Tribunal administratif Numéro 23002 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 30 mai 2007 Audience publique du 22 octobre 2007 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de protection internationale
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 23002 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 30 mai 2007 par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Sankuru (Kasaï Oriental/République Démocratique du Congo), de nationalité congolaise, demeurant à L-…, tendant, d’une part, à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 26 avril 2007 lui refusant une protection internationale et, d’autre part, à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire luxembourgeois contenu dans la même décision ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 juillet 2007 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Yves TUMBA MWANA, en remplacement de Maître François MOYSE, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.
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Le 18 juillet 2006, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après « la loi du 5 mai 2006 ».
Monsieur … fut entendu en date des 26 juillet, 28 septembre, 4 et 13 octobre et 22 novembre 2006 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 26 avril 2007, notifiée par courrier recommandé expédié le lendemain, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après dénommé « le ministre », informa Monsieur … que sa demande avait été rejetée comme étant non fondée. Cette décision est libellée comme suit :
« En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du même jour et les rapports d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration des 26 juillet 2006, 28 septembre 2006, ainsi que 4 et 13 octobre 2006.
Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire que vous auriez quitté Kinshasa par avion le 15 juillet 2006 à bord d'un vol de Bruxelles Airlines en direction de Bruxelles où vous auriez atterri le lendemain. Votre voyage aurait été organisé par un ressortissant luxembourgeois d'origine congolaise moyennant le paiement de 4800 USD. Vous ne pouvez pas donner d'indications quant au passeport avec lequel vous auriez voyagé. Le dépôt de votre demande de protection internationale date du 18 juillet 2006. Vous ne présentez aucune pièce d'identité.
Il résulte de vos déclarations que vous exerceriez la profession d'avocat en République Démocratique du Congo (RDC) et que depuis 2002 vous auriez votre propre cabinet situé à Kinshasa. Vous seriez « superviseur » d'une association du respect des droits de l'homme nommée « l'Observatoire des droits de l'Homme ». Vous seriez également secrétaire général du parti politique « Union des Forces Progressistes du Congo Kinshasa » (UFPC), parti politique qui serait en alliance avec le parti politique UDPS. Vous auriez été un des cofondateurs de ce parti. Par ailleurs, vous auriez entre autre été consultant pour les Nations Unies et ambassadeur conseiller sous le président défunt Laurent Désiré Kabila.
Vous faites état de mauvais traitements subis en 1998-1999. A cette époque vous auriez été arrêté et emmené à la DEMIAP à cause de vos activités politiques. Plus tard, vous auriez été transféré à la prison Makala. Vous présentez une copie d'une invitation au Groupe Spécial de sécurité présidentielle pour le 12 janvier 1999. Vous dites que Madame Albright serait venue à Makala et qu'« ils ont fait semblant de nous libérer ».
En 1999 vous vous seriez alors rendu à Brazzaville et au Gabon où vous seriez resté 6 mois. Vous faites état d'une détention et de mauvais traitements à Brazzaville en 1999 par des militaires de Brazzaville. Vous dites que vous auriez un certificat du Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés qui vous aurait reconnu réfugié à l'époque de Kabila père. A la mort de Laurent Désiré Kabila vous seriez retourné en RDC.
Vous avancez avoir été tracé par les services de sécurité. Vous dites d'une manière générale que la situation en RDC aurait été « extrêmement empoisonnante » de 2002 à 2006.
Vous déclarez qu'« il y avait des fouilles, des interrogatoires, pourquoi on faisait des réunions…c'était très tendu ».
Lors de l'arrestation en mai ou juin 2006 du pasteur Kutino des membres de sa famille seraient venus consulter « l'Observatoire des droits de l'Homme » et vous auriez mis une de vos collaboratrices sur la défense du pasteur Kutino. Vous-mêmes auriez également défendu les intérêts du pasteur Kutino. De même, vous auriez assisté la famille de journalistes assassinés.
