Tribunal administratif Numéros 21819 et 22062 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrits les 10 août et 25 octobre 2006 Audience publique du 2 juillet 2007
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Recours formés par les sociétés L. S.A., …, B. S.A., … (B), T. S. p. A., … (I) et C. S. p. A., … (I), contre un arrêté du ministre des Travaux publics en présence des sociétés W. A.G., … (D), M. G.m.b.H., … (D), G. S.A., … (B), R. s.à r.l., …, et F. s.à r.l., … en matière de marchés publics
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JUGEMENT
I.
Vu la requête inscrite sous le numéro 21819 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 10 août 2006 par Maître René FALTZ, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme L. S.A., établie et ayant son siège à L-…, représentée par son conseil d'administration actuellement en fonctions, de la société de droit belge B. S.A., établie et ayant son siège social à B-…, représentée par son conseil d'administration actuellement en fonctions, de la société de droit italien T. S. p. A., établie et ayant son siège social à I-…, et de la société de droit italien C. S. p. A., établie et ayant son siège social à I-…, tendant à l’annulation d’une décision prise à une date inconnue par le ministre des Travaux publics concernant l'adjudication du marché public relatif au creusement du tunnel « Grouft » sur le tracé de la « route du Nord » visée en ses trois volets, à savoir celui que l'offre des demanderesses ne serait pas l'offre économiquement la plus avantageuse, celui de ne pas leur attribuer le marché litigieux et celui d'attribuer le marché à un autre soumissionnaire, à savoir au groupement W. A.G. – M. G.m.b.H. – G. S.A. – R. s.à r.l. – F. s.à r.l. ;
Vu l'exploit de l'huissier de justice Guy ENGEL, demeurant à Luxembourg, du 14 août 2006, portant signification dudit recours aux membres du groupement W. A.G. – M.
G.m.b.H. – G. S.A. – R. s.à r.l. – F. s.à r.l., à savoir la société de droit allemand W. A.G., établie et ayant son siège social à D-…, la société de droit allemand M. G.m.b.H., établie et ayant son siège social à D-…, la société de droit belge G. S.A., établie et ayant son siège social à B-…, la société R. s.à r.l., établie et ayant son siège social à L-… et la société F. s.à r.l., établie et ayant son siège social à L-… ;
Vu l’ordonnance du président du tribunal administratif du 22 août 2006 déclarant une requête en sursis à exécution introduite par les sociétés demanderesses non justifiée ;
Vu le mémoire en réponse déposé le 13 décembre 2006 au greffe du tribunal administratif par Maître François PRUM, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, pour compte des sociétés W. A.G., M. G.m.b.H., G. S.A., R.
s.à r.l. et F. s.à r.l., lequel mémoire ayant été notifié le 6 décembre 2006 aux mandataires des sociétés demanderesses et de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;
Vu le mémoire en réponse déposé le 15 décembre 2006 au greffe du tribunal administratif par Maître Patrick KINSCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, pour compte de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, lequel mémoire ayant été notifié le même jour aux mandataires des sociétés demanderesses et des sociétés W. A.G., M. G.m.b.H., G. S.A., R. s.à r.l. et F. s.à r.l. ;
Vu le mémoire en réplique déposé le 15 janvier 2007 au greffe du tribunal administratif pour compte des sociétés demanderesses, lequel mémoire ayant été notifié le même jour aux mandataires des sociétés W. A.G., M. G.m.b.H., G. S.A., R. s.à r.l. et F. s.à r.l. et de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;
Vu le mémoire en duplique déposé le 14 février 2007 au greffe du tribunal administratif pour compte de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, lequel mémoire ayant été notifié le même jour aux mandataires des sociétés demanderesses et des sociétés W. A.G., M. G.m.b.H., G. S.A., R. s.à r.l. et F. s.à r.l. ;
II.
Vu la requête inscrite sous le numéro 22062 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 25 octobre 2006 par Maître René FALTZ, préqualifié, au nom de la société anonyme L. S.A., de la société de droit belge B. S.A., de la société de droit italien T. S. p. A., et de la société de droit italien C. S. p. A., toutes préqualifiées, tendant à l’annulation d’une décision du 3 août 2006 du ministre des Travaux publics concernant l'adjudication du marché public relatif au creusement du tunnel « Grouft » sur le tracé de la « route du Nord » visée en ses trois volets, à savoir celui que l'offre des demanderesses ne serait pas l'offre économiquement la plus avantageuse, celui de ne pas leur attribuer le marché litigieux et celui d'attribuer le marché à un autre soumissionnaire, à savoir au groupement W. A.G. – M. G.m.b.H. – G. S.A. – R. s.à r.l. – F. s.à r.l. ;
Vu l'exploit de l'huissier de justice suppléant Geoffrey GALLE, en remplacement de l’huissier de justice Pierre BIEL, les deux demeurant à Luxembourg, du 10 novembre 2006, portant signification dudit recours aux membres du groupement W. A.G. – M.
G.m.b.H. – G. S.A. – R. s.à r.l. – F. s.à r.l., à savoir la société de droit allemand W. A.G., la société de droit allemand M. G.m.b.H., la société de droit belge G. S.A., la société R.
s.à r.l. et la société F. s.à r.l., tous préqualifiées ;
Vu le mémoire en réponse déposé le 24 janvier 2007 au greffe du tribunal administratif par Maître François PRUM, préqualifié, pour compte des sociétés W. A.G., M. G.m.b.H., G. S.A., R. s.à r.l. et F. s.à r.l., lequel mémoire ayant été notifié le même jour aux mandataires des sociétés demanderesses et de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;
Vu le mémoire en réponse déposé le 25 janvier 2007 au greffe du tribunal administratif par Maître Patrick KINSCH, préqualifié, pour compte de l’Etat du Grand-
Duché de Luxembourg, lequel mémoire ayant été notifié le même jour aux mandataires des sociétés demanderesses et des sociétés W. A.G., M. G.m.b.H., G. S.A., R. s.à r.l. et F.
s.à r.l. ;
Vu le mémoire en réplique déposé le 23 février 2007 au greffe du tribunal administratif pour compte des sociétés demanderesses, lequel mémoire ayant été notifié le 22 février 2007 aux mandataires des sociétés W. A.G., M. G.m.b.H., G. S.A., R. s.à r.l.
et F. s.à r.l. et de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;
I. et II.
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision ministérielle attaquée ;
Le juge rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maîtres René FALTZ, Patrick KINSCH et François PRUM en leurs plaidoiries respectives.
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Dans le cadre d'une soumission publique portant sur des travaux de construction du tunnel « Grouft » sur le tracé de la « Route du Nord », les sociétés L. S.A, B. S.A., T.
S. p. A. et C. S. p. A., réunies en association momentanée, présentèrent une offre.
Par courrier du 7 juillet 2004, l'administration des Ponts et Chaussées informa ladite association momentanée de ce que son offre n'avait pas été retenue, au motif qu'elle n'était pas la « mieux disante (soit donc l'offre économiquement la plus avantageuse) ».
Par requête déposée le 22 juillet 2004, inscrite sous le numéro 18442 du rôle, les sociétés L. S.A, B. S.A., T. S. p. A. et C. S. p. A. introduisirent un recours en annulation contre une décision du 2 juillet 2004 prise par le ministre des Travaux publics, ci-après dénommé « le ministre », portant approbation du procès-verbal d'adjudication publique des travaux de construction du tunnel « Grouft » sur le tracé de la « Route du Nord » au profit du groupement W. A.G. – M. G.m.b.H. – G. S.A. – R. s.à r.l. – F. s.à r.l., ci-après dénommé « le groupement W.-F. », cette décision étant attaquée en ses trois branches, à savoir celle consistant à dire que l'offre de l'association momentanée L. – B. – T. – C.
n'était pas l'offre économiquement la plus avantageuse, celle de ne pas attribuer le marché à ladite association et celle de l'attribuer à un autre soumissionnaire.
Dans le cadre dudit recours, les sociétés L. S.A, B. S.A., T. S. p. A. et C. S. p. A.
reprochèrent au pouvoir adjudicateur d'avoir suivi une procédure d'adjudication viciée.
