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26/09/2007 | LUXEMBOURG | N°22885

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 26 septembre 2007, 22885


Tribunal administratif N° 22885 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 avril 2007 Audience publique du 26 septembre 2007 Recours formé par Madame … et Monsieur …, contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 22885 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 27 avril 2007 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tab

leau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, de nationalité française, de...

Tribunal administratif N° 22885 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 avril 2007 Audience publique du 26 septembre 2007 Recours formé par Madame … et Monsieur …, contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 22885 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 27 avril 2007 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, de nationalité française, demeurant à L-…, ainsi que de Monsieur …, de nationalité cap-verdienne, ayant été retenu par la suite au Centre de séjour pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant à l’annulation d’une décision implicite de refoulement respectivement d’éloignement sous-jacente à la décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 12 avril 2007 ayant ordonné la rétention administrative de Monsieur … ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 9 mai 2007 ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Frank WIES, en remplacement de Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 17 septembre 2007.

Par arrêté du 12 avril 2007, le ministre des Affaires étrangères et de l'Immigration ordonna le placement de Monsieur … au centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois. Le 16 avril suivant, il lui a explicitement refusé l'entrée et le séjour au pays, au motif que l'intéressé ne dispose pas des moyens d'existence personnels légalement acquis, qu'il se trouve en séjour irrégulier au pays et qu'il est susceptible de compromettre l'ordre public.

Par requête déposée le 27 avril 2007, inscrite sous le numéro 22885 du rôle, Madame …, de nationalité française, déclarant être la compagne de Monsieur …, agissant tant en son nom personnel qu'en celui de leur enfant commun …, ainsi que Monsieur … lui-même ont introduit un recours en annulation contre la décision de refoulement, sinon d'éloignement, sous-jacente à la prédite décision de placement, et par requête déposée le même jour, inscrite sous le numéro 22886 du rôle, ils ont sollicité le sursis à exécution de la mesure d'éloignement du pays de Monsieur …, cette requête s’étant soldée par une ordonnance rendue en date du 30 avril 2007 par le président du tribunal administratif, déclarant la demande tendant à voir ordonner le sursis à exécution non justifiée.

A l’appui de leur recours au fond, les demandeurs font exposer qu'ils viveraient maritalement depuis l'année 2004 et que de leur union serait née le 27 février 2006 l'enfant ….

Ils affirment encore que jusqu'à son arrestation, Monsieur … se serait occupé quotidiennement de l'enfant commun avec tous les soins requis et indispensables.

Ils estiment que la mesure de rapatriement prévue à l’époque du dépôt de la requête introductive d’instance constituerait une atteinte injustifiée à leur vie familiale existante au sens de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, ci-après désignée par « CEDH », en ce sens que l’exécution de la décision ministérielle d’éloignement de Monsieur … entraînerait une rupture insupportable de leur vie commune. Pour souligner le caractère insupportable ainsi mis en avant, les demandeurs font état du fait que la « quasi-

totalité » des membres de la famille de Madame …, à savoir ses père et mère ainsi que son frère, résideraient au Grand-Duché de Luxembourg et qu’elle s’y adonnerait à une activité salariale régulière, de sorte qu’il serait inconcevable pour elle de quitter le Grand-Duché de Luxembourg et de mener une vie familiale avec son fiancé dans un autre pays.

Les demandeurs concluent ensuite à une violation de du droit communautaire qui consacrerait au profit des ressortissants communautaires la liberté de circulation et de travailler. Ils estiment dans ce contexte que la « décision de mise à disposition » prise à l’égard de Monsieur … constituerait un obstacle contraire à l’article 11 (3) de la Constitution ainsi qu’à l’article 8 CEDH.

Ils sont enfin d'avis que la décision attaquée serait contraire à la Convention relative aux droits des enfants du 20 novembre 1989 ainsi qu'à celles du Pacte relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966.

Le délégué du Gouvernement conteste l'existence d'une vie familiale au sens de l'article 8 CEDH. Il conteste pareillement la paternité de Monsieur … à l'égard de l'enfant ….

Aucun recours au fond n’étant prévu en la présente matière, le recours en annulation, par ailleurs introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.

Par décision du 16 avril 2007, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration a refusé l’entrée et le séjour à Monsieur … et lui a ordonné de quitter le pays dès la notification dudit arrêté sur base de l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, ainsi que sur base des considérations que l’intéressé « ne dispose pas de moyens d’existence personnels ; - se trouve en séjour irrégulier au pays ; - est susceptible de compromettre l’ordre public ».