Du 29 au 30 juin 2006 vous auriez participé à une conférence à Genève « pour la société civile » et vous y auriez tenu des propos contre le gouvernement. Vos propos auraient été reportés par les représentants de la RDC auprès des Nations Unis aux services de l'ANR, Agence nationale de renseignement à Kinshasa. Lors de votre retour en RDC le 2 juillet 2006 vous auriez été mis au courant que votre cabinet d'avocat aurait été saccagé par des militaires de la Garde Présidentielle. Plus tard vous dites que ce serait l'ANR qui aurait saccagé votre cabinet et tout emporté. Vos collaborateurs et collaboratrices auraient été interpellés et une collaboratrice aurait été arrêtée.
Vous n'auriez pas dormi à votre domicile, mais chez le frère de votre belle-soeur. Votre femme vous aurait reporté qu'il y aurait un avis international de recherche vous concernant, mais également la concernant. Votre femme se trouverait actuellement à Brazzaville/République du Congo.
Vous auriez alors quitté Kinshasa par avion le 15 juillet 2006. Une personne se serait occupée de votre voyage et du passeport. Elle aurait également corrompu les militaires à l'aéroport pour vous cacher jusqu'à ce que vous montiez dans l'avion. Votre vie serait en danger en RDC. Selon vos dires « les barbouzes de Kabila le fils qui veulent éliminer tous ceux qui lèvent la voix et qui s'opposent à son élection ».
De même vous seriez lié à l'opposition et vous vous seriez prononcé contre les élections et la Commission électorale indépendante, raisons pour lesquelles vous seriez également vu par un mauvais oeil du gouvernement congolais.
La reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d'asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève.
Force est de constater qu'un demandeur de protection internationale doit pouvoir présenter un récit crédible et cohérent. Or, il y a d'abord lieu de relever que vous avez fait de fausses déclarations auprès de l'agent ayant procédé à vos différentes auditions. En effet, vous prétendez à plusieurs reprises ne jamais avoir séjourné dans un autre pays de l'Union européenne à part lors de vos études en France dans les années 1960 et 1970 et de ne plus avoir été en France depuis 1997. De même vous niez avoir été en possession d'un quelconque titre de séjour et dites ne jamais avoir utilisé de fausse identité ou déposé une demande d'asile dans un autre pays que le Luxembourg.
Or, il résulte d'informations en nos mains que vous êtes connu sous plusieurs identités différentes en France. Vous y êtes connu entre autre sous le nom de « M. Honoré, né le 22 décembre 1944 à Loussambo/RDC » et « B. Honoré, né le 22 décembre 1944 à Loussambo/RDC » pour infractions de la loi sur les étrangers à Orly en 1996, séjour irrégulier à Mulhouse en 2001, à Saint Louis également en 2001 suite à une interdiction de territoire. Vous avez fait l'objet d'un arrêté ministériel d'expulsion en date du 3 avril 1995 et condamné le 11 février 1997 à 10 ans d'interdiction de territoire. Il est donc faux de dire que depuis 1997 vous n'auriez plus été en France. Par ailleurs, il résulte également d'informations obtenues par les autorités françaises que vous êtes connu sous 16 (!) identités différentes avec les noms de « … Honoré Emmanuel » ou « N. », mais avec des dates de naissance différentes.
Par ailleurs, vous avez des antécédents judiciaires en France pour les faits suivants :
falsification et usage de documents administratifs, escroqueries, usurpation d'état civil, atteinte sexuelle et violences légères.
Enfin, vous êtes également connu en Suisse sous les identités de « M. Honoré Emmanuel, né le 22 décembre 1944 » et « M. Honoré Emmanuel, né le 22 décembre 1940 ». En effet, il résulte d'une lettre de l'Office fédéral de migration du 6 septembre 2006 que vous avez déposé une demande d'asile en Suisse le 17 octobre 2001. Par décision du 5 novembre 2001, les autorités suisses ont prononcé votre renvoi préventif en France. Un recours contre cette décision a été interjeté le 7 novembre 2001. Par décision du 12 novembre 2001, la Commission suisse de recours en matière d'asile a restitué l'effet suspensif et vous a autorisé à séjourner en Suisse jusqu'à droit connu sur sa requête. Le 23 février 2005, l'ODM a annulé sa décision et décidé de reprendre l'instruction et la CRA a rayé du rôle le recours le 10 mars 2005.