En effet, alors que l'avis de mise en adjudication avait été porté à la connaissance des candidats par voie de la presse le 21 mai 2003, c'est-à-dire sous l'empire de la loi du 4 avril 1974 concernant le régime des marchés publics de travaux et de fournitures, ainsi que du règlement grand-ducal du 2 janvier 1989 portant 1° institution d'un cahier général des charges applicable aux marchés publics de travaux et de fournitures pour compte de l'Etat, 2° fixation des attributions et du mode de fonctionnement de la commission des soumissions, ci-après dénommé « le règlement du 2 janvier 1989 », ce serait à tort que l'administration des Ponts et Chaussées, dans un courrier du 23 juillet 2003, avait informé les candidats soumissionnaires que le marché ne serait plus régi par la loi précitée du 4 avril 1974, mais par la nouvelle loi du 30 juin 2003 sur les marchés publics, entrée en vigueur le 1er septembre 2003 et que, par application de la nouvelle législation, le marché ne serait plus automatiquement attribué au meilleur disant, c'est-à-dire le moins cher, mais au mieux disant, soit celui dont émane l'offre économiquement la plus avantageuse, le même courrier ayant encore précisé les critères qui seraient appliqués pour évaluer l'offre économiquement la plus avantageuse. Un tel changement de législation en cours de procédure aurait été préjudiciable à l'association momentanée demanderesse et illégal.
Les membres de l'association momentanée L. S.A, B. S.A., T. S. p. A. et C. S. p.
A. furent déboutés de leur demande par jugement du tribunal administratif du 9 juin 2005.
Sur appel, la Cour administrative, par arrêt du 20 juin 2006, réforma ledit jugement et annula l'arrêté ministériel du 2 juillet 2004.
La Cour administrative approuva les premiers juges d'avoir retenu qu'une fois l'offre lancée, elle engage le pouvoir adjudicateur qui n'en saurait plus modifier les conditions essentielles fixées sous l'empire de la loi précitée du 4 avril 1974 et du règlement du 2 janvier 1989, alors même qu'une nouvelle loi viendrait à être votée. La Cour estima à son tour que tout critère d'attribution retenu dans un cahier des charges lie le pouvoir adjudicateur qui ne peut plus mettre en cause les règles de la concurrence loyale et de l'égalité des soumissionnaires. Elle constata que l'appel d'offres contenait la précision que « pour déterminer l'offre économiquement la plus avantageuse, le commettant se fonde sur les critères d'adjudication suivants (classés par ordre décroissant d'importance): 1) le prix, 2) la valeur technique de l'offre, eu égard notamment à l'opportunité des travaux et de la logistique de chantier proposés, 3) une éventuelle réduction des délais imposés », tandis que par sa lettre du 23 juillet 2003, le pouvoir adjudicateur précisait que « le marché ne sera pas forcément adjugé au meilleur-
disant (soit le moins cher) mais aux mieux-disant (soit l'offre économiquement la plus avantageuse). Pour ce faire et pour évaluer équitablement chaque offre, on introduit les critères pondérés suivants (pour un mode d'évaluation par pourcentage): 1) le prix: 60 %, 2) la valeur technique de l'offre: 30 %, 3) le risque (technique et financier) pour le maître de l'ouvrage: 10 % ».
D’après la Cour administrative, il découlait de la comparaison de ces deux versions que « le pouvoir adjudicateur a non seulement procédé à une pondération des critères mais a supprimé le critère de la « réduction des délais » pour le remplacer par le critère du « risque », ceci à une époque où les soumissionnaires potentiels devaient nécessairement être engagés depuis trois mois à l'élaboration de leur offre ». La Cour administrative conclut qu' « en présence d'une modification des critères applicables pour déterminer l'offre la plus avantageuse, élaborés et publiés après le lancement de la soumission publique et en dehors des conditions de légalité, il y a lieu, par réformation du jugement du 9 juin 2005, d'annuler l'arrêté ministériel du Ministre des Travaux publics du 2 juillet 2004 adjugeant en vertu d'une appréciation basée sur les critères modifiés le marché public relatif au creusement du tunnel Grouft (soumission du 1.10.2003) au groupement W.-F. – B. – G. – R. – F. » et ajouta que « la procédure, par le fait d'avoir changé les critères de sélection et d'attribution, après le lancement de la soumission se trouve viciée de manière substantielle de sorte que la question de savoir si le marché aurait dû être attribué audit groupement même par application des critères originaux manque de pertinence », tout en relevant par ailleurs que la décision ministérielle du 2 juillet 2004 ne contenait aucun élément de motivation par rapport au choix de l'adjudicataire.
Le 17 juillet 2006, les sociétés L. S.A, B. S.A., T. S. p. A. et C. S. p. A.
adressèrent au ministre une lettre dans laquelle elles invitèrent celui-ci à des négociations en vue de leur assurer un dédommagement satisfaisant.
Le 4 août 2006, le ministre leur répondit qu'il lui appartenait d'assurer l'exécution de l'arrêt de la Cour administrative. Il expliqua que l'arrêt avait retenu que l'appréciation des soumissions avait été faite, à tort, sur la base de critères modifiés en cours de procédure d'adjudication, vice de procédure ayant entraîné l'annulation de l'arrêté d'adjudication. En revanche, la question de fond consistant à déterminer à qui le marché aurait dû être adjugé par application des critères originaires n'aurait pas été résolue par la Cour administrative et l’arrêt du 20 juin 2006 ne contiendrait partant aucun élément de motivation par rapport au choix de l'adjudicataire. Le ministre estima pour le surplus que ceci impliquait qu'il statuât à nouveau sur les soumissions au regard des critères initialement fixés. Dans ledit courrier du 4 août 2006, le ministre informa en outre les auteurs de la lettre du 17 juillet 2006 qu'il avait demandé au directeur de l'administration des Ponts et Chaussées de lui faire une nouvelle proposition d'adjudication sur base des critères originaires et qu'il résultait de l'évaluation de celui-ci que l'offre économiquement la plus avantageuse avait été déposée par le groupement W.-F.. Finalement, il porta à leur connaissance qu'il avait pris un arrêté de régularisation dans lequel il prononçait l'adjudication du marché à ce groupement dans les formes du règlement du 2 janvier 1989, jugé applicable au marché public en question.
Ledit arrêté, daté du 3 août 2006, est de la teneur suivante:
« Vu le résultat de l’adjudication publique concernant la construction du tunnel « Grouft » sur le tracé de la Route du Nord ;
Vu le règlement grand-ducal modifié du 2 janvier 1989 portant 1° institution d’un cahier général des charges applicables aux marchés publics de travaux et de fournitures pour compte de l’Etat, 2° fixation des attributions et du mode de fonctionnement de la Commission des Soumissions ainsi que du cahier spécial des charges approuvé le 21 août 2002, n° 22622/005634 ;
Vu l’arrêt de la Cour administrative du 20 juin 2006 ayant annulé l’arrêté ministériel du Ministre des Travaux publics du 2 juillet 2004 adjugeant le marché public relatif au creusement du tunnel Grouft (soumission du 1er octobre 2003) au groupement W.-F.-B.-G.-R.-F. ;
Vu la nouvelle proposition d’adjudication de Monsieur le Directeur de l’Administration des Ponts et Chaussées du 27 juillet 2006 sur base des critères d’attribution définis dans le cahier spécial des charges précité à laquelle le Ministre se rallie ;
Vu que le groupement W. AG – B. – G. – R. S. à r. l. – F. S. à r. l. a remis l’offre économiquement la plus avantageuse après évaluation des offres selon les critères d’adjudication suivants (classés par ordre décroissant d’importance) 1) le prix, 2) la valeur technique de l’offre, eu égard notamment à l’opportunité du déroulement des travaux et de la logistique de chantier proposés ; 3) une éventuelle réduction des délais imposés ;
Vu que le classement final d’après l’évaluation du Directeur de l’Administration des Ponts et Chaussées précitée sur base du dépouillement des offres de soumission par les bureaux d’études précités, se présente comme suit :
1. W. AG-B.-G.-R.-F. avec 98,86% 2. L.-B.-T.-C. avec 98,03% 3. A. avec 97,18% Vu le courrier par lequel le groupement W. AG – B. – G. – R. S. a r. l. – F. S. à r.
l., …, D-… réitère son accord au contrat conclu entre les parties ;
Arrête :
Art. 1er.- Le procès-verbal d’adjudication publique, suivant lequel le groupement W. AG – B. – G. – R. S. à r. l. – F. S. à r. l., … D- …, s’engage à exécuter les prestations ci-dessus mentionnées moyennant le prix de sa soumission, soit 148.982.536 + 22.333.880,40 (TVA 15%) = 171.226.416,40 EUR, est approuvé.
