GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle: 22621C Inscrit le 1er mars 2007
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AUDIENCE PUBLIQUE DU 10 MAI 2007 Recours formé par les époux XXX XXX et XXX XXX et consort, XXX contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié Appel (jugement entrepris du 5 février 2007, no 21919 du rôle)
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Vu l’acte d’appel déposé au greffe de la Cour administrative le 1er mars 2007 par Maître Adrian SEDLO, avocat à la Cour, au nom M. XXX XXX, né le 6 septembre 1978 à XXX (Kosovo/Serbie), et de son épouse, Mme XXX XXX, née le 6 juin 1985 à XXX, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leur enfant mineur XXX, né le 30 novembre 2003 à XXX (Serbie), tous de nationalité serbe, demeurant ensemble à L-XXX, contre un jugement rendu en matière de statut de réfugié par le tribunal administratif le 5 février 2007, à la requête des actuels appelants tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 14 juin 2006 portant rejet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative prise par le même ministre le 10 août 2006, suite à un recours gracieux des intéressés ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 16 mars 2007 par Mme le délégué du gouvernement Jacqueline GUILLOU-JACQUES ;
Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;
Le conseiller rapporteur entendu en son rapport et Maître Emmanuel HANNOTIN, en remplacement de Maître Adrian SEDLO, ainsi que Mme le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives.
Par jugement rendu le 5 février 2007, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, a débouté M. XXX XXX et son épouse, Mme XXX XXX, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leur enfant mineur XXX, de leur recours tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 14 juin 2006 portant rejet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative prise par le même ministre le 10 août 2006, suite à un recours gracieux des intéressés, le recours subsidiaire dirigé contre les mêmes décisions ayant quant à lui été déclaré irrecevable.
Maître Adrian SEDLO a déposé le 1er mars 2007 une requête d’appel en nom et pour compte des consorts XXX-XXX.
Les appelants renvoyant et réitérant leur exposé des craintes de persécutions tendant à justifier que le statut de réfugié au sens de la Convention de Genève leur soit reconnu, reprochent aux premiers juges d’avoir mal apprécié les motifs de persécutions par eux allégués.
Ils estiment remplir les conditions pour être admis au statut de réfugié au sens de la Convention de Genève, sinon au moins être en droit de bénéficier d’une mesure de protection subsidiaire.
Concernant en premier lieu la demande d’asile proprement dite, les appelants exposent appartenir à la minorité serbe du Kosovo et, se référant à divers rapports d’organisations internationales, soutiennent que chaque membre de cette minorité ferait l’objet de persécutions graves et répétées de la part des Albanais du Kosovo.
Concernant leur situation personnelle, ils exposent être originaires de l’enclave serbe formée par la ville de Gnjilane au Kosovo ; qu’ils auraient quitté cette ville en 2004, pour s’installer dans la « campagne environnante » ; qu’ils auraient été en proie à des tracasseries et des harcèlements quotidiens, relevant dans ce contexte, que devant soigner leur enfant en Serbie, ils seraient tracassés par les policiers kosovars notamment pour des problèmes d’assurances imaginaires, de même que Mme XXX-XXX se ferait continuellement harceler dans la rue ;
qu’ils seraient aussi quotidiennement exposés à des menaces exercées sur eux par les Albanais du Kosovo ; que l’oncle paternel et deux cousins de M. XXX auraient été tués par des Albanais ; que la maison de sa sœur aurait été brûlée et que le père de M. XXX, ainsi que son grand-père auraient également été agressés par des Albanais et que M. XXX aurait été agressé lorsqu’il a traversé un village albanais avec sa voiture.
Les appelants contestent l’existence d’une possibilité de fuite interne, que ce soit à l’intérieur de la province du Kosovo ou en Serbie, précisant ne pas pouvoir s’installer en Serbie, notamment parce que M. XXX risquerait d’être recruté contre son gré pour accomplir son service militaire, d’une part, et parce qu’il aurait été membre jusqu’en 2003 d’un parti opposé au régime de M. MILOSEVIC, d’autre part.
En ordre, subsidiaire, les appelants soutiennent que les violences interethniques persistantes dans leur pays d’origine justifieraient l’octroi d’une protection subsidiaire.
L’Etat a pris position dans un mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 16 mars 2007. Dans son mémoire, le délégué du gouvernement demande la confirmation du jugement entrepris pour les motifs y contenus.
