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09/05/2007 | LUXEMBOURG | N°21852

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 09 mai 2007, 21852


Tribunal administratif N° 21852 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 août 2006 Audience publique du 9 mai 2007 Recours formé par Monsieur … contre une décision du Conseil de discipline en matière de discipline

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 21852 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 août 2006 par Maître Jean-Marie BAULER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, … à l’administration des Ponts et Chaussées, demeurant à … tendant à la réforma

tion d’une décision du 9 mai 2006 du Conseil de discipline prononçant à son égard la sanctio...

Tribunal administratif N° 21852 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 août 2006 Audience publique du 9 mai 2007 Recours formé par Monsieur … contre une décision du Conseil de discipline en matière de discipline

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 21852 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 août 2006 par Maître Jean-Marie BAULER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, … à l’administration des Ponts et Chaussées, demeurant à … tendant à la réformation d’une décision du 9 mai 2006 du Conseil de discipline prononçant à son égard la sanction disciplinaire de la rétrogradation avec classement au grade immédiatement inférieur, Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 décembre 2006 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 18 janvier 2007 par Maître Jean-Marie BAULER, au nom de Monsieur … ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribnal administratif le 16 février 2007 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Jean-Marie BAULER et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 12 mars 2007.

Par décision du 9 mai 2006, le Conseil de discipline des fonctionnaires de l’Etat prononça notamment à cause d’un absentéisme fréquent la sanction disciplinaire de la rétrogradation avec classement au grade immédiatement inférieur à l’égard de Monsieur …, … à l’administration des Ponts et Chaussées.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 21 août 2006, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre de cette décision.

Aux termes de l’article 54.2 de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat, désigné ci-après par « le statut général des fonctionnaires de l’Etat », « en dehors des cas où le Conseil de discipline statue en appel, le fonctionnaire frappé d’une sanction disciplinaire prononcée par le Conseil de discipline ou suspendu conformément à l’article 48, paragraphe 1er, peut, dans les trois mois de la notification de la décision, prendre recours au Tribunal administratif qui statue comme juge du fond. Le même droit de recours appartient au Gouvernement qui l’exerce par l’intermédiaire du délégué visé à l’article 59, alinéa 3. Les recours du fonctionnaire intéressé et du délégué du Gouvernement sont obligatoirement dirigés contre la décision du Conseil de discipline ».

Le tribunal est dès lors compétent pour analyser le recours en réformation introduit.

Le recours en réformation ayant été introduit en date du 21 août 2006 à l’encontre de la décision du Conseil de discipline du 9 mai 2006, notifiée à Monsieur … en date du 24 mai 2006, il est recevable pour avoir été formé par ailleurs dans les formes et délai de la loi.

Il appartient d’abord au tribunal de vérifier la légalité extrinsèque de l’acte lui déféré, avant de se livrer, par le biais de l’examen de la légalité et du bien-fondé des motifs, au contrôle de la légalité intrinsèque.

Quant à la légalité externe de l’acte soumis au tribunal, Monsieur … invoque deux moyens distincts, à savoir l’absence d’impartialité objective du Conseil de discipline et la violation de l’article 69 du statut général des fonctionnaires de l’Etat.

Il y a lieu d’examiner d’abord le moyen soulevant une violation de l’article 69 du statut général des fonctionnaires de l’Etat.

Monsieur … estime que dans la mesure où l’article 69, alinéa 3 énonce que « les membres du Conseil sont astreints au secret du délibéré et du vote », ce principe d’ordre public aurait été violé, étant donné que les noms des membres figurent sur la décision du Conseil de discipline ainsi que l’indication qu’ils ont statué à l’unanimité.

Il en déduit que par l’inobservation de cette prescription touchant à l’ordre public, la décision du Conseil de discipline serait viciée et devrait dès lors être annulée.

Le délégué du Gouvernement se réfère à l’article 4 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes et à un jugement du tribunal administratif (TA 21 juin 2001, n° 12647) pour faire valoir que le secret du vote n’empêcherait pas l’indication du nombre des voix exprimées en faveur de l’avis donné, de sorte que cette jurisprudence relative à l’émission d’un avis aurait vocation à s’appliquer par analogie concernant une prise de décision d’un organisme collégial. Il conclut que la mention « à l’unanimité des membres » ne serait pas contraire à l’article 69 du statut général des fonctionnaires de l’Etat puisqu’elle ne ferait que se conformer fidèlement aux exigences du règlement grand-ducal ci-avant cité.