Votre véritable identité n'est donc pas connue, ni établie étant donné que vous ne présentez aucune pièce d'identité.
Lorsque l'agent ayant procédé à vos entretiens vous a rendu attentif à votre séjour en Suisse, vous rétorquez que vous auriez des neveux en Suisse qui auraient exactement le même nom que vous. Après remarque faite par le même agent que vos empreintes digitales vous ont trahi, vous ripostez que ces empreintes peuvent avoir été trafiquées. Or, ces explications ne sont pas convaincantes.
Dans ce contexte soulevons que vous faites état de problèmes en RDC, alors que manifestement pendant cette époque vous étiez en Suisse. Il faut en conclure que vous n'avez plus quitté le continent européen depuis 1995.
En ce qui concerne la défense du pasteur Kutino, vous avez déclaré dans un premier temps que les membres de sa famille seraient venus à l' « observatoire » et que vous auriez chargé une de vos collaboratrices à sa défense. Puis vous dites dans l'entretien du 4 octobre 2006, que votre femme vous aurait mis au courant que le pasteur Kutino aurait été arrêté alors que vous auriez été à Genève le 29 et 30 juin 2006. Or, le pasteur a déjà été arrêté le 14 mai 2006, donc déjà bien avant votre départ pour la Suisse.
Vous dites tout d'abord avoir participé aux audiences du procès Kutino (« bien sûr, comme je faisais partie du groupe d'avocats qui défendaient ses intérêts »), puis après remarque faite de l'agent vous dites avoir envoyé deux de vos collègues parce que «je n'avais pas le temps et que j'avais encore d'autres trucs pressants à faire ». Finalement après que l'agent vous ait demandé qui aurait présidé les audiences dans le procès Kutino vous répliquez «je n'ai pas assisté aux audiences ». Au courant des auditions, vous dites être seulement un des avocats de Kutino. Il est étonnant de constater que vous ne connaissez pas le nom du président des audiences du procès Kutino et ignorez où exactement le pasteur Kutino aurait été détenu. De même vous notez que sa femme s'appellerait « Franc Dikea » (illisible), or ceci est faux. Elle s'appelle Emie Mananga. Il est également étonnant que vous dites faire partie du groupe d'avocats défendant les intérêts du pasteur Kutino et ne pas figurer sur la liste des rapports et protocoles des audiences. Ces nombreuses constatations jettent des doutes très sérieux quant au fait que vous ayez effectivement défendu les intérêts du pasteur Kutino.
De même, il résulte d'une lettre du bâtonnier de l'ordre des avocats à la Cour d'appel de Besançon que vous n'avez jamais été inscrit au barreau de Besançon comme vous l'avez pourtant prétendu dans le passé. Après demande de renseignement du bâtonnier de Besançon auprès du barreau de l'ordre des avocats de Kinshasa vous n'avez jamais été inscrit à ce barreau jusqu'en 1997. Il ne ressort également pas du Tableau de l'Ordre 2006-2007 de l'Ordre des Avocats du Barreau de Kinshasa/Gombe mis à jour le 23 septembre 2006 que vous y êtes inscrit en tant que avocat. En effet, votre nom n'y figure pas.
Par ailleurs, vous dites ne pas être en possession d'une carte électeur parce que selon vos dires le processus électoral n'aurait pas encore été déclenché. Or, si vous dites être parti de la RDC en juillet 2006 le processus était déclenché depuis longtemps et vous devriez être en possession d'une carte électeur. Après remarque faite par l'agent ayant procédé à vos entretiens vous répliquez que de toute manière vous auriez voulu boycotter les élections. D'un côté vous dites être retourné en RDC après avoir participé à une conférence à Genève en date du 30 juin 2006, puis vous déclarez être retourné le 2 juillet 2006.