La dépense au montant de 171.226.416,40 EUR TVA comprise est imputable sur les crédits du Fonds des Routes.
Le délai d’achèvement est fixé conformément aux dispositions du cahier des charges.
Art. 2.- Le présent arrêté sera expédié à Monsieur le Directeur de l’Administration des Ponts et Chaussées afin d’exécution et de notification à l’intéressé. » Par requête déposée le 10 août 2006, inscrite sous le numéro 21819 du rôle, la société anonyme L. S.A., la société de droit belge B. S.A., la société de droit italien T. S.
p. A. et la société de droit italien C. S. p. A., ci-après dénommées « les sociétés demanderesses », ont introduit un recours tendant à l’annulation de la décision prise à une date inconnue par le ministre concernant l'adjudication du marché public relatif au creusement du tunnel « Grouft » sur le tracé de la « route du Nord » visée en ses trois volets, à savoir celui que l'offre des demanderesses ne serait pas l'offre économiquement la plus avantageuse, celui de ne pas leur attribuer le marché litigieux et celui d'attribuer le marché à un autre soumissionnaire, à savoir au groupement W.-F..
Par une deuxième requête déposée le 25 octobre 2006, inscrite sous le numéro 22062 du rôle, les sociétés demanderesses ont encore introduit un recours tendant à l’annulation de la décision du ministre du 3 août 2006 concernant ladite adjudication du marché public relatif au creusement du tunnel « Grouft » sur le tracé de la « route du Nord » visée en ses trois volets préindiqués.
Aucune disposition légale ne prévoyant la possibilité d’exercer un recours en réformation contre une décision de rejet d’une offre ou une décision d’adjudication, seul un recours en annulation a pu être introduit contre la décision attaquée.
Dans la mesure où, à travers les deux recours, inscrits respectivement sous les numéros 21819 et 22062 du rôle, les sociétés demanderesses agissent contre la même décision ministérielle, prise dans le cadre de la législation sur les marchés publics, portant adjudication de la soumission publique litigieuse à un de leurs concurrents, il convient, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, de les joindre pour y statuer par un seul et même jugement.
Dans son mémoire en réponse, déposé en date du 25 janvier 2007 au greffe du tribunal administratif dans le cadre du recours inscrit sous le numéro 22062, la partie étatique soulève l’irrecevabilité dudit recours au motif que la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, prévoirait une seule requête introductive d’instance et un seul mémoire en réplique de la part d’une partie demanderesse. Or, en déposant un deuxième recours en date du 25 octobre 2006, suite au premier recours introduit en date du 10 août 2006, les sociétés demanderesses essaieraient de pallier aux lacunes du premier recours en attaquant le même acte administratif après avoir pris connaissance de sa motivation, ce qui permettrait de développer, postérieurement à l’introduction du premier recours, des moyens nouveaux et de déposer en tout 4 mémoires à l’appui d’un recours visant le même acte administratif.
Dans leur mémoire en réplique déposé dans le cadre du recours inscrit sous le numéro 22062 du rôle, les sociétés demanderesses rétorquent qu’aucune disposition légale n’interdirait de présenter deux recours contre une même décision, pourvu qu’ils soient introduits endéans les délais légaux, d’autant plus qu’en l’espèce elles n’auraient obtenu connaissance des informations contenus dans l’arrêté ministériel du 3 août 2006 que postérieurement à l’introduction du premier recours.
En l’espèce, force est de constater qu’au moment de l’introduction du recours inscrit sous le numéro 21819 du rôle, déposé au greffe du tribunal administratif en date du 10 août 2006, les sociétés demanderesses s’étaient uniquement vu adresser, via leur mandataire, une lettre de la part du ministre, datée au 4 août 2006, par laquelle ce dernier les informa que « je viens de prendre un nouvel arrêté d’adjudication dans lequel je prononce l’adjudication du marché à ce dernier groupement [groupement W.-F. ] », sans pour autant leur communiquer l’arrêté litigieux pourtant déjà pris la veille. Partant, au moment de l’introduction du premier recours en date du 10 août 2006, les sociétés demanderesses ne s’étaient pas vues notifier officiellement l’arrêté ministériel du 3 août 2006 et étaient partant dans l’ignorance de la motivation contenue dans ledit arrêté. En effet, ledit arrêté ne leur a été communiqué qu’en annexe à un courrier recommandé du 10 août 2006 de la part de l’administration des Ponts et Chaussées les informant que leur offre de soumission « n’est pas l’offre économiquement la plus avantageuse », de sorte que les sociétés demanderesses ont pu prendre connaissance au plus tôt le 11 août 2006 du contenu de l’arrêté d’adjudication du 3 août 2006.
Partant, les sociétés demanderesses ont valablement pu introduire un deuxième recours par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 25 octobre 2006, recours visant spécifiquement la motivation à la base de l’arrêté ministériel du 3 août 2006 inconnu au moment de l’introduction du premier recours, sans pour autant violer les droits de la défense de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg. En effet, même si les sociétés demanderesses ont ainsi pu déposer 4 mémoires visant la même décision ministérielle, les droits de la défense de l’Etat ne se trouvent pas violés pour autant, la partie étatique ayant également eu la possibilité de déposer à son tour 4 mémoires dans le cadre des deux recours introduits.
Il s’ensuit que le moyen d’irrecevabilité de l’Etat, visant la recevabilité du recours introduit sous le numéro 22062 du rôle, est à rejeter.
Pour le surplus, les deux recours sont encore recevables pour avoir été introduits dans les délai et formes prévus par la loi.
Comme il appartient au tribunal, au vu de l’ensemble des actes de procédure et pièces versés au dossier, de déterminer la suite de traitement des moyens et arguments des parties, compte tenu de la logique juridique dans laquelle ils s’insèrent (cf. trib. adm.
4 décembre 2002, n° 14923 du rôle, confirmé par Cour adm. 1er juillet 2003, n° 15879C du rôle, Pas. adm. 2006, V° Procédure contentieuse, n° 525 et autres références y citées), il convient en premier lieu de toiser les moyens tirés de la prétendue violation des articles 5 et 14 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ci-après dénommé « le règlement du 8 juin 1979 ».
Dans ce contexte, les sociétés demanderesses concluent en premier lieu à une violation de l’article 5 du règlement du 8 juin 1979 en soutenant qu’en tant que tiers-
intéressées par rapport à l’arrêté ministériel du 3 août 2006, le ministre aurait dû les mettre en mesure de faire valoir leurs moyens et de faire connaître leurs observations avant la prise dudit arrêté ministériel, et ceci d’autant plus que le ministre savait que ledit arrêté était susceptible de porter atteinte à leurs intérêts en tant que candidats-
soumissionnaires.
Aux termes de l’article 5 du règlement du 8 juin 1979 :
« Lorsqu’une décision administrative est susceptible d’affecter les droits et intérêts de tierces personnes, l’autorité administrative doit lui donner une publicité adéquate mettant les tiers en mesure de faire valoir leurs moyens.
Dans la mesure du possible, l’autorité administrative doit rendre public l’ouverture de la procédure aboutissant à une telle décision.
Les personnes intéressées doivent avoir la possibilité de faire connaître leurs observations.
La décision définitive doit être portée par tous moyens appropriés à la connaissance des personnes qui ont présenté des observations ».
C’est cependant à juste titre que la partie étatique conclut à la non-applicabilité dudit article 5 au cas d’espèce.
En effet, dans la mesure où l’article 5 ne vise que la collaboration de tierces personnes à l’élaboration d’une décision administrative, un administré, en ce qu’il constitue le destinataire direct d’une décision à prendre, ne tombe pas sous son champ d’application (cf. trib. adm. 17 mars 2003, n° 15356 du rôle, confirmé par Cour adm. 8 juillet 2003, n° 16355C du rôle, Pas. adm. 2006, V° Procédure administrative non-
contentieuse, n° 91). - Le soumissionnaire dont l’offre n’a pas été retenue est à considérer, non comme tiers intéressé faisant partie d’un groupe indéterminé et indéterminable de personnes, mais comme destinataire direct de la décision d’adjudication autant que le soumissionnaire dont l’offre est retenue, étant donné que la décision d’adjudication s’adresse à l’un et à l’autre, le premier en étant affecté négativement, et le second positivement (cf. trib. adm. 22 juillet 1998, n° 9707 du rôle, Pas. adm. 2006, V° Marchés publics, n° 44 et autres références y citées).