Monsieur … fait répliquer qu’en 2003, le législateur aurait encore renforcé le secret auquel les membres du Conseil de discipline seraient tenus. Il ajoute que tout comme en France et en Belgique le secret du vote serait devenu consubstantiel au délibéré au Luxembourg et devrait être considéré comme un principe procédural fondamental. La plupart des auteurs s’accorderaient à reconnaître à ce principe deux objectifs, à savoir assurer l’indépendance des juges et l’autorité morale de leurs décisions, deux éléments qui seraient intimement liés à la logique de l’Etat de droit. Il se réfère pour le surplus à diverses jurisprudences étrangères selon lesquelles la décision mentionnant son adoption à l’unanimité violerait le secret du délibéré. Quant à l’argumentation du délégué du Gouvernement relative à la procédure administrative non contentieuse, il remarque qu’elle serait hors propos et ne fournirait aucun élément pertinent pour combattre la violation caractérisée d’un droit fondamental.

Le délégué du Gouvernement soulève qu’il y aurait une différence fondamentale entre l’indication du nombre de voix exprimées en faveur d’une décision et la désignation nominative des membres ayant exprimé un vote favorable ou défavorable. Dans la mesure où la décision ne désignerait pas les membres nominativement, le fait d’indiquer le nombre de voix exprimées en faveur, qu’il s’agirait d’une partie seulement ou de la totalité des membres, ne constituerait pas une violation du principe du secret du délibéré et du vote.

L’article 69 du statut général des fonctionnaires de l’Etat dispose :

« Le président dirige les débats. Les membres assesseurs ont la faculté de faire poser des questions.

Les décisions du Conseil sont arrêtées à la majorité des voix, après présentation des observations du délégué du Gouvernement. Le membre le plus jeune dans l’ordre des nominations opine le premier, le président dernier, l’abstention n’étant pas permise.

Chaque membre peut faire constater son vote au procès-verbal et y faire joindre un exposé des motifs, mais sans pouvoir être désigné nominativement.

Les membres du Conseil sont astreints au secret du délibéré et du vote, ainsi que, en cas de huis-clos, au secret de l’instruction.

Le délégué du Gouvernement et le secrétaire doivent observer le secret sur tout ce qui se rapporte à l’instruction ».

La décision déférée du Conseil de discipline est libellée comme suit dans son dispositif : « le Conseil de discipline, siégeant en audience publique, statuant contradictoirement et à l’unanimité de ses membres ».

Cette indication dévoile en fait de quelle façon le Conseil de discipline a voté, en ce sens qu’elle permet de dégager que les 5 membres composant le Conseil de discipline ont chacun voté en faveur de la sanction prononcée, de sorte que l’obligation imposant aux membres du Conseil de discipline le secret du vote a été violée.

A cette constatation, l’argumentation du délégué du Gouvernement fondée sur l’article 4 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 n’enlève rien. En effet, ledit article ne vise que l’avis d’un organisme consultatif pris préalablement à la décision proprement dite. S’il est certes exact que l’article en question énonce que lorsque l’avis est donné par un organisme collégial, celui-ci doit indiquer la composition, les noms des membres ayant assisté à la délibération et le nombre de voix exprimées en faveur de l’avis exprimé, cet article ne saurait être appliqué par analogie aux décisions prises par le Conseil de discipline. En effet non seulement la décision du Conseil de discipline n’est pas un avis consultatif, mais une décision administrative clôturant la procédure disciplinaire, de sorte que l’article 4 du règlement grand-

ducal du 8 juin 1979 n’est pas applicable en l’espèce, mais le tribunal ne saurait encore donner la préférence à l’application d’une disposition réglementaire en présence d’une disposition légale réglementant expressément le procédé de vote au sein du Conseil de discipline. Enfin le jugement du tribunal administratif du 20 juin 2001 (n° 12647) invoqué par la partie étatique ne peut pas non plus être appliqué par analogie à la présente espèce, étant donné que la législation applicable à l’affaire soumise au tribunal en 2001 diffère largement de celle applicable actuellement, dans la mesure où en 2001 la décision infligeant une sanction disciplinaire était prise par l’autorité de nomination, en présence d’un simple avis du Conseil de discipline. En effet ce n’est que la réforme du statut général des fonctionnaires de l’Etat opérée par la loi du 19 mai 2003 qui a transformé le Conseil de discipline d’organe consultatif en organe de décision. Les raisons de cette transformation procédaient de la volonté du Gouvernement de garantir un système disciplinaire plus impartial et indépendant par un organe collégial qui sera doté de véritables pouvoirs de décision comme ceux qui sont conférés à une juridiction1.