Notons également qu'il résulte de la liste de participants la prédite conférence à Genève nommée « Civil Society Forum 2006 to the ECOSOC High Level Segment, Creating an environment at the national and international levels conducive to generating full and pruductive employment and decent work for all, and its impact on sustainable development » du 29 au 30 juin 2006 que vous y avez été en tant que modérateur, représentant de l'organisation « Village Suisse ONG », « country : Switzerland ». Par ailleurs, il ressort également de cette liste qu'il n'y a pas eu de représentants du gouvernement de la RDC. De même les noms de ces derniers que vous citez lors de l'entretien du 4 octobre 2006 ne figurent pas sur cette liste. Ils n'ont donc pas pu reporter des déclarations que vous y auriez faites ! Ces nombreuses constatations nous permettent légitiment de douter de la véracité de l'ensemble de vos déclarations, notamment en tenant compte de vos divers antécédents judiciaires.
Quoi qu'il en soit et même à supposer les faits que vous alléguez comme établis, ils ne sauraient, en eux-mêmes, constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu'ils ne peuvent, à eux seuls, établir une crainte fondée d'être persécuté dans votre pays d'origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l'article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève ainsi que les articles 31 et 32 de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection. En effet, les faits dont vous faites état et qui dateraient de 1998-1999 sont trop éloignés dans le temps pour fonder une demande de protection internationale en 2006. Par ailleurs, force est de constater que lors de vos nombreux entretiens vous n'avez à aucun moment fait état de persécutions ou de problèmes concrets et récents. Vous déclarez uniquement que votre cabinet d'avocat aurait été fouillé et saccagé et que votre femme vous aurait dit que vous seriez recherché. Or, ce fait ne saurait suffire et n'est pas d'une gravité telle pour fonder à lui seul une demande en protection internationale. De même, comme déjà constaté plus haut des sérieux doutes existent quant au fait que vous auriez dernièrement exercé la profession d'avocat à Kinshasa.
Vous dites que votre vie serait en danger en cas de retour en RDC. Vous auriez peur de vous faire arrêter. Or, des simples craintes hypothétiques qui ne sont basées sur aucun fait réel ou probable ne sauraient cependant constituer des motifs visés par la Convention de Genève et la prédite loi du 5 mai 2006.
Vous dites également être mal vu parce que vous seriez membre du parti politique Union des Forces Progressistes du Congo Kinshasa (UFPC) proche de I'UDPS. Or, l'UFPC ne figure pas parmi la liste des partis politiques en règle par rapport à la loi N°04/002 du 15 mars 2004 et autorisés à fonctionner à la date du 3 mars 2006.
Vos motifs traduisent donc plutôt un sentiment général d'insécurité qu'une crainte de persécution. Or, un sentiment général d'insécurité ne constitue pas une crainte fondée de persécution au sens de la prédite Convention.
Enfin, il faut souligner le changement important de la situation politique en RDC. En effet, on assiste à un réel effort de la part du pouvoir en place de rétablir la paix et de former un gouvernement démocratique à représentation géographique et ethnique. Ainsi, le 16 décembre 2002 un Accord Global sur le partage du pouvoir fut signé afin de créer un gouvernement d'unité nationale au terme duquel le président Joseph Kabila demeurera à son poste et ce, jusqu'à la tenue des premières élections libres et démocratiques. Durant la transition M. Kabila a été assisté par quatre vice-présidents, représentant respectivement le gouvernement, le Rassemblement congolais pour la démocratie-Goma (RDC-Goma), le Mouvement de libération du Congo (MLC) et l'opposition politique non armée. Nombreux progrès ont été réalisés durant la transition. Ainsi, une nouvelle Constitution adoptée par référendum ayant eu lieu en décembre 2005 a été promulguée le 17 février 2006 et une loi électorale en date du 9 mars 2006.
Aux termes d'élections présidentielles ayant eu lieu les 30 juillet 2006 et 29 octobre 2006 dans un environnement généralement calme, marquées seulement par quelques incidents isolés, Joseph Kabila fût élu président.
Ainsi, vous n'alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Une crainte fondée de persécution en raison d'opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l'appartenance à un groupe social n'est par conséquent pas établie.
