Tribunal administratif N° 22526 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 février 2007 Audience publique du 3 octobre 2007 Recours formé par Monsieur … contre une décision prise par le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière d’autorisation de séjour
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 22526 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 8 février 2007 par Maître Jean MINDEN, avocat à la Cour, assisté de Maître Anne SIMON, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur… , né le … (Portugal), de nationalité portugaise, demeurant actuellement à F-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 17 octobre 2006 par laquelle l’entrée et le séjour au Grand-Duché de Luxembourg lui ont été refusés et lui enjoignant de quitter le territoire ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 avril 2007 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif par Maître Jean MINDEN le 25 mai 2007 ;
Entendu le juge-rapporteur en son rapport, Maître Anne SIMON ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 17 septembre 2007.
Monsieur …entra sur le territoire luxembourgeois le 24 février 2004. Ses parents le rejoignirent le 26 mars 2004.
Monsieur …travailla auprès de deux sociétés différentes du 25 mars 2004 au 28 janvier 2005 et ensuite du 26 janvier 2006 au 19 avril 2006.
Un premier procès-verbal fut dressé à l’encontre de Monsieur …le 29 novembre 2005 pour vol à l’étalage et le 14 mai 2006 un deuxième procès-verbal fut dressé pour vol dans une voiture.
Par un jugement du 11 août 2006 du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg siégeant en matière correctionnelle, Monsieur …fut condamné à une peine d’emprisonnement de 9 mois pour vol et tentative de vol.
Le 17 octobre 2006, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration prit à l’égard de Monsieur …une décision de refus d’entrée et de séjour au Grand-Duché de Luxembourg. La décision est libellée de la façon suivante :
« Vu l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers ;
Vu les antécédents judiciaires de l’intéressé ;
Vu le procès-verbal no 29 du 29 novembre 2005 établi par la police grand-ducale ;
Attendu que l’intéressé est susceptible de compromettre la sécurité et l’ordre publics ;
Arrête :
Art. 1er.- L’entrée et le séjour sont refusés au nommé…, né à … , de nationalité portugaise, actuellement détenu.
L’intéressé devra quitter le pays dans un délai de 15 jours après notification du présent arrêté, et en cas de détention, dans un délai de 15 jours après la mise en liberté ».
La décision fut notifiée en date du 8 novembre 2006 à Monsieur …, détenu au Centre pénitentiaire à Schrassig.
Le 5 décembre 2006, Monsieur …bénéficia d’une libération anticipée de la part du procureur d’Etat et fut éloigné du territoire luxembourgeois le 6 décembre 2006.
Le 8 février 2007, Monsieur …a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation contre la décision du 17 octobre 2006 lui refusant l’entrée et le séjour au Luxembourg.
Aucun recours au fond n’étant prévu en la matière, le tribunal n’est pas compétent pour connaître du recours principal en réformation. Le recours en annulation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
En premier lieu Monsieur …fait valoir que la décision du 17 octobre 2006 ne serait pas suffisamment motivée.
S’il est certes exact que la décision litigieuse n’est pas beaucoup motivée, il n’en reste pas moins qu’elle se réfère aux antécédents judiciaires de l’intéressé et à un procès-
verbal du 29 novembre 2005. La motivation a été complétée en cours de la procédure contentieuse en se référant plus précisément au procès-verbal du 14 mai 2006 et au jugement du tribunal d’arrondissement statuant en matière correctionnel du 11 août 2006, de sorte que le moyen soulevé ayant trait à une insuffisance de motivation est à écarter, étant donné que le demandeur, au plus tard au vu dossier soumis au tribunal, n’a pas pu se méprendre sur le contenu de la décision lui notifiée.
En second lieu, le demandeur invoque une violation de la législation communautaire applicable en la matière et plus précisément des articles 27 et suivants de la directive 2004/38/CE du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leur famille de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres. Il fait valoir que les faits sur lesquels s’est fondée la décision litigieuse ne dénoteraient pas dans son chef un comportement représentant une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société, de même qu’une seule condamnation pénale ne suffirait pas à justifier une telle mesure.
