Tribunal administratif N° 23345 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 août 2007 Audience publique du 15 octobre 2007 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 23345 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 16 août 2007 par Maître Ardavan FATHOLAZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Tanzanie), de nationalité tanzanienne, demeurant actuellement à L-…, tendant 1) à la réformation d’une décision du ministre des Affaires Etrangères et de l'Immigration datée du 19 juillet 2007 lui refusant une protection internationale et 2) à l’annulation de l'ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 octobre 2007 ;
Vu le mémoire en réplique déposé le 12 octobre 2007 au greffe du tribunal administratif en nom et pour compte du demandeur ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport ainsi que Maître Ardavan FATHOLAZADEH et Madame le délégué du Gouvernement Jacqueline JACQUES en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 15 octobre 2007.
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Le 5 mars 2003, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-
après dénommé « la Convention de Genève ».
Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.
Les 26 mars et 11 avril 2003, il fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.
Par décision du 21 octobre 2003, expédiée par lettre recommandée le 22 octobre 2003, le ministre de la Justice l’informa de ce que sa demande avait été rejetée au motif qu’il n’alléguerait aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre sa vie intolérable dans son pays, de sorte qu’aucune crainte justifiée de persécution en raisons d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un certain groupe social ne serait établie dans son chef. Suite à un recours gracieux formulé par lettre du 14 novembre 2003 à l’encontre de cette décision ministérielle, le ministre de la Justice prit une décision confirmative le 8 décembre 2003, aux termes de laquelle il a maintenu sa précédente décision en son intégralité.
Le 8 janvier 2004, Monsieur … fit introduire un recours contentieux contre la décision ministérielle de refus du 8 décembre 2003, recours qui fut déclaré non fondé par jugement du tribunal administratif du 12 mai 2004 (n° 17429 du rôle), confirmé en appel par arrêt du 7 octobre 2004 (n° 18184C du rôle).
Le 26 juin 2007, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère des Affaires Etrangères et de l'Immigration une demande en protection internationale au sens de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.
Il fut entendu le 2 juillet 2007 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en protection internationale.
Par décision du 19 juillet 2007, notifiée le 1er août 2007, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration informa Monsieur … de ce que sa demande avait été rejetée, décision libellée comme suit :
« J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale au sens de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection que vous avez présentée auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration en date du 26 juin 2007.
En application de la loi précitée du 5 mai 2006, votre demande de protection internationale a été évaluée par rapport aux conditions d'obtention du statut de réfugié et de celles d'obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.
En mains le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration du 2 juillet 2007.
Il ressort de votre dossier que vous avez déposé une demande d'asile le 5 mars 2001, demande qui a été rejetée comme non fondée par une décision ministérielle en date du 21 octobre 2003. Vous aviez invoqué à la base de cette demande d'asile la crainte d'être emprisonné ou tué en raison de votre simple appartenance au parti politique CUF (Civic United Front). Cependant, vous étiez resté en défaut de produire le moindre élément de preuve objectif concernant votre adhésion à ce parti politique. Les craintes évoquées dans le contexte de votre demande d'asile n'étaient pas basées sur des faits réels et vous n'aviez pas fait état de persécutions personnelles.
La crainte que vous aviez évoquée en 2001 se fondait plutôt sur une crainte hypothétique que sur une crainte fondée de persécution.
Le rejet de la demande a été confirmé par la Cour administrative en date du 7 octobre 2004.
En outre, une demande d'autorisation de séjour provisoire vous a été refusée en date du 6 janvier 2005, décision qui a été confirmée par la Cour administrative en date du 29 novembre 2005.
Un arrêté de refus d'entrée et de séjour a été pris en date du 2 septembre 2005.
Une demande de statut d'apatride vous a été refusée par une décision ministérielle en date du 29 mars 2006.
Le 26 juin 2007 vous présentez une demande en obtention d'une protection internationale au sens de la loi du 5 mai 2006 et vous avez été entendu à ce sujet en date du 2 juillet 2007.