En outre, votre récit ne contient pas de motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 37 de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection. En effet, les faits invoqués à l'appui de votre demande ne nous permettent pas d'établir que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptible de faire l'objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
En effet, vous ne faites pas état d'un jugement ou d'un risque de jugement vous condamnant à la peine de mort. Vous ne faites également pas état de risques concrets et probables de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants en cas de retour en RDC ou de risques émanant d'une violence aveugle résultant d'un conflit armé interne ou international.
Votre demande en obtention d'une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens de l'article 19§1 de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.
La présente décision vaut ordre de quitter le territoire.
La décision de rejet de votre demande de protection internationale est susceptible d'un recours en réformation devant le Tribunal administratif. Ce recours doit être introduit par requête signée d'un avocat à la Cour dans un délai d'un mois à partir de la notification de la présente.
Un recours en annulation devant le Tribunal administratif peut être introduit contre l'ordre de quitter le territoire, simultanément et dans les mêmes délais que le recours contre la décision de rejet de votre demande de protection internationale. Tout recours séparé sera entaché d'irrecevabilité.
Je vous informe par ailleurs que le recours gracieux n'interrompt pas les délais de la procédure ».
Par requête déposée le 30 mai 2007, Monsieur … a fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du 26 avril 2007 par laquelle il s’est vu refuser la reconnaissance d’une protection internationale et un recours tendant à l’annulation de la décision du même jour, incluse dans le même document, portant à son encontre ordre de quitter le territoire luxembourgeois.
1. Quant au recours tendant à la réformation sinon à l’annulation de la décision du ministre du 26 avril 2007 portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées, une demande en réformation a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle déférée. Le recours en réformation ayant été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
Le recours subsidiaire en annulation est en conséquence irrecevable.
A l’appui de ce recours, Monsieur … expose avoir quitté son pays d’origine, la République Démocratique du Congo, le 15 juillet 2006 suite aux menaces de mort proférées à son encontre par la garde républicaine du Président KABILA en raison, d’une part, de ses activités et opinions politiques contre le « pouvoir de transition » respectivement le pouvoir issu des dernières élections, et, d’autre part, de son engagement en tant qu’avocat du pasteur KUTINO lors du « procès politique » mené à l’encontre de ce dernier par le pouvoir en place. Le demandeur précise encore occuper les fonctions de superviseur d’une association dénommée « Observatoire des droits de l’homme » et qu’il aurait été cofondateur et secrétaire général du parti politique « Union des forces progressistes du Congo Kinshasa », ce qui lui aurait valu de nombreuses persécutions. Plus particulièrement, le demandeur expose avoir été emprisonné déjà au courant des années 1998/1999 à la prison Makala, que par la suite, il aurait trouvé refuge au Congo-
Brazzaville et au Gabon, que suite au décès de Laurent Désiré KABILA en 2002, il serait retourné en République Démocratique du Congo pour ouvrir son propre cabinet d’avocat à Kinshasa, qu’il aurait critiqué les autorités de transition qui n’auraient pas respecté les objectifs signés lors de l’accord de Sun-City, et qu’à côté de la défense du pasteur KUTINO, il aurait également été approché par les familles de journalistes assassinés pour assurer leur défense.
Finalement, le demandeur soutient avoir participé à une conférence pour la « société civile » à Genève en date des 29 et 30 juin 2006, lors de laquelle il aurait tenu des propos « très durs » à l’encontre du pouvoir en place dans son pays d’origine, ce qui aurait incité les autorités congolaises à saccager ses bureaux et à interpeller ses collaborateurs. A la suite de son retour en République Démocratique du Congo le 2 juillet 2006, le demandeur déclare s’être caché chez son beau-frère pour finalement quitter son pays d’origine le 15 juillet 2006 par avion pour le Luxembourg.
Finalement, le demandeur sollicite encore explicitement le bénéfice de la protection subsidiaire, estimant remplir les conditions telles qu’inscrites à l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 en soutenant qu’il serait recherché par la garde rapprochée du président KABILA et qu’en cas de retour dans son pays d’origine il risquerait une forte peine d’emprisonnement « suite à ses propos et activités politiques contre le pouvoir en place ».