Le délégué du Gouvernement répond que Monsieur …, arrivé au Luxembourg seulement en 2004, ne serait pas titulaire d’une carte d’identité d’étranger délivrée par les autorités luxembourgeoises, de sorte qu’il ne serait pas « établi au pays ».
Selon une jurisprudence constante de la Cour de Justice des Communautés européennes, dans tous les cas où des dispositions d’une directive apparaissent comme étant, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment précises, les particuliers sont fondés à les invoquer à l’encontre de l’Etat, soit lorsque celui-ci d’abstient de transposer dans les délais la directive en droit national, comme c’est le cas en l’espèce, soit lorsqu’il en fait une transposition incorrecte, de sorte que Monsieur …peut invoquer l’article 28 et suivants de la directive 2004/38/CE du 29 avril 2004 non encore transposée en droit national.
L’article 27 figurant au chapitre VI de la directive 2004/38/CE intitulé « Limitation du droit d’entrée et du droit de séjour pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique » a la teneur suivante :
« Article 27 Principes généraux 1.
Sous réserve des dispositions du présent chapitre, les Etats membres peuvent restreindre la liberté de circulation et de séjour d’un citoyen de l’Union ou d’un membre de sa famille, quelle que soit sa nationalité, pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique. Ces raisons ne peuvent être invoquées à des fins économiques.
2.
Les mesures d’ordre public ou de santé publique doivent respecter le principe de proportionnalité et être fondées exclusivement sur le comportement personnel de l’individu concerné. L’existence de condamnations pénales antérieures ne peut à elle seule motiver de telles mesures.
Le comportement de la personne concernée doit présenter une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société. Des justifications non directement liées au cas individuel concerné ou tenant à des raisons de prévention générale ne peuvent être retenues… ».
En l’espèce, l’article 27 et suivants de la directive 2004/38/CE sont applicables étant donné que Monsieur …, citoyen européen, tombe dans le champ d’application du chapitre IV dans la mesure où la décision litigieuse procède à une limitation de son droit d’entrée et de séjour au Luxembourg.
Les affirmations du délégué du Gouvernement que le demandeur n’a pas accompli les formalités administratives nécessaires à son séjour au Luxembourg n’énervent pas cette conclusion. En effet l’article 27 et suivants de la directive 2004/38/CE s’appliquent à tout citoyen de l’Union sans que le texte en question ne précise qu’il ne s’appliquerait seulement aux citoyens de l’Union ayant accompli les formalités administratives nécessaires. A cela s’ajoute que l’article 2 ,1) de la directive 2004/38/CE définit le « citoyen européen » comme « toute personne ayant la nationalité d’un Etat membre ».
Il y a dès lors lieu d’analyser si le ministre a pu prendre la décision litigieuse à l’encontre de Monsieur …en invoquant la réserve d’ordre public.
A ce titre, le ministre fait référence aux antécédents judiciaires du demandeur, antécédents qui ont été précisés en cours de procédure contentieuse. En effet dans le cadre de son mémoire en réponse le délégué du Gouvernement fait référence aux deux procès-
verbaux dressés en date des 29 novembre 2005 et 14 mai 2006 et au jugement de condamnation du 11 août 2006, sans cependant préciser en quelle mesure le comportement de Monsieur …constitue une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société luxembourgeoise.
En l’absence de toute précision permettant au tribunal de retenir que le comportement personnel de Monsieur …représente une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société luxembourgeoise, les faits retenus par le ministre à la base de la décision litigieuse sont insuffisants pour la sous-
tendre légalement.
En effet il y a lieu de relever que les infractions se trouvant à la base de la condamnation pénale du 11 août 2006 (cambriolage dans trois voitures le 14 mai 2005) dont a fait l’objet Monsieur …ne font pas ressortir un comportement de ce dernier représentant une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société. Il en est de même du vol à l’étalage du 29 novembre 2005.
Il s’en suit que la décision litigieuse encourt dès lors l’annulation, sans qu’il y ait lieu d’analyser encore les autres moyens invoqués.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond le déclare justifié ;
partant annule la décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 17 octobre 2006 ;
condamne l’Etat aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 3 octobre 2007 par :
Mme Lenert, vice-président, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.
s. Schmit s. Lenert 5