Vous invoquez à la base de cette demande que vous auriez eu des nouvelles de votre femme qui se trouverait toujours en Tanzanie. Selon les dires de votre épouse, vous seriez toujours en danger en raison de vos activités de 2001 au sein du parti politique CUF. Vous précisez que la milice des « Janjaweed » soutiendrait le parti au pouvoir, le CCM (Chama cha Mapinduzl) et qu'elle viendrait tous les deux ou trois mois chez votre femme pour lui demander où vous seriez. Cependant, cette milice ne la menacerait pas étant donné que les « Janjaweed » ne s'intéresseraient uniquement à vous. Par la suite, vous racontez que votre épouse aurait parlé avec des responsables du CUF et que ces derniers lui auraient confirmé que vous seriez toujours en danger. Vous dites que vous pourriez prouver ces déclarations à l'aide des deux lettres, remises par votre avocat. Cependant, vous indiquez que si vous retourniez en Tanzanie, vous ne seriez pas arrêté en raison de vos activités politiques, mais que les « Janjaweed » vous arrêteraient sous un autre prétexte.
Enfin, vous ajoutez que ni vous et ni votre femme ne pourraient demander de l'aide auprès des autorités compétentes de Pemba, étant donné que celles-ci seraient sous le contrôle du gouvernement.
Pour démontrer votre crainte, vous faites entre autre référence à un article paru sur www.shabelle.net/news/ne3079.htm. Force est de constater que cet article parle de cinq refugiés, originaires de Zanzibar, qui ont été arrêtés à Mogadishu. Notons dans ce contexte que vous dites être originaire de Pemba et non de Zanzibar et que ces cinq individus furent arrêtés à Mogadishu/Somalie, une ville qui se trouve à plus de 1.000 km de l'île de Pemba, et par conséquent aucun lien entre ces personnes et votre personne ne peut être établi.
Les deux autres références sur lesquelles vous appuyez votre demande de protection internationale sont deux lettres remises par votre avocat. Il s'agit de deux photocopies en couleur de deux documents portant l'entête du parti politique CUF.
En premier lieu, il faut noter que le premier document est établi en date du 24 avril 2007, cependant le numéro de référence du même document date de 2004. Par ailleurs, convient-il de relever que le texte des deux documents, rédigés en anglais, est plein de fautes de grammaire et d'orthographe. En outre, en ce qui concerne les deux documents, force est de constater que l'entête, ainsi que la note de bas de page sont en décalage par rapport au reste du texte. Quant à l'emblème du parti politique CUF, il convient de souligner que les deux emblèmes qui se trouvent chaque fois à l'entête du document, diffèrent d'un document à l'autre, ce qui est surprenant étant donné que les documents sont supposés être des documents officiels.
En outre, le site internet qui est indiqué à l'entête de la page est supposé être le site internet du parti politique CUF. Il convient de mettre en évidence que www.cuftz.org ne correspond pas au site du parti en question, mais qu'il s'agit d'un site qui fait de la promotion pour diverses marques de réfrigérateurs. En ce qui concerne les signatures des deux documents, il convient de remarquer qu'il s'agit de deux signatures différentes. En outre, les noms qui figurent en dessous des deux signatures diffèrent légèrement. Dans le premier document un certain « SO ALLY - For Secretary » est supposé avoir signé la lettre et dans le deuxième document, il apparaît qu'un certain « … » a signé, ce qui est surprenant. A cela s'ajoute que dans le deuxième document on parle d'un certain Monsieur …I, cependant vous dites que votre nom serait …. En dernier lieu, il est difficilement concevable que sur un document officiel ne se trouve pas le tampon du parti politique.
