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16/04/2007 | LUXEMBOURG | N°21596

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 16 avril 2007, 21596


Tribunal administratif Numéro 21596 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 30 juin 2006 Audience publique du 16 avril 2007 Recours formé par la société anonyme XXX S.A., …, contre une décision du ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement en présence de la société de droit allemand ZZZ AG en matière d’autorisation d’établissement

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 21596 du rôle et déposée le 30 juin 2006 au greffe du tribunal administrati

f par Maître Victor ELVINGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à...

Tribunal administratif Numéro 21596 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 30 juin 2006 Audience publique du 16 avril 2007 Recours formé par la société anonyme XXX S.A., …, contre une décision du ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement en présence de la société de droit allemand ZZZ AG en matière d’autorisation d’établissement

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 21596 du rôle et déposée le 30 juin 2006 au greffe du tribunal administratif par Maître Victor ELVINGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme XXX S.A., établie et ayant son siège social à L-…, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B 14375, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonction, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement du 3 avril 2006 portant autorisation à la société de droit allemand ZZZ A.G. pour l’ouverture d’un centre commercial de 9.970 m2 sur le site « … », …, surface réservée à la vente des articles et des produits des branches commerciales principales « agriculture » et « équipement du bâtiment et du foyer ».

Vu l’exploit de l’huissier de justice Jean-Lou THILL, demeurant à Luxembourg, du 21 juillet 2006, par lequel ledit recours a été signifié à la société de droit allemand ZZZ A.G., établie et ayant son siège social à D-… ;

Vu la constitution d’avocat de Maître Jean WAGENER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, déposée au greffe du tribunal administratif le 9 août 2006 pour compte de la société de droit allemand ZZZ A.G., préqualifiée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 24 août 2006 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 13 octobre 2006 par la société anonyme XXX ;

Vu l’acte d’avocat à avocat du 13 octobre 2006 portant notification dudit mémoire en réplique au mandataire de la société anonyme XXX S.A. ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 9 novembre 2006 ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 13 décembre 2006 par Maître Jean WAGENER au nom de la société de droit allemand XXX S.A. ;

Vu l’acte d’avocat à avocat du 13 décembre 2006 par lequel ledit mémoire en réponse a été notifié au mandataire de la demanderesse ;

Vu le mémoire intitulé « mémoire en réplique » déposé au greffe du tribunal administratif le 15 janvier 2007 par Maître Victor ELVINGER au nom de la société anonyme XXX S.A. ;

Vu le courrier du 18 janvier 2007 de Maître Victor ELVINGER demandant au tribunal d’ordonner la production d’un mémoire supplémentaire de la part de la société anonyme XXX S.A. ;

Vu le mémoire déposé au greffe du tribunal administratif le 2 février 2007 par Maître Jean WAGENER au nom de la société de droit allemand ZZZ A.G. ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Entendu le juge-rapporteur en son rapport, Maîtres Victor ELVINGER, Paule KETTENMEYER, en remplacement de Maître Jean WAGENER, ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 26 février 2007.

Le 3 avril 2006, le ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement, ci-après dénommé « le ministre », délivra à la société anonyme de droit allemand ZZZ A.G., ci-après dénommée « la société ZZZ A.G. », l’autorisation d’ouvrir une surface commerciale sise à … sur le site « … », portant sur une surface de vente globale de 9.970 m2, réservée à la vente de produits et d’articles des branches commerciales principales suivantes : « équipement du bâtiment et du foyer » (7.450 m2) et « agriculture » (2.520 m2), avec l’information que « l’autorisation définitive sera délivrée suite à l’introduction de la demande en autorisation d’établissement et après vérification de l’accomplissement des conditions légales de capacité et d’honorabilité professionnelles de l’exploitant conformément à l’article 3 de la loi d’établissement du 28 décembre 1988 ».

Par requête déposée le 30 juin 2006 au greffe du tribunal administratif, la société anonyme XXX S.A., dénommée ci-après « la société XXX S.A. », a fait introduire un recours tendant à la réformation sinon à l’annulation de la décision précitée du ministre du 3 avril 2006.

Dans leurs mémoires en réponse respectifs, le délégué du Gouvernement et la partie tierce-intéressée soulèvent l’irrecevabilité du recours en réformation, un tel recours au fond n’étant pas prévu par la loi d’établissement du 28 décembre 1988.

Comme relevé à bon droit par les parties défenderesses et tierce-intéressée, aucun recours au fond n’est prévu en la présente matière, de sorte que le tribunal est incompétent pour connaître du recours principal en réformation. En effet, l’article 2, alinéa 8 de la loi modifiée du 28 décembre 1988, dénommée ci-après « la loi d’établissement », prévoit, depuis la modification intervenue par la loi du 4 novembre 1997, expressément un recours en annulation.

La société ZZZ A.G. conteste l’existence d’un intérêt à agir dans le chef de la demanderesse, au motif que celle-ci aurait introduit le présent recours uniquement « dans le seul but de se protéger contre un concurrent potentiel », motif qui serait à qualifier d’illégitime. Elle soutient à ce sujet que l’argumentation de la partie demanderesse selon laquelle l’implantation d’une nouvelle surface commerciale romprait l’équilibre de la distribution ne saurait porter, étant donné que l’équilibre, tel que défini par la partie demanderesse, aurait déjà été inexistant même avant l’introduction de la demande de la société ZZZ A.G.

La demanderesse souligne dans son recours introductif d’instance qu’elle exploite, à proximité, trois établissements du même type que celui projeté par la société ZZZ A.G.

Elle soutient encore que sa situation personnelle, ainsi que ses intérêts seraient affectés par la perspective de l’implantation d’un magasin concurrent, de sorte qu’elle disposerait d’un intérêt à agir suffisamment caractérisé.

