Tribunal administratif N° 22267 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 décembre 2006 Audience publique du 25 avril 2007 Recours formé par Madame …, …, contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 22267 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 8 décembre 2006 par Maître Renaud LE SQUEREN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … (République Démocratique du Congo), de nationalité congolaise, agissant en son nom personnel ainsi qu’au nom et pour compte de ses enfants mineurs …, demeurant ensemble à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 8 novembre 2006, ayant rejeté sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme étant non fondée et lui ayant refusé le bénéfice de la protection subsidiaire ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 12 janvier 2007 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 13 février 2007 pour compte de la demanderesse ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Renaud LE SQUEREN et Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 26 mars 2007.
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En date du 24 juin 2004, Madame …, accompagnée de ses enfants mineurs …, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
Elle fut entendue le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
Elle fut encore entendue en dates des 15 octobre et 15 novembre 2004 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration sur les motifs se trouvant à la base de sa demande d’asile.
Le 8 novembre 2006, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration l’informa que sa demande avait été refusée. Cette décision, notifiée par lettre recommandée en date du 10 novembre 2007, est libellée comme suit :
« En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 14 juin 2004 et le rapport d’audition de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration du 15 octobre 2004.
Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire que vous avez déposé une demande d’asile en France en février 2001 ensemble avec votre ancien compagnon … . Votre enfant … y est né en janvier 2001. En octobre-novembre 2001 vous seriez retournés par vos propres moyens en RDC, votre ancien compagnon ayant estimé que la situation politique s’y serait améliorée. Vous auriez de nouveau quitté Kinshasa le 19 juin 2004 avec vos enfants … à bord d’un avion. Vous auriez été accompagnés par une femme à qui vous auriez payé 4500 dollars et qui aurait été en possession de documents de voyage. Vous ignorez où vous auriez atterri, mais dites avoir pris un deuxième avion pour le Luxembourg où vous seriez arrivés le 20 juin 2004. Vous seriez restée quatre jours dans une maison avant de déposer une demande d’asile en date du 24 juin 2004. Vous ne présentez aucune pièce d’identité.
Le 7 septembre 2005 le Ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration s’est déclaré incompétent pour connaître de votre demande d’asile en soulignant que la France serait responsable du traitement de cette demande. Cette décision a été annulée par le Tribunal administratif en date du 5 avril 2006, confirmé par la Cour d’appel le 17 octobre 2006.
Il résulte de vos déclarations que le père de vos enfants … aurait été proche du président défunt MOBUTU et que son père aurait été ambassadeur en Allemagne. Votre ancien compagnon aurait été un ami des enfants de Mobutu, raison pour laquelle L.D.
KABILA l’aurait considéré comme informateur et accusé d’être en contact avec les rebelles.
Vous auriez alors fui la RDC pour déposer une demande d’asile en France. Vous dites vous être séparée de … en 2003.
Votre nouveau compagnon, …, militaire aurait été soupçonné d’avoir participé dans le coup d’Etat lancé contre Joseph KABILA le 11 juin 2004. Vous ignorez s’il aurait vraiment été impliqué ou pas. Les militaires seraient passés à votre domicile alors que vous n’y auriez pas été et votre maison aurait été pillée. Une voisine vous aurait mise au courant et vous ne seriez plus retournée à votre domicile. Votre cousin Sébastien … qui aurait habité avec vous, aurait été battu par les militaires et aurait succombé à ses blessures. Vous pensez également être recherchée par les militaires à cause de …. Vous n’auriez plus de ses nouvelles depuis le 11 juin 2004 et vous pensez que les militaires vous rechercheraient parce que vous devriez être au courant de son lieu de séjour. Un major au nom de …, commandant à Katanga vous aurait contacté et conseillé de quitter la RDC, votre vie serait en danger.
Vous vous seriez alors cachée avec vos enfants dans une maison située dans la commune de … en attendant que votre voyage soit organisé. Le 19 juin 2004 vous auriez pris un avion à Kinshasa.
Vous ajoutez que vous auriez été dans de « mauvais draps » lors du régime de L.D.
