Tribunal administratif N° 22248 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 4 décembre 2006 Audience publique du 9 mai 2007 Recours formé par Madame …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 22248 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 4 décembre 2006 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … (Rwanda), de nationalité rwandaise, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 26 septembre 2006 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée et lui ayant refusé le bénéfice de la protection subsidiaire, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre intervenue sur recours gracieux en date du 9 novembre 2006 ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 février 2007 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 6 mars 2007 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH au nom de Madame … ;
Vu le mémoire en duplique du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 15 mars 2007 ;
Vu les pièces complémentaires déposées au greffe du tribunal administratif le 16 avril 2007 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;
Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 23 avril 2007.
Le 2 décembre 2002, Madame … introduisit oralement une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
Elle fut entendue en date du 4 août 2004 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.
Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, entretemps en charge de son dossier, informa Madame … par décision du 26 septembre 2006, de ce que sa demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte qu’elle ne pourrait bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève et de ce qu’elle ne saurait pas non plus bénéficier de la protection subsidiaire telle que prévue par la loi du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection.
Pour arriver à cette conclusion, le ministre a retenu d’abord qu’à défaut de pièces, un demandeur d’asile doit au moins pouvoir présenter un récit crédible et cohérent, mais que celui de Madame … présenterait certaines contradictions et invraisemblances au niveau des faits relatés.
Il se dégage néanmoins de la décision déférée globalement considérée que le rejet de la demande en obtention du statut de réfugié de Madame … est motivé de manière déterminante non pas par le défaut de crédibilité de ses déclarations, mais par la considération que même à supposer ses dires établis, un risque de persécution dans son pays d’origine pour un des motifs énumérés à l’article 1er, A, paragraphe 2 de la Convention de Genève ne serait pas donné, étant donné tout d’abord, en ce qui concerne les faits qui se seraient déroulés entre 1994 et 1998, qu’ils seraient trop éloignés dans le temps et que par ailleurs un changement profond de la situation au Rwanda serait intervenue depuis cette date. Quant aux craintes de Madame … en rapport avec le fait qu’elle a témoigné auprès des tribunaux Gacaca, le ministre s’est référé à une note du 4 septembre 2006 éditée par le Home Office pour soutenir que les autorités en place au Rwanda protégeraient tant les survivants du génocide que les témoins devant ces tribunaux et que l’intéressée resterait en défaut d’établir qu’aucune protection de ce type ne serait susceptible de lui être accordée. Il a relevé en outre que dans la province dont la demanderesse est originaire, les survivants du génocide ne seraient à l’heure actuelle plus particulièrement exposés et que différents événements par elle relatés, dont notamment le viol par un de ses cousins en 2002, s’analyseraient en délits de droit commun non susceptibles de justifier de l’existence d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève. Le ministre a insisté pour le surplus sur le caractère relativement stable de la situation politique au Rwanda ainsi que sur les efforts remarquables qui auraient été déployés par le président en place pour surmonter le passé marqué par la violence du pays. Il a relevé en outre que de nombreux réfugiés rwandais auraient à nouveau pu rentrer chez eux. Il a déduit de l’ensemble de ces considérations que les craintes de Madame … de devoir retourner au Rwanda traduiraient plutôt l’expression d’un sentiment d’insécurité, insuffisant pour constituer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.
Le ministre a retenu enfin que le récit présenté par Madame … ne contiendrait pas de motifs sérieux et avérés permettant de croire qu’elle court un risque réel de subir des atteintes graves telles que définies à l’article 37 de la loi précitée du 5 mai 2006, étant entendu qu’en raison du manque de crédibilité de son récit évoqué déjà au niveau de la décision déférée, les faits invoqués à l’appui de sa demande ne permettraient d’établir ni la réalité d’un risque de se faire exécuter, ni celle de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants. Il estime enfin que la situation générale du Rwanda ne serait pas telle qu’elle pourrait être qualifiée de « violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international » comme le prévoit l’alinéa c) de l’article 37.
Le recours gracieux que Madame … a fait introduire par courrier de son mandataire datant du 30 octobre 2006 à l’encontre de la décision ministérielle prévisée s’étant soldé par une décision confirmative du ministre du 9 novembre 2006, elle a fait déposer, par requête introduite le 4 décembre 2006, un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle du 26 septembre 2006 telle que confirmée le 9 novembre 2006.
Etant donné que tant l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1.
d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, que l’article 19, paragraphe 3 de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection prévoient un recours en réformation en matière de demandes d’asile et de demandes de protection subsidiaire déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
A l’appui de son recours, la demanderesse insiste que les rescapés de la guerre qui ne souhaitent pas pardonner aux assassins des membres de leur famille pendant le génocide au Rwanda seraient exposés au risque d’être éliminés par les familles de ces assassins sans que les autorités en place ne soient véritablement en mesure de les protéger efficacement, de sorte que la crainte par elle mise en avant d’être encore à l’heure actuelle exposée à un risque de persécution en cas de retour dans son pays d’origine serait bien réelle, cela d’autant plus qu’elle aurait été menacée sérieusement par des éléments du pouvoir actuellement en place.
