Numéro 23114 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 juin 2007 Audience publique extraordinaire du 3 juillet 2007 Recours formé par Monsieur … contre un arrêté du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 23114 du rôle et déposée le 25 juin 2007 au greffe du tribunal administratif par Maître Joram MOYAL, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Ibeju (Nigeria), de nationalité nigériane, actuellement placé au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière, tendant à la réformation, sinon à l’annulation -
d’un arrêté du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 6 juin 2007 prononçant à son encontre une mesure de placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une durée maximale d’un mois à partir de la notification dudit arrêté, -
d’une « notification d’une mesure de placement de la même date » ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 juin 2007 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 28 juin 2007 par Maître Joram MOYAL pour compte de Monsieur … ;
Vu les pièces versées en cause et notamment l’arrêté critiqué ;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Jean-Philippe FRANCOIS, en remplacement de Maître Joram MOYAL, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-
Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.
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A la suite d’une demande d’asile par lui présentée auprès du service compétent du ministère de la Justice le 28 juillet 2004, Monsieur …, préqualifié, se vit refuser la délivrance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève par une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après désigné par le « ministre », du 3 juillet 2006. Le recours contentieux formé par Monsieur … contre cette décision de rejet fut déclaré irrecevable par un jugement du tribunal administratif du 7 février 2007.
Une demande en obtention du statut de tolérance soumise par Monsieur … suivant courrier de son mandataire du 29 novembre 2006 fut rejetée par une décision du ministre du 12 janvier 2007.
Par courrier du 1er mars 2007, le ministre sollicita auprès de l’ambassade du Nigeria à Bruxelles la délivrance d’un document de voyage au nom de Monsieur … en vue de son rapatriement. Par courrier du 10 mai 2007, le ministre rappela cette demande pendante à l’ambassade du Nigeria.
Ayant été saisi par courrier des autorités françaises compétentes, en l’occurrence de la préfecture des Pyrénées-Orientales, du 23 mai 2007 en vue de reprendre en charge Monsieur …, le ministre y fit droit à travers une décision du 31 mai 2007.
A la suite du transfert de Monsieur … au Luxembourg à partir de la France en date du 6 juin 2007, le ministre prit le même jour à son encontre un arrêté de refus d’entrée et de séjour fondé sur les motifs tirés du défaut de moyens d’existence personnels légalement acquis dans son chef, de son séjour irrégulier au pays et de sa susceptibilité de compromettre la sécurité et l’ordre publics.
Le même jour, le ministre prit à l’égard de Monsieur … un arrêté prononçant une mesure de placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une durée maximale d’un mois à partir de la notification dudit arrêté qui fut motivé par les considérations suivantes :
« Vu l'article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l'entrée et le séjour des étrangers ;
Vu le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière ;
Vu mon arrêté de refus d’entrée et de séjour du 6 juin 2007 ;
Considérant que l’intéressé est démuni de toute pièce d’identité et de voyage valable ;
- qu’il ne dispose pas de moyens d’existence personnels légalement acquis ;
- qu’il se trouve en séjour irrégulier au pays ;
- que l’éloignement immédiat de l’intéressé n'est pas possible ;
Considérant qu’une demande pour un accord de réadmission a été adressée aux autorités nigérianes ;
- qu’en attendant l’émission de ce document de voyage, l’éloignement immédiat de l’intéressé n’est pas possible ;
Considérant qu'il existe un risque de fuite, alors que l'intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d'éloignement ; (…) ».
Cet arrêté ministériel fut notifié à Monsieur … le 6 juin 2007 à 15.50 heures et mis en exécution à partir du même moment.
Par transmis du 12 juin 2007, le ministre chargea le service de police judiciaire d’organiser un entretien de Monsieur … à l’ambassade du Nigeria à Bruxelles en vue de la vérification de son identité.
Par requête déposée le 25 juin 2007 au greffe du tribunal administratif, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation à l'encontre de l’arrêté de placement précité du 6 juin 2007 et de la « notification d’une mesure de placement de la même date ».
Etant donné que l'article 15, paragraphe (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l'entrée et le séjour des étrangers; 2. le contrôle médical des étrangers; 3.
l'emploi de la main-d'œuvre étrangère, institue un recours de pleine juridiction contre une décision de placement, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation introduit contre l’arrêté litigieux.
