La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

09/05/2007 | LUXEMBOURG | N°22097

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 09 mai 2007, 22097


Tribunal administratif N° 22097 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 novembre 2006 Audience publique du 9 mai 2007 Recours formé par Monsieur … et son épouse, Madame …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière d’autorisation de séjour

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 22097 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 3 novembre 2006 par Maître Yvette NGONO YAH, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né l

e … à Bérane (République de Monténégro), de nationalité monténégrine, et de son épouse, Mada...

Tribunal administratif N° 22097 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 novembre 2006 Audience publique du 9 mai 2007 Recours formé par Monsieur … et son épouse, Madame …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière d’autorisation de séjour

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 22097 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 3 novembre 2006 par Maître Yvette NGONO YAH, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Bérane (République de Monténégro), de nationalité monténégrine, et de son épouse, Madame …, née le … à Saronje (République de Serbie), de nationalité serbe, demeurant tous les deux ensemble à L-3843 Schifflange, 10, rue de l’Industrie, tendant à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 2 août 2006 par laquelle la délivrance d’une autorisation de séjour a été refusée à Monsieur … ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 15 décembre 2006 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en sa plaidoirie.

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

En date du 7 juin 1999, Monsieur … introduisit une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève auprès du service compétent du ministère de la Justice. Cette demande fut rejetée par une décision du ministre de la Justice du 12 avril 2001 comme étant non fondée, décision confirmée, sur recours gracieux, par une décision du même ministre du 25 juin 2001. Un jugement du tribunal administratif du 25 avril 2002 (n° du rôle 13736) rejeta comme étant non justifié un recours en réformation dirigé contre les deux décisions ministérielles précitées, un appel dirigé contre ledit jugement ayant été déclaré irrecevable par un arrêt de la Cour administrative du 24 octobre 2002 (n° du rôle 15000C).

Par arrêté du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 20 juillet 2006, Madame … fut autorisée à prendre emploi, en tant que femme de ménage, auprès d’un employeur établi à Bascharage, ledit permis de travail prévoyant une durée de validité jusqu’au 19 juillet 2007.

Il se dégage encore de la photocopie d’une lettre non datée figurant au dossier administratif tel que versé par l’Etat, que Madame … dispose d’une autorisation de séjour valable jusqu’au 19 juillet 2007 lui délivrée par le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration.

Par courrier du 2 août 2006 adressé au mandataire des époux …-…, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration refusa de faire droit à une demande du 30 mai 2006 en vue de l’obtention d’une autorisation de séjour en faveur de Monsieur …, ladite décision se basant sur les motifs et considérations suivants :

« Votre demande pourra être reconsidérée du moment où Madame … sera en possession d’un permis de travail B, délivré en nom de Madame … par le service des permis de travail.

Je tiens, dès à présent, à vous signaler que la demande en regroupement familial est à déposer soit dans le pays d’origine de l’intéressé, soit dans le pays où il est autorisé à résider, auprès d’une représentation diplomatique ou consulaire du Luxembourg ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 3 novembre 2006, Monsieur … et son épouse, Madame … ont fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 2 août 2006.

Le recours en annulation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de leur recours, les demandeurs font exposer que Monsieur … vit en situation irrégulière au Luxembourg depuis le rejet de sa demande d’asile, que Madame … est entrée sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg ensemble avec ses parents et qu’ils ont pu bénéficier d’une procédure de régularisation au cours du mois de mai 2004 qui leur a permis d’obtenir une autorisation de séjour au Luxembourg, qu’à l’heure actuelle, Madame … bénéficie d’une autorisation de séjour au Luxembourg valable jusqu’au 19 juillet 2007, ainsi que d’un permis de travail valable jusqu’à la même date, que son revenu mensuel net serait actuellement de 1.270,65 € et qu’en date du 29 mars 2006 ils ont procédé à la célébration de leur mariage dans l’ambassade de Serbie et Monténégro située à Bruxelles.

