La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

23/05/2007 | LUXEMBOURG | N°22326

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 23 mai 2007, 22326


Tribunal administratif N° 22326 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 20 décembre 2006 Audience publique du 23 mai 2007 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 22326 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 20 décembre 2006 par Maître Benoît ARNAUNE-GUILLOT, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Burundi), de

nationalité burundaise, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformatio...

Tribunal administratif N° 22326 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 20 décembre 2006 Audience publique du 23 mai 2007 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 22326 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 20 décembre 2006 par Maître Benoît ARNAUNE-GUILLOT, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Burundi), de nationalité burundaise, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 18 octobre 2006 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée et lui ayant refusé le bénéfice de la protection subsidiaire, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre intervenue sur recours gracieux en date du 22 novembre 2006 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 8 février 2007 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Benoît ARNAUNE-

GUILLOT et Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 23 avril 2007.

Le 11 mai 2004, Monsieur … introduisit oralement auprès du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Il fut entendu en date des 25 mai et 4 juin 2004 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, entretemps en charge de son dossier, informa Monsieur … par décision du 18 octobre 2006, notifiée par courrier recommandée du 19 octobre 2006, de ce que sa demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte qu’il ne pourrait bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève et de ce qu’il ne saurait pas non plus bénéficier de la protection subsidiaire telle que prévue par la loi du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection.

Pour arriver à cette conclusion, le ministre a retenu d’abord qu’à défaut de pièces, un demandeur d’asile doit au moins pouvoir présenter un récit crédible et cohérent, mais que celui de Monsieur … présenterait certaines contradictions et invraisemblances au niveau des faits relatés.

Il a relevé plus particulièrement à cet égard que suivant les déclarations de l’intéressé il se serait rendu en bus du camp de réfugiés à Uvira jusqu’à Kinshasa et que le trajet n’aurait duré que 45 minutes alors que Uvira se trouverait à quelques 1500 kilomètres de Kinshasa.

Même à admettre la véracité des déclarations du demandeur, le ministre a retenu que les craintes de persécution qu’il a fait valoir s’analyseraient en l’expression d’un sentiment général d’insécurité et non pas en une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève. Il a estimé plus particulièrement que le fait que des membres du « Palipa Hutu » lui auraient écrit des lettres ne saurait suffire et ne serait pas d’une gravité suffisante pour fonder une demande en obtention du statut de réfugié, ceci d’autant plus que le demandeur ne ferait pas état de problèmes concrets et qu’il n’aurait pas démontré qu’il aurait été dans l’impossibilité de se déplacer dans une autre région du Burundi afin de pouvoir bénéficier d’une fuite interne. Le ministre a relevé enfin que la situation générale au Burundi se serait nettement améliorée, de sorte que la seule appartenance à l’ethnie hutue ne constituerait plus une raison valable pour prétendre au statut de réfugié, ceci d’autant plus qu’en mars 2005, un nouveau texte de constitution a été adopté selon en processus électoral prévoyant un partage du pouvoir plus équitable entre hutus et tutsis. Il se réfère à cet égard à différents rapports émanant d’organisations internationales documentant la situation actuelle au Burundi.

Le recours gracieux que Monsieur … a fait introduire par courrier de son mandataire datant du 16 novembre 2006 à l’encontre de la décision ministérielle prévisée s’étant soldé par une décision confirmative du ministre du 22 novembre 2006, il a fait déposer, par requête introduite le 20 décembre 2006, un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle du 18 octobre 2006 telle que confirmée le 22 novembre 2006.

Etant donné que tant l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1.

d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, que l’article 19, paragraphe 3 de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection prévoient un recours en réformation en matière de demandes d’asile et de demandes de protection subsidiaire déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur reproche au ministre de ne pas avoir apprécié à leur juste valeur certains éléments et pièces essentielles de son dossier. Il rappelle dans ce contexte être de confession musulmane et appartenir à l’ethnie hutue de sorte à avoir été exposé, à l’instar de toute sa famille, au génocide perpétré dès l’année 1996 par les tutsis et au cours duquel son père aurait été tué et sa mère grièvement blessée. Il rappelle en outre avoir pris la fuite et trouvé refuge dans un camp de fortune en Tanzanie jusqu’en 2001, sans préjudice quant à une date plus exacte, année où il aurait regagné son pays natal, étant donné que la situation semblait alors s’être normalisée. Toutefois, à leur retour au Burundi, lui-

