Tribunal administratif N° 22577 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 février 2007 Audience publique du 24 octobre 2007 Recours formé par l'Œuvre Nationale de Secours, établissement public, contre une décision du directeur des Contributions directes en matière de taxe sur le loto
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JUGEMENT
Vu la requête, inscrite sous le numéro 22577 du rôle, déposée le 22 février 2007 au greffe du tribunal administratif par Maître André ELVINGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l'Œuvre Nationale de Secours, également désignée comme Œuvre Nationale de Secours Grande-Duchesse Charlotte, établissement public créé par arrêté grand-ducal du 25 décembre 1944, représentée par son conseil d'administration actuellement en fonctions, établie et ayant son siège à L-1212 Luxembourg, 3 rue des Bains, tendant à l’annulation, sinon à la réformation d’une décision du directeur des Contributions directes du 22 décembre 2006, (référence II-3130-S2GB ), ainsi désignée, portant à sa connaissance qu’à partir du 1er janvier 2007, la Loterie Nationale serait redevable de la taxe spéciale dénommée « taxe sur le loto » sur les produits « Euro Millions » et « Zubito », ainsi que sur les autres produits de la Loterie Nationale dits « produits de grattage » et invitant la Loterie Nationale à introduire des déclarations mensuelles individuelles pour chaque produit ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 23 mai 2007 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 14 juin 2007 par Maître André ELVINGER pour compte de l'Œuvre Nationale de Secours ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître André ELVINGER et Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Marie KLEIN en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 18 octobre 2007.
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Le 22 décembre 2006, le directeur de l’administration des Contributions directes adressa à l’établissement public l'Œuvre Nationale de Secours, également désigné comme Œuvre Nationale de Secours Grande-Duchesse Charlotte, un courrier libellé comme suit :
« Je me réfère à notre entrevue en présence de Monsieur Léon LOSCH du 3 juillet 2006 et à votre courrier du 23 octobre 2006 à l’adresse de Monsieur Jean-Claude JUNCKER, dont vous m’avez fait parvenir une copie le 24 octobre 2006, concernant l’imposition des produits de la Loterie Nationale.
Ne pouvant partager votre point de vue, je suis au regret de vous informer qu’à partir du 1er janvier 2007, la Loterie Nationale sera redevable de la taxe spéciale dénommée « taxe sur le loto » sur les produits « Euro Millions » et « Zubito », selon les modalités de calcul et de prélèvement qui sont fixées par la loi du 30 juillet 1983 portant création d’une taxe sur le loto.
Il en sera de même pour les autres produits dits produits de grattage, dont la taxe sera prélevée selon les modalités identiques.
Afin de pouvoir contrôler et surveiller la fixation et la perception de ladite taxe, la Loterie Nationale devra introduire des déclarations mensuelles individuelles pour chaque produit, tant pour « Euro Millions » et « Zubito » que pour les différents autres produits de grattage vendus.
Ces déclarations sont à adresser au préposé du bureau d'imposition Sociétés 2.
(…) ».
Par requête déposée le 22 février 2007, inscrite sous le numéro 22577 du rôle, l'Œuvre Nationale de Secours a introduit un recours contentieux à l'encontre de la décision directoriale du 22 décembre 2006 dans lequel elle demande au tribunal administratif de déclarer que le directeur des Contributions était incompétent pour prendre ladite décision, sinon de l'annuler, et de dire que les jeux organisés par l'Œuvre Nationale de Secours pour la Loterie Nationale ne sont pas assujettis à la taxe spéciale dénommée «loto». Par requête du même jour, inscrite sous le numéro 22578 du rôle, elle a introduit une demande tendant à voir ordonner le sursis à exécution de la décision en question, demande à laquelle le président du tribunal administratif fit droit par ordonnance du 28 mars 2007.
Avant de procéder à l’examen de la recevabilité du prédit recours il convient d’examiner la recevabilité sur base de l’article 5 paragraphe 1er de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives du mémoire en réponse déposé par le délégué du Gouvernement le 23 mai 2007, moyen soulevé oralement lors de l’audience du 18 octobre 2007.
L’article 5 de la loi modifiée du 21 juin 1999 précitée prévoit à ce sujet en ses paragraphes 1 et 6 que « le défendeur et le tiers intéressé sont tenus de constituer avocat et de fournir leur réponse dans le délai de trois mois à dater de la signification de la requête introductive (…), (6) Les délais prévus aux paragraphes 1 et 5 sont prévus à peine de forclusion. (…) ».
La même loi précise encore en son article 3 qu’ « au regard des délais de procédure, seule la date du dépôt au greffe est prise en considération » et en son article 4, paragraphe 3, que « le dépôt de la requête vaut signification à l’Etat ».
Dans la mesure où la requête introductive d’instance a été déposée en date du 22 février 2007 et dûment notifiée à l’Etat le même jour par la voie du greffe, le mémoire en réponse de la partie étatique, déposé le 23 mai 2007, est tardif pour avoir été déposé en-dehors du délai de forclusion de 3 mois, de sorte que le tribunal est dans l’obligation d’écarter le mémoire en réponse des débats.