Elle insiste en outre sur l’exceptionnelle gravité des actes de persécution par elle vécus et relatés dans le cadre de ses diverses auditions et donne à considérer qu’elle n’était âgée au départ que de douze ans, qu’elle a fait l’objet d’actes de persécution tout au long de sa minorité depuis 1997 jusqu’à son départ en 2002 et que ses craintes actuelles seraient d’autant plus accentuées que le contexte de son vécu était douloureux.
Le délégué du Gouvernement relève dans son mémoire en réponse que le fait de craindre une vengeance privée pour avoir accusé des criminels devant un tribunal ne correspondrait à aucun des critères de fond prévus par la Convention de Genève pour l’octroi du statut de réfugié. Il signale qu’il ressortirait pour le surplus du dossier de l’intéressée qu’il lui aurait été possible de vivre ailleurs dans son pays d’origine où elle n’aurait pas rencontré de problèmes et qu’il serait dès lors étonnant qu’elle soit retournée vivre chez son oncle et ses cousins alors qu’elle avait pourtant indiqué avoir peur de ceux-ci, plutôt que de s’enfuir à l’époque et d’avoir cherché à s’installer dans une autre région. Il se réfère en outre aux contradictions et incohérences relevés au niveau des faits relatés par l’intéressée pour exprimer de sérieux doutes quant à la crédibilité des allégations de Madame ….
La demanderesse insiste de son côté sur l’absence de protection efficace de la part des autorités de son pays contre le risque par elle mis en avant pour sa sécurité physique. Elle se réfère dans ce contexte à un rapport de Human Rights Watch de janvier 2007 faisant état de meurtres à l’est du Rwanda pour mettre en évidence la réalité des meurtres encore actuellement perpétrés en représailles à l’égard des rescapés du génocide, ainsi que sur l’insuffisance inquiétante de la réponse officielle qui serait réservée à ces incidents.
Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».
La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.
En l’espèce, compte tenu du caractère particulièrement grave et tragique des faits relatés par Madame … à l’appui de sa demande d’asile, ainsi que de son jeune âge au moment des faits, les contradictions relevées par le ministre et réitérées par le délégué du Gouvernement sont à considérer comme étant insuffisantes pour conclure à un défaut général de crédibilité de l’intéressée, ceci d’autant plus que le récit présenté globalement considéré présente une certaine cohérence et se trouve en partie conforté par les pièces versées au dossier.
Il n’en demeure cependant pas moins que dans le cadre d’un recours en réformation, il appartient au tribunal d’évaluer la situation de la demanderesse au jour il est amené à statuer, de sorte que les développements du ministre, réitérés en cours d’instance contentieuse moyennant les arguments en défense présentés par le délégué du Gouvernement, sont à examiner indépendamment de ce que Madame … a pu vivre dans le cadre du génocide, voire à une époque subséquente remontant désormais loin dans le temps.
Force est encore de constater que même si les faits dont la demanderesse fut témoin ont trait au conflit entre les hutus et les tutsis, il n’en demeure pas moins que sa crainte actuelle de faire l’objet de menaces et d’intimidations de la part des personnes concernées par son témoignage est liée en substance à sa qualité de témoin direct, mais qu’elle n’est pas pour autant directement motivée par son appartenance ethnique ou par un autre motif visé par la Convention de Genève.
Compte tenu de l’ampleur qu’ont pu connaître les procès « Gacaca » c’est encore à juste titre que le délégué du Gouvernement fait valoir que les craintes exprimées par la demanderesse ont trait à la situation générale à laquelle sont confrontés d’une manière générale les témoins devant ces tribunaux contre des auteurs d’atrocités commises lors du génocide de 1994.
Quant aux différentes pièces versées de part et d’autre au dossier administratif, elles sont certes de nature à établir la réalité d’une situation parfois difficile des témoins devant un tribunal « Gacaca », mais elles ne sont pas pour autant de nature à établir un défaut caractérisé de protection de la part des autorités en place, voire d’une quelconque volonté de ces autorités de favoriser ces difficultés.
Il résulte des développements qui précèdent que la demanderesse reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, de manière que le recours sous analyse doit être rejeté comme étant non fondé.
En ce qui concerne le refus du ministre d’accorder à la demanderesse le bénéfice de la protection subsidiaire telle que prévue par la loi du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection, il y a lieu de rappeler qu’aux termes de l’article 2, e) de la loi du 5 mai 2006 précitée, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire», « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37, l’article 39, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
L’article 37 de la même loi énumère en tant qu’atteintes graves, sous ses littéra a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; ou la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Le tribunal constate à ce sujet que la demanderesse, à part de s’être référé à son récit présenté pour obtenir le statut de réfugié et jugé ci-avant comme étant insuffisant pour servir de base utile à l’examen de sa demande, n’a pas fait état d’autres éléments spécifiques qui justifieraient l’octroi de la protection subsidiaire dans son chef, de sorte qu’en l’état actuel du dossier, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause la légalité de la décision déférée portant refus d’accorder à la demanderesse le bénéfice de la protection subsidiaire telle que prévue par la loi du 5 mai 2006.
Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne la demanderesse aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 9 mai 2007 par :
Mme Lenert, vice-président, Mme Lamesch, premier juge, Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.
s. Schmit s. Lenert 6