Toute partie intéressée peut attaquer une décision administrative devant le juge administratif. Cette qualité n’appartient pas seulement au destinataire direct de l’acte, mais encore à toutes les personnes dont les droits et même les simples intérêts peuvent être affectés par les effets de cet acte1. Possède ainsi un tel intérêt à agir le concurrent du bénéficiaire d’une autorisation d’implanter une grande surface commerciale à proximité de son propre commerce, notamment afin de faire contrôler par les juridictions administratives si le ministre n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation des faits en estimant que le projet autorisé ne risque pas de compromettre l’équilibre dans la ou les branches commerciales principales concernées, sur le plan national, régional ou communal.

En effet, en cas d’implantation d’un commerce concurrent à proximité, l’équilibre de la distribution est, sous certaines conditions, susceptible d’être compromis, avec des répercussions possibles sur la valeur de rendement des surfaces commerciales existantes, ce qui est de nature à affecter tant les propriétaires que les exploitants de ces surfaces.

Il suit de ce qui précède que la demanderesse, en sa qualité d’exploitant de trois commerces comprenant principalement la vente d’articles et de produits de la 1 trib. adm. 26 janvier 1998, n°s 10190 et 10352 du rôle, Pas. adm. 2006, V° Procédure contentieuse, n° 3 et autres références y citées même branche commerciale que celle envisagée par l’exploitant de la nouvelle surface commerciale, a intérêt à agir contre une autorisation ministérielle portant sur l’implantation de cette grande surface commerciale. Partant, le moyen d’irrecevabilité tiré d’un prétendu défaut d’intérêt à agir est à écarter pour ne pas être fondé.

Aucun autre moyen d’irrecevabilité n’ayant été invoqué en cause, voire ne se dégageant des éléments du dossier, le recours en annulation est à déclarer recevable pour avoir été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, la demanderesse rappelle tout d’abord qu’en tant que tiers intéressé, elle n’a pas eu accès au dossier administratif à la base de la demande d’autorisation, qu’elle ignore tout du contenu de la demande présentée par la société ZZZ A.G., de l’avis de la commission d’équipement, ainsi que de l’étude de marché fournie en cause, de sorte qu’en l’état actuel elle ne saurait critiquer des documents dont elle n’a pas pu prendre connaissance avant l’introduction de son recours. Elle sollicite dès lors dans le corps de sa requête, le droit de déposer un mémoire supplémentaire en vertu de l’article 7 alinéa 3 de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

Force est de constater que le délégué du Gouvernement a déposé son mémoire en réponse ensemble avec le dossier administratif en date du 24 août 2006. La partie demanderesse a pris position par rapport à ce mémoire en date du 13 octobre 2006. Le délégué du Gouvernement a dupliqué en date du 11 novembre 2006. La société ZZZ A.G. a déposé son mémoire en réponse dans le délai légal en date du 13 décembre 2006.

La société XXX S.A. a déposé en date du 15 janvier 2007 un troisième mémoire pour répondre au mémoire de la société ZZZ A.G. Elle y expose que lors du dépôt du recours en date du 30 juin 2006, elle n’aurait pas eu connaissance du dossier administratif à la base de la décision ministérielle litigieuse, de sorte qu’elle n’aurait disposé contre l’Etat que d’un seul mémoire pour analyser le dossier administratif contenant l’étude de marché, l’avis de la commission et les échanges de courriers. Le dossier administratif ayant par ailleurs été incomplet, elle aurait réclamé des pièces qui ne lui furent communiquées qu’en date du 9 novembre 2006. De surcroit la partie tierce intéressée n’aurait déposé son mémoire en réponse que le dernier jour utile, de sorte qu’elle ne serait plus en droit de prendre position par rapport à ce mémoire. Elle affirme déposer son mémoire en « triplique » à titre conservatoire et elle sollicite le droit de déposer un mémoire supplémentaire. Elle considère à ce titre qu’il serait important qu’une affaire soit correctement instruite et que toutes les parties aient pu présenter leurs arguments moyennant deux mémoires distincts.

Par courrier du 18 janvier 2007, elle demande au tribunal « d’ordonner la production d’un mémoire supplémentaire de la part de XXX, accordant évidemment aux autres parties le droit de répondre », conformément aux dispositions de l’article 7 alinéa 3 de la loi précitée du 21 juin 1999.

Dans son mémoire en réplique, déposé le 2 février 2007, la société ZZZ A.G. demande le rejet du mémoire en « triplique » lui notifié le 15 janvier 2007, ainsi que des pièces communiquées tardivement.

La société XXX S.A. ayant fait déposer deux mémoires en réplique distincts dans la présente instance, dont un premier en date du 13 octobre 2006 et un deuxième en date du 15 janvier 2007, il y a lieu d’examiner en premier lieu la recevabilité du deuxième mémoire en réplique ainsi déposé, compte tenu notamment des dispositions de l’article 5(5) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives qui dispose que « le demandeur peut fournir une réplique dans le mois de la communication de la réponse. La partie défenderesse et le tiers intéressé sont admis à leur tour à dupliquer dans le mois », ainsi que des conclusions de la partie tierce intéressée présentées à ce sujet dans son mémoire en duplique.

Si la seule lecture des dispositions de l’article 5 (5) prérelaté permettait certes d’admettre que le droit de fournir une réplique dans le mois de la communication de la réponse devrait s’entendre de manière distributive par rapport à chacun des mémoires en réponse fournis en cause en ce qu’ils s’analysent en des actes de procédure distincts, susceptibles de justifier le cas échéant une prise de position différenciée, force est cependant de constater que l’article 7, alinéa 1er de la même loi du 21 juin 1999 précitée, en disposant expressément qu’« il ne pourra y avoir plus de deux mémoires de la part de chaque partie, y compris la requête introductive », rend la possibilité de répliquer moyennant deux mémoires distincts inconciliable avec les termes de la loi.