Sur base des mêmes considérations, Monsieur … fut placé, par arrêté ministériel du 12 avril 2007, au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière dans l’attente de son éloignement.

Il est constant que le litige sous examen a pour objet non pas l’arrêté de refus d’entrée et de séjour du 16 avril 2007 pris sur base de l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée, mais la mesure d’éloignement fondée sur l’article 12 de la même loi en vue de l’exécution de laquelle Monsieur … fut placé au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière.

Conformément aux dispositions de l’article 12 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée « peuvent être éloignés du territoire par la force publique, sans autre forme de procédure que la simple constatation du fait par un procès-verbal à adresser au ministre de la Justice, les étrangers non autorisés à résidence :

1. qui sont trouvés en état de vagabondage ou de mendicité ou en contravention à la loi sur le colportage ;

2. qui ne disposent pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ;

3. auxquels l’entrée dans le pays a été refusée en conformité de l’article 2 de la présente loi ;

4. qui ne sont pas en possession de papiers de légitimation prescrits et de visa si celui est requis ;

5. qui, dans les hypothèses prévues à l’article 2 paragraphe 2 de la Convention d’application de l’Accord de Schengen, sont trouvés en contravention de la loi modifiée du 15 mars 1983 sur les armes et munitions ou sont susceptibles de compromettre la sécurité, la tranquillité ou l’ordre publics. » Il se dégage des pièces versées au dossier que le ministre, sur base d’une décision de refus d’entrée et de séjour, a procédé à l’éloignement de Monsieur …, de sorte que celui-ci rentre directement dans les prévisions du point 3) de l’article 12 prérelaté et que les conditions d’application de l’article 12 alinéa 1, en l’absence de contestation relativement au constat du fait du refus d’entrée dans le pays, sont partant à considérer comme étant remplies.

Si la décision d’éloignement litigieuse se trouve dès lors, en principe, justifiée à suffisance de droit par le constat de l’existence d’une décision de refus d’entrée et de séjour, il convient d’examiner le principal moyen d’annulation soulevé par les demandeurs tiré d’une violation alléguée de l’article 8 CEDH, dans la mesure où les demandeurs estiment qu’il y aurait violation de leur droit à l’exercice d’une vie familiale effective au Grand-Duché de Luxembourg.

L’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme dispose que :

« 1) Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2) Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-

être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».

S’il est de principe, en droit international, que les Etats ont le pouvoir souverain de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers, il n’en reste pas moins que les Etats qui ont ratifié la Convention européenne des droits de l’homme ont accepté de limiter le libre exercice de cette prérogative dans la mesure des dispositions de ladite Convention.

La notion de vie familiale au sens de l’article 8 CEDH étant susceptible de couvrir le cas de couples non mariés, il y a dès lors lieu de vérifier d’abord si les demandeurs peuvent se prévaloir d’une vie familiale préexistante et effective, caractérisée par des relations réelles et suffisamment étroites ainsi que de vérifier, dans l’affirmative, si la décision d’éloignement litigieuse a porté une atteinte injustifiée à cette vie familiale devant le cas échéant emporter son annulation pour cause de violation de l’article 8 CEDH.

Or il résulte à ce sujet des pièces versées en cause que contrairement aux affirmations des demandeurs selon lesquelles ils auraient vécu ensemble maritalement depuis 2004, Monsieur …, qui séjournait irrégulièrement au Grand-Duché de Luxembourg en 2003, a quitté le pays en avril 2003 pour n’y revenir que début de l’année 2007. Il résulte en particulier des déclarations de sa cousine, telles qu’actées par la police grand-ducale le 12 mai 2003 que Monsieur … a quitté le Grand-Duché de Luxembourg pour une adresse inconnue au Portugal en avril 2003, tandis que selon les propres déclarations du demandeur, actées le 12 avril 2007 par la police, il aurait quitté le Grand-Duché de Luxembourg en 2003 pour retourner au Cap-

Vert et il ne serait revenu au Luxembourg que début 2007.

Force est encore de constater que l’acte de naissance de l’enfant …, née le 27 février 2006, et dès lors nécessairement conçue à une date où le demandeur, selon ses propres déclarations, ne résidait pas au Luxembourg, ne mentionne pas Monsieur … en tant que père, Madame … n’ayant pas indiqué le père de son enfant.