Il s’ensuit que les sociétés demanderesses, en tant que destinataires directs de la décision ministérielle prise en date du 3 août 2006, ne sont pas en droit d’invoquer à leur profit les dispositions inscrites à l’article 5 du règlement du 8 juin 1979 et le moyen afférent est partant à rejeter.
Les sociétés demanderesses concluent encore à une violation de l’article 14 du règlement du 8 juin 1979, disposition aux termes de laquelle « les décisions administratives refusant de faire droit, en tout ou en partie, aux requêtes des parties ou révoquant ou modifiant d’office une décision ayant créée ou reconnue des droits doivent indiquer les voies de recours ouvertes contre elles, le délai dans lequel le recours doit être introduit, l’autorité à laquelle il doit être adressé, ainsi que la manière dans laquelle il doit être présenté ». Dans ce contexte, elles soutiennent que l’administration aurait l’obligation d’informer les administrés sur les voies de recours et le délai dans lequel le recours contentieux doit être introduit. Or, comme aucune notification de l’arrêté d’adjudication du 3 août 2006 ne serait intervenue, il y aurait lieu de conclure à une violation dudit article 14.
Force est cependant de constater que ladite argumentation manque à la fois en fait et en droit.
En effet, s’il est exact que le soumissionnaire évincé doit profiter, autant que le bénéficiaire de la soumission, des garanties découlant du règlement du 8 juin 1979, et en particulier de l’article 14 en vertu duquel le recours contentieux ne commence à courir qu’à partir de la notification de la décision faisant grief et pour autant que les voies de recours et le délai de recours y sont indiqués, force est de constater en l’espèce que suite à la lettre ministérielle du 4 août 2006 informant les sociétés demanderesses qu’un nouvel arrêté d’adjudication a été pris au profit du groupement W.-F., celles-ci se sont vues adresser en date du 10 août 2006 un courrier recommandé de la part de l’administration des Ponts et Chaussées les informant des raisons de la non-prise en considération de leur offre, courrier incluant une indication précise des voies de recours à exercer à l’encontre de cette décision et avec comme annexe l’arrêté ministériel d’adjudication pris en date du 3 août 2006. Partant, il convient de constater que le pouvoir adjudicateur a satisfait au plus tard le 10 août 2006 aux exigences de l’article 14 du règlement du 8 juin 1979, de sorte que le moyen afférent est à rejeter.
Afin d’éviter toute ambigüité, le tribunal tient à rappeler à ce stade qu’il ressort de la motivation de l’arrêt de la Cour administrative du 20 juin 2006 que le marché public sous analyse est à considérer comme étant et continuant à être régi par l’ancienne loi du 4 avril 1974 concernant le régime des marchés publics et le règlement du 2 janvier 1989 et que tous moyens et argumentations développés par les parties respectives en relation avec la loi précitée du 30 juin 2003 respectivement le règlement grand-ducal du 7 juillet 2003 portant exécution de la loi du 30 juin 2003 sur les marchés publics sont à écarter des débats.
Les sociétés demanderesses concluent ensuite à une violation de l’article 32 (8) du règlement du 2 janvier 1989 au motif que suite à la prise de l’arrêté d’adjudication du 3 août 2006, elles n’auraient pas été informées par écrit qu’il ne serait pas fait usage de leur offre avec indication des motifs à la base de la non-prise en considération de celle-ci. Or, comme relevé ci-avant, ledit moyen est à rejeter, étant donné qu’il ressort du dossier administratif que les sociétés demanderesses ont été informées dès le 4 août 2006 de la prise d’un nouvel arrêté d’adjudication prononçant l’adjudication du marché au profit du groupement W.-F. et qu’elles se sont vu adresser en date du 10 août 2006 un courrier recommandé de la part de l’administration des Ponts et Chaussées les informant que leur offre de soumission « n’est pas l’offre économiquement la plus avantageuse », courrier auquel était annexé l’arrêté ministériel du 3 août 2006 portant adjudication du marché litigieux au groupement W.-F..
A l’examen des deux recours, il échet de constater que les sociétés demanderesses sollicitent l’annulation de l’arrêté ministériel du 3 août 2006 sur base d’une double argumentation, à savoir d’une part, que l’arrêté ministériel litigieux devrait être annulé en raison du fait que le ministre, suite à l’arrêt de la Cour administrative du 20 juin 2006, aurait eu l’obligation de procéder via une nouvelle soumission publique et, d’autre part, que le ministre, en statuant à nouveau sur les soumissions et en se ralliant à l’avis du 27 juillet 2006 du nouveau directeur de l’administration des Ponts et Chaussées, aurait modifié unilatéralement les critères initiaux d’adjudication par le fait d’introduire une pondération au niveau de ces critères et ceci en violation de l’autorité de chose jugée attachée au prédit arrêt et en violation des principes de la transparence administrative et de l’égalité des soumissionnaires.
Quant à la prétendue obligation de procéder via une nouvelle soumission publique Concernant en premier lieu l’argumentation selon laquelle le ministre aurait dû procéder via une nouvelle soumission publique, les sociétés demanderesses, en se basant sur la motivation contenue à l’arrêt de la Cour administrative du 20 juin 2006, soutiennent que d’après les articles 31 (2) et 31 (3) du règlement du 2 janvier 1989, la remise en adjudication, après annulation d’une soumission publique, devrait se faire sous la forme d’une nouvelle soumission publique, ce qui n’aurait pas été fait en l’espèce. Les sociétés demanderesses affirment que le ministre aurait eu comme seule alternative, soit de laisser les choses en leur état en considérant que le contrat conclu avec le groupement W.-F. ne se trouve pas affecté par l’annulation de l’arrêté ministériel initial du 2 juillet 2004, sans préjudice d’une action en dommages et intérêts, soit de régulariser la situation en passant par une nouvelle soumission. Dans ce contexte, les sociétés demanderesses renvoient à la page 7 de l’arrêt du 20 juin 2006 où la Cour a retenu que « la procédure, par le fait d’avoir changé les critères de sélection et d’attribution, après le lancement de la soumission se trouve viciée de manière substantielle, de sorte que la question de savoir si le marché aurait dû être attribué audit groupement [W.-F.] même par application des critères originaux manque de pertinence ». Partant, il découlerait de ladite motivation que la procédure aurait été viciée de façon si grave qu’il serait fait indirectement défense au ministre d’analyser, au regard des critères initiaux, quelle offre aurait été l’offre économiquement la plus avantageuse. Ainsi, la Cour administrative aurait constaté la nullité de toute la procédure de soumission en raison d’un vice substantiel grave et en demandant au directeur de l’administration des Ponts et Chaussés de lui faire une nouvelle proposition et en statuant à nouveau, unilatéralement, sur base des critères initiaux, sans passer par une nouvelle procédure, le ministre aurait agi en violation de l’arrêt du 20 juin 2006.
En relation avec cette argumentation, la partie étatique rétorque que la seule raison d’annulation du premier arrêté d’adjudication pour la Cour administrative aurait consisté dans le fait que le pouvoir adjudicateur avait, en cours de soumission, publié de nouveaux critères d’adjudication incompatibles avec les critères originairement fixés, à savoir le critère de l’« éventuelle réduction des délais imposés » par le critère libellé « risque (technique et financier) pour le maître de l’ouvrage » et non pas en raison de la pondération introduite à des fins de transparence.
L’Etat soutient ensuite que la première obligation d’une autorité administrative, dont une décision vient d’être annulée par une décision définitive du juge administratif, serait de chercher à exécuter la décision d’annulation. Ainsi, l’autorité administrative se trouverait à nouveau saisie de plein droit de la demande initiale qui n’aurait pas à être renouvelée et en raison de l’effet rétroactif de l’annulation, l’autorité administrative serait tenue de statuer de nouveau sur cette demande après l’avoir soumise à une nouvelle instruction, ce que le ministre aurait fait en l’espèce par son arrêté du 3 août 2006 après avoir demandé au directeur de l’administration des Ponts et Chaussés de procéder à une nouvelle évaluation des soumissions déposées en 2003 au regard des critères originaires.
