Numéro 22486 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 janvier 2007 Audience publique du 24 octobre 2007 Recours formé par la société anonyme X. S.A., … contre deux décisions du ministre de l’Environnement en matière de protection de l’environnement
----------------------------------------------------------------------------------------------------------------
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 22486 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 25 janvier 2007 par Maître Victor ELVINGER, avocat à la Cour, assisté de Maître Serge MARX, avocat à la Cour, les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme X. S.A., établie et ayant son siège social à L-…, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B …, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de l’Environnement du 12 juillet 2006 lui refusant une autorisation en vue de l’installation d’une jonction basse tension dans l’intérêt du raccordement d’une armoire de comptage sur un fonds inscrit au cadastre de la commune de Wellenstein, section C de Schwebsange, appartenant à Monsieur … et d’une décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le ministre de l’Environnement pendant un délai de plus de trois mois à la suite de l’introduction d’un recours gracieux en date du 26 octobre 2006 ;
Vu l’exploit de l’huissier de justice suppléant Martine LISE, agissant en remplacement de l’huissier de justice Carlos CALVO, demeurant à Luxembourg, du 3 février 2007, portant signification de la requête introductive d’instance à Monsieur …, demeurant à L-3365 Leudelange, 3, rue de Roedgen ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 4 avril 2007 ;
Vu le mémoire en réplique déposé pour compte de la demanderesse au greffe du tribunal administratif par Maître Victor ELVINGER le 30 avril 2007 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision initiale critiquée du 12 juillet 2006 ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Maîtres Victor ELVINGER et Serge MARX, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Jacqueline GUILLOU-JACQUES en leurs plaidoiries respectives.
----------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Par courrier du 21 mars 2006 adressé au ministère de l’Environnement, la société anonyme X. se référa à sa demande d’autorisation du 18 novembre 2004 ainsi qu’à ses divers entretiens téléphoniques ayant porté sur « l’installation d’une jonction basse tension en vue du raccordement d’une armoire de comptage sur le terrain de Monsieur … à Schwebsange », à laquelle elle n’avait toujours pas reçu de réponse de la part du ministère, tout en priant ce dernier de leur retourner un exemplaire de leur plan muni de l’accord du ministre, à supposer que « rien ne s’oppose à la réalisation de [ce] projet ».
En date du 9 mai 2006, le préposé forestier du triage de Remerschen fit parvenir au chef de l’arrondissement sud de la conservation de la nature un avis de la teneur suivante :
« La parcelle concernée est située dans la zone B de la zone protégée `Taupeschwues'.
L'article 5 du règlement grand-ducal du 23 mars 1998 déclarant zone protégée la zone humide « Haff Réimech » interdit la mise en place d'installations de conduites d'énergie tandis que les interventions nécessaires à l'entretien des installations existantes restent soumises à l'autorisation du Ministre.
Lors d'une visite des lieux que j'ai effectuée le 9 mai 2006, j'ai dû constater sur le terrain en question les infractions contre l'article 5 du règlement grand-ducal du 23.3.1998 suivantes :
1. Le conteneur de couleur verte (3 x 2 mètres) au sujet duquel un procès verbal a été dressé par l'entité mobile des Eaux et Forêts en date du 15 juin 2005 est toujours en place.
2. Installation d'un abri en tôle (2 x 1 x 2.5 mètres).
3. Aménagement d'une pergola en bois, fermée sur deux côtés (4 x 3 mètres) et recouvrement du sol avec des dalles en béton.
4. Le dépôt de matériaux.
Je propose au MEV de ne pas donner de suite favorable à la demande d'autorisation concernant l'installation d'une jonction basse tension en vue du raccordement d'une armoire de comptage sur le terrain de Monsieur … à … avant la régularisation de toutes les infractions », ledit avis ayant été transmis à l’entité mobile au vu de la situation illégale ainsi constatée et continué au ministère de l’Environnement par un transmis signé le 9 juin 2006 par le chef de l’arrondissement sud de la conservation de la nature.
En date du 12 juillet 2006, le ministre de l’Environnement fit parvenir à la société anonyme X. une décision de la teneur suivante :
« En réponse à votre requête du 21 mars 2006 par laquelle vous sollicitez pour le compte de Monsieur … l'autorisation pour l'installation d'une jonction basse tension dans l'intérêt du raccordement d'une armoire de comptage sur un fonds inscrit au cadastre de la commune de WELLENSTEIN, section C de SCHWEBSANGE, j'ai le regret de vous informer qu'en vertu de la loi modifiée du 19 janvier 2004 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles, je ne suis disposé à réserver une suite favorable au dossier.