Le délégué du gouvernement soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé. Il insiste plus particulièrement sur les prétendues fausses déclarations de Monsieur … concernant notamment des séjours antérieurs en France et en Suisse, le fait qu’il ne figure pas sur la liste des défenseurs officiels du pasteur KUTINO, le fait qu’il n’aurait jamais été inscrit comme avocat à un quelconque barreau et le fait qu’il n’a pas été en possession d’une carte d’électeur.
Aux termes de l’article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 c) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) ».
En l’espèce, l’examen des faits et motifs invoqués par Monsieur … à l’appui de sa demande en obtention d’une protection internationale lors de ses auditions, ainsi qu’au cours de la procédure contentieuse, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006.
La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.
Il échet de rappeler que le tribunal, statuant en tant que juge du fond en matière de demande d'asile, doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d'asile, tout en prenant en considération la situation générale existant dans son pays d’origine. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur, la crédibilité d’un demandeur d’asile constituant en effet un élément d’appréciation fondamental dans l’appréciation de la justification d’une demande d’asile, spécialement lorsque des éléments de preuve matériels font défaut1.
Or, à ce sujet il y a lieu de relever que la décision ministérielle du 26 avril 2007, outre d’être motivée quant au fond par la considération que les motifs de persécution invoqués par le demandeur ne sauraient pas, de par leur nature, être utilement retenus pour justifier une demande en obtention du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève, est basée principalement sur le constat d’un défaut de crédibilité et de cohérence au niveau du récit présenté par Monsieur … à l’appui de sa demande, le ministre, dans sa prédite décision, ayant fait état à cet égard de toute une série d’incohérences et d’éléments mettant en doute la crédibilité des déclarations du requérant.
Le tribunal constate en particulier à ce sujet que le ministre a relevé que le demandeur a affirmé ne plus avoir séjourné dans un autre pays de l’Union européenne, mis à part la France lors de ses études dans les années 1960 et 1970, et ne plus avoir été en France depuis 1997. Force est cependant de constater qu’il ressort du procès-verbal n° 15/1169/06 HA dressé par la police judiciaire en date du 18 juillet 2006 que le demandeur, sur base de ses empreintes digitales, a été identifié en France sous 16 identités différentes, qu’il y est connu « pour infraction sur les étrangers en 1996 à Orly », « séjour irrégulier en 2001 à Mulhouse », « en 2001 à Saint-Louis suite à une interdiction de territoire », qu’il y a fait l’objet d’un arrêté ministériel d’expulsion le 3 avril 2005 et qu’il a été condamné le 11 février 1997 à 10 ans d’interdiction de territoire. Pour le surplus, ledit procès-verbal renseigne encore sur le fait que le demandeur a des antécédents judiciaires en France pour falsification et usage de documents administratifs, escroqueries, usurpation d’état civil, atteintes sexuelles et violences légères.
A cela s’ajoute que le demandeur est également connu en Suisse pour y avoir déposé une demande d’asile le 17 octobre 2001, tel que cela ressort d’une lettre de l’Office fédéral de migration ODM du 6 septembre 2006, c’est-à -dire à une époque où il déclare avoir vécu au Congo-Brazzaville, respectivement au Gabon.
Il ressort encore du prédit procès-verbal du 18 juillet 2006 que Monsieur … est propriétaire d’une voiture immatriculée en Suisse (VD 28811), qu’il dispose d’une adresse à 1 Cour adm. 21 juin 2007, n° 22858C, non publié.
Lausanne et qu’il a circulé avec cette voiture peu de temps après son arrivée au Luxembourg, fait étrange pour une personne déclarant avoir vécu depuis 2002 en République Démocratique du Congo et avoir quitté son pays d’origine de manière précipitée en avion pour le Luxembourg via la Belgique.
Finalement, le tribunal tient encore à renvoyer au procès-verbal n°2007/41175/227/MD du centre d’intervention de la police de Wiltz du 14 juin 2007 discréditant la crédibilité des propos du demandeur.