Par contre, le recours encourt l’irrecevabilité pour autant qu’il est dirigé contre la « notification d’une mesure de placement de la même date », étant donné qu’une notification ne constitue, même si elle est documentée par des actes matériels distincts de l’acte faisant l’objet de la notification, pas un acte comportant un élément décisionnel propre et n’est partant pas susceptible de faire lui-même l’objet d’un recours contentieux.
Ledit recours en réformation dirigé contre l’arrêté de placement du 6 juin 2007 ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable dans cette mesure.
Le recours en annulation introduit en ordre subsidiaire est dès lors irrecevable.
A l’appui de son recours, le demandeur expose qu’il serait le père d’un enfant né au Luxembourg le 20 juillet 2006 et qu’ensemble avec la mère de cet enfant, ils formeraient à trois une famille protégée par les dispositions de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH) et de l’article 11 (3) de la Constitution et que son départ forcé et sa séparation de sa famille en découlant auraient un effet préjudiciable pour l’enfant et sa mère et affecteraient le droit de ces derniers à sa présence. Il ajoute qu’à défaut de pouvoir rester au pays et travailler au pays suite au refus du statut de tolérance, il aurait quitté le territoire luxembourgeois en direction de l’Espagne « pour y gagner de l’argent pour son fils et la mère de son enfant ».
A travers son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement conclut d’abord que les conditions d’une mesure de placement se trouveraient de manière incontestée réunies en l’espèce et que les démarches utiles en vue du rapatriement du demandeur auraient été accomplies. Quant à l’article 8 CEDH, le représentant étatique relève que la mère de l’enfant du demandeur serait également un demandeur d’asile débouté dont le recours contentieux en instance d’appel serait encore pendant, de manière que sa situation serait en tout cas précaire, et que les éléments du dossier indiqueraient le défaut d’une vie familiale effective au vu de la séparation du couple.
Le demandeur fait répliquer qu’une vie familiale entre un enfant mineur et ses parents devrait être admise même en l’absence d’une cohabitation en raison du seul lien les unissant et afin de permettre le maintien de contacts réguliers en se référant à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et notamment à un arrêt de cette dernière du 21 juin 1998 (n° 10730/84, aff. Berrehab c/ Pays-Bas).
Par rapport à ce moyen unique soulevé par le demandeur, il convient de rappeler que c’est la décision de refus d’entrée et de séjour du 6 juin 2007 qui porte l’élément décisionnel obligeant le demandeur à quitter le territoire luxembourgeois et que c’est une décision implicite de refoulement, fondée sur cette première décision de refus d’entrée et de séjour conformément à l’article 15 de la loi prévisée du 28 mars 1972, qui porte l’élément décisionnel de l’éloignement du demandeur du territoire luxembourgeois. Or, ces décisions de refus d’entrée et de séjour et de refoulement constituent des décisions distinctes de la décision de placement, dont l’objet est limité à une mesure tendant à assurer la présence matérielle de la personne concernée en vue de l’exécution matérielle d’une mesure de refoulement, et susceptibles d’être attaquées par des voies de recours propres. Par voie de conséquence, le moyen basé sur une violation de l’article 8 CEDH, en raison d’une séparation de l’unité familiale par le fait de l’éloignement, ne saurait être utilement invoqué dans le cadre d’un recours visant exclusivement la décision de placement (trib. adm. 8 octobre 2003, n° 17024 du rôle, Pas. adm. 2006, v° Etrangers, n° 337 ; trib. adm. 16 octobre 2006, n° 21989 du rôle, non encore publié). La même conclusion s’impose en ce qui concerne la référence à l’article 11 (3) de la Constitution.
Il s’ensuit que le seul moyen soumis par le demandeur n’est pas pertinent dans le cadre d’un recours contre une mesure de placement et que le recours, à défaut d’autres moyens avancés concernant les conditions pour la prise d’une mesure de placement, est à rejeter comme n’étant pas fondé.
PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, déclare le recours irrecevable en tant que dirigé contre la « notification d’une mesure de placement de la même date », reçoit le recours en réformation en la forme pour autant qu’il est dirigé contre l’arrêté de placement du 6 juin 2007, au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable, condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par:
M. SCHOCKWEILER, premier vice-président, M. SCHROEDER, premier juge, Mme GILLARDIN, juge, et lu à l’audience publique extraordinaire du 3 juillet 2007 par le premier vice-
président, en présence de M. LEGILLE, greffier.
s. LEGILLE s. SCHOCKWEILER 5