Dans la mesure où le législateur, dans un esprit de rationalisation des délais de procédure, a clairement opté pour une limitation à deux mémoires de la part de chaque partie sans autrement concéder une exception dans l’hypothèse spécifique d’une signification différée dans le temps de la requête introductive d’instance à la partie défenderesse et aux tiers intéressés avec comme corollaire le dépôt également différé dans le temps des mémoires en réponse respectivement fournis, il y a lieu d’interpréter le délai de réplique d’un mois prévu par l’article 5 (5) prérelaté de la loi du 21 juin 1999 comme devant s’entendre par rapport à la communication de la dernière réponse utilement fournie en cause, sinon au plus tard à compter de l’expiration du délai utile pour déposer un mémoire en réponse, étant entendu que la cristallisation de ce délai est nécessairement connue par la partie demanderesse dès la signification effectuée de la requête introductive d’instance aux tiers intéressés (trib.adm. 21 mars 2007, n°21479 du rôle, www.ja.etat.lu).

Si le tribunal peut certes suivre la demanderesse dans son raisonnement consistant à soutenir qu’en l’absence de base légale expresse lui permettant de regrouper son argumentation en réplique dans un seul mémoire à déposer seulement dans le mois de la communication du dernier mémoire en réponse, la solution ci-avant dégagée l’exposerait au risque de voir écarter des débats pour cause de tardiveté les éléments de réplique spécifiques au premier mémoire en réponse fourni, alors que stricto sensu le délai de réplique légal d’un mois aurait expiré par rapport à celui-ci, cette argumentation n’est pas pour autant de nature à mettre en échec les dispositions claires et précises de l’article 7 alinéa 1er de la même loi du 21 juin 1999.

Le demandeur étant maître du dépôt et de la signification de sa requête introductive d’instance, il n’est en effet pas sans ignorer les difficultés procédurales qu’engendre son choix de signifier de manière différée la requête introductive d’instance au défendeur et aux éventuels tiers intéressés et il lui est de surcroit possible de recourir, en temps utile, aux dispositions de l’article 5 (7) de la loi de procédure qui prévoit la possibilité pour les parties de demander au président du tribunal, au plus tard huit jours avant leur expiration respective, une prorogation unique des délais qui leur sont impartis lorsqu’ils ont des raisons exceptionnelles et dûment motivées pour ce faire. Le mécanisme prévu par la loi du 21 juin 1999 précitée permet en effet au demandeur de solliciter, au motif de cette signification différée, une prorogation de son délai de réplique afin de lui permettre de prendre position dans son deuxième mémoire par rapport à l’ensemble des arguments présentés en réponse.

Les dispositions de l’article 7 (1) de la loi du 21 juin 1999 précitée étant claires et non équivoques, elles ne sauraient en effet être mises en échec par une interprétation extensive des dispositions de l’article 5 (5) de la même loi dans le sens de la possibilité préconisée par le demandeur d’une réplique distincte par rapport à chaque mémoire en réponse fourni, ceci d’autant plus que la loi prévoit, moyennant les dispositions ci-avant visées de l’article 5 (7), une possibilité effective pour éviter une éventuelle lésion des droits de la défense du demandeur.

En ce qui concerne la demande contenue dans la lettre précitée du 18 janvier 2007 de la société XXX S.A. en vue d’être autorisée à déposer un mémoire supplémentaire, force est encore de retenir que cette demande ne s’inscrit pas dans le cadre légal de l’article 5 (7) de la loi précitée du 21 juin 1999 en ce qu’elle ne tend pas à la prorogation du délai de réplique, mais à la production d’un mémoire supplémentaire, possibilité pourtant non spécifiquement prévue par la loi.

Il se dégage des considérations qui précèdent que le deuxième mémoire en réplique fourni par la partie demanderesse en date du 15 janvier 2007 est à écarter pour s’analyser en un troisième mémoire fourni en cause. Il en est de même des pièces communiquées tardivement.

Le deuxième mémoire en réplique ayant été écarté, le même sort frappe le mémoire de la partie tierce-intéressée déposé le 2 février 2007, lequel ne constitue qu’une réponse à la réplique fournie.

En ce qui concerne la demande de production de l’étude de marché de la société ZZZ A.G. ensemble avec sa demande d’établissement, de l’avis de la commission d’équipement et de toute autre pièce du dossier administratif, force est de constater que même si la demanderesse se plaint de n’avoir obtenu antérieurement à l’introduction de son recours contentieux, communication de ces pièces et notamment du dossier administratif, malgré demande formelle de sa part adressée au ministre, elle n’en a cependant pas tiré de moyen d’annulation de la décision ministérielle, notamment au titre du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes.

Il n’incombe dès lors au tribunal d’analyser ni si le ministre était en droit de lui refuser la communication du dossier administratif ni si le cas échéant cette non-

communication était susceptible d’entraîner l’annulation de la décision sous analyse.

Il y a encore lieu de retenir que le délégué du Gouvernement a versé le dossier administratif en cause à l’appui du mémoire en réponse, de sorte qu’il a été satisfait à la demande de la société XXX S.A. contenue dans son recours introductif d’instance et que celle-ci a pu prendre position y relativement dans un mémoire en réplique. En ce qui concerne les pièces versées à l’appui du mémoire en réponse de la partie tierce intéressée, elle aurait également pu y prendre position, eût-elle attendu l’expiration du délai de réponse de ce dernier, voire sollicité en temps utile une prorogation de son délai de réplique.

Quant au fond, la demanderesse conclut à l’annulation de la décision attaquée au motif que le ministre aurait dû refuser l’implantation de la surface commerciale litigieuse, alors que celle-ci entraînerait un déséquilibre de la distribution, ceci au vu notamment d’une prétendue saturation dans le domaine de la « branche 06 bâtiment / foyer », domaine dans lequel le marché potentiel, voire disponible serait largement négatif. Elle se base à ce sujet sur une étude de marché établie à la demande de AAA A.G., sa maison mère, par la société « … », intitulée « étude de marché sur l’équipement commercial et le pouvoir d’achat dans la région de … – conséquences de l’implantation d’un nouveau centre commercial ».

