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30/04/2007 | LUXEMBOURG | N°21838

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 30 avril 2007, 21838


Tribunal administratif N° 21838 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 août 2006 Audience publique du 30 avril 2007 Recours formé par Monsieur … et son épouse, Madame … et consorts contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 21838 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 16 août 2006 par Maître Olivier LANG, avocat à la Co

ur, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Ech...

Tribunal administratif N° 21838 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 août 2006 Audience publique du 30 avril 2007 Recours formé par Monsieur … et son épouse, Madame … et consorts contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 21838 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 16 août 2006 par Maître Olivier LANG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Ech-Cheliff (Algérie), de nationalité algérienne, et de son épouse, Madame …, née le … à Pétange, de nationalité luxembourgeoise, agissant en leur nom personnel ainsi que pour compte de leurs enfants mineurs …, nés respectivement à Niederkorn, le … et à Esch-sur-Alzette, le …, demeurant ensemble à L-

…, tendant à l’annulation d’une décision implicite du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration résultant de son silence gardé pendant un délai de plus de trois mois à la suite de l’introduction, par courrier du 19 juillet 2005, d’une demande tendant à voir délivrer une autorisation de séjour en faveur de Monsieur … sur base de son droit au regroupement familial ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 décembre 2006 ;

Vu les pièces versées en cause ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Maître Olivier LANG, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

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Il se dégage de la déclaration d’arrivée no 2003/1798 que Monsieur … est entré sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg en date du 15 novembre 1987. Par décision du ministre de la Justice du 23 octobre 1987, il s’est vu délivrer une autorisation de séjour provisoire en sa qualité de mari de Madame ….

Par arrêté du 21 janvier 1997, le ministre de la Justice ordonna l’expulsion de Monsieur … du territoire luxembourgeois, arrêté qui a toutefois été tenu provisoirement en suspens jusqu’au 1er octobre 1999, suivant décision du même ministre du 2 octobre 1998.

Par décision du ministre de la Justice du 15 juillet 2003, l’arrêté d’expulsion précité du 21 janvier 1997 fut provisoirement tenu en suspens jusqu’au 15 juillet 2004, à condition toutefois que Monsieur … faisait preuve d’un comportement irréprochable.

Par arrêté du 2 juin 2004, le placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une durée maximale d’un mois fut ordonné à l’encontre de Monsieur … par le ministre de la Justice, au motif que son éloignement immédiat n’était pas possible et en considération de ses antécédents judiciaires, de ce qu’il ne disposait pas de moyens d’existence personnels, qu’il se trouvait en séjour irrégulier au pays et qu’il était susceptible de se soustraire à la mesure d’éloignement.

Par décision du même jour, ledit ministre informa Monsieur … de ce que son arrêté d’expulsion précité du 21 janvier 1997 était remis en vigueur avec effet immédiat, au motif que sa conduite n’était pas « à l’abri de tout reproche », notamment au vu d’un procès-verbal établi le 24 janvier 2004 par la police grand-ducale et d’un rapport du 16 mars 2004 établi par le service central d’assistance sociale.

Par arrêté du 16 février 2005, une nouvelle mesure de placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une durée maximale d’un mois fut prise à l’encontre de Monsieur … par le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, au vu de ses antécédents judiciaires, de l’arrêté d’expulsion précité du 21 janvier 1997, de son défaut de posséder une quelconque pièce d’identité ou de voyage valable, de se trouver en séjour irrégulier au pays, et en considération qu’un laisser-passez avait été demandé après des autorités algériennes, que son éloignement immédiat n’était pas possible et d’un risque de se soustraire à la mesure d’éloignement prise à son encontre.

Par lettre du 19 juillet 2005, le mandataire des époux …-… introduisit pour compte de Monsieur … une demande en obtention d’une autorisation de séjour au Grand-Duché de Luxembourg basée sur le droit au regroupement familial. Par ledit courrier, ledit mandataire attira l’attention du ministre sur le fait que Monsieur … s’est marié avec Madame …, de nationalité luxembourgeoise, en date du 10 novembre 2000 devant l’officier d’Etat civil de la commune de Sanem, qu’ils ont donné naissance à deux enfants, à savoir Mohamed, né le 19 mai 2001, et Abdelkader, né le 29 octobre 2002, tous les deux de nationalité luxembourgeoise, que leur domicile commun était situé à L-… et que Madame … avait signé un contrat de travail à durée indéterminée le 2 juillet 1990 en tant qu’agent hospitalier travaillant pour compte de l’Hôpital Princesse Marie-Astrid de Niederkorn. Ledit courrier a eu comme seule réaction de la part du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration un courrier du 26 octobre 2005 par lequel le mandataire de Monsieur … fut prié de lui transmettre un certificat cardiologique de Monsieur …, certificat qui fut transmis par ledit mandataire par courrier du 9 décembre 2005. Deux autres certificats médicaux furent adressés audit ministre par courrier du mandataire de Monsieur … du 26 janvier 2006 pour attirer l’attention du ministre sur l’état de santé de Monsieur … tel qu’il a pu être constaté en dates des 2 octobre et 11 décembre 2003. Par ailleurs, trois autres certificats médicaux datés des 28 avril, 27 septembre et 30 novembre 2005 furent adressés par le mandataire de Monsieur … au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration par courrier du 7 février 2006.

