GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle: 22516C Inscrit le 6 février 2007
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AUDIENCE PUBLIQUE DU 29 MARS 2007 Appel interjeté par l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg contre un jugement rendu le 10 janvier 2007, no 21800 du rôle, par le tribunal administratif dans une affaire ayant opposé Mme XXX XXX, XXX (F) à deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de police des étrangers
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Vu l’acte d’appel déposé au greffe de la Cour administrative le 6 février 2007 par M. le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER contre un jugement rendu le 10 janvier 2007 par le tribunal administratif en matière de police des étrangers à la requête de Mme XXX XXX, née le 1er septembre 1980 à XXX (Cameroun), de nationalité camerounaise, demeurant actuellement à F-XXX, contre un arrêté du ministre des Affaires étrangères et de l'Immigration du 8 décembre 2005 lui refusant l'entrée et le séjour au pays, ainsi que contre une décision confirmative dudit ministre du 15 mai 2006, rendue sur recours gracieux ;
Vu le mandat pour interjeter appel du jugement du 10 janvier 2007 délivré par le ministre délégué aux Affaires étrangères et à l’Immigration à la date du 19 janvier 2007 ;
Vu le mémoire en réponse, erronément intitulé « mémoire en réplique », déposé au greffe de la Cour administrative le 6 mars 2007 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH pour la partie intimée, Mme XXX XXX, préqualifiée ;
Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;
Le conseiller rapporteur entendu en son rapport et Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, ainsi que M. le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.
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Par jugement rendu le 10 janvier 2007, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, a annulé deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après dénommé le « ministre », prises en date des 8 décembre 2005 et 15 mai 2006, la seconde confirmative, sur recours gracieux, de la première, par lesquelles l’entrée et le séjour sur le territoire luxembourgeois ont été refusés à Mme XXX XXX.
Le tribunal a retenu que les motifs de refus invoqués en l’espèce par le ministre ne sous-
tendent pas valablement les décisions déférées.
Ainsi, le premier motif de refus, basé sur le fait que l’intéressée s’adonnait à la prostitution, « c’est-à-dire à une activité lui procurant des moyens d’existence sans être en possession ni d’une autorisation de séjour ni d’un permis de travail » ne serait pas un motif de refus légalement prévu, d’une part, tandis que le second motif basé sur la susceptibilité de Mme XXX de compromettre la sécurité et l’ordre publics s’il est légalement prévu, il ne serait cependant pas, au regard des éléments d’appréciation apportés en cause, établi en fait, étant relevé que « le fait de se prostituer et de procéder au racolage sur la voie publique ne revêt pas une gravité telle que des raisons d’ordre et de sécurité publics seraient automatiquement décelables à partir du comportement personnel de l’intéressée. » Fort d’un mandat d’interjeter appel délivré le 19 janvier 2007 par le ministre délégué aux Affaires étrangères et à l’Immigration, M. le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER a relevé appel du jugement du 10 janvier 2007 par acte d’appel déposé le 6 février 2007.
A l’appui de son appel limité, le délégué du gouvernement soutient que les premiers juges auraient manqué de statuer au regard des dispositions de la Convention d’application de l’Accord de Schengen du 14 juin 1985 relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes, ci-après dénommée la « convention de Schengen », en ce que ladite convention prévoirait certes le principe de la libre circulation pour les ressortissants de pays tiers, titulaires d’un titre de séjour délivré par une des parties contractantes, pendant une période de trois mois au maximum, mais qu’elle conditionnerait ce droit par l’exigence que « les conditions d’entrée visées à l’article 5, §1, points a, c et e (…) » de ladite convention doivent être remplies.
Or, Mme XXX ne remplirait justement pas l’exigence prévue au § 1.c. dudit article 5, au titre duquel les étrangers visés devraient disposer de moyens d’existence suffisants, étant relevé que ces moyens devraient être préexistants à la libre circulation et non pas être gagnés au pays de destination. Dans ce contexte, il serait par ailleurs irrelevant que l’activité exercée soit salariée ou non.
Admettant qu’il est permis à certaines catégories d’étrangers de circuler librement en tant que frontaliers et de s’adonner à des activités lucratives au Luxembourg, sans être légalement établis, le délégué du gouvernement soutient que cette possibilité serait réservée aux ressortissants communautaires respectivement ressortissants d’Etats membres ayant adhéré à l’Accord sur l’espace économique européen, mais qu’aucun texte de droit national ou international ne permettrait aux ressortissants de pays tiers d’exercer une telle libre circulation à des fins lucratives, sauf les personnes bénéficiant du droit dérivé via leurs conjoints ressortissants communautaires, l’intimée ne rentrant pas dans ce dernier cas de figure.
Le 6 mars 2007, Maître Ardavan FATHOLAHZADEH a déposé pour la partie intimée un mémoire en réponse, intitulé erronément « mémoire en réplique ».
Se rapportant à ses arguments de droit et de fait invoqués en première instance et concluant à la confirmation du jugement a quo, la partie intimée, Mme XXX relève que le motif de refus basé sur le fait de s’adonner à la prostitution constituerait l’ajout d’une condition supplémentaire non prévue par la loi pour entrer sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg, de sorte que les décisions litigieuses seraient le fruit d’une mauvaise application de l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3. l’emploi de la main d’œuvre étrangère.
Sur ce, elle estime encore que la décision ministérielle est contraire aux dispositions de l’article 21 de la convention de Schengen, au motif que cet article l’autoriserait à circuler librement dans l’espace Schengen et à séjourner pour une période maximale de trois mois au Grand-Duché de Luxembourg.
