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12/09/2007 | LUXEMBOURG | N°23410

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 septembre 2007, 23410


Tribunal administratif Numéro 23410 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 septembre 2007 Audience publique extraordinaire du 12 septembre 2007 Recours formé par Monsieur …, Schrassig contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 23410 du rôle et déposée le 7 septembre 2007 au greffe du tribunal administratif par Maître Gilles PLOTTKE, avocat à l

a Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né...

Tribunal administratif Numéro 23410 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 septembre 2007 Audience publique extraordinaire du 12 septembre 2007 Recours formé par Monsieur …, Schrassig contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 23410 du rôle et déposée le 7 septembre 2007 au greffe du tribunal administratif par Maître Gilles PLOTTKE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Tindouf (Algérie), de nationalité algérienne, actuellement retenu au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d'une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 7 août 2007, notifiée le 14 août 2007, ordonnant son placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une durée maximale d’un mois à partir de la notification de cette décision ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 septembre 2007 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 11 septembre 2007 par Maître Giles PLOTTKE pour compte du demandeur ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître William ZANIER, en remplacement de Maître Gilles PLOTTKE, et Madame le délégué du Gouvernement Jacqueline JACQUES en leurs plaidoiries respectives à l'audience publique du 12 septembre 2007.

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Après s’être vu refuser définitivement le statut de réfugié par le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministre », Monsieur … fit l’objet d’un arrêté de refus d’entrée et de séjour du ministre pris en date du 12 mars 2007. Il fit ensuite l’objet d’une décision de placement datant du 11 mai 2007 qui fut prorogée à deux reprises, une première fois en date du 13 juin 2007 et une itérative fois en date du 12 juillet 2007.

Par arrêté du 7 août 2007, notifié le 14 août 2007, le ministre prit une nouvelle décision de placement à l’encontre de Monsieur … sur le fondement de l’article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ;

3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, pour une durée maximale d’un mois à partir de la notification en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois.

La décision de placement est fondée sur les considérations et motifs suivants :

« Vu l’article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers ;

Vu le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière ;

Vu mon arrêté de refus d’entrée et de séjour du 12 mars 2007 lui notifié en date du 16 avril 2007 ;

Considérant que l’intéressé est démuni de toute pièce d’identité et de voyage valable ;

- qu’il ne dispose pas de moyens d’existence personnels légalement acquis ;

- qu’il se trouve en séjour irrégulier au pays ;

- que l’éloignement immédiat de l’intéressé n’est pas possible ;

Considérant qu’une demande pour un accord de réadmission sera adressée aux autorités algériennes ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d’éloignement ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 7 septembre 2007, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle de placement prévisée du 7 août 2007.

Etant donné que l'article 15, paragraphe (9) de la loi précitée du 28 mars 1972 institue un recours de pleine juridiction contre une décision de placement, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit contre la décision litigieuse.

Ledit recours ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. Le recours en annulation introduit en ordre subsidiaire est dès lors irrecevable.

Le demandeur, après avoir exposé être placé au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig « au sein du Centre pénitentiaire de Luxembourg » et après avoir affirmé que le régime auquel il y serait soumis serait « similaire voire identique » à celui des détenus normaux, conclut à ce que le placement « au sein du Centre pénitentiaire de Luxembourg » devrait rester une mesure d’exception indiquée uniquement en cas de nécessité absolue lorsque l’étranger serait susceptible de compromettre la sécurité, la tranquillité ou l’ordre publics.

Il reproche au ministre de ne pas avoir motivé sa décision par un quelconque risque à l’ordre public dans son chef et estime que la simple référence à un risque de fuite ne saurait justifier la mesure de rétention. Ce risque de fuite resterait en effet en l’état de simple hypothèse non autrement définie par le ministre. Il donne à considérer en outre que bon nombre de demandeurs d’asile déboutés seraient tolérés de manière informelle au Grand-Duché de Luxembourg parfois pendant des mois voire des années tout en continuant de résider à une adresse qui serait parfaitement connue des services de l’immigration. Dans la mesure où une éventuelle présomption d’un risque de fuite devait dès lors valoir pour tout demandeur d’asile débouté, il estime que le ministre resterait en défaut d’établir en quoi ce risque de fuite serait plus élevé dans son propre chef que par rapport à tout autre demandeur d’asile débouté.