En droit, les demandeurs reprochent au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration d’avoir exigé dans le chef de Madame … la possession d’un permis de travail de type « B », en soutenant que le ministre compétent aurait simplement pour mission de vérifier s’ils bénéficient de moyens personnels suffisants en conformité avec l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-d’oeuvre étrangère. Quant à cette condition légalement requise par la disposition précitée, les demandeurs font exposer que Madame … bénéficierait actuellement d’un revenu mensuel net de 1.270,65 € et que la seule charge mensuelle incompressible serait constituée par un loyer de 400,- €.

Ils reprochent encore au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration d’avoir estimé que Monsieur … devrait présenter sa demande en vue d’obtenir une autorisation de séjour dans le cadre du regroupement familial dans son pays d’origine. Ils font dans ce contexte état de ce que Monsieur … se trouverait déjà actuellement au Luxembourg et qu’ils attendent un enfant dont la naissance est prévue pour le 21 mai 2007 suivant un certificat médical afférent versé au dossier.

En substance, ils soutiennent qu’en vertu de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme, Monsieur … devrait se voir délivrer une autorisation de séjour dans le cadre de son regroupement familial avec son épouse et son enfant à naître.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement reproche à Monsieur … de vivre en situation irrégulière au Luxembourg depuis le 24 octobre 2002 et de ne jamais avoir tenté de « régulariser sa situation ». Il estime encore que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration aurait valablement pu lui refuser la délivrance d’une autorisation de séjour, au vu de ce qu’il n’était pas en possession « des papiers de légitimation prescrits » et qu’il ne disposait pas non plus de moyens personnels suffisants au voeu de la loi précitée du 28 mars 1972. Par ailleurs, le représentant étatique insiste sur la prétendue précarité de la situation de Madame …, dans la mesure où ses permis de travail et de séjour expirent le 19 juillet 2007, de sorte que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration aurait valablement pu relever le fait qu’elle ne dispose pas d’un permis de travail B.

En ce qui concerne plus particulièrement la demande tendant à obtenir un regroupement familial, le délégué du gouvernement expose que les demandeurs ne pouvaient ignorer la précarité de leur situation au vu des considérations qui précèdent, en soulignant qu’ils n’auraient pas le droit de choisir l’implantation géographique de leur vie familiale. Il soutient que dans la mesure où l’impossibilité de mener une vie familiale dans un autre pays ne serait pas établie, rien ne s’opposerait à ce qu’ils établissent leur vie commune dans l’un de leur pays d’origine, à savoir soit la Serbie, soit le Monténégro, dont ils possèdent respectivement la nationalité. Il s’ensuivrait que la décision litigieuse du 2 août 2006 ne serait pas de nature à porter atteinte à leur vie privée et familiale, en relevant dans ce contexte que le fait que Madame … serait enceinte serait indifférent.

Enfin, le délégué du gouvernement soutient que Monsieur … aurait dû formuler sa demande tendant à la délivrance d’une autorisation de séjour pour obtenir le regroupement familial dans son pays d’origine, à savoir le Monténégro, et non pas au Luxembourg.

Il échet tout d’abord de constater que la décision litigieuse du 2 août 2006 est fondée sur un seul motif de refus de délivrance d’une autorisation de séjour à Monsieur …, à savoir celui tiré du défaut par Madame … de disposer d’un permis de travail B, étant entendu que la considération relative à l’autorité compétente auprès de laquelle Monsieur … doit formuler sa demande afférente n’a pas été formulée en tant que motif de refus de délivrer un permis de séjour à Monsieur …. Par ailleurs, dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement semble avoir voulu rajouter deux autres motifs qui se seraient trouvés à la base de la décision litigieuse, à savoir ceux tirés du défaut, d’une part, par Monsieur … de disposer de moyens personnels suffisants tels qu’exigés par l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972, ainsi que, d’autre part, de disposer des papiers de légitimation prescrits.