En effet, la parcelle concernée est située dans la zone B de la zone protégée `Taupeschwues' et l'article 5 du règlement grand-ducal du 23 mars 1998 déclarant zone protégée la zone humide « Haff Réimech » interdit la mise en place d'installations de conduites d'énergie tandis que les interventions nécessaires à l'entretien des installations existantes restent soumises à l'autorisation du Ministre ».
En se référant à la demande d’autorisation précitée du 21 mars 2006 ainsi qu’à la réponse ministérielle du 12 juillet 2006, X. envoya le 26 juillet 2006 au ministère de l’Environnement un courrier par lequel elle souhaitait se voir autoriser à procéder « à l’entretien, voire [à] la réparation, dudit raccordement existant », en se référant à l’article 5 du règlement grand-ducal du 23 mars 1998, avant-dernier tiret, déclarant zone protégée la zone humide « Haff Réimech ».
Le 21 août 2006, le préposé forestier du triage de Remerschen fit parvenir au chef de l’arrondissement sud de la conservation de la nature un transmis dont il ressort qu’il proposait de ne pas donner de suite favorable à la demande d’autorisation précitée « concernant le rétablissement, l’entretien ou la réparation du raccordement électrique sur le terrain de Monsieur … à Schwebsange avant la régularisation de toutes les infractions concernant la loi sur la protection de la nature », en déclarant confirmer ainsi son avis du 9 mai 2006. Il ressort encore dudit transmis qu’un procès-verbal a été dressé à charge de Monsieur … le 23 mai 2006.
En date du 17 janvier 2007, la société anonyme X. rédigea une note quant aux travaux litigieux à effectuer sur le terrain de Monsieur …, note technique au contenu ci-après libellé :
« Sur la propriété des époux Willems-Lorang susmentionnée, X. doit procéder à la réparation du raccordement existant pour remettre en fonctionnement une prise électrique sur son terrain.
La réparation consiste à ouvrir un trou d'environ 1,2m sur 0,80m, et d'une profondeur d'environ 0,90m pour atteindre le réseau Cegedel hors service, et déconnecter la connexion existante de la prise électrique. Ensuite, une fois le câble en service existant retrouvé (qui se trouve à côté de l'ancien câble hors service), sur chacun des 4 conducteurs de ce câble doit être posé une espèce de manchon dont la fixation permet la connexion électrique entre le conducteur et le câble de la prise via le serrement d'une vis. Finalement autour des manchons est déposé un moule où y est coulé pour l'isolation une résine qui se solidifie.
En fait, toute la réparation consiste à poser un kit d'éléments adapté à ce type de réparation. Ce genre d'intervention, notamment pour réparation, est des plus simples et des plus courantes. Sauf imprévu et confection de la fouille, cette intervention prend en moyenne une heure et est exécutée totalement sous tension ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 25 janvier 2007, la société anonyme X. a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 12 juillet 2006 ainsi que d’une décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le ministre de l’Environnement à la suite de l’introduction, en date du 26 juillet 2006, d’un recours gracieux dirigé contre la décision ministérielle initiale.
Etant donné que l’article 58 de la loi modifiée du 19 janvier 2004 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles instaure un recours au fond en la présente matière, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit contre les décisions ministérielles litigieuses. Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable.
Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
A l’appui de son recours, la demanderesse expose que les travaux envisagés consisteraient dans l’établissement d’une jonction basse tension entre une armoire de comptage existante sur un fonds inscrit au cadastre de la commune de Wellenstein, section C de Schwebsange, sous les numéros 740/1480, 740/1471 et 741, appartenant à Monsieur … et un câble NYY 4 x 95 mm2 existant, avec la précision que toutes ces installations électriques seraient existantes et que son intervention se limiterait à la « jonction » en question. Elle estime encore qu’il s’agirait en réalité d’un travail d’entretien courant des installations existantes et partant d’une « intervention anodine », d’une durée maximale d’une heure. La demanderesse se réfère à cet effet au rapport technique précité du 17 janvier 2007 décrivant « le déroulement technique de l’intervention litigieuse ».
En droit, la demanderesse soutient tout d’abord que le règlement grand-ducal du 23 mars 1998 déclarant zone protégée la zone humide « Haff Réimech » englobant des fonds sis sur le territoire des communes de Remerschen et de Wellenstein, servant de base légale à la décision litigieuse, n’aurait plus eu « d’existence légale » au moment des décisions litigieuses, au motif que ce règlement grand-ducal se fonderait sur la loi modifiée du 11 août 1982 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles, et plus particulièrement sur ses articles 27 à 32, loi qui a toutefois été abrogée et remplacée par la loi précitée du 19 janvier 2004. Ainsi, en raison de la disparition de la base légale dudit règlement grand-ducal, et au vu de ce qu’un règlement grand-ducal n’aurait pas d’existence propre, le règlement grand-ducal en question aurait été abrogé ensemble avec la loi sur base de laquelle il a été pris, à savoir la loi précitée du 11 août 1982.