Elle fait encore état de ce qu’elle aurait « mis fin depuis le mois de juillet 2006, à son activité liée à la prostitution » et qu’elle aurait « repris une activité salariale » au sein d’une société établie à XXX.
Ensuite, admettant que le ministre peut refuser un titre de séjour à un étranger qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour sur le territoire luxembourgeois, tant au regard de la loi de 1972 qu’en application de la convention de Schengen et que l’acquisition des moyens de subsistance devrait être légale, la partie intimée soutient qu’« aucune disposition nationale au Luxembourg ne rend illégal le fait de s’adonner à la prostitution, de sorte que les moyens de subsistance que la requérante était en mesure de se procurer pour le reste de son séjour au Grand-Duché, ainsi que pour le retour dans son pays, pouvant être acquis légalement » et en conclut que les dispositions légales et conventionnelles auraient été détournées.
Enfin, relevant avoir été refoulée du territoire luxembourgeois, à un moment non autrement précisé, sur base de l’article 12 de la loi précitée du 28 mars 1972, la partie intimée critique le fait qu’ainsi, elle n’aurait pas efficacement pu introduire un recours contentieux contre la décision de refoulement, de sorte que ses droits, notamment ses droits de la défense, garantis par les articles 5 et 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme auraient été violés.
Dans cet ordre d’idées, elle demande à la Cour de « constater que la partie intimée a été refoulé (sic) en violation de l’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme ».
L’appel est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
S’il est vrai que l’arrêté ministériel de refus d’entrée et de séjour du 8 décembre 2005 énonce comme premier motif de refus le fait que l’intéressée s’est adonnée « à la prostitution, partant à une activité lui procurant des moyens d’existence sans être en possession d’une autorisation de séjour » et qu’il est incontestable que le fait de s’adonner à la prostitution n’est en tant que tel pas un motif de refus rentrant dans le cadre légal notamment posé par l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972 au titre duquel « l’entrée et le séjour au Grand-Duché pourront être refusés à l’étranger : - qui est dépourvu de papiers de légitimation prescrits, et de visa si celui-ci est requis, - qui est susceptible de compromettre la sécurité, la tranquillité, l’ordre ou la santé publics, - qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour », il n’en reste pas moins que mis en rapport et combiné avec l’exigence légale de l’existence de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour, le motif n’est pas moins de nature à rentrer dans ce cadre légal et, le cas échéant, de nature à justifier le refus ministériel.
En effet, l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972 autorise l’autorité ministérielle compétente à refuser l’entrée ou le séjour au pays à des personnes ne disposant pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour.
Or, il est dans la logique des choses que les conditions d’accès doivent être remplies au moment de l’entrée sur le territoire luxembourgeois, de sorte que c’est à tort que les premiers juges ont admis que les moyens d’existence puissent être acquis sur le territoire luxembourgeois.
Par ailleurs, si la convention de Schengen confère à l’intimée le droit de circuler librement sur le territoire des « Etats Schengen » pendant une durée maximum de trois mois, cette libre circulation ne lui est permise que pour autant qu’elle dispose de moyens d’existence et, également sous ce rapport, l’existence desdits moyens doit nécessairement être préalable à l’exercice du droit de circulation. Le délégué du gouvernement est à rejoindre en ce qu’il soutient que la libre circulation n’a pas été instaurée pour permettre aux ressortissants de pays tiers de quitter l’Etat où ils sont établis pour exercer des activités lucratives sur le territoire d’un autre Etat.
Il s’ensuit que les deux décisions ministérielles, telle que leur motivation a été complétée en cours d’instance contentieuse par le délégué du gouvernement, constituent une juste application de la loi, en présence d’un étranger qui reconnaît s’être rendu au Luxembourg précisément en vue d’acquérir des moyens de subsistance « pour le reste de son séjour au Grand-Duché, ainsi que pour le retour dans son pays ». – La légalité d’une décision administrative, dans le cadre d’un recours en annulation, étant à examiner au regard de la situation de droit et de fait telle qu’elle se présentait au ministre au moment où il a été appelé à prendre sa décision, le fait allégué que Mme XXX a pu obtenir par la suite un travail en France n’est pas pertinent en cause.
Enfin, la demande tendant à voir « constater que la partie intimée a été refoulé (sic) en violation de l’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme », telle que Mme XXX l’a plus amplement motivée dans le corps de son mémoire en réponse, doit être qualifiée comme constituant une demande tendant à l’annulation d’une décision de refoulement mise à exécution, à une date non autrement spécifiée, à son encontre. Or, pareille demande qui n’a pas été formulée au cours de la première instance, mais seulement en instance d’appel, s’analyse en une demande nouvelle devant être déclarée irrecevable comme telle au vœu de l’article 41 (2) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions de l’ordre administratif qui dispose que « les demandes nouvelles en instance d’appel sont prohibées ».
L’appel n’est donc pas fondé et le jugement entrepris est à confirmer dans toute sa teneur.
Par ces motifs la Cour, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit l’appel du 6 février 2007 ;
le dit fondé et, réformant le jugement du 10 janvier 2007, déclare le recours en annulation introduit par Mme XXX contre les décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration des 8 décembre 2005 et 15 mai 2006 non justifié et en déboute ;
déclare irrecevable la demande nouvelle introduite par la partie intimée à l’encontre d’une décision de refoulement non autrement spécifiée ;
condamne la partie intimée, demanderesse initiale, aux frais et dépens des deux instances.
Ainsi délibéré et jugé par Marion Lanners, présidente Marc Feyereisen, conseiller Henri Campill, conseiller, rapporteur et lu par la présidente Marion Lanners en l’audience publique au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête en présence du greffier en chef de la Cour Erny May.
le greffier en chef la présidente