Puisque tant le secret du délibéré que le secret du vote traduisent des exigences procédurales fondamentales, leur violation entraîne l’annulation de la décision prise à leur mépris, sans qu’il n’y ait lieu d’analyser l’autre moyen relatif à la légalité externe de cette décision.

Etant donné que dans le cadre d’un recours en réformation, la juridiction saisie, statuant au fond, est appelée à statuer en principe en lieu et place de l’auteur de la décision viciée, dans les limites de l’objet du recours, par une décision nouvelle, conforme à la loi2, il y a lieu, suite à l’annulation de la décision du Conseil de discipline, d’analyser plus en avant les autres moyens avancés par la partie demanderesse afin de pouvoir vider le fond de l’affaire si celui-ci est en état de recevoir une décision définitive.

Dans ce cadre Monsieur … soulève le moyen du libellé obscur de la convocation-

citation du 2 décembre 2005 et de celle du 2 mars 2006, en ce que ces convocations se réfèrent au rapport d’instruction du commissaire du Gouvernement qui en principe ne devrait pas exercer un rôle de procureur, sous peine de cumuler des fonctions de partie, de juge et de juge d’instruction. Il estime que l’exception du libellé obscur basée sur l’article 6, alinéa 3 de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) serait d’ordre public et pourrait être invoquée en tout état de cause. Il ajoute que la convocation ne préciserait pas quels obligations et devoirs auraient été violés par lui et qu’il n’aurait pas été en mesure de connaître l’étendue exacte des faits qui lui sont reprochés, de sorte que la convocation serait viciée et devrait être déclarée nulle sinon irrecevable.

Le délégué du Gouvernement remarque d’abord que le demandeur avance deux dates différentes relatives à la convocation. Il souligne ensuite que le moyen avancé par Monsieur … serait surprenant, étant donné qu’il désigne la convocation comme citation introductive d’instance. Or le rapport du commissaire du Gouvernement serait soit à considérer comme une citation introductive d’instance et dans ce cas la convocation ne serait pas obscure puisque Monsieur … n’aurait pas pu se méprendre quant aux faits faisant l’objet de la poursuite, soit la convocation ne constituerait pas une citation introductive d’instance et alors le commissaire du Gouvernement ne saurait avoir « de mission de procureur », rôle par ailleurs tenu par le délégué du Gouvernement qui aux termes de l’article 59, alinéa 3 du statut des fonctionnaires de l’Etat défend les intérêts du Gouvernement.

La convocation pertinente devant le Conseil de discipline est celle du 2 mars 2006.

1 Cf. doc. parl. N° 4891, p. 45 2 Cf TA 13 juin 2005 (19368), Pas.adm. 2006, V° Recours en réformation, n° 4, p.800.

Même indépendamment de la question de savoir si l’article 6, alinéa 3 de la CEDH est applicable en l’espèce, il y a lieu d’analyser la critique soulevée sous l’angle du principe général relatif au droit de la défense applicable à la procédure disciplinaire.

En substance Monsieur … estime que la convocation ne saurait se référer aux faits tels que décrits dans le rapport d’instruction dressé par le commissaire du Gouvernement.

Aux termes de l’article 56.1. du statut général des fonctionnaires de l’Etat l’instruction disciplinaire appartient au commissaire de Gouvernement et au Conseil de discipline. Si l’instruction est terminée, le fonctionnaire a le droit de prendre inspection du dossier. Il peut présenter ses observations et demander un complément d’instruction. Ensuite, aux termes de l’article 56.5. du statut général des fonctionnaires de l’Etat le commissaire de Gouvernement transmet le dossier au Conseil de discipline s’il estime que les faits établis par l’instruction constituent un manquement à réprimer par une sanction « sévère ». L’article 65 du statut général des fonctionnaires de l’Etat précise ensuite « que le Conseil de discipline procède incontinent à l’instruction de l’affaire à laquelle assiste le délégué du Gouvernement. Le président convoque l’inculpé à l’audience aux jour et heure fixés pour celle-ci. Sur le rapport du membre désigné par le président, le Conseil entend le fonctionnaire inculpé sur les faits mis à sa charge ».