Le délégué du Gouvernement relève que le dossier, après introduction d’une demande d’autorisation particulière en vue de l’ouverture d’un centre commercial de 9.970 m2, a été transmis à la commission d’équipement commercial prévue à l’article 12 de la loi d’établissement qui a rendu un avis partagé concernant le projet en question après avoir pris connaissance de l’étude de marché présentée à l’appui de la demande. Le ministre a accordé l’autorisation litigieuse en date du 3 avril 2006.

Il fait valoir que les autorisations d’établissement sont accordées selon une procédure prévue tant par la loi d’établissement que par le règlement grand-ducal du 9 janvier 1998 déterminant entre autre le fonctionnement de la commission d’équipement commercial, ainsi que par le règlement grand-ducal du 24 novembre 1997 qui détermine la forme et le contenu de la demande d’autorisation et de l’étude de marché à fournir ainsi que les critères précis pour évaluer les demandes en matière de surfaces commerciales.

Comme le dossier aurait fait l’objet de l’instruction administrative telle que prévue par la réglementation citée ci-dessus, l’administration n’aurait pas exercé un pouvoir discrétionnaire, voire arbitraire pour délivrer l’autorisation litigieuse. A ce titre, il relève que la charge de la preuve en ce qui concerne la condition que le projet envisagé ne compromet pas l’équilibre dans la ou les branches commerciales principales concernées, reviendrait au demandeur qui aurait fourni une étude de marché allant dans ce sens et qui ne paraîtrait pas critiquable. Il expose que les chiffres retenus tant en ce qui concerne l’offre existante que la demande existante n’apparaitraient pas « fondamentalement contestables, puisque fondés sur des statistiques officielles nationales et européennes, même si ces dernières peuvent être nuancées, compte tenu notamment des importants flux transfrontaliers inhérents au marché luxembourgeois ainsi que des particularités inhérentes au consommateur luxembourgeois, notamment le pouvoir d’achat supérieur – tous éléments majorant donc la demande statistique mais qui ont également tendance à entraîner de manière subséquente une majoration du chiffre d’affaires statistique réalisé au Luxembourg au m2, autrement dit l’offre disponible. On peut estimer cette majoration du chiffre d’affaires réalisé à 20%, donc à une offre existante qu’il faut réévaluer dans les mêmes proportions ».

Le représentant étatique conclut ensuite que « la discussion porte donc en substance sur la détermination du chiffre d’affaires réalisé au m2, en particulier dans la branche commerciale principale « équipement du bâtiment et du foyer », qui se prête à diverses interprétations quant à son champ d’application. En fonction de ce dernier et selon qu’on retient seulement le bricolage pur ou qu’on y incorpore au contraire les articles de l’audiovisuel et de l’électroménager, le chiffre d’affaires est très variable. En retenant la majoration prémentionnée de 20% rapportée aux 2112 euros retenus par l’étude de marché, le chiffre d’affaires vraisemblable au m2 s’élève à environ 2500 euros. En conséquence – en reprenant donc pour déterminer l’offre les montants de chiffre d’affaires majorés et les surfaces recensées par les services du ministère des Classes Moyennes – l’implantation du projet de la requérante se situe en limite de déséquilibre dans la branche commerciale principale « équipement du bâtiment et du foyer » et cela sans procéder de manière afférente à une réévaluation de la demande, ce qui tendrait à ménager une marge de manœuvre certaine».

Le délégué du Gouvernement relève ensuite que la population et donc le pouvoir d’achat dans la zone de chalandise auraient nettement augmenté, en considération notamment du fait que la période de réalisation du projet s’étend sur plusieurs années, ce qui dégagerait encore une marge de manœuvre supplémentaire au regard de « cette situation limite ».

Il conclut que compte tenu des diverses approches possibles dans ce dossier, il ne serait pas étonnant que les membres de la commission consultative, qui serait très diversement composée et donc soumise à des sensibilités variées, n’ont pas été en mesure de trouver une position commune.

Le ministre se serait livré à une analyse nuancée de la demande de la société ZZZ A.G. et il aurait dès lors considéré à juste titre que dans le cadre de l’étude de marché fournie, cette dernière aurait fait une démonstration crédible ou en tout cas ne prêtant manifestement pas à critique et elle se serait dès lors dans ces conditions acquittée de l’exigence établie par le législateur.

Finalement, il estime que dans le cadre d’un recours en annulation, il n’appartiendrait pas au tribunal de procéder à une analyse d’opportunité et d’évaluation des différentes approches micro- et macro-économiques envisageables, mais bien de constater que la décision ministérielle critiquée est fondée sur des éléments légalement requis et qui ne seraient pas critiquables ni dans leur principe ni dans leur quantum.

Dans son mémoire en réplique, la société XXX S.A. demande communication d’une étude de marché du 15 novembre 2005 présentée initialement par la société ZZZ A.G. à l’appui de sa demande d’autorisation. Elle relève ensuite que la commission consultative a émis un avis défavorable au projet et qu’elle a critiqué l’incohérence de l’étude du marché.

Elle constate encore que le délégué du Gouvernement n’a pas pris position par rapport à l’étude de marché qu’elle a présentée, étude qui prouverait que l’étude de marché de la société ZZZ A.G. serait basée sur de fausses prémisses. A ce titre, elle insiste sur le fait qu’elle ne demande pas au tribunal de faire une analyse d’opportunité, mais de constater que l’autorisation litigieuse « est basée sur des indications et une étude de marché erronées ».

Elle se réfère au règlement grand-ducal du 24 novembre 1997 qui détermine la forme et le contenu de la demande d’autorisation et de l’étude de marché, pour soutenir que les données y exigées feraient partie intégrante du dossier administratif et constitueraient la base légale de l’autorisation ministérielle subséquente, de sorte que le tribunal aurait l’obligation d’examiner l’exactitude de ces données.