même et sa famille n’auraient pas trouvé de véritable changement et auraient dû vivre constamment dans la peur et la crainte. Il se serait alors retrouvé au ban de la vie sociale burundaise jusqu’au moment où dans les premiers mois de l’année 2004, il aurait reçu des courriers de groupes de rebelles, le « Palipa hutu » qui l’aurait directement contacté afin qu’il rejoigne ses rangs et qui lui auraient fait clairement comprendre les risques majeurs qu’il prendrait pour sa vie et celle des siens, particulièrement sa mère et sa sœur, s’il décidait de refuser cette proposition. Il aurait ainsi opté de nouveau pour la fuite et se serait réfugié au Congo dans un camp de réfugiés qu’il aurait à nouveau dû quitter en raison d’une attaque par les rebelles rwandais. En raison encore de son appartenance au parti politique Front démocratique du Burundi (FRODEBU) depuis l’âge de 22 ans, soit depuis 1994, ainsi que de son refus de rejoindre une véritable armée de rebelles, il aurait été définitivement contraint de fuir son pays sans qu’on pourrait lui reprocher, dans ces conditions, de ne pas avoir recherché refuge dans une autre région du Burundi, étant donné qu’il avait déjà essayé deux fois de trouver refuge dans des pays voisins et ce en vain.

Le demandeur reproche encore au ministre de s’être livré à une mauvaise appréciation de la situation générale actuelle au Burundi et fait valoir que cette situation, contrairement à ce qui est retenu par le ministre, n’aurait pas évalué, de sorte qu’il y serait toujours en danger en cas de retour.

A titre subsidiaire, le demandeur se prévaut des dispositions de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme pour soutenir qu’un éloignement dans son chef porterait atteinte à sa vie privée et familiale qu’il aurait désormais établie sur le territoire luxembourgeois.

Le délégué du Gouvernement relève que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours serait à rejeter comme étant non fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Il s’y ajoute que dans le cadre d’un recours en réformation, il appartient au tribunal d’évaluer la situation du demandeur au jour il est amené à statuer, de sorte que les développements du ministre, réitérés en cours d’instance contentieuse moyennant les arguments en défense présentés par le délégué du Gouvernement, sont à examiner indépendamment de ce que Monsieur … a pu vivre dans le cadre du génocide, voire à une époque subséquente remontant désormais loin dans le temps.

A cet égard force est encore de constater que les craintes de persécution mises en avant ne sont pas suffisamment concrètes pour justifier l’octroi du statut de réfugié à l’heure actuelle dans le chef de Monsieur …, ceci au vu notamment des rapports détaillés versés au dossier par le délégué du Gouvernement pour documenter l’évolution et plus particulièrement la situation actuelle au Burundi. Entrevue sur la toile de fond de la situation actuelle, le récit de l’intéressé traduit, tel que retenu à juste titre par le ministre, plutôt l’expression d’un sentiment général d’insécurité caractérisant une situation d’après conflit, insuffisant en tant que tel pour établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève.

Il se dégage des considérations qui précèdent que le recours sous analyse est à rejeter comme étant non fondé.

En ce qui concerne le refus du ministre d’accorder au demandeur le bénéfice de la protection subsidiaire telle que prévue par la loi du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection, il y a lieu de rappeler qu’aux termes de l’article 2, e) de la loi du 5 mai 2006 précitée, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire», « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37, l’article 39, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 37 de la même loi énumère en tant qu’atteintes graves, sous ses littéra a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; ou la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Le tribunal constate à ce sujet que le demandeur, à part de s’être référé à son récit présenté pour obtenir le statut de réfugié et jugé ci-avant comme étant insuffisant pour servir de base utile à l’examen de sa demande, n’a pas fait état d’autres éléments spécifiques qui justifieraient l’octroi de la protection subsidiaire dans son chef, de sorte qu’en l’état actuel du dossier, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée portant refus d’accorder au demandeur le bénéfice de la protection subsidiaire telle que prévue par la loi du 5 mai 2006.

Quant au moyen basé sur une prétendue violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, force est encore de constater que dans le cadre de l’examen d’une demande de protection internationale le ministre est tenu d’appliquer les critères propres à cette matière et il s’y ajoute que le demandeur, outre de se référer d’une manière générale à cet article, reste en défaut d’établir concrètement aussi bien la vie familiale dont il se prévaut que la nature concrète de l’atteinte qui y serait portée par les décisions déférées.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 23 mai 2007 par :

Mme Lenert, vice-président, Mme Lamesch, premier juge, Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 22326
Date de la décision : 23/05/2007

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2007-05-23;22326 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award