Plus particulièrement, dans son avis du 27 juillet 2006, ledit directeur aurait retenu que du seul point de vue du prix, les sociétés demanderesses auraient déposé l’offre la moins-
disante et qu’au niveau de la valeur technique de l’offre, l’offre de groupement W.-F.
serait nettement préférable, pour proposer ensuite une pondération au niveau des différents critères, pondération qui se serait effectuée ex post, à savoir 60 % pour le prix, 30 % pour la valeur technique et 10 % pour l’éventuelle réduction des délais. Par application des critères originairement fixés au cahier des charges, l’offre du groupement W.-F. aurait été l’offre économiquement la plus avantageuse et la supériorité technique de cette offre serait à ce point nette qu’elle justifierait la conclusion du directeur, malgré la faible différence de prix en faveur des demanderesses de l’ordre de 0,3 %. Partant, ce serait à juste titre que le ministre, en se ralliant aux appréciations d’ordre technique du directeur, aurait pris un nouvel arrêté d’adjudication en faveur du groupement W.-F..
La partie étatique rappelle ensuite que le contrat initial conclu avec le groupement W.-F. serait toujours en vigueur et que le ministre, au regard de l’obligation qui lui incombe de tirer les conséquences d’une décision judiciaire d’annulation, aurait agi dans un souci de légalité en prenant son nouvel arrêté d’adjudication du 3 août 2006.
D’après l’Etat, la Cour administrative n’aurait nullement fait défense au ministre d’analyser, au regard des critères initiaux, laquelle des offres aurait été l’offre économiquement la plus avantageuse. Cette vision des choses serait encore confirmée par le fait que la Cour administrative aurait relevé que l’arrêté d’adjudication initial n’avait pas été motivé et que si la Cour aurait souhaité exiger une nouvelle mise en adjudication, le fait de relever une absence de motivation par rapport à l’arrêté d’adjudication initial ne donnerait aucun sens. Pour le surplus, la Cour administrative aurait fait application de la règle selon laquelle, lorsqu’un acte administratif est atteint d’un vice de procédure ou d’un vice de forme, l’annulation sera prononcée pour illégalité externe sans procéder à un examen de la légalité interne, c’est-à-dire du bien-fondé ultime de l’acte en question.
Ainsi, en procédant à une nouvelle évaluation, le ministre aurait supprimé le vice de procédure relevé par l’arrêt de la Cour administrative.
Finalement, la partie étatique relève qu’il serait inexact d’affirmer que l’annulation de l’arrêté d’adjudication initial équivaudrait à l’annulation de la soumission et à la création d’une obligation de procéder à une nouvelle mise en adjudication, conclusion qui serait contraire au principe selon lequel seul est à refaire l’acte administratif vicié et non pas des actes administratifs antérieurs et non atteints d’un vice.
En relation avec l’article 31 du règlement du 2 janvier 1989, l’Etat soutient que cet article viserait une hypothèse tout à fait différente, à savoir une décision ministérielle d’annulation d’une mise en adjudication pour l’hypothèse où il a été reçu au moins une soumission répondant aux conditions prescrites et non une décision d’annulation prise par une juridiction administrative. Plus précisément, l’annulation visée par l’article 31 (2) du règlement du 2 janvier 1989 serait toujours facultative pour des causes bien précises et aucune cause d’annulation de cet ordre ne serait apparue dans le dossier de soumission originaire, si bien qu’il n’y aurait pas lieu à prononcer l’annulation de la soumission, ce que la Cour administrative n’aurait d’ailleurs pas retenu.
Dans leur réplique, les sociétés demanderesses insistent sur le fait que d’après la méthode d’évaluation originaire, le prix aurait été érigé en premier critère d’attribution, même s’il n’aurait pas été le seul critère. Pour le surplus, le nouveau directeur de l’administration des Ponts et Chaussées n’aurait pas établi de nouvelles évaluations sur base des critères originaires, mais sur base de critères modifiés en y insérant une pondération qui, même à la supposer possible, devrait encore respecter l’esprit du cahier des charges et demeurer étrangère à toute manipulation tendancieuse violant le principe d’égalité, ce qui n’aurait pas été le cas en l’espèce.
Dans son mémoire en duplique, l’Etat insiste encore sur le fait que le ministre aurait effectivement soumis à une nouvelle instruction le dossier après annulation de l’arrêté d’adjudication originaire par la Cour administrative et ledit ministre, en se ralliant à l’avis du directeur de l’administration des Ponts et Chaussés, serait réputé avoir lui-
même procédé à une nouvelle instruction. Ainsi, le but poursuivi par le ministre aurait été celui d’une bonne administration, but qui ne serait pas compatible avec le fait qu’un contrat continue d’être exécuté alors que l’acte administratif de base a été annulé et sans que le ministre ait pris position dans un sens ou dans l’autre sur les suites à donner à la décision d’annulation de cet acte administratif.
Le tribunal tient en premier lieu à renvoyer aux passages essentiels de l’arrêt de la Cour administrative du 20 juin 2006 ayant annulé la décision initiale du ministre du 2 juillet 2004 avant de se prononcer sur les conséquences de cette décision d’annulation en relation avec la nouvelle décision ministérielle du 3 août 2006. Ainsi, dans le prédit arrêt, la Cour s’est notamment exprimée comme suit :
« La Cour partage et adopte ces développements [des premiers juges] pour arriver à la conclusion, en l’absence d’un texte légal en permettant la possibilité et en l’absence d’une erreur manifeste, qu’une offre publique, une fois lancée, moyennant publication d’un cahier des charges, ne saurait être adaptée en cours de route alors que tout critère d’attribution retenu dans un cahier des charges lie le pouvoir adjudicateur qui ne peut plus mettre en cause les règles de la concurrence loyale et de l’égalité des soumissionnaires. (…) Il découle de la comparaison de ces deux versions [version initiale du 11 avril 2003 et version adaptée suivant lettre du 23 juillet 2003] que le pouvoir adjudicateur a non seulement procédé à une pondération des critères mais a supprimé le critère de la « réduction des délais » pour le remplacer par le critère du « risque », ceci à une époque où les soumissionnaires potentiels devaient nécessairement être engagés depuis trois mois à l’élaboration de leur offre. (…) En présence d’une modification des critères applicables pour déterminer l’offre la plus avantageuse, élaborés et publiés après le lancement de la soumission publique et en dehors des conditions de légalité, il y a lieu, par réformation du jugement du 9 juin 2005, d’annuler l’arrêté ministériel du ministre des Travaux publics du 2 juillet 2004 adjugeant en vertu d’une appréciation basée sur les critères modifiés le marché public relatif au creusement du tunnel Grouft (soumission du 1.10.2003) au groupement W.-F. – B. – G. – R. – F..
La procédure, par le fait d’avoir changé les critères de sélection et d’attribution, après le lancement de la soumission se trouve viciée de manière substantielle de sorte que la question de savoir si le marché aurait dû être attribué audit groupement même par application des critères originaux manque de pertinence ».
L’annulation d’un acte administratif a pour effet que l’acte annulé, non seulement n’existe plus, mais est même censé ne jamais avoir existé. De manière générale, une décision judiciaire d’annulation interdit à l’autorité dont l’acte a été annulé de reprendre le même acte sans corriger l’irrégularité qui a entraîné l’annulation. Au lendemain de l’annulation, l’administration se retrouve placée dans la situation où elle était avant que cet acte soit pris. Ainsi, quand la loi ou la réglementation lui imposent de se prononcer, l’autorité est tenue soit de refaire l’acte annulé, soit de prendre un acte différent qui le remplacera. Inversement, quand il ressort des motifs d’annulation que l’autorité ne pouvait poser l’acte attaqué – par exemple, parce qu’il viole la loi ou qu’il n’est pas de sa compétence -, il lui est radicalement interdit de reprendre l’acte annulé, ou un acte qui n’en diffère pas substantiellement sous l’aspect qui a entraîné l’annulation. Lorsque le vice qu’a sanctionné l’annulation touche à la procédure ou à la forme, l’autorité se trouve face à une procédure entamée qui est réputée ne jamais avoir été menée à son terme, et qui attend son aboutissement. Et même si ce vice touche à la teneur de l’acte, une réfection est envisageable, pourvu que cette teneur soit modifiée en fonction de l’enseignement de la décision judiciaire d’annulation (voir Michel LEROY, Contentieux administratif, Ed. Bruylant, 3ième édition 2004, p. 706 et s.).