Dans la mesure où une réplique ne constitue qu’une réponse à la réponse initiale, le mémoire en réplique est également à écarter des débats compte tenu de la tardiveté du mémoire en réponse.
Le délégué du Gouvernement a encore soulevé en termes de plaidoiries l’irrecevabilité du recours dans la mesure où le courrier déféré ne constituerait qu’une information dépourvue de toute intention décisionnelle, le délégué du Gouvernement partageant à cet égard par ailleurs l’analyse de l'Œuvre Nationale de Secours selon laquelle le directeur de l’administration des Contributions directes serait en tout état de cause dépourvu de toute compétence décisionnelle en cette matière.
Les parties sont par ailleurs en accord pour partager, au vu de la rédaction sommaire du texte de la loi du 30 juillet 1983 portant création d’une taxe sur le loto et de l’absence dans la décision du directeur des Contributions de toute instruction sur les voies de recours, la même incertitude en ce qui concerne les voies de recours ouvertes à l’encontre de la décision déférée, l'Œuvre Nationale de Secours concluant à ce sujet à titre principal à la recevabilité du recours en annulation sur base de l'article 8 paragraphe 1 de la loi du 7 novembre 1996, et en ordre subsidiaire, à la recevabilité du recours en réformation sur base de l'article 8 paragraphe 3 (1) de la loi du 7 novembre 1996 et en ordre plus subsidiaire encore à la recevabilité du recours de droit commun en annulation tel que prévu par l’article 2 paragraphe 1er de la loi du 7 novembre 1996, le délégué du Gouvernement, pour sa part, après avoir écarté l’article 8 paragraphe 3 en tant que base du recours, concluant à la seule possibilité d’un recours en annulation, « pour peu que cette taxe donne lieu à une décision administrative ».
Force est de constater que quelle que soit la base légale du recours introduit, la condition commune à ces différentes bases réside dans l’exigence que l’acte soumis au juge administratif constitue une décision.
Ainsi, aux termes de l’article 2 paragraphe 1er de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, un recours est ouvert « contre toutes les décisions administratives à l’égard desquelles aucun autre recours n’est admissible ».
Cette disposition limite dès lors l’ouverture d’un recours devant les juridictions administratives siégeant en matière administrative notamment aux conditions cumulatives que l’acte litigieux doit constituer une décision administrative, c’est-à-dire émaner d’une autorité administrative légalement habilitée à prendre des décisions unilatérales obligatoires pour les administrés et qu’il doit s’agir d’une véritable décision, affectant les droits et intérêts de la personne qui la conteste1.
Si cette limitation ne se trouve pas expressément inscrite à l’article 8 paragraphe 1er de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l'ordre administratif qui délimite la compétence des juridictions administratives siégeant en matière fiscale, ledit article attribuant compétence aux juridictions administratives aux « contestations relatives aux impôts directs de l'Etat à l'exception des impôts dont l'établissement et la perception sont confiés à l'Administration de l'Enregistrement et des Domaines et à l'Administration des 1 F.Schockweiler, Le contentieux administratif et la procédure administrative non contentieuse en droit luxembourgeois, 1996, n° 46, p. 28.
Douanes et Accises … », l’article 8, paragraphe 5 identifie cependant, au-delà de l’attribution de compétence inscrite à l’article 8, paragraphe 1er, les actes soumis au tribunal dans cette sphère de compétence comme des « décisions ».
Il convient par ailleurs de souligner que l’article 8, paragraphe 3, en son alinéa 1er, et, indirectement en son alinéa 2, qui se réfère à l’article 2 cité ci-avant, présuppose encore l’existence d’une « décision ».
L'acte émanant d'une autorité administrative, pour être sujet à un recours contentieux, que ce soit devant le juge administratif siégeant en matière administrative ou devant le juge administratif siégeant en matière fiscale, doit dès lors constituer, dans l'intention de l'autorité qui l'émet, une véritable décision, à qualifier d'acte de nature à faire grief, c'est-à-dire un acte de nature à produire par lui-même des effets juridiques affectant la situation personnelle ou patrimoniale de celui qui réclame2. Plus particulièrement n'ont pas cette qualité de décision faisant grief, comme n'étant pas destinées à produire, par elles-mêmes, des effets juridiques, les informations données par l'administration, tout comme les déclarations d'intention ou les actes préparatoires d'une décision3.
Dans le même ordre d’idée, il est admis qu’une lettre par laquelle une autorité administrative se borne à exprimer une intention ou à s’expliquer sur une intention qu’elle révèle ne constitue pas un acte administratif de nature à faire grief, qu’elle soit adressée à un administré ou à une autre autorité4, ou encore qu’une lettre qui ne porte aucune décision et qui n’est que l’expression d’une opinion destinée à éclairer le requérant sur les droits qu’il peut faire valoir ou plus généralement sur sa situation juridique5, de même qu’un avis sur l’interprétation à donner à un texte légal6 ne sont pas susceptibles de faire l’objet d’un recours contentieux.