Quant à la demande d’autorisation de la société ZZZ A.G., elle relève que cette autorisation est demandée pour une surface de 9.970 m2, mais que la demande porte également sur un « Drive-in », d’une surface de 5.170 m2, réservé aux professionnels. Elle considère que cette distinction entre surfaces destinées aux consommateurs finaux et acheteurs professionnels « constitue un mensonge grossier destiné à tromper le ministre ». Elle soutient que la présentation de la société ZZZ A.G. serait contredite par la pratique dans ses nombreux établissements situés en Allemagne où le consommateur final privé peut accéder librement à ces Drive-in, de sorte qu’il y aurait lieu d’inclure cette surface, qualifiée de « stockage », dans la surface de vente soumise à autorisation. Comme l’étude de marché ne porterait que sur une surface de 9.970 m2, elle devrait être considérée comme non-conforme à la surface projetée de 15.140 m2 et l’autorisation serait à annuler de ce chef.

La demanderesse procède ensuite à une analyse des chiffres de l’étude de marché fournie par la société ZZZ A.G. et relève les erreurs qu’elle y aurait décelées, à savoir que le recensement de l’offre actuelle serait radicalement faux pour porter sur une surface inférieure à celle effectivement autorisée, de sorte que la surface potentielle disponible serait de 0 pour la branche bricolage, que le chiffre d’affaires moyen de 2.112 euros par m2 pris par la société ZZZ A.G. serait anormalement bas pour faire apparaître une demande disponible, alors que pour le secteur du bricolage, le chiffre d’affaires moyen serait de 2.860 euros par m2. Elle en déduit que contrairement aux affirmations du délégué du Gouvernement, l’étude de marché de la société ZZZ A.G. prêterait à critique.

Dans son mémoire en duplique, le délégué du Gouvernement affirme que l’étude de marché présentée par la société ZZZ A.G. aurait été analysée en détail et qu’il ne serait pas question d’analyser la contre-étude réalisée par … « étant donné que ceci n’est pas le sujet du présent recours ».

En ce qui concerne les surfaces retenues sur la liste figurant dans l’étude de marché de la société ZZZ A.G., il relève que certaines surfaces auraient été surévaluées tandis que d’autres auraient été sous-évaluées. S’il était vrai que la surface de l’enseigne Hornbach aurait été sous-évaluée (7.510 m2 au lieu de 13.500 m2), les surfaces de Hela Bettembourg, XXX Foetz, Cactus Hobby Howald, Steinhäuser Leudelange et XXX Strassen indiquées dans l’étude de marché de la société ZZZ A.G. refléteraient cependant « une image relativement fidèle des surfaces autorisées ». Il ajoute que si on tenait compte des surfaces surévaluées pour Lemogne et Decker-Ries, l’étude introduite par la société ZZZ A.G. ne serait pas « irréaliste ».

Il rappelle finalement que le chiffre d’affaires moyen au m2 de 2.112 euros a été fourni par un organe officiel, à savoir la Fédération Européenne des fabricants de bricolage.

La partie tierce intéressée, la société ZZZ A.G., rejoint le délégué du Gouvernement pour dire qu’il n’incomberait pas au tribunal administratif de statuer sur des considérations d’ordre micro- et macro-économique, donc d’effectuer une analyse d’opportunité, ce qui serait exclu en matière de recours en annulation, mais d’effectuer un examen objectif de l’existence et de l’exactitude de l’étude de marché à la base de la décision attaquée.

Elle se lance ensuite dans des considérations historiques notamment quant au but recherché par la loi d’établissement en soutenant que l’organisation de la distribution dans l’économie luxembourgeoise s’appuierait sur le principe de la liberté du commerce qui est garantie par la Constitution, qu’il existerait une volonté politique de pouvoir disposer d’une certaine flexibilité ainsi qu’une liberté d’appréciation par rapport à la notion « d’équilibre » entre le commerce traditionnel et les nouvelles formes de distribution consistant dans des surfaces commerciales, pour en conclure que la loi d’établissement ne viserait pas à protéger les commerces établis contre l’arrivée de nouveaux concurrents.

Elle conteste ensuite l’étude versée par la partie demanderesse, étant donné qu’elle ne pourrait en discuter le détail, dans la mesure où une partie essentielle de l’étude, à savoir le relevé des surfaces de vente existantes, ne lui aurait pas été communiqué.

En ce qui concerne les critiques adressées par la partie demanderesse à l’encontre de l’étude de marché confectionnée par ses soins, elle fait valoir que les documents versés par la partie demanderesse pour soutenir que les surfaces de ses concurrents seraient sous-évaluées, ne constitueraient pas de preuves tangibles. Elle conteste la pertinence d’un courrier électronique, d’un article extrait d’un journal luxembourgeois, ainsi que de deux demandes d’agrandissement versées en cause par l’avocat de la partie demanderesse pour prouver ses affirmations quant à une superficie plus importante se trouvant sur le marché que celle retenue dans l’étude de marché fournie en cause.

Elle se rallie aux conclusions du délégué du Gouvernement pour dire que même si quelques imperfections puissent persister dans l’étude de marché, celles-ci seraient d’un ordre tout à fait réduit et ne porteraient pas à conséquence. En effet, seul le ministre connaitrait avec précision la totalité des surfaces autorisées, de sorte que face à une étude lui soumise, il pourrait comparer les surfaces existantes mentionnées dans l’étude à ses propres données, de sorte qu’il serait faux de prétendre qu’un demandeur en obtention d’une autorisation peut induire le ministre en erreur en versant une étude de marché incomplète.

Elle soutient qu’en l’espèce, le ministre aurait vérifié les données lui soumises, puisqu’il a informé la société ZZZ A.G. de ce qu’elle avait omis de mentionner certaines surfaces et l’a invitée à les inclure dans son étude de marché versée le 16 décembre 2005. Par ailleurs, même à supposer que l’étude de marché contienne une « légère erreur sur l’évaluation de l’offre disponible », il ne faudrait pas oublier qu’entre la date de l’étude (2005) et la date de l’ouverture du centre commercial (2009), il y aurait une augmentation de la demande de l’ordre de 7% liée à l’accroissement de la population.