Or, au vu de la motivation de l’arrêt du 20 juin 2006, il échet de constater en premier lieu que la Cour administrative, même en retenant que la procédure après le lancement de la soumission se trouvait viciée de manière substantielle, n’a pas annulé l’intégralité de la procédure de soumission, mais seulement l’arrêté ministériel du 2 juillet 2004, en raison du fait que les critères de sélection et d’attribution avaient été changés après le lancement de la soumission. Ce faisant, la Cour administrative a implicitement confirmé la légalité de la version initiale du cahier particulier des charges et des conditions d’appel d’offres du 11 avril 2003, les critiques ayant conduit à l’annulation dudit arrêté ministériel visant uniquement la modification des critères applicables telle que ressortant de la lettre de l’administration des Ponts et Chaussées du 23 juillet 2003.
Dès lors, en se référant à la motivation contenue à l’arrêt du 20 juin 2006, les sociétés demanderesses réclament à tort l’annulation de la procédure de soumission dans son intégralité, ledit arrêt n’ayant dans aucun de ses considérants imposé au ministre de passer par une nouvelle procédure de soumission publique, solution par ailleurs conforme aux principes doctrinaux ci-avant cités.
Pour le surplus, c’est encore à juste titre que la partie étatique relève que l’article 31 du règlement du 2 janvier 1989, intitulé « abandon et annulation d’une mise en adjudication et remise en adjudication » vise une hypothèse tout à fait différente, à savoir une décision ministérielle de renonciation à une adjudication, respectivement d’annulation de ladite adjudication, pour des raisons limitativement y énumérées, notamment en raison d’erreurs substantielles contenues dans le dossier de soumission ou en présence d’irrégularités d’une influence décisive par rapport à l’établissement des offres. Or, en l’espèce, force est de constater qu’aucune des causes de nullité telles qu’énumérées audit article 31 n’a été constatée par la Cour administrative dans son arrêt du 20 juin 2006 concernant la mise en adjudication litigieuse, la cause d’annulation ayant conduit à l’annulation de l’arrêté ministériel du 2 juillet 2004 ayant consisté dans le changement des critères de sélection et d’attribution après le lancement de la soumission sur initiative du pouvoir adjudicateur, hypothèse non prévue à l’article 31 du règlement du 2 janvier 1989.
Dès lors, c’est à juste titre que la partie étatique relève que le but poursuivi par le ministre, en prenant une nouvelle décision sur base du cahier des charges originaire, a été celui d’une bonne administration et par son arrêté du 3 août 2006, le ministre a précisément exécuté l’arrêt de la Cour administrative du 20 juin 2006 en statuant de nouveau sur la demande initiale sur base des critères originaires et après l’avoir soumise à une nouvelle instruction.
Il s’ensuit que c’est à tort que les sociétés demanderesses soutiennent que le ministre aurait dû procéder via une nouvelle soumission publique et le moyen afférent est dès lors à rejeter.
Quant à la prétendue modification unilatérale des critères d’adjudication initiaux Les sociétés demanderesses reprochent ensuite au ministre une modification unilatérale des critères initiaux d’adjudication par le fait d’avoir introduit une pondération au niveau desdits critères en basant sa décision du 3 août 2006 sur l’avis du nouveau directeur de l’administration des Ponts et Chaussées, daté au 27 juillet 2006, proposant comme adjudicataire le groupement W.-F.. Or, il ressortirait dudit rapport que le classement entre les différents soumissionnaires n’aurait en réalité pas été établi sur base des critères initialement fixés au cahier des charges et classés par ordre décroissant d’importance, mais ledit directeur y aurait inséré unilatéralement une pondération à raison de 60% pour le critère du prix, 30% pour le critère de la valeur technique de l’offre et 10% pour une éventuelle réduction des délais imposés.
Or, par cette façon de procéder, le ministre aurait violé l’autorité de chose jugée rattachée à l’arrêt de la Cour administrative du 20 juin 2006 et sa façon de procéder serait contraire à la jurisprudence luxembourgeoise constante en la matière, conférant au cahier des charges une valeur contractuelle en ce sens que les critères d’attribution y fixés lieraient le pouvoir adjudicateur. D’après les sociétés demanderesses, autoriser que le commettant ne respecte pas les règles du jeu qu’il a lui-même fixées impliquerait une mise en cause des règles de la concurrence loyale et de l’égalité des soumissionnaires. Il s’en suivrait que le pouvoir adjudicateur ne serait pas en droit de modifier les critères une fois que ceux-ci sont fixés dans le cahier des charges, lequel a été communiqué à tous les candidats soumissionnaires et admettre pareille attitude reviendrait à autoriser le pouvoir adjudicateur à adapter l’offre en cours de route.
Les sociétés demanderesses insistent plus particulièrement sur le fait que les critères initiaux auraient été classés par ordre décroissant d’importance et en décidant unilatéralement d’affecter ces critères d’une pondération, le cahier des charges initial aurait été violé, ladite modification ultérieure des critères initiaux consistant à remettre en cause la sécurité juridique par un acte unilatéral du pouvoir adjudicateur.
Les sociétés demanderesses exposent ensuite que trois méthodes d’évaluation seraient théoriquement envisageables, à savoir :
-
pour l’hypothèse où les critères de sélection et d’attribution sont affectés d’une pondération prévue dès l’origine dans le cahier des charges, le pouvoir adjudicateur évalue les offres au regard de tous les critères et le classement final s’effectuerait selon la pondération plus ou moins importante qui aura été donnée à chaque critère ;
-
pour l’hypothèse où les critères ne sont ni pondérés ni classés par ordre décroissant d’importance, le pouvoir adjudicateur évaluerait les offres au regard de tous les critères qui auraient tous la même valeur ;
-
pour l’hypothèse où les critères seraient classés par ordre décroissant d’importance sans être pondérés, comme en l’espèce, le ministre aurait eu l’obligation de recommencer la procédure via une nouvelle soumission publique sans oublier de pondérer les critères dès l’origine dans le cahier des charges, aucune pondération ne pouvant plus être rajoutée par la suite.
Or, en classant les critères par ordre décroissant d’importance, le pouvoir adjudicateur aurait attribué à ces critères une hiérarchisation ne permettant pas au stade de l’évaluation d’y introduire une pondération. Dès lors, il faudrait départager les offres au regard des critères classés par ordre décroissant d’importance, c’est-à-dire d’abord au regard du premier critère considéré comme le plus important et ensuite, à titre subsidiaire, si aucune offre n’a pu se distinguer par rapport au premier critère au regard du second critère et ainsi de suite.
Subsidiairement, les sociétés demanderesses soutiennent, pour l’hypothèse où le pouvoir adjudicateur serait en droit d’introduire une pondération, même si les critères sont classés par ordre décroissant d’importance dans le cahier des charges initial, que pareille pondération ne pourrait être introduite qu’à la condition qu’elle intervienne avant l’ouverture des offres.
Force serait cependant de constater que le nouveau directeur de l’administration des Ponts et Chaussées aurait décidé de sa propre initiative de procéder à une pondération à un moment qui serait loin de pouvoir être qualifié de « non-suspect », étant donné que les offres des différents soumissionnaires avaient déjà été évaluées par des bureaux d’études et par l’ancien directeur de l’administration des Ponts et Chaussées et fait l’objet de deux classements et de deux propositions différentes, que le premier arrêté ministériel d’adjudication du 2 juillet 2004 avait déjà adjugé le marché au groupement W.-F., que le nouveau directeur de l’administration des Ponts et Chaussées avait été chargé par le ministre de régulariser la situation et que le nouveau directeur avait choisi de baser son rapport sur les résultats tirés de l’évaluation des bureaux d’études. Or, par cette façon de procéder, le nouveau directeur aurait pu choisir une pondération favorisant le groupement W.-F. afin de ne pas exposer l’Etat au risque d’indemniser les sociétés demanderesses.