Il est encore admis que lorsque l’administration se borne à exprimer ses prétentions, essentiellement lorsque, à propos d’un litige, elle indique les droits qui lui paraissent être les siens ou dénie ceux dont se prévaut son adversaire, un tel acte ne constitue qu’une prise de position qui ne lie ni le juge ni les intéressés et qui ne saurait dès lors donner lieu à un recours7.
En l’espèce, il résulte des pièces versées en cause que le courrier du directeur des Contributions directes du 22 décembre 2006 déféré au tribunal s’insère dans un contexte particulier, à savoir celui de discussions entre l'Œuvre Nationale de Secours et l’administration des Contributions directes au sujet de la soumission de la Loterie Nationale, telle qu’organisée par l'Œuvre Nationale de Secours conformément à l’article 3, alinéa 3 de l’arrêté grand-ducal du 25 décembre 1944 portant création d’une Œuvre Nationale de Secours Grande-Duchesse Charlotte et à l’article 1er de l’arrêté grand-ducal du 13 juillet 1945 portant création d’une Loterie Nationale, à la taxe sur le loto, ces discussions ayant débuté par une 2 Trib. adm., 18 juin 1998, n° 10617 et 10618, Pas. adm. 2006, V° Actes administratifs, n° 12, et autres références.
3 Trib. adm., 23 juillet 1997, n° 9658, confirmé sur ce point par arrêt du 19 février 1998, n° 10263C, Pas. adm.
2006, V° Actes administratifs, n° 17, et autres références.
4 J.Falys, La recevabilité des recours en annulation des actes administratifs, Bruylant, 1975, n° 30, p.41.
5 J. Falys, op.cit., n° 34, p.45.
6 CE, 27 mai 1981, n° 6909.
7 J. Auby et R. Drago, Traité de contentieux administratif, 1962, T. II, n° 1014, p. 463 ; voir aussi trib. adm. 6 octobre 2004, n°16533, Pas. adm. 2006, V° Actes administratifs, n° 31 ainsi que trib. adm. 28 février 2005, n° 18597, www.ja.etat.lu, et trib.adm. 7 mars 2007, n° 21708, confirmé par arrêt du 28 juin 2007, n° 22798C.
première prise de contact entre les deux protagonistes en juillet 2006, puis ayant donné lieu à un courrier adressé en date du 23 octobre 2006 par l'Œuvre Nationale de Secours au Premier Ministre, courrier par rapport auquel le courrier actuellement déféré au tribunal prend position.
Il se dégage du libellé du courrier déféré que le directeur des Contributions directes, s’il a certes retenu le principe de l’assujettissement de différents produits de la Loterie nationale à la taxe sur le loto, a conféré à son courrier, après avoir pris rejeté le point de vue de l’Œuvre Nationale de Secours, un caractère d’information, destiné à notifier à la demanderesse la position qu’il a arrêté et les modalités pratiques à y réserver par la demanderesse.
Or, si au cours de l'élaboration d'un acte administratif, la « décision » (au sens politique du terme) est prise bien avant que l'acte ne soit coulé en sa forme définitive, seul l'acte final est attaquable quand l'auteur de la décision de principe est différent de l'auteur de l'acte final8. En effet, tout ce qui l'a précédé n'est qu'actes préparatoires, et la décision de principe s'analyse en l'ordre donné par l'autorité à ses services de préparer une décision dans le sens qu'elle indique9.
Il convient d’ailleurs de souligner à ce sujet que la loi du 30 juillet 1983 portant création d’une taxe sur le loto ne confère aucune compétence en la matière au directeur des Contributions directes - seul le receveur étant mentionné par le texte légal à l’occasion du versement de la taxe -, de sorte que le directeur des Contributions directes, à défaut de toute autre habilitation légale, ne saurait en tout état de cause avoir posé une décision de nature à produire par elle-même des effets juridiques affectant l’Œuvre Nationale de Secours.
Bien au contraire, en l’absence de tout texte légal spécifique prévoyant des décisions administratives successives distinctes, comme en matière d’impôts sur le revenu, il y a lieu de considérer que la décision administrative à la base de la perception de la taxe sur le loto, perception placée, aux termes de l’article 6 de la loi du 30 juillet 1983, « sous le contrôle et la surveillance » de l’administration des Contributions directes, n’apparaît pas de façon explicite, sous forme de bulletin d’imposition, mais de façon implicite, les phases de déclaration, de fixation par voie d’assiette, de liquidation et de recouvrement étant toutes exécutées concomitamment par le biais de la contrainte émise en conformité avec la loi du 27 novembre 1933 sur le recouvrement des contributions directes, à laquelle se réfère l’article 5 de la loi du 30 juillet 1983.
Le recours est dès lors à déclarer irrecevable pour être dirigé contre le prédit courrier du 22 décembre 2006, celui-ci n’étant pas constitutif d’une décision administrative susceptible d’un recours contentieux.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
déclare le recours irrecevable ;
condamne la demanderesse aux frais 8 M. Leroy, Contentieux administratif, Bruylant 2004, p.263.
9 Voir CE belge, 25 septembre 1995, n° 55.380, cité dans M. Leroy, op.cit.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 24 octobre 2007 par :
Mme Lenert, vice-président, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.
s. Schmit s. Lenert 6