En ce qui concerne la notion d’équilibre et les critères de son appréciation, elle expose qu’il faudrait comparer l’offre existante et la demande existante pour voir si l’équilibre pourrait être perturbé. Pour évaluer la demande, il existerait des éléments statistiques fiables et faciles à contrôler. Ce qui serait plus compliqué, ce serait de déterminer dans quelle mesure les surfaces existantes sont à même de satisfaire la demande. Pour ce faire, il faudrait faire une estimation du chiffre d’affaires qui pourrait raisonnablement être réalisé par m2 de surface commerciale, étant donné qu’il n’existerait pas de chiffres officiels. Le chiffre d’affaires exact réalisé dans les branches concernées ne serait donc pas connu. Elle relève que les commerçants établis à un endroit où la législation requiert des études de marché basées sur l’offre et la demande en vue de l’octroi d’une autorisation auraient tout intérêt à gonfler artificiellement le chiffre d’affaires qu’ils déclarent réaliser au m2 pour se protéger de concurrents. Ainsi le chiffre d’affaires utilisé dans l’étude de marché qu’elle a versée aurait l’avantage d’avoir été calculé, au niveau européen, par la Fédération Européenne des fabricants de bricolage (2.112 euros au m2). Elle fait valoir que s’il n’était certainement pas exclu que le chiffre d’affaires réalisé au m2 au Luxembourg soit supérieur ou inférieur à la moyenne européenne, rien ne permettrait néanmoins d’affirmer qu’il serait aussi élevé que le prétend l’étude …. Elle continue en affirmant que même si tel était le cas, c'est à dire que les commerçants luxembourgeois réalisaient effectivement un chiffre d’affaires au m2 de 3.500 euros, ils n’auraient pas un droit acquis de continuer à réaliser ce chiffre d’affaires, chiffre qui prouverait par ailleurs que l’offre serait insuffisante. L’implantation d’une nouvelle surface commerciale bénéficierait donc aux consommateurs en amenant une baisse raisonnable des prix. Elle en déduit que la partie demanderesse serait restée en défaut d’établir à suffisance de droit que le projet présenté par la société ZZZ A.G. risque réellement de compromettre l’équilibre global, régional et communal de la distribution.

La société ZZZ A.G. avance en outre que son offre ne pourrait pas être comparée à celle des autres concurrents, étant donné qu’elle serait qualitativement supérieure aux autres, dans la mesure où elle ne ferait pas qu’offrir du libre-service intégral, mais mettrait l’accent sur le conseil et le service, ce qui constituerait un concept novateur au Luxembourg. Elle entend se positionner sur le marché en termes de qualité du service et de confort du client. Par ailleurs, elle viserait surtout les clients professionnels. Pour cela, elle proposerait le service « Drive-in » destiné uniquement aux professionnels. Tous ces éléments montreraient que le magasin de ZZZ ne serait que partiellement en concurrence avec les enseignes existantes, ce qui atténuerait d’autant plus le risque d’une perturbation d’équilibre dans la branche principale du bricolage.

Finalement, en ce qui concerne l’utilisation du « Drive-in », elle ne conteste pas qu’en Allemagne, ce service est ouvert au public, mais affirme qu’au Luxembourg, tel ne serait pas le cas.

En vertu de l’article 12, paragraphes (3) et (4) de la loi d’établissement, l’autorisation particulière pour les surfaces de vente dépassant la superficie de 400 m2 peut être refusée si le projet risque de compromettre l’équilibre dans la ou les branches commerciales principales concernées sur le plan national, régional ou communal.

Il se dégage de la rédaction de la disposition en question que le législateur a entendu exiger cumulativement l’absence de risque de rupture de l’équilibre à la fois national, régional et communal, en ce sens que si un de ces équilibres risque d’être compromis, le projet est à refuser.

Concernant l’équilibre régional, le tribunal estime que, même au vu de l’exiguïté du territoire, commandant de ne pas considérer le territoire national dans sa globalité comme une région, voire une partie d’une région, sous peine de vider de toute portée la notion d’équilibre national, également consacrée par la disposition précitée, la notion de région ne se confond cependant pas nécessairement avec celle d’un canton, mais recouvre en principe des portions de territoire plus vastes.

Il échet de relever que l’argumentation de la société demanderesse repose sur un prétendu déséquilibre dans la zone de chalandise, sans préciser si elle fait ainsi référence à l’équilibre régional ou communal tel que visé par le paragraphe (4) de l’article 12 précité, étant toutefois entendu qu’il est clair à partir de l’énonciation de l’argumentation de la demanderesse qu’elle ne se réfère pas à un prétendu déséquilibre qui serait susceptible d’être constaté sur le plan national à la suite de l’implantation de la nouvelle grande surface commerciale.

L’équilibre national n’étant partant pas remis en cause, il reste à examiner si le projet risque de compromettre l’équilibre communal, voire régional de la distribution.

Il échet tout d’abord de relever que la commission d’équipement commercial a émis un avis largement défavorable en date du 23 février 2006 à l’encontre du projet de la société ZZZ A.G. en vue de l’ouverture d’un centre commercial de 9.970 m2 dont la surface de vente en détail est réservée à la vente d’articles et de produits des branches commerciales principales « agriculture » (2.520 m2) et « équipement du bâtiment et du foyer » (7450 m2) sis à …, Z.A.C., Hierebosch.

Si l’avis ne se prononce pas sur l’existence ou non d’un déséquilibre entre l’offre et la demande, tant sur le plan local ou régional que national dans les branches commerciales principales projetées compte tenu de l’équipement commercial existant dans la zone de chalandise retenue, au motif que « l’offre apparaît difficile à déterminer pour la branche commerciale principale « équipement du bâtiment et du foyer », qui représente le cœur du projet de la requérante et rend celui-ci viable.