L’appel est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Les premiers juges ont à juste titre mis en lumière que l’examen du bien-fondé d’une demande d’asile par le juge administratif, lorsqu’il est – comme en l’espèce – appelé à statuer comme juge du fond, se fait à la lumière de la situation dans le pays de provenance des demandeurs d’asile telle qu’elle se présente à l’heure où le juge est appelé à statuer.
Or, en l’occurrence, concernant la situation actuelle des minorités du Kosovo et, plus particulièrement de la minorité serbe du Kosovo, au regard des informations produites en cause, étant relevé que l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg n’a pas produit de mémoire en première instance et qu’en instance d’appel, le délégué du gouvernement s’est limité à demander la confirmation du jugement dont appel, force est cependant de constater que si, dans la dernière version actualisée de sa prise de position sur la protection et le rapatriement de personnes du Kosovo datant de juin 2006, l’UNHCR admet certes que « since the issuance of UNHCR’s March 2005 position paper, the overall security situation in Kosovo has progressively improved. The number of members of minorities working at the central Institutions of Provisional Self-Government (PISG) and in the Kosovo Protection Corps (KPC) has increased; freedom of movement has generally progressed; a number of important steps have been taken to reinforce the protection of property rights; and an Inter-Ministerial Commission to monitor minorities’ access to public services has been established » (UNHCR Position on the Continued International Protection Needs of Individuals from Kosovo, June 2006, p. 3, n° 8), il n’en reste pas moins que l’UNHCR souligne que la population serbe du Kosovo constitue un groupe exposé à un risque sérieux de persécution en précisant que « IV.
Groups at Risk - Kosovo Serbs, Roma and Albanians in a minority situation. - Given the present fragile security situation in Kosovo and serious ongoing limitations to the fundamental human rights of Kosovo Serbs, Roma and Albanians in a minority situation, UNHCR maintains its position that persons in these groups continue to be at risk of persecution, and that those minorities having sought asylum abroad should be considered as falling under the provisions of Article 1 A (2) of the 1951 Convention and the 1967 Protocol relating to the Status of Refugees. Where a State feels unable to grant refugee status under the law, but the individual is not excluded from international protection, a complementary form of protection should be granted. The return of individuals belonging to these groups should only take place on a strictly voluntary basis. Individuals who express a wish to return voluntary should be able to do so freely and with the full knowledge of the current situation in Kosovo ».
S’y ajoute que pour ce qui concerne leur situation particulière, les appelants proviennent d’une région habitée majoritairement par des Albanais ; qu’ils font état de façon crédible de plusieurs incidents graves les frappant soit directement soit leurs proches parents et qu’ils décrivent une continuité de discriminations et d’harcèlements à leur égard émanant de la part de membres de la population albanaise.
Ainsi, l’appartenance des appelants à la minorité serbe du Kosovo, ensemble les susdits éléments personnels par eux invoqués, amènent la Cour à la conviction qu’ils doivent être considérés comme ayant subi des actes de persécution de nature à leur rendre la vie intolérable dans leur région d’origine, ce constat s’imposant malgré la présence des forces internationales de l’UNMIK, de même qu’il se trouvent toujours exposés, en cas de retour au Kosovo, au risque concret de subir à nouveau des actes de persécution au sens de la Convention de Genève, l’existence d’une possibilité de fuite interne ne transperçant pas à suffisance de droit des circonstances de l’espèce.
Il résulte des développements qui précèdent que les appelants prétendent à juste titre à la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef et que le jugement, ainsi que les décisions ministérielles critiquées encourent la réformation en ce sens.
Par ces motifs, la Cour, statuant à l’égard de toutes les parties en cause ;
reçoit l’appel du 1er mars 2007 en la forme ;
au fond, le déclare justifié ;
partant, par réformation du jugement entrepris du 5 février 2007 et des décisions ministérielles des 14 juin et 10 août 2006, reconnaît à M. XXX XXX, son épouse, Mme XXX XXX et à leur enfant mineur XXX le statut de réfugiés et renvoie l’affaire devant le ministre pour exécution ;
condamne l’Etat aux frais et dépens des deux instances.
Ainsi jugé par :
Marion Lanners, présidente, Marc Feyereisen, conseiller, Henri Campill, conseiller rapporteur, et lu par la présidente Marion Lanners en l’audience publique au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête en présence du greffier en chef de la Cour Erny May.
le greffier en chef la présidente 4