Il en résulte que de sérieux doutes quand à l'authenticité de ces documents doivent être émis ! En vertu des dispositions de l'article 20§ 1 de la loi précitée du 5 mai 2006, je vous informe qu'il est statué sur le bien-fondé de votre demande de protection internationale dans le cadre d'une procédure accélérée parce qu'il apparaît que vous tombez sous un des cas prévus au paragraphe (1), à savoir:
a) « le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n'a soulevé que des questions sans pertinence ou d'une pertinence insignifiante au regard de l'examen visant à déterminer s'il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale; » b) « il apparaît clairement que le demandeur ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale; » h) « le demandeur n'a pas introduit plus tôt sa demande, sans motif valable, alors qu'il avait la possibilité de le faire; » i) « le demandeur ne dépose une demande qu'afin de retarder ou d'empêcher l'exécution d'une décision antérieure ou imminente qui entraînerait son éloignement du territoire; » j) « le demandeur est entré ou a prolongé son séjour illégalement sur le territoire du Grand-Duché et, sans motif valable, ne s'est pas présenté aux autorités et/ou introduit sa demande de protection internationale dans les délais les plus brefs compte tenu des circonstances de son entrée sur le territoire; » En effet, il est établi que vous n'avez déposé votre demande de protection internationale que dans le seul but de retarder ou d'empêcher l'expulsion du territoire luxembourgeois. Il convient de rappeler qu'en novembre 2005 vous vous êtes rendu, escorté par la Police Grand-
ducale, à l'Ambassade de la Tanzanie à Bruxelles où vous avez refusé d'admettre que vous seriez de nationalité tanzanienne. Il ressort clairement du courrier de l'Ambassade tanzanienne que « Upon Mr …'s refusal to admit that he is of Tanzanian nationality, the Embassy was unable to issue him a travel document ». Le refus d'admettre que vous êtes de nationalité tanzanienne doit forcément être interprété comme une tentative d'empêcher votre rapatriement vers votre pays d'origine. A cela s'ajoute que lors de l'entretien du 2 juillet 2007 avec un agent du Ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration vous avez attesté et puis signé que vous seriez de nationalité tanzanienne. De plus, vous avez remis en date du 28 décembre 2001 une copie certifiée de votre acte de naissance, établie à Pemba / Tanzanie.
Il convient en outre de rappeler que le rejet de votre demande d'asile a été confirmée par la Cour administrative en date du 29 novembre 2005, mais que vous ne présentez votre demande de protection internationale selon la loi du 5 mai 2006, que le 26 juin 2007. Cependant, lors de l'entretien du 2 juillet 2007 avec l'agent du Ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration, vous attestez que les « Janjaweed » viendraient voir votre femme depuis 2005. Par conséquent, il ne semble exister aucun motif valable pour lequel vous n'avez pas introduit plus tôt votre demande de protection internationale.
Ainsi, les motifs exposés ne sauraient constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu'ils ne peuvent, à eux seuls, fonder dans votre chef une crainte fondée d'être persécuté dans votre pays d'origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l'article 1er section 1, § 2 de la Convention de Genève ainsi que les articles 31 et 32 de la loi précitée du 5 mai 2006.
En effet, le fait que des personnes, selon vos dires des « Janjaweed », seraient venues voir votre femme, ne saurait être considéré comme acte de persécution au sens de la Convention de Genève et la prédite loi du 5 mai 2006. En effet, toutes vos déclarations restent très vagues et les faits nouveaux, faits qui vous auraient été reportés par votre femme, ne sauraient fonder une demande en obtention d'une protection internationale. De plus n'êtes-vous pas en mesure de démontrer pour quelle raison vous seriez en danger en Tanzanie. Par conséquent, une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève ne peut pas être établie.
A cela s'ajoute que votre femme n'a pas connu de problèmes notables depuis votre départ en 2001.
Par ailleurs, il demeure invraisemblable que vous auriez des problèmes lors d'un retour dans votre pays d'origine en raison de votre simple appartenance au parti politique CUF (Civic United Front). De plus, vous n'êtes toujours pas en mesure de produire le moindre élément de preuve objectif concernant votre adhésion à ce parti politique. Les craintes évoquées dans le contexte de votre demande de protection internationale ne sont basées que sur des craintes hypothétiques, et non sur une crainte fondée de persécution. En outre, selon un rapport d'Amnesty International de 2006, seuls les dirigeants du parti politique CUF ont rencontré des problèmes.
A cela s'ajoute qu'il n'est pas établi que les autorités compétentes de la Tanzanie, auxquelles votre femme n'a pas demandé de protection seraient dans l'incapacité ou auraient refusé de vous fournir une protection quelconque.