Cette difficulté rend l’appréciation du risque de déséquilibre sur le marché malaisée, en l’absence de marges de manœuvres suffisamment grandes dans ladite branche », il ressort néanmoins clairement de l’avis que « la requérante sous-évalue très nettement l’offre disponible en minorant le chiffre d’affaires réalisé au m2 ». Les membres de ladite commission ont encore relevé qu’en reprenant donc pour déterminer l’offre, les montants de chiffre d’affaires majorés et les surfaces recensées par les services du ministère des Classes Moyennes, l’implantation du projet de la requérante se situe en limite de déséquilibre dans les branches commerciales principales envisagées.

En conclusion, la commission a retenu, après « un large échange de vues et compte tenu des diverses approches possibles dans ce dossier, notamment en ce qui concerne la détermination du chiffre d’affaires réalisé et donc de l’offre disponible dans la branche de l’équipement du bâtiment et du foyer », qu’elle n’était pas en mesure de trouver une position commune ou largement partagée parmi ses membres en ce qui concerne le projet dans sa globalité, lesdits membres ayant émis 5 voix défavorables, 0 voix favorables ainsi que six abstentions.

Il est encore constant que la commission du commerce de détail de la Chambre de Commerce et de la CIC a également émis un avis défavorable en raison d’une prétendue sur-offre dans la zone de chalandise présentée dans l’étude.

Au vu des contestations de la partie demanderesse ainsi que de l’avis mitigé de la commission d’équipement commercial instituée auprès du ministère des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement, le tribunal est amené à analyser le contenu de l’étude de marché présentée par la société ZZZ A.G. dont il ressort que « l’offre actuelle est en décalage réel par rapport au marché théorique de notre zone de chalandise ». Elle évalue l’équipement commercial existant dans la zone de chalandise retenue dans la branche 06 à 81.204 m2 par rapport à une surface théorique disponible de 99.547 m2, de sorte que la surface actuellement disponible serait de 18.343 m2, alors que son projet n’engloberait que 7.450 m2. En jardinage, la surface disponible serait de 27.613 m2, alors que son projet n’envisagerait qu’une surface de 2.520 m2.

La partie demanderesse a relevé que l’étude de marché présentée par la société ZZZ A.G. comporterait des carences et des inexactitudes, notamment en ce qui concerne l’offre existante ainsi que la surface en m2 de l’équipement commercial répertorié dans ladite branche dans la zone de chalandise. A l’appui de ses dires, elle verse des éléments d’appréciation nouveaux par rapport à ceux sur lesquels le ministre s’est basé pour prendre sa décision. Elle a présenté une nouvelle étude de marché afin de contrecarrer les conclusions retenues par l’étude de marché de la société ZZZ A.G.

Il ressort de cette étude qu’elle s’appuie sur un chiffre d’affaires annuel moyen pour la branche 06 « équipement du bâtiment et foyer » de 271.907.720 euros, en partant d’une subdivision de cette branche pour la partie électroménager 5.250 euros au m2, magasins spécialisés 3.500 euros au m2 et partie bricolage / do-it-yourself de 1785 euros au m2. L’étude se base à ce sujet sur un chiffre d’affaires annuel au m2 évalué par la Confédération luxembourgeoise du Commerce. Elle retient en outre comme surface en m2 de l’équipement commercial actuellement répertorié dans ladite branche le chiffre de 94.861 m2, alors que l’étude de la société ZZZ A.G. retient comme surface, qu’elle qualifie de « total de la zone de chalandise », 81.204 m2 par rapport à un chiffre d’affaires moyen annuel de 2.112 euros au m2, donnée fournie par la Fédération Européenne des fabricants de bricolage. Force est de constater que cette étude ne fournit pas de détail quant à une éventuelle subdivision de ce chiffre en diverses sous-branches telle qu’effectuée par l’étude …, subdivision qui semble se justifier compte tenu de la spécificité de la branche commerciale principale 06 qui comprend 6 sous-branches à savoir, 1) quincaillerie et équipement du foyer, 2) électroménager, 3) jardinage et plein air, 4) jeux et jouets, 5) articles de revêtement, 6) bâtiment.

L’étude démontre ensuite que même dans l’hypothèse d’un chiffre d’affaires de 1750 euros au m2, y compris pour les magasins spécialisés de la branche 06, l’offre actuelle dépasse le marché théorique.

L’étude retient en guise de conclusion : « Il ressort clairement de notre étude que dans la zone de chalandise étudiée, l’offre dans la branche commerciale principale 6 dépasse d’ores et déjà le pouvoir d’achat disponible. La réalisation de ce projet risque donc de créer un déséquilibre entre la branche incriminée sur le plan régional. Même si le consommateur final pourrait se féliciter d’une offre complémentaire, cette nouvelle implantation aurait des conséquences certaines sur l’équipement commercial existant. Compte tenu de la forte densité de surfaces relevant de la branche 6, l’exploitant ne peut pas mettre en péril la viabilité économique, à long terme, de son projet. Il est donc évident que le futur exploitant de cette nouvelle surface doit s’approprier une partie du chiffre d’affaires réalisé actuellement par ses concurrents. Nous ne pensons pas que l’offre actuelle serait incomplète ou déficiente, ni en ce qui concerne les différents types de biens offerts, ni en matière de profondeur des gammes. Pour pouvoir se démarquer de ses concurrents, le futur compétiteur pourrait, sinon devrait recourir à une politique commerciale agressive, axée notamment sur des prix de vente largement inférieurs aux prix normalement pratiqués dans les autres magasins. Vu sa puissance commerciale et financière, ZZZ, le futur exploitant de cette nouvelle surface de vente, pourrait, dans un premier temps, fonctionner sans atteindre un seuil normal de rentabilité, évinçant ainsi du marché un certain nombre des compétiteurs actuels.