Le rapport d’instruction clôture l’instruction disciplinaire menée par le commissaire du Gouvernement à charge et à décharge du fonctionnaire et délimite les faits mis à sa charge.

Dans la suite si le dossier est transmis au Conseil de discipline comme c’est le cas en l’espèce, il appartient au Conseil de discipline de convoquer le fonctionnaire à l’audience pour l’entendre sur les faits mis à sa charge. Dans cette mesure c’est à bon droit et conformément à l’article 65 in fine du statut général des fonctionnaires de l’Etat que le Conseil de discipline s’est référé aux faits tels que décrits dans le rapport d’instruction du commissaire du Gouvernement annexé à la convocation, de sorte que la convocation a été régulièrement faite.

Il résulte du rapport d’instruction que les faits mis à charge de Monsieur … sont énumérés de façon précise, numérotés de 1 à 49 avec chaque fois indication de la date exacte, une référence à une pièce à l’appui et une indication sommaire du déroulement de l’incident.

A cela s’ajoute que pour chaque fait il est précisé quelles dispositions légales ou réglementaires ayant trait au comportement à observer par le fonctionnaire ont été violées, de sorte que l’allégation de Monsieur … que la convocation ne préciserait pas les obligations et devoirs violés le mettant ainsi dans l’impossibilité de connaître l’étendue exacte des faits lui reprochés manque en fait.

Etant donné dès lors que la convocation ensemble avec le rapport d’instruction énoncent de façon suffisamment précise les faits mis à charge de Monsieur … ainsi que les dispositions légales et réglementaires en cause, le moyen relatif au libellé obscur de la convocation est à écarter pour ne pas être fondé.

Monsieur … soulève encore une violation de l’article 14 de la Constitution. Il se réfère plus précisément à un arrêt de la Cour Constitutionnelle du 22 mars 2002 ayant retenu ce qui suit : « Considérant qu'en droit disciplinaire la légalité des peines suit les principes généraux du droit pénal et doit observer les mêmes exigences constitutionnelles de base ; Considérant que le principe de la légalité de la peine entraîne la nécessité de définir les infractions en termes suffisamment clairs et de préciser le degré de répression pour en exclure l'arbitraire et permettre aux intéressés de mesurer exactement la portée de ces dispositions ; que le principe de la spécification de l’incrimination est partant le corollaire de celui de la légalité de la peine consacré par l'article 14 de la Constitution ». Il estime qu’il ne serait pas concevable dans un Etat de droit que des devoirs aussi vagues que ceux énumérés aux articles 9 et 10.1.

du statut général des fonctionnaires de l’Etat puissent avoir comme corollaire des sanctions présentant un éventail aussi large, de sorte qu’un exercice efficace des droits de la défense ne serait pas assuré.

Le délégué du Gouvernement répond que le demandeur semblerait invoquer une inconstitutionnalité de l’article 10 du statut général des fonctionnaires de l’Etat en combinaison avec l’article 47 du statut général des fonctionnaires de l’Etat. Il précise que le tribunal administratif ne serait pas compétent pour statuer sur une question ayant trait à la constitutionnalité d’une loi et ajoute que l’absence d’une liste exhaustive d’infractions ne serait pas équivalente à un manquement au principe de la légalité des peines. Pour le surplus il se réfère aux principes dégagés par la Cour Constitutionnelle dans deux arrêts du 3 décembre 2004.