Je constate ainsi que vous n'alléguez aucun fait susceptible de fonder raisonnablement une crainte de persécution en raison d'opinions politiques, de race, de religion, de nationalité ou d'appartenance à un groupe social, susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays.
Les conditions permettant l'octroi du statut de réfugié ne sont par conséquent pas remplies.
En outre, vous n'invoquez pas non plus des motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 37 de la loi précitée du 5 mai 2006. En effet, il ne ressort pas de votre dossier que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptible de faire l'objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
En effet, vous ne faites pas état d'un jugement ou d'un risque de jugement vous condamnant à la peine de mort, ni de risques concrets et probables de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants en cas de retour en Tanzanie.
Par ailleurs, vous ne faites pas état de risques émanant d'une violence aveugle résultant d'un conflit armé interne ou international. Notons également que la situation politique est actuellement calme en Tanzanie.
Votre demande en obtention d'une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens de l'article 20 de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.
La présente décision vaut ordre de quitter le territoire.
La décision de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d'une procédure accélérée n'est susceptible d'aucun recours.
Néanmoins, la décision de rejet de votre demande de protection internationale est susceptible d'un recours en réformation devant le Tribunal administratif. Ce recours doit être introduit par requête signée d'un avocat à la Cour dans un délai de quinze jours à partir de la notification de la présente.
Un recours en annulation devant le Tribunal administratif peut être introduit contre l'ordre de quitter le territoire, simultanément et dans les mêmes délais que le recours contre la décision de rejet de votre demande de protection internationale. Tout recours séparé sera entaché d'irrecevabilité.
Je vous informe par ailleurs que la décision du Tribunal administratif ne sera susceptible d'aucun appel, et que le recours gracieux n'interrompt pas les délais de la procédure. (…) » Monsieur … a fait déposer le 16 août 2007 un recours tendant 1) à la réformation de la décision du ministre du 19 juillet 2007 lui refusant une protection internationale et 2) à l’annulation de l'ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision.
Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre portant refus d’une protection internationale Il convient de prime abord de relever que contrairement au libellé de la requête introductive d’instance, les voies de recours ouvertes contre la décision déférée, s’agissant en l’espèce d’une décision de refus prise dans le cadre d’une procédure accélérée, ne sont pas à rechercher à l’article 19 de la loi modifiée du 5 mai 2006 précitée, mais à l’article 20 de cette même loi.
Etant donné que l’article 20 (4) de la loi modifiée du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationales déclarées non fondées dans le cadre d’une procédure accélérée, une demande en réformation a pu valablement être dirigée contre la décision ministérielle déférée. Le recours en réformation ayant été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
Quant au fond, Monsieur … reproche au ministre d'avoir fait une appréciation erronée des faits d'espèce en ce sens que c'est à tort que le ministre est arrivé à la conclusion que les faits mis en avant par lui ne justifieraient pas dans son chef une crainte justifiée de persécution en raison de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou d'une croyance religieuse.
Il reproche plus particulièrement au ministre de n'avoir pas tiré les conséquences qui selon lui s'imposaient du fait de la persécution dont il aurait été victime ou pourrait-être victime en cas de retour dans son pays d'origine, du fait notamment de ses problèmes liés à son activisme politique au sein du parti CUF. Il affirme à ce sujet être exposé aux persécutions des membres de la milice « Janjaweed » et de la police, la milice en question harcelant notamment régulièrement son épouse.
Monsieur … veut pour preuve de ces affirmations deux attestations prétendument lui adressés par le CUF et il prend position, en les écartant, par rapport aux diverses critiques émises par le ministre à l’égard de ces attestations.
Le demandeur expose encore de manière générale la situation politique et la situation des droits de l’Homme au Zanzibar, situation qui aurait pour conséquence qu’il serait, en cas de retour dans son pays d’origine, exposé à des persécutions.