Nous arrivons à la conclusion que l’implantation d’une nouvelle surface de vente dans la branche commerciale principale de l’équipement du bâtiment et du foyer ne répond nullement à un besoin sur le plan de l’offre, mais pourrait en revanche avoir des répercussions néfastes sur l’équipement commercial existant. L’éviction du marché d’un certain nombre de compétiteurs, touchant en premier lieu les commerces de détail spécialisés conduirait à moyen terme à une forte concentration et dès lors à un appauvrissement de l’offre, surtout sur la plan local ».

Le tribunal retient en premier lieu que la partie tierce intéressée n’a pas demandé le rejet de l’étude, pour ne pas comprendre le relevé des surfaces de ventes existantes, qui n’a pas été versé en temps utile. L’absence de ce relevé ne saurait partant porter à conséquence, surtout que la demanderesse ne s’y rapporte pas dans ses mémoires fournis en cause.

Force est au tribunal de constater que les deux études versées en cause sont en opposition flagrante en raison notamment d’une différence aux niveaux des calculs des surfaces répertoriées et des chiffres d’affaires de l’offre disponible.

En ce qui concerne l’évaluation de l’offre disponible, moyennant les pièces versées en cause par la partie demanderesse, même si elles ne constituent pas une preuve dirimante quant à la réalité des surfaces y indiquées – que la demanderesse estime sous-évaluées – force est de constater que ni le délégué du Gouvernement ni la partie ZZZ A.G. n’ont versé de pièces pour contredire ces affirmations. En effet, les deux parties se limitent à soutenir de manière vague que le ministre serait le mieux placé pour connaître le nombre des m2 de surfaces autorisées, étant donné qu’il délivrerait les autorisations afférentes, sans cependant documenter autrement leurs affirmations, qui restent dès lors à l’état de pure allégation, pour n’avoir pas été autrement précisées et documentées. Par ailleurs, le délégué du Gouvernement a constaté dans son mémoire en duplique que la surface de la société Hornbach avait été sous-évaluée (7.510 m2 au lieu de 13.500 m2), mais que les autres surfaces de l’étude de marché reflèteraient « une image relativement fidèle des surfaces autorisées ».

A ce titre, il convient encore de retenir que le délégué du Gouvernement s’accorde avec la partie demanderesse pour retenir que l’offre existante doit être majorée de 20 %, de sorte qu’il découle de l’ensemble des éléments relevés ci-avant que l’étude de la société ZZZ A.G. repose sur des prémisses erronées qui ont une influence substantielle quant à la définition de la notion d’équilibre dans le cas d’espèce.

En outre, la discussion quant à la détermination du chiffre d’affaires réalisé au m2, en particulier dans la branche commerciale principale « équipement du bâtiment et du foyer », détermination dont le délégué du Gouvernement avoue qu’elle se prêterait à diverses interprétations quant à son champ d’application de telle sorte qu’il conclut que l’implantation du projet de la société ZZZ A.G. se situe en limite de déséquilibre dans la branche précitée, amène le tribunal à douter du caractère complet de l’étude versée en cause qui ne permet donc pas de tirer la conclusion que le projet ne comporte pas de risque de déséquilibre entre l’offre et la demande dans la branche commerciale principale 06, au cœur du projet de la société ZZZ A.G..

En ce qui concerne l’argument qu’il faudrait tenir compte de la réévaluation de la demande, vu les délais de procédure d’autorisation qui s’étalent sur plusieurs années avant l’ouverture effective du centre commercial litigieux, ce qui dégagerait une certaine marge de manœuvre dans l’appréciation de la demande, force est au tribunal de retenir qu’il ne saurait tenir compte d’une éventuelle évolution dans le temps de la demande, dans la mesure où la légalité d’une décision administrative s’apprécie en considération de la situation de droit et de fait au jour où elle a été prise (trib.adm. 21 janvier 1997, n° 9724 du rôle, Pas. adm. 2006, V° Recours en annulation, n° 20, et autres références y citées).

En présence d’un recours en annulation, le rôle des juridictions administratives au-delà de la vérification de la légalité et de la régularité formelle de l’acte attaqué, inclut également le contrôle de l’exactitude matérielle des faits pris en considération par la décision. (CA 3 février 2004, n° 17124 C du rôle, V° Recours en annulation, n°13 et autres références y citées).

Ainsi, le ministre, en entérinant sans réserve les conclusions de l’étude de marché produite en cause par la société ZZZ A.G., s’est basé sur des données incomplètes et partiellement fausses, étant donné que la partie demanderesse a fourni une étude de marché qui est de nature à contredire l’analyse y retenue et surtout les conclusions contenues dans l’étude de marché. Après examen des faits soumis à vérification, le tribunal conclut que les faits à la base de l’autorisation litigieuse ne sont pas établis à l’exclusion de tout doute, de sorte que la décision ministérielle litigieuse du 3 avril 2006 encourt l’annulation.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que la partie demanderesse a soumis au tribunal des moyens et arguments de nature à entraîner l’annulation de la décision litigieuse du 3 avril 2006, de sorte qu’il y a lieu de déclarer le recours fondé et d’annuler la décision ministérielle du 3 avril 2006.

La demande en institution d’une expertise devient dès lors superflue et il n’y a pas lieu non plus d’examiner les autres moyens d’annulation présentés par la partie demanderesse.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

écarte des débats le mémoire déposé le 15 janvier 2007 par Maître Victor ELVINGER, ainsi que le mémoire déposé le 2 février 2007 par Maître Jean WAGENER ;

au fond, déclare le recours justifié, partant annule la décision ministérielle du 3 avril 2006 et renvoie le dossier au ministre des Classes Moyennes du Tourisme et du Logement ;

rejette la demande en institution d’une expertise ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 16 avril 2007 par :

Mme Lenert, vice-président, Mme Lamesch, premier juge, M. Sünnen, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 16


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 21596
Date de la décision : 16/04/2007

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2007-04-16;21596 ?

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