Par ailleurs aucune reconnaissance de l'enfant n'a été opérée par le demandeur depuis qu'elle est née.

Il s’avère enfin que le ministre a expressément attiré par courrier du 18 avril 2007 l’attention du conseil de l’époque de Monsieur … sur ces incohérences, en exigeant des explications afférentes (« (…) vous m’expliquerez (…) comment il s’est organisé pour être le père de cet enfant. »), sans que ni le conseil juridique d’antan, ni le conseil juridique actuel du demandeur ne prennent position par rapport à ces incohérences et contradictions flagrantes.

Il résulte dès lors que tant l’existence d’une vie commune avant 2007 telle qu’affirmée par les demandeurs que la paternité de Monsieur … restent en l’état actuel du dossier en l’état de simple allégation, de sorte que le tribunal doit admettre, en l’absence de tout élément tangible versé au dossier par les demandeurs pour étayer leurs affirmations et pour énerver les contestations de la partie publique, d’une part, qu’une vie familiale effective a seulement commencé à s’établir à partir du début de l’année 2007 entre les demandeurs sur le territoire luxembourgeois, et, d’autre part, que Monsieur … n’est pas, en l’état actuel du dossier, à considérer comme père biologique de l’enfant ….

Si les lettres versées en cause par les demandeurs semblent certes attester de l’existence, début 2007, d’une vie familiale entre les demandeurs et d’une relation affective entre l’enfant … et Monsieur …, de sorte que la décision d’éloignement querellée porte certes atteinte à cette vie familiale récente, ayant été entamée début 2007, en ce sens que sa poursuite au Grand-Duché de Luxembourg s’en trouve compromise dans l’immédiat, cette atteinte ne saurait pas pour autant être qualifiée d’excessive en l’espèce.

En effet, dans le cadre du contrôle de proportionnalité à effectuer dans ce contexte, il importe de relever que l’article 8 CEDH ne confère pas directement aux étrangers un droit de séjour dans un pays précis et que les demandeurs, lorsqu’ils ont noué leur relation amoureuse, n’étaient pas sans ignorer la relative précarité de la situation de Monsieur …. S’il est en effet certes constant qu’une personne en situation irrégulière demeurant sur le territoire luxembourgeois peut alléguer qu’une mesure d’éloignement constitue une ingérence dans sa vie privée et familiale, il importe néanmoins de relever que le caractère précaire de sa présence sur le territoire n’est pas sans pertinence dans l’analyse de la conformité de la mesure restrictive avec notamment la condition de proportionnalité inscrite au second paragraphe de l’article 8. La Cour européenne des droits de l’homme n’accorde en effet qu’une faible importance aux événements de la vie d’immigrants qui se produisent durant une période où leur présence sur le territoire est contraire à la loi nationale, voire couverte par un statut de séjour précaire1.

En l’espèce, compte tenu du caractère somme toute très récent de la relation alléguée entre Madame … et Monsieur …, ainsi que du fait que ce dernier se trouvait en situation irrégulière au pays le moyen basé sur une ingérence injustifiée dans l’exercice de la vie familiale des demandeurs laisse d’être fondé.

En ce qui concerne la violation alléguée du droit communautaire, en particulier le droit des ressortissants communautaires et de leurs conjoints non communautaires de circuler 1 Revue trimestrielle des droits de l’homme (60/2004) p. 926 librement et de travailler dans les autres Etats membres, les demandeurs restent en défaut d’expliquer dans quelle mesure le droit communautaire serait violé, étant donné que Monsieur … n'est pas le conjoint marié de Madame … et que le droit de celle-ci de circuler librement et de travailler dans un Etat membre de son choix n'est pas mis en cause par la mesure attaquée.

Il s’ensuit qu’il échet de rejeter le moyen afférent, tout comme il n’y a pas lieu de faire droit à la demande formulée au dispositif de la requête introductive d’instance et tendant voir le tribunal adresser une question préjudicielle à la Cour de justice des communautés européennes.

Finalement, étant donné que la paternité de Monsieur … à l'égard de l'enfant n'est actuellement pas établie, les moyens tirés de la violation de la Convention relative aux droits des enfants et du Pacte relatif aux droits civils et politiques ne sont, en état actuel du dossier, pas pertinents.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en annulation laisse d’être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le dit non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 26 septembre 2007 par :

Mme Lenert, vice-président, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 22885
Date de la décision : 26/09/2007

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2007-09-26;22885 ?

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