En substance, la demanderesse soutient qu’au vu des développements qui précèdent, il y aurait lieu de constater que la décision litigieuse du ministre de l’Environnement serait privée de toute base légale.
Dans son mémoire en réponse très succinct déposé par l’Etat au greffe du tribunal administratif le 4 avril 2007, la partie défenderesse ne prend pas position par rapport à ce premier moyen développé par la partie demanderesse, ce qui n’a pas manqué de surprendre la demanderesse, tel que cela ressort de son mémoire en réplique.
Quant à ce premier moyen développé par la demanderesse, il échet tout d’abord de constater que la décision ministérielle litigieuse du 12 juillet 2006 indique comme base légale l’article 5 du règlement grand-ducal précité du 23 mars 1998.
Il se dégage encore du libellé même du règlement grand-ducal en question du 23 mars 1998, que celui-ci tire sa base légale de la loi du 11 août 1982 et plus particulièrement des articles 27 à 32 de celle-ci. Or, d’après l’article 70 de la loi précitée du 19 janvier 2004, ladite loi du 11 août 1982 a été abrogée, sans aucune réserve ou restriction.
Il s’ensuit partant que la base légale sur laquelle le règlement grand-ducal précité du 23 mars 1998 a été pris n’existait plus au jour auquel les décisions litigieuses ont été prises par le ministre de l’Environnement.
Il échet toutefois de relever qu’un règlement grand-ducal pris en application d’une loi qui, par la suite, a été abrogée, ne saurait rester en vigueur, postérieurement à l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, qu’à condition soit que le législateur, par une disposition expresse figurant dans la loi nouvelle, y a renvoyé expressément, en décidant que le règlement grand-
ducal pris antérieurement à son entrée en vigueur, restera en vigueur, soit que dans le corps de la nouvelle loi, il a été précisé que les règlements d’exécution existants, basés sur les dispositions de l’ancienne loi d’habilitation restent en vigueur jusqu’à la promulgation des règlements prévus par la nouvelle loi1. Or, en l’espèce, il échet de constater, et il n’est d’ailleurs pas contesté par l’Etat, à défaut par celui-ci d’avoir pris position d’une quelconque manière par rapport à ce premier moyen de la partie demanderesse, que la loi précitée du 11 août 1982 a été abrogée purement et simplement, sans que dans les mesures transitoires ou abrogatoires de la nouvelle loi du 19 janvier 2004 ne figure une quelconque disposition prévoyant expressément que les règlements grand-ducaux pris antérieurement à son entrée en vigueur, sur base de l’ancienne loi, et plus particulièrement le règlement grand-ducal précité du 23 mars 1998, restent en vigueur après l’entrée en vigueur de la nouvelle loi.
Il s’ensuit qu’à défaut par le règlement grand-ducal du 23 mars 1998 de reposer sur une base légale habilitante valable au moment où les décisions litigieuses ont été prises, celles-ci doivent être considérées comme ayant été prises sans base légale, de sorte qu’elles doivent être annulées. En effet, même au cas où le juge administratif est compétent pour statuer quant au fond d’un recours introduit, il peut se limiter à ne prononcer que l’annulation des décisions lui soumises, notamment au cas où il constate que celles-ci ont été prises en dehors de toute base légale, tel qu’en l’espèce.
Il s’ensuit, et sans qu’il y ait lieu de prendre position par rapport aux autres moyens et arguments développés par la partie demanderesse, que la décision litigieuse du 12 juillet 2006, telle que confirmée par le silence gardé par le ministre de l’Environnement pendant plus de trois mois à la suite de l’introduction d’un recours gracieux en date du 26 juillet 2006, sont à annuler.
PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond, le déclare justifié, partant, dans le cadre du recours en réformation, annule la décision initiale du 12 juillet 2006 du ministre de l’Environnement ainsi que celle confirmative, rendue sur recours 1 v. Conseil d’Etat 13 juillet 1990, n° 8261 du rôle gracieux, résultant du silence gardé par le ministre de l’Environnement pendant un délai de plus de trois mois à la suite de l’introduction d’un recours gracieux en date du 26 juillet 2006 ;
renvoie le dossier en prosécution de cause au ministre de l’Environnement ;
condamne l’Etat aux frais.
Ainsi jugé par:
M. Schockweiler, premier vice-président, M. Schroeder, premier juge, M. Spielmann, premier juge, et lu à l’audience publique du 24 octobre 2007 par le premier vice-président, en présence de M. Legille, greffier.
LEGILLE SCHOCKWEILER 6