Dans son mémoire en réplique, Monsieur … précise qu’il invoque une violation de l’article 14 de la Constitution qui prévoirait non seulement le principe de la légalité des peines, mais également celui de la spécification de l’incrimination tels que retenus par la Cour Constitutionnelle dans ses arrêts des 22 mars 2002 et 3 décembre 2004. Il ajoute que les articles 10 et 47 du statut général des fonctionnaires de l’Etat seraient par ailleurs contraires à l’article 7 de la CEDH. En ce qui concerne les arrêts de la Cour Constitutionnelle il souligne qu’ils n’auraient pas concerné des affaires de discipline au sein de la fonction publique. Il expose que la Cour Constitutionnelle admettrait en matière disciplinaire une « marge d’indétermination » à condition que des critères logiques, techniques et d’expérience professionnelle permettent de prévoir avec une sécurité suffisante la conduite à sanctionner et la sévérité de la peine à appliquer. Il estime que le cas d’espèce démontrerait à suffisance que les conditions énoncées par la Cour Constitutionnelle ne seraient pas respectées dans la mesure où le libellé de l’article 10.1. et 10.2 du statut général des fonctionnaires de l’Etat serait particulièrement vague et que l’article 47 du statut général des fonctionnaires de l’Etat prévoit 10 sanctions différentes, tandis que l’article 7 de la loi modifiée du 10 août 1991 sur la profession d’avocat applicable dans deux des affaires de la Cour Constitutionnelle n’en prévoit que 5, admet la possibilité du sursis et admet la possibilité d’une réserve. Il relève encore qu’il ne serait pas certain que le Conseil de discipline et les juridictions administratives puissent faire application de l’article 53, alinéa 1er du statut général des fonctionnaires de l’Etat. Même à supposer que cet article soit applicable, les critères établis ne permettraient pas de respecter l’exigence de prévisibilité permettant à l’intéressé de mesurer exactement la portée de ces dispositions. Dans la présente affaire l’absence de prévisibilité serait démontrée à suffisance, étant donné que les uns pourraient considérer les faits comme graves et les autres pourraient les considérer comme ayant une gravité relative. Il conclut qu’en ordre subsidiaire il y aurait lieu de poser une question préjudicielle à la Cour Constitutionnelle. Il formule la question de la façon suivante : « L’article 10, alinéa 1er de la loi du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat telle qu’elle a été modifiée est-il conforme à l’article 14 de la Constitution ? » et dans l’affirmative « L’article 47 de la loi du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat telle qu’elle a été modifiée est-il conforme à l’article 14 de la Constitution ? ».

Le délégué du Gouvernement conteste que le libellé de l’article 10.1. et 10.2. du statut général des fonctionnaires de l’Etat serait particulièrement vague. Il fait valoir que la formulation de l’article 10.1 du statut général des fonctionnaires de l’Etat laisserait une certaine marge de manœuvre sous peine de s’enfermer dans un carcan restrictif d’une énumération exhaustive courant le risque de n’avoir pas prévu une situation spécifique pourtant répréhensible en matière disciplinaire. Il s’ensuivrait qu’un comportement incompatible avec les fonctions et contraire à l’éthique professionnelle pourrait être sanctionné sans que ce comportement soit visé expressis verbis dans les textes légaux. Il souligne encore, en se référant à un arrêt du Conseil d’Etat belge, qu’il serait constant que le principe général du droit pénal à savoir « nullum crimen sine lege » ne s’appliquerait pas au droit disciplinaire. Il relève encore que la demande nouvelle tendant à demander au tribunal de poser une question préjudicielle à la Cour Constitutionnelle devrait être déclarée irrecevable au niveau du mémoire en réplique étant donné qu’il serait de jurisprudence constante que la requête introductive d’instance délimiterait définitivement le débat. Il donne à considérer que de toute façon l’article 14 de la Constitution ne serait pas violé. Enfin en ce qui concerne l’applicabilité de l’article 53 du statut général des fonctionnaires de l’Etat, il précise qu’il serait applicable aussi bien devant le Conseil de discipline que devant les juridictions administratives.

En ce qui concerne d’abord le moyen mettant en cause la recevabilité de la question à poser à la Cour Constitutionnelle, force est de constater que s’il est certes exact que Monsieur … n’a posé la question proprement dite relative à la conformité de deux articles du statut général des fonctionnaires de l’Etat à la Constitution que dans son mémoire en réplique, il n’en reste pas moins que le demandeur a déjà énoncé la violation de l’article 14 de la Constitution dans le cadre de sa requête introductive d’instance, de sorte que la formulation proprement dite de la question à poser le cas échéant à la Cour Constitutionnelle n’est à analyser que comme un complément au moyen énoncé dans la requête introductive d’instance et ne saurait dès lors être qualifiée de moyen nouveau.

