disposerait pas de moyens d’existence personnels suffisants conformément à l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers, 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, ci-après « la loi du 28 mars 1972 », et que les intéressés ne feraient pas non plus état de raisons humanitaires valables justifiant une autorisation de séjour au Luxembourg. Cette décision de refus fut confirmée sur recours gracieux par le ministre en date du 5 décembre 2006.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 6 mars 2007, les consorts …ont fait introduire un recours contentieux tendant à l’annulation des décisions ministérielles ci-avant visées des 28 août et 5 décembre 2006.

Le recours en annulation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de leur recours, les demandeurs font valoir que le ministre se serait livré à une appréciation inexacte des faits en retenant que les raisons humanitaires par eux invoquées seraient insuffisantes pour justifier la délivrance d’une autorisation de séjour dans leur chef. Ils font valoir que le ministre, à partir du moment où il s’est engagé dans l’analyse des raisons humanitaires invoquées, exposerait sa décision au contrôle des juridictions administratives.

Ils estiment que le tribunal aurait compétence pour sanctionner l’usage arbitraire du pouvoir d’appréciation, de sorte qu’il lui appartiendrait de sanctionner, en l’espèce, une erreur manifeste d’appréciation des faits dans le cadre de l’examen des raisons humanitaires invoquées.

Pour conclure en l’espèce à l’existence d’une erreur d’appréciation manifeste des raisons humanitaires par eux invoquées, les demandeurs insistent sur le degré d’intégration de leurs deux filles au Grand-Duché de Luxembourg.

Quant aux problèmes plus particulièrement rencontrés après leur retour au Monténégro en 2003, les demandeurs exposent que ces problèmes auraient essentiellement touché leurs filles qui sont toutes les deux nées au Luxembourg et qui ont été soudainement plongées, à l’âge respectif de 5 et 3 ans, dans un univers qui leur était totalement inconnu et dans lequel elles ont été reçues avec hostilité. Ils relèvent dans ce contexte que leurs enfants ne parlent pas la langue serbo-croate, mais bien les langues usuelles au Grand-Duché de Luxembourg et que les quelques mois passés au Monténégro auraient été très traumatisants pour leurs filles qui, malgré les efforts déployés par leurs parents, n’auraient pas réussi à s’intégrer et seraient très rapidement devenues les souffre-

douleurs des autres enfants du village dont elles ne maîtrisaient pas la langue. Elles auraient en outre été privées de scolarité pendant les quelques mois au Monténégro, étant donné qu’il n’existerait ni école ni crèche dans le village de … et que les premières structures susceptibles d’accueillir les enfants se trouveraient à 35 km de distance.

En droit, les demandeurs concluent à une violation de l’article 3 (1) de la Convention relative aux droits de l’enfant adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unis dans sa résolution 44/25 du 20 novembre 1989, entrée en vigueur le 2 septembre 1990 et ratifiée par le Luxembourg le 7 mars 1994.

Les décisions attaquées porteraient en effet atteinte au droit fondamental de leurs filles à l’éducation, ainsi qu’à leur droit de poursuivre leur vie sociale exclusivement construite au Grand-Duché de Luxembourg.

Les demandeurs concluent dans ce même contexte à une violation des dispositions de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales qui consacre le droit de toute personne au respect, notamment de sa vie privée.

Le délégué du Gouvernement fait valoir que les demandeurs se trouvent en séjour irrégulier au Luxembourg, qu’ils ne disposent pas de moyens d’existence personnels suffisants au regard de la loi du 28 mai 1972 et que les raisons humanitaires avancées à l’appui de leur demande ne seraient pas données en l’espèce.

Le ministre a analysé la demande de la famille …-…, d’un côté, dans le cadre de l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 et, d’un autre côté, par rapport aux raisons humanitaires invoquées.

L’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, dispose que « l’entrée et le séjour au Grand-Duché pourront être refusés à l’étranger : …qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ».

Etant donné qu’il n’est pas contesté en l’espèce que la famille …ne dispose pas de moyens personnels suffisants, le ministre a valablement pu fonder sa décision sur l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 en invoquant un défaut de moyens personnels suffisants dans leur chef pour leur refuser une autorisation de séjour, de sorte que la décision sous examen rentre en principe dans les prévisions légales en la matière.

L’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 énonce de façon limitative les motifs de refus d’entrée et de séjour, sans pour autant définir les conditions auxquelles l’étranger doit répondre afin de bénéficier d’une autorisation de séjour.

Il s’ensuit que le ministre peut, en procédant à l’examen d’une demande en vue de l’octroi d’une autorisation de séjour, prendre en compte l’ensemble des éléments de fait et de droit qu’il estime nécessaires à son analyse et que même dans le cas vérifié en l’espèce où l’une des conditions facultatives de refus est donnée, le ministre peut accorder le bénéfice sollicité moyennant son pouvoir discrétionnaire d’appréciation de l’opportunité de la mesure en cette matière. Si les considérations de pure opportunité d’une décision administrative échappent en principe au contrôle du juge de l’annulation, celui-ci garde néanmoins un droit et un devoir de contrôle portant sur l’existence du motif de refus concrètement invoqué. (cf. Cour adm. 12 juin 2007, n° 22626C).

Le contrôle de l’exactitude matérielle des motifs fait partie, avec la recherche de l’erreur de droit, de l’erreur manifeste d’appréciation et du détournement de pouvoir, du contrôle minimum pesant sur les actes, même sur ceux pris en vertu d’un pouvoir discrétionnaire (cf. jurisclasseur administratif, recours pour excès de pouvoir, fascicule 1152, n° 78).

En effet, même en l’absence de critères liant la compétence, un refus administratif ne peut être fondé que sur des motifs en liaison avec l’esprit de la loi et les intentions générales du législateur, étant entendu par ailleurs qu’un acte administratif, quel qu’il soit, ne peut jamais viser qu’un but d’intérêt général.

Compte tenu des circonstances spécifiques de l’espèce et du degré d’intégration particulièrement prononcé des deux enfants des demandeurs, qui depuis leur naissance, ont connu et construit une vie privée et familiale exclusivement sur le territoire luxembourgeois, l’atteinte portée par la décision déférée à leur vie est à considérer comme étant particulièrement grave.

Il s’ensuit qu’en décidant que des raisons humanitaires pour accorder l’autorisation de séjour n’existe pas en cause, le ministre a commis une erreur manifeste d’appréciation justifiant l’annulation de sa décision.

Par ces motifs ;

le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le dit justifié ;

partant annule la décision déférée et renvoie le dossier en prosécution de cause devant le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 14 novembre 2007 par :

M. Ravarani, président, Mme Lenert, vice-président, M. Fellens, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Ravarani 4


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 22645
Date de la décision : 14/11/2007

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2007-11-14;22645 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award