En l’absence d’une quelconque autre réaction de la part du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, Monsieur … ainsi que son épouse, Madame …, agissant en leurs noms personnels, ainsi que pour compte de leurs enfants mineurs … … et … …, ont fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision implicite de refus du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration de faire droit à leur demande précitée du 19 juillet 2005 en raison du silence gardé par ledit ministre pendant une période de plus de trois mois.

Le recours en annulation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de leur recours, les demandeurs font exposer que Monsieur … a épousé en date du 10 novembre 2000 Madame …, de nationalité luxembourgeoise, devant l’officier d’état civil de la commune Sanem et que de cette union sont nés deux enfants, à savoir …, né le …. à Niederkorn et Abdelkader, né le …. à Esch/Alzette. Ils font encore état de ce qu’ils habitent actuellement ensemble à L-…. Il se dégage en outre des explications fournies par les demandeurs, que Monsieur … a fait l’objet d’une condamnation pénale à une peine d’emprisonnement, ce dernier ayant toutefois indiqué qu’il ne serait pas en mesure de préciser la date du début de l’exécution de la peine ainsi que sa durée, en raison du fait que le dossier administratif ne lui aurait pas été transmis, malgré d’itératives réclamations adressées aux autorités compétentes. Les demandeurs indiquent toutefois qu’en raison d’une décision de Madame la déléguée du Procureur Général d’Etat, Monsieur … aurait bénéficié d’une libération conditionnelle en date du 15 octobre 2003, qui aurait toutefois était révoquée le 25 mars 2004 en raison du fait qu’il n’aurait plus rempli les conditions lui imposées. Les demandeurs font toutefois exposer que l’exécution de ladite peine d’emprisonnement se serait terminée en date du 15 février 2005 et que par la suite, Monsieur … aurait fait l’objet d’une décision de placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière, suivant décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 16 février 2005, en faisant état de ce qu’un recours contentieux introduit contre ladite décision de placement, déposé au greffe du tribunal administratif le 10 mars 2005, aurait eu pour conséquence la « mainlevée » de cette décision et la libération de Monsieur … du Centre de séjour en date du 10 mars 2005.

En droit, les demandeurs font soutenir qu’un droit au regroupement familial devrait leur être reconnu, et plus particulièrement à Monsieur …, sur base de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme afin de leur permettre de vivre ensemble au Luxembourg et d’éviter que les deux enfants Mohamed et … ainsi que leur mère Madame …, ne soient séparés de leur père et mari, Monsieur …. Ils soutiennent ainsi que le refus de faire droit à la demande tendant à voir délivrer à Monsieur … une autorisation de séjour en raison de son droit à un regroupement familial avec les autres membres de sa famille constituerait une ingérence injustifiée du ministre des Affaires étrangère et de l’Immigration dans leur droit fondamental au respect à leur vie privée et familiale.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement se borne à se référer au dossier administratif transmis au greffe du tribunal administratif, sans autrement prendre position par rapport au bien-fondé des moyens invoqués à l’appui du recours sous analyse.

Concernant la justification au fond de la décision implicite de refus de délivrer un titre de séjour à Monsieur …, il y a lieu d’examiner si la décision telle que déférée se heurte aux dispositions de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme invoqué par les demandeurs, laquelle disposition est de nature à tenir en échec les dispositions légales et réglementaires nationales applicables en matière de droit des étrangers.

L’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme dispose que :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (…).

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-

être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».

S’il est de principe, en droit international, que les Etats ont le pouvoir souverain de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers, il n’en reste pas moins que les Etats qui ont ratifié la Convention européenne des droits de l’homme ont accepté de limiter le libre exercice de cette prérogative dans la mesure des dispositions de la Convention.

Il y a dès lors lieu de vérifier d’abord si les demandeurs peuvent se prévaloir d’une vie familiale effective, caractérisée par des relations réelles et suffisamment étroites ainsi que de vérifier, dans l’affirmative, si la décision de refus d’une autorisation de séjour litigieuse a porté une atteinte injustifiée à cette vie familiale devant, le cas échéant, emporter son annulation pour cause de violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Il convient encore de relever que la garantie du respect de la vie familiale comporte des limites. En premier lieu, elle ne comporte pas le droit de mener une vie familiale dans le pays de son choix, de sorte qu’on ne saurait obliger un Etat à laisser accéder un étranger sur son territoire pour y créer des liens familiaux nouveaux. En second lieu, elle ne s’applique qu’à une vie familiale effective, c’est-à-dire caractérisée par des relations réelles et suffisamment étroites parmi ses membres, et existante, voire préexistante à l’entrée sur le territoire national.