KABILA à cause de votre apparence. Vous seriez mal vue par le pouvoir en place.
Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.
Force est cependant de constater qu’un demandeur d’asile doit à défaut de documents pouvoir présenter un récit crédible et cohérent. Or, il convient de relever des incohérences et contradictions dans les faits relatés. Il y a d’abord lieu de soulever qu’il résulte d’informations en nos mains que vous avez également déposé une demande d’asile en Suisse le 24 mai 2000 sous l’identité de « … », née le … . Or, vous niez avoir séjourné dans un autre pays que la France et il s’ensuit également que des doutes quant à votre identité réelle doivent être émis étant donné que vous donnez une autre identité au Luxembourg et que vous ne présentez aucune pièce d’identité. De même vous avez déclaré être entrée en France avec votre ancien compagnon … en janvier 2001. Or, il résulte d’autres informations en nos mains que vous êtes déjà connue des autorités françaises depuis le 23 décembre 2000. De même vous dites vous être séparée de … en 2003 et être sortie juste après avec …. Dans ce contexte il faut souligner que vous avez épousé … le 30 décembre 2004 au Luxembourg. Par ailleurs, ce dernier est résidant à Genève/Suisse et y possède une autorisation d’établissement. Il ressort également de cette autorisation qu’il est entré en Suisse le 1er avril 1991. On peut donc partir du constat que vous n’êtes pas vraiment séparée du père de vos enfants.
Des doutes quant à la véracité de vos dires doivent donc être émis.
Même en faisant abstraction de toutes ces constatations et à supposer vos dires comme établis ils ne sauraient constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’ils ne peuvent, à eux seuls, fonder dans votre chef une crainte justifiée d’être persécuté dans le pays dont vous venez du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève ainsi que les articles 31 et 32 de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection. En effet, vous dites avoir été liée à …, sans pour autant porter des preuves quelconques de cette liaison. Il aurait été recherché pour implication dans la tentative de coup d’Etat contre Joseph KABILA le 11 juin 2004. Vous seriez également recherchée parce que … aurait disparu. Si en effet, le major … entouré de soldats de la Grade Présidentielle a pris possession des installations de la Radio Télévision Nationale Congolaise où il a diffusé un message demandant la suspension des institutions de la transition et appelant la population au soulèvement, il n’en ressort pas que vous seriez également recherchée.
En effet, des faits non personnels mais vécus par d’autres membres de la famille ou de proches ne sont susceptibles de fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève que si le demandeur d’asile établit dans son chef un risque réel d’être victime d’actes similaires en raison de circonstances particulières. Or, vous restez en défaut d’étayer un lien entre le traitement du major … et des éléments liés à votre personne vous exposant à des actes similaires. En effet, vous dites ne pas être militaire et ne pas être impliquée dans la tentative de coup d’Etat. Par ailleurs, vous ne faites pas état de problèmes concrets, des militaires seraient passés à votre domicile. Vous dites ne pas officiellement faire l’objet d’un avis de recherche.
Il ne ressort également pas de nos recherches qu’un certain Sébastien … aurait été tué lors des arrestations ayant lieu dans le cadre de la tentative de coup d’Etat échouée de juin 2004. Enfin selon un rapport d’avril 2006 du UK Home Office sur la RDC l’Association Africaine de Défense des Droits de l’Homme (ASADHO) a informé en décembre 2004 que 58 personnes, notamment des militaires auraient été arrêtées dans le cadre des évènements du 11 juin 2004. Ils n’auraient pour l’heure actuelle pas encore été jugées. Ce rapport indique également que l’« ASADHO is not aware of any case where any relative or any family member of the detainees was targeted for arrest or mistreatment by Congolese authorities ».
Donc de simples craintes hypothétiques qui ne sont basées sur aucun fait réel ou probable ne sauraient cependant constituer des motifs visés par la Convention de Genève.
Vos motifs traduisent plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution.
Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte justifiée de persécution au sens de la prédite Convention.