Il s’en suit que le moyen n’est pas à écarter au motif qu’il s’agirait d’une demande nouvelle.

Au vu des trois arrêts de la Cour Constitutionnelle en matière disciplinaire, il est constant - qu’en droit disciplinaire la légalité des peines suit les principes généraux du droit pénal et doit observer les mêmes exigences constitutionnelles de base ;

- que le principe de la légalité de la peine entraîne la nécessité de définir les infractions en termes suffisamment clairs et de préciser le degré de répression pour en exclure l'arbitraire et permettre aux intéressés de mesurer exactement la portée de ces dispositions et - que le principe de la spécification de l’incrimination est le corollaire de celui de la légalité de la peine consacrée par l'article 14 de la Constitution3.

L’article 10, 1 du statut général des fonctionnaires de l’Etat est libellé comme suit : « Le fonctionnaire doit, dans l'exercice comme en dehors de l'exercice de ses fonctions, éviter tout ce qui pourrait porter atteinte à la dignité de ses fonctions ou à sa capacité de les exercer, donner lieu à scandale ou compromettre les intérêts du service public ».

3 Le premier arrêt date du 22 mars 2002 (n°12/02) et concernait une sanction prononcée par la commission de surveillance à l’encontre d’un médecin à cause d’une déviation injustifiée de l’activité professionnelle. Les deux autres arrêts datent du 3 décembre 2004 (n° 23/04 et 24/04) et concernaient tous les deux une sanction prononcée par le Conseil disciplinaire et administratif à l’encontre d’un avocat.

Dans sa décision du 9 mai 2006, le Conseil de discipline a retenu que Monsieur … a entre autre violé l’article 10.1 du statut général des fonctionnaires de l’Etat en compromettant par ses absences continuelles et sans justification les intérêts du service public.

La Cour Constitutionnelle admet que le droit disciplinaire tolère dans la formulation des comportements illicites et dans l'établissement des peines à encourir une marge d’indétermination sans que le principe de la spécification de l'incrimination et de la peine n'en soit affecté, si des critères logiques, techniques et d'expérience professionnelle permettent de prévoir avec une sûreté suffisante la conduite à sanctionner et la sévérité de la peine à appliquer.

Monsieur … estime que ces critères ne seraient pas remplis en l’espèce et demande à titre subsidiaire de saisir la Cour Constitutionnelle.

L’article 6 de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour constitutionnelle dispose que « Lorsqu’une partie soulève une question relative à la conformité d’une loi à la Constitution devant une juridiction de l’ordre judiciaire ou de l’ordre administratif, celle-ci est tenue de saisir la Cour Constitutionnelle.

Une juridiction est dispensée de saisir la Cour Constitutionnelle lorsqu’elle estime que :

a) une décision sur la question soulevée n’est pas nécessaire pour rendre son jugement ;

b) la question de constitutionnalité est dénuée de tout fondement ;

c) la Cour Constitutionnelle a déjà statué sur une question ayant le même objet » .

Dans la mesure où la Cour constitutionnelle n’a pas encore statué sur une question ayant le même objet tenant à la conformité de l’article 10, alinéa 1 de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat et dans l’affirmative à celui de l’article 47 de la même loi par rapport à l’article 14 de la Constitution et que la question soulevée n’est pas non plus dénuée, a priori, de tout fondement, de sorte qu’elle est nécessaire pour rendre le jugement, la question de constitutionnalité proposée est à soumettre à la Cour constitutionnelle sur base de l’article 6 de la loi du 27 juillet 1997 précitée.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement reçoit le recours en réformation en la forme, au fond soumet à la Cour Constititionnelle les questions préjudicielles suivantes :

« L’article 10, alinéa 1er de la loi du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat telle qu’elle a été modifiée, est-il conforme à l’article 14 de la Constitution ? » et dans l’affirmative « L’article 47 de la loi du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat telle qu’elle a été modifiée, est-il conforme à l’article 14 de la Constitution ? ».

réserve les frais ainsi que tous droits des parties ;

fixe l’affaire au rôle général ;

Ainsi jugé par et prononcé à l’audience publique du 9 mai 2007 :

Mme Lenert, vice-président, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 9


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 21852
Date de la décision : 09/05/2007

Origine de la décision
Date de l'import : 29/02/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2007-05-09;21852 ?

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