Ainsi, ni la décision litigieuse ni les motifs apportés en cours d’instance contentieuse par le délégué du gouvernement ne prennent position par rapport à la demande de regroupement familial telle que formulée par les demandeurs, de sorte qu’il faut retenir que l’Etat n’a pas pris position par rapport à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme qui a valablement pu être invoqué par les demandeurs.

L’article 2 de la loi prévisée du 28 mars 1972 dispose que « l’entrée et le séjour au Grand-Duché pourront être refusés à l’étranger : (…) – qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour », impliquant qu’un refus de délivrer une autorisation de séjour au pays peut être décidé notamment lorsque l’étranger ne rapporte pas la preuve de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour.

En l’espèce, les demandeurs se réfèrent aux revenus de Madame … pour soutenir qu’ils disposeraient de revenus suffisants leur permettant de vivre au Luxembourg.

En effet, il n’est pas contesté en cause, et il ressort d’ailleurs des pièces et éléments du dossier, que l’épouse de Monsieur …, Madame …, bénéficie d’un revenu mensuel net de 1.270,65 € et qu’elle bénéficie d’un contrat de bail portant sur un appartement susceptible d’être occupé par deux personnes moyennant un loyer mensuel de 400,- €, charges comprises.

Il ressort encore des pièces et éléments du dossier, tel que relevé ci-avant, que Madame … bénéficie d’un permis de travail valable jusqu’au 19 juillet 2007.

Comme il appartient aussi bien à l’épouse qu’à l’époux d’assurer la direction matérielle de la famille et de contribuer aux charges du mariage, c’est à bon droit que les demandeurs peuvent prendre appui sur le revenu de Madame … pour prouver également les moyens personnels suffisants dans le chef de Monsieur ….

Il suit de ce qui précède que ce motif ne saurait valablement se trouver à la base de la décision litigieuse du 2 août 2006.

En ce qui concerne le deuxième motif que le délégué du gouvernement semble avoir invoqué dans son mémoire en réponse à l’appui de la décision litigieuse, à savoir celui tiré du défaut par Monsieur … d’être en possession de « papiers de légitimation prescrits », il échet de retenir que ce motif ne saurait pas non plus se trouver valablement à la base de la décision litigieuse, alors que c’est précisément afin de régulariser sa situation au Luxembourg que les demandeurs ont fait parvenir au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande tendant à voir délivrer à Monsieur … une autorisation de séjour en raison de son regroupement familial avec son épouse et son enfant à naître au cours du mois de mai 2007.

En ce qui concerne le seul motif indiqué dans la décision actuellement sous analyse, tiré du défaut par Madame … d’être en possession d’un permis de travail de type « B », il échet de retenir que les demandeurs ont à bon droit pu estimer qu’un tel motif de refus n’est prévu par aucune disposition légale ou réglementaire, de sorte qu’il ne saurait valablement justifier la décision de refus litigieuse.

Enfin, en ce qui concerne l’indication par le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration dans sa décision du 2 août 2006 que la demande tendant à obtenir la délivrance d’une autorisation de séjour pour regroupement familial devrait être formulée soit dans le pays d’origine du demandeur soit dans un pays où il est légalement autorisé à résider, qui n’a toutefois pas été formulée en tant que motif se trouvant à la base de la décision sous analyse, il échet de retenir qu’il n’existe aucune disposition légale ou réglementaire qui autorise le ministre compétent à retenir cette considération à la base d’une décision de refus de délivrer une autorisation de séjour à un étranger.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que la décision litigieuse du 2 août 2006 a été prise en violation de la loi, de sorte qu’elle encourt l’annulation.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare justifié, partant annule la décision litigieuse du 2 août 2006 et renvoie le dossier en prosécution de cause au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, premier vice-président, M. Schroeder, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 9 mai 2007 par le premier vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 22097
Date de la décision : 09/05/2007

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2007-05-09;22097 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award