Vous dites que vous seriez également mal vue par le gouvernement en place parce que votre ancien compagnon … aurait été assimilé au régime du défunt président Mobutu. Or, de telles personnes ne connaissent plus de persécutions par le pouvoir en place de la RDC. En effet, selon de nombreux rapports la sécurité d’anciens collaborateurs de Mobutu s’est largement améliorée après l’arrivée au pouvoir de Joseph KABILA en janvier 2001 et surtout après la signature de l’accord de paix de Sun City en avril 2002. Un grand nombre de personnes associées à MOBUTU sont même retournées depuis en RDC. Notons également qu’un fils de MOBUTU s’est présenté en tant que candidat aux élections présidentielles de juillet 2006.
Enfin, il faut souligner le changement important de la situation politique en RDC. En effet, on assiste à un réel effort de la part du pouvoir en place de rétablir la paix et de former un gouvernement démocratique à représentation géographique et ethnique. Ainsi, le 16 décembre 2002, un Accord Global sur le partage du pouvoir fut signé afin de créer un gouvernement d’unité nationale au terme duquel le président Joseph KABILA demeurera à son poste et ce, jusqu’à la tenue des premières élections libres et démocratiques depuis 45 ans ayant lieu le 30 juillet 2006. Les élections se sont déroulées dans un environnement généralement calme, marqué seulement par quelques incidents isolé. Un deuxième tour s’est déroulé le 29 octobre 2006 sans incidents majeurs. Durant la transition M. KABILA a été assisté par quatre vice-présidents, représentant respectivement le gouvernement, le Rassemblement congolais pour la démocratie-Goma (RDC-Goma), le Mouvement de libération du Congo (MLC) et l’opposition politique non armée. Nombreux progrès ont été réalisés durant la transition. Ainsi, une nouvelle Constitution adaptée par référendum ayant eu lieu en décembre 2005 a été promulguée le 17 février 2006 et une loi électorale en date du 9 mars 2006.
Ainsi, vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre vote vie intolérable dans votre pays. Une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est par conséquent pas établie.
En outre, votre récit ne contient pas de motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection. En effet, les faits invoqués à l’appui de votre demande ne nous permettent pas d’établir que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptible de faire l’objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
En effet, vous ne faites pas état d’un jugement ou d’un risque de jugement vous condamnant à la peine de mort. Vous ne faites également pas état de risques concrets et probables de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants en cas de retour en RDC ou de risques émanant d’une violence aveugle résultant d’un conflit armé interne ou international.
Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. Le bénéfice de la protection subsidiaire tel que prévu par la loi du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection doit également vous être refusé ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 17 novembre 2006, Madame … a fait introduire un recours en réformation sinon en annulation à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 20 octobre 2006.
En l’absence d’intention manifeste contraire, les termes juridiques employés par un professionnel de la postulation sont à appliquer à la lettre, ce plus précisément concernant la nature du recours introduit, ainsi que son objet, tel que déterminé à travers la requête introductive d’instance et précisé, le cas échéant, à travers le dispositif du mémoire en réplique.
Or en l’espèce, force est de constater que la demanderesse ne sollicite, au terme du dispositif de sa requête, complété par ses moyens développés dans sa requête, que la réformation sinon l’annulation de la décision en ce qu’elle lui a refusé le statut de réfugié.
Il y a donc lieu de retenir que le recours introduit est limité en ce qui concerne la décision déférée au seul volet du refus du statut de réfugié.
L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, respectivement l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, prévoyant un recours en réformation en matière de demandes d’asile et d’obtention du statut de protection subsidiaire déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation, lequel est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Le recours subsidiaire en annulation est en conséquence irrecevable.
Le tribunal est tout d’abord amené à prendre position quant à la recevabilité du mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 13 février 2007 au vu de l’article 5 de la loi portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.
La question de la fourniture des mémoires dans les délais impartis et suivant le nombre prévu par la loi précitée du 21 juin 1999 touche à l’organisation juridictionnelle et est par voie de conséquence d’ordre public. Elle doit être soulevée d’office par le tribunal, à défaut de l’être à travers l’un des moyens des parties ( cf. trib.adm. 14 février 2001,, n° 11 607 du rôle, Pas. adm. 2006, V° Procédure contentieuse, n°452 et autres références y citées).