Dans son mémoire en réplique le demandeur se plaint en outre d’avoir fait l’objet d’une décision disciplinaire prise par le représentant du directeur du Centre pénitentiaire de Luxembourg en date du 20 juin 2007 pour ne pas avoir obtempéré à l’invitation lui adressée de se vêtir d’un t-shirt au moment du repas. Il insiste dans ce contexte sur le fait qu’il serait traité dans le cadre de sa rétention administrative suivant un même régime que les détenus de droit commun.

Il est en l’espèce constant que le demandeur est placé non pas dans un établissement pénitentiaire, mais au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière qui est a priori à considérer comme un établissement approprié au sens de la loi précitée de 1972. La mise en place d’un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière repose précisément sur la prémisse qu’au-delà de toute considération tenant à une dangerosité éventuelle des personnes concernées, celles-ci, eu égard au seul fait de l’irrégularité de leur séjour et de l’imminence de l’exécution d’une mesure d’éloignement dans leur chef, présentent en principe et par essence un risque de se soustraire à la mesure d’éloignement, fût-il minime, justifiant leur rétention dans un centre de séjour spécial afin d’éviter que l’exécution de la mesure prévue ne soit compromise.

Le demandeur n’ayant pas contesté en l’espèce rentrer dans les prévisions de la définition des « retenus » telle que consacrée à l’article 2 du règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière, le moyen basé sur l’absence de dangerosité ou de risque de fuite dans son chef laisse d’être fondé.

Pour le surplus, le demandeur, hormis l’affirmation qu’il serait soumis à un régime « similaire voire identique » à celui des détenus de droit commun, n’a fait état d’aucun élément personnel duquel il ressortirait que les limites apportées à sa liberté de circulation seraient disproportionnées par rapport à l’objectif d’une mesure de placement.

Il s’y ajoute que les conditions de rétention résultent dans leurs grandes lignes du régime spécifique tel qu’instauré par le règlement grand-ducal précité du 20 septembre 2002, qui renvoie en son article 5 directement pour toutes les questions qu’il ne règle pas lui-même au règlement grand-ducal modifié du 24 mars 1989 concernant l’administration et le régime interne des établissements pénitentiaires.

Or, l’autorité chargée de l’application de ces règlements grand-ducaux n’est pas le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, mais conformément à l’article 18 du prédit règlement grand-ducal modifié du 24 mars 1989, le ministre de la Justice, dont dépend l’administration des établissements pénitentiaires, ainsi qu’en application de l’article 19 du même règlement grand-ducal, le procureur général d’Etat chargé de la direction générale et de la surveillance des établissements pénitentiaires.

Le règlement grand-ducal modifié du 24 mars 1989 instaurant en outre une voie de recours spécifique auprès du procureur général d’Etat au profit des détenus et, en application de l’article 5 du règlement grand-ducal du 20 septembre 2002, également au profit des retenus qui s’estiment lésés par une décision du directeur, il se dégage dès lors de l’ensemble des considérations qui précèdent que le moyen tiré du caractère inapproprié du Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière est à rejeter comme étant non fondé.

Le demandeur soutient ensuite qu’il aurait appartenu au ministre de justifier les circonstances de fait qui rendraient impossible son éloignement immédiat et qu’il resterait également en défaut de justifier l’accomplissement des démarches nécessaires en vue de son éloignement du pays dans les meilleurs délais, ceci afin d’écourter au maximum sa privation de liberté. Il fait valoir dans ce contexte que les autorités luxembourgeoises resteraient en défaut d’établir que depuis le 11 mai 2007, date de la première mesure de placement, tous les efforts et toutes les démarches nécessaires auraient été déployés en vue d’assurer une exécution sans retard de la mesure d’éloignement.

Le délégué du Gouvernement relève d’abord qu’après avoir été libéré en date du 3 août 2007, Monsieur … fit l’objet d’un contrôle policier en gare de Metz en date du 4 août 2007 et qu’il fut retourné par la suite aux autorités luxembourgeoises. Il signale en outre que les autorités algériennes ont été contactées en vue de l’établissement d’un laissez-passer et que la procédure en vue du retour accompagné en Algérie serait actuellement en cours. Il insiste dans ce contexte que le demandeur refuserait toute coopération avec les autorités et qu’il serait dépourvu de documents d’identité tout en ayant par ailleurs fait état d’identités différentes notamment auprès de la police française.