Or, le demandeur, au lieu de donner des explications convaincantes pour apporter des éclaircissements par rapport à ces contradictions et incohérences constatées, se borne à nier les constatations faites par les autorités luxembourgeoises. Ainsi, la simple affirmation que plusieurs parents en Suisse porteraient « plus ou moins le même nom que lui » ne contredit pas son identification en France et en Suisse sur base de ses empreintes digitales et ses séjours dans ces deux pays à une époque où il déclare cependant avoir vécu au Congo respectivement au Gabon.
Pour le surplus, Monsieur …, malgré ses affirmations répétitives dans ce contexte, reste en défaut de rapporter la preuve positive qu’il fut le superviseur d’une association dénommée « Observatoire des droits de l’homme », respectivement qu’il fut en charge de la défense des intérêts du pasteur KUTINO.
Finalement, le tribunal tient encore à relever que les nombreuses incohérences ressortant du procès-verbal n°2007/41175/227/MD du centre d’intervention de la police de Wiltz du 14 juin 2007 n’ont pas été utilement contredites par le demandeur.
Force est partant de constater qu’il n’a pas fourni d’explications satisfaisantes susceptibles d’élucider sa situation au regard des nombreuses interrogations pourtant clairement posées, de sorte que le tribunal ne peut que constater que lesdits motifs de refus n’ont pas été utilement combattus, le demandeur n’ayant tout simplement pas concrètement pris position y relativement, de manière à ne pas avoir mis le tribunal en mesure d’accorder une quelconque foi à son récit.
A partir des éléments ci-avant relatés, à savoir du caractère incohérent et douteux du récit du demandeur, il y a lieu de retenir que celui-ci n’a pas fait état de manière crédible d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef.
Pour le surplus, le tribunal constate que le demandeur n’avance aucun élément de preuve de nature à établir que des recherches ou des poursuites seraient actuellement en cours à son encontre dans son pays d’origine, la simple persistance d’un climat d’insécurité ne permettant pas de retenir qu’il risquerait personnellement, en cas de retour en République Démocratique du Congo, de faire l’objet de persécutions.
Concernant le volet de sa demande visant l’obtention du statut de protection subsidiaire, le demandeur estime remplir les conditions telles qu’inscrites à l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 en soutenant qu’il serait recherché par la garde rapprochée du président KABILA et qu’en cas de retour dans son pays d’origine il risquerait une forte peine d’emprisonnement « suite à ses propos et activités politiques contre le pouvoir en place ».
Or, il convient de retenir que le demandeur allègue une crainte très générale qu’il n’étaie nullement et qu’en l’absence d’autres éléments invoqués et au vu de la conclusion ci-avant dégagée, c’est à juste titre que le ministre a estimé qu’il n’a pas fait état de motifs sérieux et avérés qui permettent de retenir que, s’il était renvoyé en République Démocratique du Congo, il encourrait un risque réel de se voir infliger la peine de mort ou de se faire exécuter ou encore de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants respectivement de faire l’objet de menaces graves et individuelles contre sa vie en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international, de sorte que le demandeur n’est pas fondé à se prévaloir du bénéfice de la protection subsidiaire au sens de la loi du 5 mai 2006.
Au vu de ce qui précède, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.
2. Quant au recours tendant à l’annulation de la décision du ministre du 26 avril 2007 portant ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, une requête sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée du 26 avril 2007 a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.
Aux termes de l’article 19 (1) de la loi du 5 mai 2006, une décision négative du ministre en matière de protection internationale vaut ordre de quitter le territoire en conformité des dispositions de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ;
2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère.
Force est de constater que le demandeur se contente à ce sujet de solliciter l’annulation de l’ordre de quitter le territoire sans avancer un quelconque moyen dirigé concrètement contre ledit ordre.
Le tribunal vient cependant, tel que développé ci-dessus, de retenir que le demandeur ne remplit pas les conditions pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, de sorte qu’en l’état actuel du dossier et compte tenu des moyens figurant dans la requête introductive d’instance, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause la légalité de la décision déférée portant ordre de quitter le territoire.
Partant, le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit contre la décision ministérielle du 26 avril 2007 portant refus d’une protection internationale ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 26 avril 2007 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
M. Ravarani, président, M. Spielmann, premier juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 22 octobre 2007 par le président, en présence de M. Legille, greffier.
Legille Ravarani 12