Au vœu de l’article 5, paragraphe 5 de la loi précitée du 21 juin 1999, la fourniture du mémoire en réplique doit intervenir dans le délai d’un mois à partir de la communication du mémoire en réponse, ce qui inclut - implicitement, mais nécessairement - l’obligation de le déposer au greffe du tribunal et de le communiquer à la partie voire aux parties défenderesses dans ledit délai d’un mois.
Force est de constater que le mémoire en réponse a été déposé au greffe du tribunal administratif par le délégué du Gouvernement en date du 12 janvier 2007, de sorte que le dépôt du mémoire en réplique aurait du intervenir pour au plus tard le 12 février 2007. Le dépôt dudit mémoire en réplique en date du 13 février 2007 est dès lors intervenu en dehors du délai légal, de sorte qu’il est à écarter des débats.
Néanmoins, en ce qui concerne les pièces jointes au mémoire en réplique, force est de retenir qu’à partir du moment où des pièces versées avant le rapport à l’audience, mais non énoncées aux actes de procédure, ont pu être librement discutées à l’audience et que le dépôt de pièces supplémentaires ne porte pas atteinte aux droits de la défense, elles ne sont pas écarter des débats ( cf. trib.adm. 17 novembre 2003, n° 16 219 du rôle, Pas. adm. 2006, V° Procédure contentieuse, n°412).
Le délégué du Gouvernement, sur demande expresse du tribunal, ne s’est pas opposé au dépôt desdits pièces, de sorte qu’il y a lieu de retenir qu’elles ont été régulièrement versées.
A l’appui de son recours, Madame … affirme en premier lieu que la question quant à sa véritable identité serait définitivement résolue, dans la mesure où un « jugement supplétif relatif à la naissance à Kinshasa de son fils … le … » devrait attester à suffisance de droit son identité. Les faits retenus par ledit jugement n’ont pas été mis en doute par le délégué du Gouvernement, de sorte que le ministre serait maintenant malvenu de mettre en cause son identité. Elle constate à ce sujet que la Cour administrative, dans son arrêt du 17 octobre 2006, aurait reconnu la réalité de son retour au Congo en tenant pour établi la naissance de son fils en janvier 2003 à Kinshasa.
Elle considère ensuite que les faits, dont mention dans la décision ministérielle litigieuse, antérieurs au coup d’Etat de juin 2004, seraient sans rapport avec la présente demande.
Elle expose qu’après son retour en 2001 à Kinshasa, elle aurait eu une relation amoureuse avec un certain …, militaire, qui serait soupçonné avoir participé au coup d’Etat mené contre Joseph KABILA, actuel président du Congo, et qui viendrait à être réélu lors des élections du 11 juin 2004. Elle fait valoir que le coup d’Etat a échoué, mais que la répression contre les putschistes aurait été sévère et violente. Au cours de cette répression, tous ceux qui avaient des liens avec les putschistes auraient été poursuivis, de sorte qu’elle devrait craindre légitimement de subir des persécution en raison de ses relations avec le leader des insurgés ainsi qu’en sa qualité de cousine d’un autre insurgé, à savoir son cousin …, qui aurait également fait partie du projet de renversement du président KABILA. Elle soutient que son cousin, qui habitait chez elle, aurait été battu à mort. Une voisine l’aurait averti par téléphone de ces faits, alors qu’elle se trouvait chez une amie à ce moment, et elle n’aurait eu d’autres possibilités que de prendre la fuite. Elle verse une lettre de témoignage d’un sergent pour documenter la réalité des menaces qui pèseraient sur elle en raison de sa liaison avec le dénomme …. Elle estime que ce témoignage établirait qu’elle a fait et qu’elle ferait toujours l’objet de recherches de la part des autorités en place.
Elle conteste finalement que le Congo se trouverait en situation d’accalmie, telle que retenu par le ministre et elle estime qu’il incombera au tribunal d’apprécier la situation actuelle.