Dans leurs mémoires en réponse respectifs, le groupement W.-F. et l’Etat insistent en premier lieu sur le fait que l’annulation par la Cour administrative de l’arrêté d’adjudication du 2 juillet 2004 ne produirait aucun effet sur le contrat civil qui s’est formé entre parties, conformément à l’article 1134 du Code civil. Ainsi, le contrat initial conclu entre le groupement W.-F. et l’Etat aurait été réitéré, de sorte que la validité dudit contrat existant ne pourrait plus être contestée.
Concernant la question de savoir si une pondération ex post des critères d’adjudication est contraire au cahier des charges originaire, la partie étatique précise en premier lieu que le fait que les trois critères d’adjudication aient été classés dans le cahier des charges originaire en ordre décroissant d’importance ne signifierait en rien que le prix, premier critère d’adjudication et critère d’adjudication le plus important, serait seul déterminant, ni que le marché devrait obligatoirement être adjugé au moins disant.
Partant, une hiérarchisation des critères ne signifierait nullement qu’une pondération serait inutile, d’autant plus qu’en l’espèce, il serait impossible en pratique que les offres des soumissionnaires pourraient être exactement identiques à l’euro près. Partant, si aucune offre n’aurait pu se distinguer par rapport au premier critère du prix, les offres devraient être départagées au regard du second critère et ainsi de suite.
La partie étatique relève encore que la pondération des critères serait une opération à laquelle le pouvoir adjudicateur devrait nécessairement procéder, même par application de la réglementation de 1989 et par application du cahier des charges originaire, pondération qui n’aurait cependant pas besoin d’être effectuée dès le cahier des charges. Ainsi, on pourrait pondérer les critères soit de manière scientifique, en prévoyant des pourcentages, soit de manière littéraire, en insistant sur la supériorité technique de l’offre du groupement W.-F. qui serait partant l’offre économiquement la plus avantageuse, malgré la faible différence de prix de 0,3% en faveur des sociétés demanderesses. Partant, la possibilité de procéder ex post à une pondération des critères serait possible et pourrait être une règle de cotation objective, du moment qu’elle respecte l’esprit du cahier des charges et demeurerait étrangère à toute manipulation tendancieuse violant le principe d’égalité.
D’après l’Etat, la pondération des critères, à la base de la décision ministérielle du 3 août 2006, ne serait pas contraire à l’autorité de chose jugée se rattachant à l’arrêt de la Cour administrative du 20 juin 2006, étant donné que la Cour n’aurait nullement critiqué le fait que l’administration aurait annoncé après la publication du cahier des charges une pondération au niveau des différents critères, les critiques de la Cour ayant uniquement porté sur la substitution d’un critère nouveau et non énoncé dans le cahier des charges, à savoir le critère du « risque » à l’un des critères annoncés dans le cahier des charges, à savoir le critère de l’« éventuelle réduction des délais imposés ». Dès lors, la Cour administrative aurait jugé que la modification des critères initiaux aurait constitué une illégalité, mais non la seule pondération ex post desdits critères.
Pour le surplus, la partie étatique conteste encore toute violation de la transparence administrative par le fait d’avoir simplement classé les critères d’adjudication par ordre décroissant d’importance. De même, il n’y aurait pas non plus eu violation de l’égalité des soumissionnaires respectivement manipulation suspecte, étant donné que le nouveau directeur de l’administration des Ponts et Chaussées, dans son avis, se serait principalement basé sur le rapport d’évaluation dressé par le bureau de contrôle suisse O. qui aurait conclu à la valeur technique supérieure de l’offre du groupement W.-
F..
Finalement, la partie étatique fait encore répéter que la pondération de 60%, 30% respectivement 10% par rapport aux trois critères d’adjudication aurait été annoncée en cours de procédure et avant l’ouverture des soumissions, qu’elle serait parfaitement rationnelle et correspondrait à un classement « par ordre décroissant d’importance » des trois critères et serait partant constitutive d’une bonne administration.
Dans leur mémoire en réplique, les sociétés demanderesses soutiennent encore qu’en présence de critères initiaux classés par ordre décroissant d’importance sans pondération, toute pondération ex post équivaudrait à une adaptation des critères en cours de route, étant donné que le pouvoir adjudicateur pourrait très bien choisir une pondération favorisant un soumissionnaire. Pour le surplus, toute pondération ex post, pour l’hypothèse où elle était permise, devrait respecter l’esprit du cahier des charges et demeurer étrangère à toute manipulation tendancieuse violant le principe d’égalité, ce qui n’aurait pas été le cas en l’espèce, étant donné que le seul but de ladite pondération aurait été de régulariser la présence du groupement W.-F. sur le chantier du tunnel « Grouft ».
Les sociétés demanderesses insistent finalement sur le fait que la Cour administrative, dans son arrêt du 20 juin 2006, aurait expressément relevé deux faits illégaux, à savoir, d’une part, la pondération des critères et, d’autre part, la suppression d’un critère, le terme « modification » pouvant très bien englober à la fois la modification du contenu d’un critère et une pondération au niveau desdits critères.
Concernant en premier lieu la prétendue violation de l’autorité de chose jugée rattachée à l’arrêt de la Cour administrative du 20 juin 2006, le tribunal tient à rappeler que l’autorité de la chose jugée, présupposant la triple identité de cause, d’objet et des parties vérifiée, ne s’attache qu’au dispositif d’une décision judiciaire, ensemble les motifs le sous-tendant directement (cf. trib. adm. 24 octobre 2001, n° 13634 du rôle, Pas.
adm. 2006, V° Procédure contentieuse, n° 533 et autres références y citées).
Or, en l’espèce, force est de constater que la Cour administrative a annulé l’arrêté ministériel du 2 juillet 2004 aux motifs que la procédure, après le lancement de la soumission, se trouvait viciée de manière substantielle « par le fait d’avoir changé les critères de sélection et d’attribution », respectivement « en présence d’une modification des critères applicables pour déterminer l’offre la plus avantageuse, élaborés et publiés après le lancement de la soumission publique et en dehors des conditions de légalité », sans que la Cour n’ait cependant affirmé explicitement que la seule pondération des critères de sélection serait constitutive de pareille modification, contrairement au remplacement du critère de la « réduction des délais » par le critère du « risque ».
Dès lors, le tribunal retient en premier lieu que par le simple fait d’avoir introduit une pondération par rapport aux trois critères d’adjudication classés en ordre décroissant d’importance, le ministre, par son arrêté du 3 août 2006, n’a pas violé l’autorité de chose jugée rattachée à l’arrêt de la Cour administrative du 20 juin 2006.
Concernant plus précisément la version initiale des conditions d’appel d’offres et la modification alléguée des critères d’attribution par le fait d’ajouter une pondération au niveau desdits critères, le tribunal tient d’abord à renvoyer au libellé du cahier particulier des charges initial du 11 avril 2003, à savoir :
« Pour déterminer l’offre économiquement la plus avantageuse, le commettant se fonde sur les critères d’adjudication suivants (classés par ordre décroissant d’importance).
1. le prix, 2. la valeur technique de l’offre, eu égard notamment à l’opportunité des travaux et de la logistique du chantier proposés, 3. une éventuelle réduction des délais imposés ».
D’après l’article 32 du règlement du 2 janvier 1989 :
« (…) (6) Parmi les soumissionnaires ayant présenté une offre techniquement au point et répondant aux conditions des alinéas qui précèdent, le choix se porte sur celui qui a présenté l’offre économiquement la plus avantageuse, laquelle doit obligatoirement être choisie parmi les trois offres régulières accusant les prix acceptables les plus bas.
(7) Pour déterminer l’offre économiquement la plus avantageuse, le commettant se fonde sur le ou les critères dont il doit avoir prévu l’utilisation dans le cahier spécial des charges. Ces critères techniques, financiers et économiques sont variables selon le marché en cause. (…) ».
Il s’en dégage que le prix n’est pas le seul élément dont il doit être tenu compte pour qualifier une offre comme étant économiquement la plus avantageuse. Pour déterminer cette offre, le commettant peut encore se fonder sur d’autres critères, à condition cependant qu’il en ait prévu l’utilisation dans le cahier spécial des charges (cf.
trib. adm. 9 juin 1997, n° 9332 du rôle, Pas. adm. 2006, V° Marchés publics, n° 58 et autre référence y citée).