En vertu de l’article 15, paragraphe (1) de la loi modifiée du 28 mars 1972, précitée, lorsque l’exécution d’une mesure d’expulsion ou d’éloignement en application des articles 9 ou 12 de la même loi est impossible en raison de circonstances de fait, l’étranger peut, sur décision du ministre compétent, être placé dans un établissement approprié à cet effet pour une durée maximale d’un mois.

Le ministre compétent est dans l’impossibilité de procéder à l’éloignement immédiat d’un étranger lorsque ce dernier ne dispose pas des documents d’identité et de voyage requis pour permettre son éloignement immédiat et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères en vue de l’obtention d’un accord de reprise de l’intéressé et desdits documents. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur lui a conféré un délai initial maximal d’un mois pour obtenir de la part des autorités étrangères concernées les documents de voyage nécessaires.

En l’espèce, l’arrêté de placement litigieux indique expressément que le demandeur est dépourvu d’un titre de voyage valable. Or, à défaut de documents de voyage dans le chef du demandeur, le ministre se voyait effectivement dans l’impossibilité d’une exécution immédiate de la mesure d’éloignement prise, alors qu’il était tenu d’obtenir des autorités algériennes un laissez-passer pour que la mesure d’éloignement puisse être exécutée.

La condition légale de l’impossibilité d’un éloignement immédiat présuppose néanmoins que des démarches en vue de l’organisation de l’éloignement soient initiées par les autorités compétentes, étant entendu que le délai maximal d’un mois prévu par la loi pour le placement d’une personne en attente de son éloignement n’est concevable, par essence, que par rapport à sa finalité qui est l’aboutissement de démarches afférentes entreprises.

Il s’ensuit que le juge administratif doit vérifier si les autorités administratives ont entrepris les démarches nécessaires et utiles pour assurer un éloignement de la personne placée dans les meilleurs délais, c’est-à-dire de façon à écourter au maximum sa privation de liberté (cf.

trib. adm. 15 mars 2004, n° 17700 du rôle, Pas. adm. 2006, V° Etrangers, n° 402 et autres références y citées).

S’il ressort certes du dossier administratif versé en cause que le ministre, dans le cadre des précédentes décisions de placement, s’était adressé en dates des 4 et 11 mai et 12 juillet 2007 au consulat général d’Algérie à Bruxelles afin d’obtenir un laissez-passer au profit de Monsieur …, alias …, il est cependant resté en défaut de relancer cette procédure qu’il a certes valablement pu abandonner suite à la disparition de l’intéressé.

Sur question expresse du tribunal à l’audience des plaidoiries, le délégué du Gouvernement n’a pas pu confirmer qu’une démarche concrète avait été entreprise pour relancer la procédure engagée auprès des autorités algériennes à la suite de la prise d’une nouvelle décision de placement en date du 7 août 2007.

Or, le seul rappel adressé en date du 10 septembre 2007 aux autorités algériennes, soit quelques jours seulement avant l’expiration de la mesure de placement litigieuse, est insuffisant pour documenter à suffisance un relancement utile des formalités en vue de l’éloignement de l’intéressé.

Une mesure de placement étant une mesure restrictive des libertés du demandeur, elle doit rester nécessairement réduite à un strict minimum et s’accompagner dans un délai raisonnable de démarches en vue de l’organisation de l’éloignement projeté.

Il suit des considérations qui précèdent que les démarches nécessaires et utiles qui auraient pu assurer un éloignement de la personne intéressée dans les meilleurs délais n’ont pas été entreprises, de sorte que l’impossibilité d’un éloignement immédiat, certes patente au jour de la prise de décision litigieuse, voire au cours des premières journées qui suivirent la date du 7 août 2007, a cessé d’exister par la suite.

Il découle des développements qui précèdent que le recours est justifier et que l’arrêté ministériel déféré encourt la réformation en ce sens que la libération immédiate du demandeur est à ordonner.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, le déclare justifié ;

partant, par réformation de l’arrêté ministériel critiqué du 7 août 2007, dit que la mesure de rétention du demandeur n’est plus justifiée à l’heure actuelle et ordonne la libération immédiate de Monsieur … ;

déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 12 septembre 2007 par :

M. Ravarani, président M. Schockweiler, premier vice-président Mme Lenert, vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Ravarani 6


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 23410
Date de la décision : 12/09/2007

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2007-09-12;23410 ?

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