Elle conclut qu’il appartient au ministre d’apporter la preuve de l’inexactitude des faits à l’appui de sa demande, documentés par les pièces versées en cause, ce que ce dernier aurait omis de faire, de sorte qu’en raison de ses explications qui rendraient les faits plausibles, précis et suffisamment certains, il lui incomberait de lui accorder le statut de réfugié.
Le délégué du Gouvernement soutient qu’il ne ressortirait d’aucun des éléments du dossier que la demanderesse serait réellement recherchée par les autorités. En effet, elle ne serait pas directement impliquée dans le coup d’Etat et en dehors du fait que les militaires seraient passés à son domicile, elle ne ferait état d’aucun avis de recherche ni de problèmes concrets. De plus, elle n’établirait pas qu’elle risquerait de subir des mauvais traitements de la part des autorités actuellement au pouvoir. Il soutient que de toute façon, le fait d’être recherchée afin d’obtenir des renseignements sur son ami ne correspondrait à aucun des critères de fond de la Convention de Genève. Il maintient par ailleurs les doutes émis par le ministre concernant la crédibilité des déclarations de la demanderesse. Il rappelle à ce sujet que la demanderesse n’a fourni aucune pièce d’identité et qu’elle a utilisé une autre identité en Suisse. Il conclut que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration aurait fait une saine appréciation de la situation de la demanderesse, de sorte que celle-ci serait à débouter de son recours.
L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».
La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne.
Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle de la demanderesse, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de celle-ci.
Le tribunal constate que la situation de la demanderesse peut se résumer en ce qu’en tant qu’amie du leader des insurgés ayant tenté un coup d’Etat à l’encontre du président KABILA en juin 2004, elle craint de subir des persécutions de la part des autorités au pouvoir.
Le délégué du Gouvernement met en doute la crédibilité de son récit ainsi que le fait qu’elle soit effectivement recherchée par les autorités de son pays, étant donné qu’elle ne ferait état ni d’un avis de recherche ni d’un problème concret.
Force est de constater que même si les seules déclarations de la demanderesse lors de ses auditions respectives n’entraînent pas la conviction du tribunal quant à la réalité des motifs de persécution invoqués et que même à admettre que le délégué du Gouvernement a valablement pu soutenir que le fait d’être recherché par les autorités afin d’obtenir des renseignements sur son ami ne correspond a priori à aucun critère de fond prévu par la Convention de Genève et que par ailleurs l’indication d’une fausse identité ou d’une autre identité en Suisse ainsi que le mensonge sur le fait qu’elle avait indiqué lors de sa première audition n’avoir déposé aucune demande d’asile dans un des pays de la communauté, ne contribuent guère à corroborer à la crédibilité et à la véracité de ses allégations, qui sont par ailleurs des plus sommaires, il s’avère néanmoins à la lecture des pièces versées en date du 13 février 2007, dont un avis de recherche et un mandat d’arrêt émis à son encontre par les autorités au pouvoir en date du 1er février 2005 respectivement le 4 mars 2005, documents que le délégué du Gouvernement n’a pas autrement contestés quant à leur authenticité nonobstant demande expresse du tribunal lors de l’audience fixée pour plaidoiries, que la demanderesse a dès lors concrètement étayé le risque de persécution mis par elle en avant à l’appui de son recours.
A défaut de contestation circonstanciée de la part du représentant étatique, le tribunal est dès lors amené à admettre qu’en l’état actuel du dossier le risque de persécution mis en avant par la demanderesse est établi à suffisance.
Il s’ensuit que la situation personnelle de Madame … rentre dans les prévisions de la Convention de Genève et que la décision ministérielle de rejet de sa demande d’asile est à réformer.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours principal en réformation en la forme ;
au fond, le déclare justifié ;
partant réforme la décision ministérielle du 8 novembre 2006 et accorde le statut de réfugié au sens de la Convention de Genève à Madame … ;
renvoie l’affaire devant le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration ;
déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable ;
condamne l’Etat aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 25 avril 2007 par :
Mme Lenert, vice président, Mme Lamesch, premier juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.
s. Schmit s. Lenert 9