A titre subsidiaire il estime être susceptible de faire l'objet d'atteintes graves telles que définies à l'article 37 de la loi modifiée du 5 mai 2006, notamment en qu'il n'est raisonnablement pas à exclure qu’il fasse l'objet d'actes de torture sinon de traitements inhumains tels que prévus à l'article 37 sub b) de la loi précitée.
Le délégué du Gouvernement estime pour sa part que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte que celui-ci serait à débouter de son recours.
Aux termes de l’article 20 (1) de la loi modifiée du 5 mai 2006, le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée notamment si « b) il apparaît clairement que le demandeur ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale », étant entendu qu’aux termes de l’article 2 a), la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
Enfin, la notion de « réfugié » est définie par l’article 2 c) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays (…) ».
En l’espèce, l’examen des faits et motifs invoqués par le demandeur à l’appui de sa demande en obtention d’une protection internationale dans le cadre de son audition, ainsi qu’au cours de la procédure contentieuse, amène le tribunal à conclure qu’il n’a pas établi des raisons personnelles suffisamment précises de nature à établir dans son chef l’existence d’une crainte justifiée de persécution dans son pays de provenance au sens de la loi.
En effet, le tribunal est amené de prime abord de constater que le demandeur, qui avait déjà présenté sans succès une demande en obtention du statut de réfugié en 2003 - tant le tribunal administratif que la Cour administrative ayant exclu tout risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans le chef du demandeur - , réitère actuellement une telle demande, articulée en substance autour des mêmes faits et circonstances, mais en y ajoutant un élément nouveau, à savoir l’affirmation que son épouse serait régulièrement harcelée par des supporters du parti au pouvoir, les « Janjaweed », ainsi que par la police.
Le demandeur veut pour preuve de ces affirmations deux attestations prétendument établies par le CUF, dont l’authenticité a cependant été mise en doute par le ministre.
Le tribunal se doit à ce sujet de partager les doutes mis en avant par le ministre, les explications fournies par le demandeur quant aux circonstances dans lesquelles il aurait reçu ces attestations demeurant fort vagues. Il convient par ailleurs de relever que le demandeur n’a pas fourni de réponses satisfaisantes par rapport aux interrogations soulevées par le ministre ; ainsi, en particulier, le tribunal est forcé de constater après vérification que nonobstant les abnégations du demandeur, le site Internet indiqué sur lesdites attestations comme étant le site officiel du parti d’opposition CUF (www.cuftz.org) constitue en fait un site faisant notamment de la promotion pour différentes marques de réfrigérateurs.
Par ailleurs, si les attestations en question comportent en fait trois informations, seules deux informations se rapportent précisément au demandeur, la troisième information, d’ordre général et relative à la situation en Tanzanie, étant sans pertinence pour éclairer la situation personnelle et particulière du demandeur.
En ce qui concerne les deux autres informations y contenues, force est de constater que si les deux attestations décrivent le demandeur comme étant un membre engagé et important du CUF (« one of our bonafide youth wing leaders », « a front line young leader »), ces affirmations contredisent le récit initial du demandeur tel que fait dans le cadre de sa première demande d’asile, où il ne se définissait que comme « simple » membre du parti (voir à ce sujet page 3 du jugement du 12 mai 2004, n° 17429 du rôle), de sorte à mettre en doute la crédibilité de ces attestations.
Par ailleurs, force est encore de constater qu’en ce qui concerne le troisième élément d’information, consistant en l’affirmation que l’épouse du demandeur serait harcelée, seule l’attestation du 24 avril 2007 renferme cette information de manière vague (« His wife remain (sic) as the victim and harassed by the ruling party police »), alors que la première attestation, datée du 1er mars 2007, ne fait prétendument que reprendre les allégations de l’épouse (« According to the wife of the Mr …i ») , de sorte à être dépourvue de toute valeur probante sur ce point précis.
Or il échet de rappeler que le tribunal, statuant en tant que juge du fond en matière de demandes de protection internationale, doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, tout en prenant en considération la situation générale existant dans son pays d’origine. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur, la crédibilité d’un demandeur de protection internationale constituant en effet un élément d’appréciation fondamental dans l’appréciation de la justification d’une demande d’asile, spécialement lorsque des éléments de preuve matériels font défaut1.
