Tribunal administratif N° 22342 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 décembre 2006 Audience publique du 2 mai 2007 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 22342 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 22 décembre 2006 par Maître Valérie DEMEURE, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Libéria), de nationalité libérienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 5 octobre 2006 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée au sens de l’article 11 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire et lui ayant refusé le bénéfice de la protection subsidiaire telle que prévue par la loi du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 20 novembre 2006 prise sur recours gracieux ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 8 février 2007 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;
Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Valérie DEMEURE et Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 23 avril 2007.
Le 28 juillet 2004, Monsieur … introduisit oralement une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
Il fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur son identité.
Il fut entendu le 5 octobre 2004 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur les motifs à la base de sa demande d’asile.
Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration informa Monsieur … par décision du 5 octobre 2006, lui envoyée par courrier recommandé expédié en date du 28 septembre 2006, de ce qu’il ne saurait bénéficier ni de la protection prévue par la Convention de Genève ni de la protection subsidiaire telle que prévue par la loi du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection.
Le 9 novembre 2006 il fit introduire un recours gracieux à l’encontre de cette décision.
Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration confirma sa décision antérieure par une décision prise le 20 novembre 2006.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 22 décembre 2006, Monsieur … a fait déposer un recours en réformation à l’encontre des deux décisions ministérielles de refus des 5 octobre et 20 novembre 2006.
Etant donné que tant l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1.
d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, que l’article 19, paragraphe 3 de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection prévoient un recours en réformation en matière de demandes d’asile et de demandes de protection subsidiaire déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
A l’appui de son recours, Monsieur … reproche à l’autorité administrative d’avoir fait une appréciation erronée des faits d’espèce, étant donné qu’une crainte justifiée de persécution existerait dans son chef en raison de son refus d’adhérer aux groupements MODEL ou LURD. Il estime également qu’une appréciation plus juste des éléments de la cause aurait dû conduire le ministre à retenir à son égard l’existence de persécutions à caractère social inacceptables au sens de la Convention de Genève. Pour le surplus, il se réfère à un rapport d’Amnesty International selon lequel la situation au Libéria ne serait pas encore stabilisée. Enfin, en ce qui concerne les différentes incohérences relevées par le ministre, il souligne qu’elles seraient à mettre soit sur le compte d’une mauvaise compréhension entre l’agent du ministère et lui-même, soit sur le compte du stress.
Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur.
Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».
La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.
L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.
Il convient de relever en premier lieu que le ministre a confronté le demandeur avec des contradictions manifestes au niveau de son récit. En effet, le ministre a relevé ce qui suit :
« Force est de constater qu’à défaut de pièces, un demandeur d’asile doit au moins pouvoir présenter un récit crédible et cohérent. Or, il convient de relever les contradictions et invraisemblances dans les faits relatés. En effet, tout d’abord le récit que vous faites de votre voyage à la police judiciaire diffère de ce que vous expliquez durant l’audition. D’après le rapport de la police, vous ne savez pas quand vous auriez quitté le Liberia. Par contre sur la fiche personnelle et lors de l’audition vous indiquez que vous seriez parti le 30 janvier 2004.
Ensuite, auprès de la police judiciaire vous dites avoir pris un bateau au Liberia pour vous rendre en Côte d’Ivoire. Pourtant, le rapport de l’audition relève que vous auriez voyagé en bus, en train et à pied pour vous y rendre. Puis, auprès de la police vous déclarez que vous ne savez pas où vous auriez pris le bateau. Or, lors de l’audition vous évoquez que vous vous seriez infiltré à bord du bateau au Grand Port à Abidjan. En outre, le rapport de la police judiciaire mentionne que vous seriez resté pendant 14 jours à Tournai en France. Pourtant, auprès de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration vous affirmez que vous auriez séjourné 15 jours à Paris. A cela s’ajoute que lors de l’audition vous dites qu’une connaissance d’un ami vous aurait emmené en voiture jusqu’à Rodange au Luxembourg et de là vous auriez pris un train pour la capitale. Or, auprès de la police vous indiquez seulement qu’un homme blanc vous aurait emmené à Luxembourg sans pour autant mentionner que vous auriez pris un train. Enfin, sur la fiche personnelle vous marquez que vous auriez fait des études secondaires. Cependant, lors de l’audition vous révélez que suite au décès de votre père vous auriez déjà dû en quatrième année d’école primaire arrêter vos études. Par conséquent, de telles remarques enlèvent de la crédibilité aux faits allégués ».
Nonobstant les points précis soulevés par le ministre, le demandeur s’est limité à affirmer que les contradictions dans son récit seraient à mettre soit sur le compte d’une mauvaise compréhension entre l’agent du ministère et lui-même, soit sur le compte du stress.
Or les explications générales ainsi fournies, non susceptibles de donner une réponse aux interrogations précises formulées par le ministre, ne permettent pas de relativiser le poids des incohérences relevées par la décision ministérielle du 5 octobre 2006, de sorte que le tribunal ne saurait accorder de crédit aux déclarations globalement considérées du demandeur.
En l’absence de tout autre élément de preuve soumis aux autorités luxembourgeoises, le récit présenté à l’appui d’une demande d’asile est à considérer comme un élément clé de la procédure d’asile, de sorte qu’un récit constellé d’incohérences ne peut valablement être retenu pour justifier l’octroi du statut de réfugié.
En ce qui concerne le refus du ministre d’accorder au demandeur le bénéfice de la protection subsidiaire telle que prévue par la loi du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection, il y a lieu de rappeler qu’aux termes de l’article 2, e) de la loi du 5 mai 2006 précitée, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire», « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37, l’article 39, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
L’article 37 de la même loi énumère en tant qu’atteintes graves, sous ses littéra a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; ou la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
En l’espèce, si le demandeur estime pouvoir bénéficier de la protection subsidiaire, il reste toutefois en défaut d’établir à suffisance de droit, au vu de la conclusion ci-avant dégagée, qu’il court un risque réel de subir, en cas de renvoi dans son pays d’origine, l’une des atteintes graves prévues à l’article 37 précité.
Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours est à rejeter comme étant non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 2 mai 2007 par :
Mme Lenert, vice-président, Mme Lamesch, premier juge, Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.
s. Schmit s. Lenert 5