Il y a encore lieu de retenir que l’article 8 précité garantit non seulement le respect à la vie familiale préexistante avant l’entrée sur le territoire luxembourgeois, mais également la vie familiale créée au Luxembourg à partir du moment où elle a un caractère effectif et a perduré pendant une période prolongée au cours de laquelle les deux personnes formant un couple, ainsi que les enfants auxquels ils ont pu donner naissance ont vécu une relation réelle et suffisamment étroite permettant de conclure à une vie familiale effective devant bénéficier de la protection prévue par l’article 8 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme.

En l’espèce, il échet tout d’abord de relever qu’il n’est pas allégué ni établi qu’une vie familiale effective ait existé entre les demandeurs, à savoir Monsieur … et Madame …, antérieurement à l’immigration de Monsieur … au Grand-Duché de Luxembourg.

En ce qui concerne la création de la vie familiale des époux …-… au Luxembourg, il est constant en cause que Monsieur … est entré sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg au courant de l’année 1987, qu’il a épousé une première fois Madame …, le 15 septembre 1987, que les époux …-… ont divorcé le 7 décembre 1989, que Monsieur … a par la suite continué à vivre au Luxembourg ensemble avec une autre personne de sexe féminin, que de cette union est né un enfant le 19 novembre 1988, qu’en date du 10 novembre 2000, Monsieur … et Madame … se sont à nouveau mariés, auprès de l’officier d’état civil de Sanem, ladite relation ayant donné naissance à deux enfants, à savoir …, né le … à Niederkorn, et …, né le …. à Esch-sur-Alzette, et que suivant un certificat de composition de ménage délivré le 10 mai 2005 par le bourgmestre de la commune de Differdange, les quatre demandeurs sont domiciliés ensemble à L-…. Finalement, il n’est pas contesté que Madame … travaille au Luxembourg et qu’elle a pris en location un appartement situé à Differdange dans lequel vit la famille, tel qu’indiqué ci-avant et que les membres de la famille vivent actuellement du seul revenu de Madame …, qui, il est vrai, ne permet que difficilement de faire face aux dépenses du ménage, tel que cela ressort d’un rapport d’enquête sociale établi le 24 novembre 2006 par une assistante sociale du commissariat du Gouvernement aux étrangers.

Il suit de l’ensemble des éléments qui précèdent que les demandeurs peuvent se prévaloir de l’existence d’une « vie familiale et privée », laquelle, même si elle n’a été créée qu’une fois Monsieur … arrivé sur le territoire luxembourgeois et qu’elle a été interrompue suite au divorce des époux …-… jusqu’au moment de leur re-mariage en date du 10 novembre 2000, doit bénéficier de la protection prévue par l’article 8 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme, au vu également du fait que deux enfants sont nés de ladite union, de sorte que la décision implicite par laquelle il a été refusé à Monsieur … la délivrance d’une autorisation de séjour s’analyse en une ingérence dans le droit des demandeurs au respect de leur vie privée et familiale.

Aux termes du § 2 de l’article 8 précité, il peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui.

En l’espèce, ni la décision, qui constitue une décision implicite de refus de délivrer une autorisation de séjour à Monsieur …, partant non écrite, ni le mémoire du délégué du gouvernement n’indiquent une quelconque circonstance ou un quelconque élément de nature à justifier une ingérence par les autorités publiques luxembourgeoises dans l’exercice par les demandeurs de leur droit à leur vie privée et familiale pour l’un des motifs énoncés ci-dessus, de nature à justifier le refus de délivrer à Monsieur … une autorisation de séjour, étant entendu que le simple fait par l’Etat de se référer à son dossier administratif n’est pas de nature à mettre le juge en mesure de connaître le ou les motifs qui ont pu se trouver à la base de la décision, le juge n’ayant pas à faire des suppositions à cet effet, et, a fortiori, il n’a pas été établi que la décision litigieuse respecte un juste équilibre entre les intérêts en cause, de sorte qu’il y a violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Il suit des considérations qui précèdent que le recours est fondé et que la décision de refuser l’autorisation de séjour en faveur de Monsieur … encourt l’annulation pour erreur manifeste d’appréciation des faits.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en la forme ;

au fond, le dit justifié, partant annule la décision implicite de refus de faire droit à la demande transmise au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration par courrier du 19 juillet 2005 et tendant à voir délivrer une autorisation de séjour en faveur de Monsieur … ;

renvoie le dossier en prosécution de cause devant le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration ;

donne acte à Monsieur … de ce qu’il déclare bénéficier de l’assistance judiciaire ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, premier vice-président, M. Schroeder, premier juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 30 avril 2007 par le premier vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 21838
Date de la décision : 30/04/2007

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2007-04-30;21838 ?

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