Dès lors, en l’espèce, le cahier spécial des charges est conforme au cadre réglementaire applicable et même si le prix a été érigé en critère d’adjudication le plus important, puisque classé premier parmi les trois critères classés par ordre décroissant d’importance, c’est à tort que les sociétés demanderesses soutiennent que les offres seraient à départager d’abord au regard du premier critère considéré comme le plus important, sans considérer les autres critères, étant donné que le cahier spécial des charges a précisément prévu trois critères classés par ordre décroissant d’importance, de sorte que le marché ne doit pas obligatoirement être adjugé au moins-disant.
Dans ce contexte, c’est d’ailleurs à juste titre que la partie étatique relève que pour un marché public d’une envergure de plus de 170.000.000.- € TTC, il est impossible en pratique que les différentes offres des soumissionnaires soient identiques à l’euro près.
Concernant plus particulièrement la pondération introduite par le nouveau directeur de l’administration des Ponts et Chaussées dans son avis du 27 juillet 2006, c’est cependant à tort que la partie étatique soutient que ladite pondération aurait été annoncée en cours de procédure et avant l’ouverture des soumissions, étant donné, comme relevé à juste titre par les sociétés demanderesses, que lesdites offres avaient déjà été évaluées auparavant par les bureaux d’études et avaient fait l’objet d’une proposition par l’ancien directeur de l’administration des Ponts et Chaussées, que sur base desdites offres le marché avait déjà été adjugé par un premier arrêté ministériel du 2 juillet 2004 au groupement W.-F. et que les offres concernées avaient été librement débattues par la suite devant les juridictions administratives dans le cadre de la procédure judiciaire ayant finalement été toisée par l’arrêt de la Cour administrative du 20 juin 2006.
Ceci étant, lorsque le cahier des charges classe les critères par ordre d’importance, il ne doit pas les pondérer. La pondération peut être établie après l’ouverture des offres. Il suffit de constater que la pondération respecte l’esprit et l’ordre de priorité des critères prévus (voir Maurice-André Flamme, Commentaire pratique de la réglementation des marchés publics, Tome IA, 6ième édition, p. 1070). – Ainsi, en droit belge, le Conseil d’Etat admet que le pouvoir adjudicateur donne a posteriori, c’est-à-dire après l’ouverture des offres, une règle de cotation objective, du moment qu’elle respecte l’esprit du cahier des charge et demeure étrangère à toute manipulation tendancieuse violant le principe d’égalité (voir Maurice-André Flamme, op. cit., p. 295).
Il s’ensuit que le nouveau directeur de l’administration des Ponts et Chaussées a pu introduire a posteriori une pondération au niveau des différents critères pour en dégager une règle de cotation objective, à condition de respecter l’esprit du cahier des charges et d’éviter toute manipulation tendancieuse favorisant un soumissionnaire.
Dans ce contexte, il échet de constater en premier lieu que la pondération à raison de 60 %, 30 % respectivement 10 % par rapport aux critères d’adjudication classés en ordre décroissant respecte l’esprit du cahier des charges, étant donné que le critère du prix reste le critère de sélection de loin le plus important par rapport à la pondération insérée.
Concernant en deuxième lieu le reproche des sociétés demanderesses soutenant que le pouvoir adjudicateur se serait livré à une manipulation tendancieuse des critères de sélection, violant de sorte le principe d’égalité et la transparence administrative pour favoriser le groupement W.-F., il échet de rappeler que l’essentiel du fardeau de la preuve incombe au demandeur lorsqu’il reproche à l’autorité administrative d’avoir détourné ou abusé de ses pouvoirs et en soulevant le reproche du favoritisme, il lui incombe donc de démontrer le caractère discriminatoire des critères de choix techniques dont il soutient qu’ils rompent l’égalité de traitement des soumissionnaires (cf. trib. adm. 23 octobre 2003, n° 15346 du rôle, confirmé par Cour adm. du 30 mars 2004, n° 17222C du rôle, Pas. adm. 2006, V° Marchés publics, n° 70).
Comme relevé ci-avant la pondération effectuée par le nouveau directeur de l’administration des Ponts et Chaussées, à la base de l’arrêté ministériel du 3 août 2006, respecte a priori l’esprit du cahier des charges, étant donné que le critère du prix, bénéficiant d’une pondération à raison de 60 %, reste le critère de sélection le plus important.
Concernant ensuite le deuxième critère d’attribution, à savoir celui de « la valeur technique de l’offre, eu égard notamment à l’opportunité des travaux et de la logistique du chantier proposés », pondéré à raison de 30 %, le tribunal, tout en faisant abstraction des reproches des parties respectives visant les prétendues erreurs de calculs des ancien et nouveau directeur de l’administration des Ponts et Chaussés, tient à renvoyer au document intitulé « Evaluation des offres issues de la soumission du 1er octobre 2003 et proposition d’un adjudicataire », rédigé en date du 12 février 2004 par Monsieur F. H., administrateur du bureau d’études U., faisant sienne l’analyse et les conclusions du bureau d’étude suisse O. S.A., et qui conclut à l’exclusion de tout doute à la supériorité technique de l’offre du groupement W.-F. par rapport à l’offre des sociétés demanderesses.
Il échet de relever que ladite analyse, pour autant qu’elle vise le deuxième critère d’attribution, à savoir la valeur technique des offres remises, n’a pas été critiquée d’un point de vue technique par les sociétés demanderesses, celles-ci se contentant d’affirmer dans le cadre du recours introduit qu’une pondération ex post des critères d’attribution ne serait pas possible.
Or, comme relevé ci-avant, pareille pondération, en respectant l’esprit du cahier des charges, reste possible et est même inhérente à un classement des critères d’attribution par ordre décroissant d’importance, le choix finalement retenu étant même rendu plus objectif.
Ainsi, au vu de la conclusion non équivoque du rapport du bureau d’étude U. du 12 février 2004, le tribunal est amené à retenir que l’offre du groupement W.-F. est largement supérieure d’un point de vue technique à l’offre des sociétés demanderesses et que le ministre, en appliquant une pondération objective en conformité avec l’esprit du cahier des charges, était en droit d’adjuger le marché en question audit groupement, la supériorité technique de l’offre de celui-ci ayant largement comblé la différence de prix infime de 0,3 %. Sur ce dernier point, il convient d’ailleurs de relever que le rapport du 12 février 2004 insiste particulièrement sur le manque d’expérience des sociétés demanderesses par rapport au groupement W.-F. et relève pour le surplus des prix étonnamment bas, remis pour « les avancements les plus difficiles (…), prix qui ne sont point justifiables et qui mettraient en péril l’entreprise et, partant le maître de l’ouvrage, lors même des travaux » (page 7 du rapport U.).
Il s’ensuit que les sociétés demanderesses n’ont pas rapporté la preuve que l’autorité administrative aurait détourné respectivement abusé de ses pouvoirs et se serait livrée à une manipulation tendancieuse des critères d’attribution constitutive d’une violation du principe d’égalité et de la transparence administrative, de sorte que le ministre, dans l’arrêté critiqué du 3 août 2006, a pu porter son choix sur l’offre du groupement W.-F. comme étant l’offre économiquement la plus avantageuse, et ceci malgré le fait que les sociétés demanderesses ont présenté l’offre la moins disante et que le prix fut érigé comme critère d’adjudication le plus important.
Il suit des considérations qui précèdent que le recours n’est pas justifié et que la partie demanderesse doit en être déboutée.
Au vu de l’issue du litige, les demandes en allocation de deux indemnités de procédure pour les montants respectifs de 10.000.- € (dix mille euros), formulées par les sociétés demanderesses dans les deux recours, sont à rejeter.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
ordonne la jonction des deux recours introduits sous les numéros 21819 et 22062 du rôle ;
reçoit les recours en annulation en la forme ;
au fond, les déclare cependant non justifiés, partant en déboute ;
rejette les demandes en allocation d’une indemnité de procédure formulées par les demanderesses ;
condamne les parties demanderesses aux frais.
Ainsi jugé par:
M. Schockweiler, premier vice-président, M. Schroeder, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 2 juillet 2007 par le premier vice-président, en présence de M. Legille, greffier.
Legille Schockweiler 23