A partir des éléments ci-avant relatés, il y a lieu de retenir que le demandeur n’a pas fait état d’une manière crédible d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef.
Par ailleurs, au-delà du caractère douteux du récit du demandeur, à supposer que celui-ci soit véridique, force est de constater que la seule persécution dont il fait actuellement état réside dans le fait que les supporters du parti au pouvoir se présenteraient régulièrement auprès de son épouse, restée au pays, pour s’enquérir de son lieu de séjour afin de lui proposer de l’aide (« they keep on asking her : « where is your husband. We want to help him but we have to know where he is »). Or un harcèlement de ce type ne revêt pas un caractère de gravité suffisant permettant d’établir dans le chef du demandeur l’existence d’une crainte justifiée de persécution dans son pays de provenance au sens de la loi, de sorte qu’il apparaît clairement que le demandeur ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié.
C’est partant à juste titre que le ministre a décidé de soumettre le demandeur sur base de l’article 20 de la loi modifiée du 5 mai 2006 à la procédure accélérée et qu’il a, au terme de l’analyse de sa situation, déclaré sa demande en obtention de la protection internationale sous analyse comme étant non fondée.
Il se dégage des considérations qui précèdent que le recours formé par le demandeur est à rejeter comme n’étant pas fondé.
1 Cour adm. 21 juin 2007, n° 22858C, non encore publié.
En ce qui concerne le refus du ministre d’accorder au demandeur le bénéfice de la protection subsidiaire telle que prévue par la loi du 5 mai 2006, il y a lieu de rappeler qu’aux termes de l’article 2, e) de la loi du 5 mai 2006, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire», « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37, l’article 39, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
L’article 37 de la même loi énumère en tant qu’atteintes graves, sous ses littéra a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution; ou la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; ou des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Le tribunal constate à ce sujet que le demandeur a omis de prendre position par rapport au cadre spécifique de la protection subsidiaire telle que prévue par la loi modifiée du 5 mai 2006, si ce n’est de se référer aux faits avancés dans le cadre de sa demande en obtention du statut de réfugié, de sorte qu’en l’état actuel du dossier et compte tenu des moyens figurant dans la requête introductive d’instance le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-
fondé de la décision déférée portant refus d’accorder au demandeur le bénéfice de la protection subsidiaire telle que prévue par la loi du 5 mai 2006.
Partant, le recours en réformation est également à rejeter comme étant non fondé en ce qu’il est dirigé à l’encontre de la décision ministérielle refusant au demandeur le bénéfice de la protection subsidiaire.
Quant au recours en annulation visant la décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration portant ordre de quitter le territoire Aux termes de l’article 19 (1) de la loi modifiée du 5 mai 2006, une décision négative du ministre prise dans le cadre de la procédure accélérée vaut ordre de quitter le territoire en conformité des dispositions de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1° l’entrée et le séjour des étrangers, 2° le contrôle médical des étrangers, 3° l’emploi de la main-d’oeuvre étrangère.
Il résulte des conclusions retenues ci-avant que le ministre a valablement pu opposer au demandeur un refus à ses demandes en obtention du statut de réfugié ainsi qu’en obtention de la protection subsidiaire, de sorte qu’il a a priori également valablement pu opposer l’ordre de quitter le territoire au demandeur.
Force est au tribunal de constater que le demandeur reste en défaut de formuler utilement un quelconque moyen de légalité, voire seulement d’invoquer une quelconque base légale susceptible d’étayer ses prétentions nonobstant le constat par le tribunal de la régularité et du bien-fondé de la décision négative ministérielle, de sorte que le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée portant ordre de quitter le territoire.
Partant, le recours en annulation est à rejeter comme étant non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours en réformation contre la décision ministérielle du 19 juillet 2007 portant refus du statut de réfugié ainsi que de la protection subsidiaire;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en annulation contre la décision déférée portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique 15 octobre 2007 par :
Mme Lenert, vice-président, Mme Thomé, juge, M Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.
s. Schmit s. Lenert 11