Tribunal administratif N° 22169 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 novembre 2006 Audience publique du 28 mars 2007 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 22169 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 novembre 2006 par Maître Anne-Marie NICOLAS, avocat à la Cour, assistée de Maître Nicolas FERMAUD, avocat, les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Kalima (Sud Kivu/République Démocratique du Congo), de nationalité congolaise, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 20 octobre 2006, ayant rejeté sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme étant non fondée et lui ayant refusé le bénéfice de la protection subsidiaire ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 19 décembre 2006 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 19 janvier 2007 pour compte du demandeur ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Nicolas FERMAUD et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline GUILLOU-JACQUES en leurs plaidoiries respectives.
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En date du 4 juin 2003, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
Il fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
Il fut encore entendu en dates des 27 août et 11 septembre 2003 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs se trouvant à la base de sa demande d’asile.
Le 20 octobre 2006, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration l’informa que sa demande avait été refusée. Cette décision, notifiée par lettre recommandée en date du 24 octobre 2006, est libellée comme suit :
« En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du [4 juin 2003] et le rapport d’audition de l’agent du Ministère de la Justice du 27 août 2003.
Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire que vous auriez quitté Kampala/Ouganda le 2 juin 2003 par voie aérienne à destination de Nairobi, puis de Lisbonne où vous seriez arrivé le lendemain. Par la suite, un chauffeur de camion vous aurait emmené dans son camion jusqu’à Esch-sur-Alzette où vous auriez pris un bus pour Luxembourg-ville. Le dépôt de votre demande d’asile date du 4 juin 2003. Vous auriez voyagé avec un passeport d’emprunt appartenant à un ougandais et vous auriez été accompagné par la femme de ce dernier. Vous auriez payé 4000 dollars US pour votre voyage.
Il résulte de vos déclarations que vous seriez né à Kalima au Sud Kivu. Vos grands-
parents auraient été rwandais et seraient devenus congolais avec l’annexion d’une partie du Rwanda au Congo. On vous aurait souvent traité de rwandais et vous auriez été discriminé.
En 1998, lors du mouvement anti-rwandais, vos parents, plusieurs frères et sœurs, ainsi que votre fille auraient été tués lors d’une attaque de militaires et d’habitants de Kalima. Vous-
même auriez réussi à vous cacher. Par la suite, vous vous seriez installé avec votre famille à Goma au Nord Kivu, mais auriez gardé votre commerce à Kalima. Vous auriez fait de nombreux voyages entre Kalima et Goma. Vous auriez vendu de l’or et du minerai à Goma et avec l’argent ainsi obtenu vous auriez acheté des pièces de rechange pour votre garage et quincaillerie.
Depuis 1999, vous seriez membre du PAREMA (Patriotes Résistants Maï-Maï) groupe s’opposant au parti politique RCD, Rassemblement congolais pour la démocratie. Depuis 2002 vous auriez été représentant à Kalima, mais vous ne vous seriez pas trop engagé étant donné que votre commerce vous aurait pris trop de temps. Vous dites avoir sensibilisé la population et avoir participé à des réunions. Etant donné que vous auriez beaucoup voyagé vous auriez donné des informations sur le RCD aux Maï-Maï. Vous auriez également soutenu financièrement le PAREMA, mais n’auriez jamais pris les armes.
Le 18 janvier 2003 deux personnes du service secret du RCD seraient venues à votre domicile et vous auraient embarqué dans une voiture. Vous auriez eu le temps pour dire à votre femme de noter les plaques d’immatriculation de la voiture et de vous suivre. Vous auriez été retenu pendant une semaine et on vous aurait questionné sur les Maï-Maï et votre travail pour eux. Vous auriez été torturé. Votre femme se serait rendue au service secret de Bizima Karaha et y aurait proclamé que son mari aurait été enlevé. Elle aurait corrompu un commandant, raison pour laquelle vous auriez été libéré. Vous vous seriez caché et n’auriez pas dormi à votre domicile et ceci jusqu’en avril 2003.
Dans le cadre de votre commerce vous vous seriez rendu à Kampala/Ouganda le 28 avril 2003 et à Dubaï le 6 mai 2003. Lors de votre retour au Congo le 16 mai 2003, vous seriez passé devant le bureau de l’immigration à Bunagana du RCD pour faire votre enregistrement. Or, l’agent du bureau aurait retenu votre passeport et vous aurait demandé d’attendre. Vous seriez alors sorti à l’extérieur du bureau, du côté ougandais où vous auriez vu votre fils aîné qui vous aurait fait signe. Il aurait attendu votre arrivée pour vous prévenir que vous seriez recherché par le service secret du RCD et vous aurait donné une convocation dudit service. Vous seriez recherché parce que vous financeriez les Maï-Maï. Vous seriez alors parti sans attendre l’agent de l’immigration et vous auriez passé la nuit à Mbarara/Ouganda avant d’aller chez votre ami à Kampala. Vous y seriez resté deux semaines.
Pendant cette période vous auriez réussi à joindre un ami qui travaillerait au service secret du RCD et que vous fréquenteriez régulièrement. Il vous aurait confirmé que vous seriez recherché et que votre vie ne serait pas en sécurité à Kampala parce que le service saurait que vous y seriez. Vous lui auriez demandé qu’il vous envoie des copies de votre dossier auprès du service secret du RCD, ce qu’il aurait fait. Votre ami vous aurait également dit que votre commerce aurait été confisqué et votre domicile fouillé. De même votre femme aurait quitté la maison avec vos enfants, mais votre fils aîné aurait été arrêté. Vous n’auriez plus de ses nouvelles depuis. Vous auriez décidé de quitter Kampala le 3 juin 2003.
Vous dites ne plus pouvoir retourner au Congo, le RCD contrôlerait les terres de Goma, Kalemi et une partie du Shaba. Le territoire serait occupé par les rebelles, il n’y aurait pas des représentants du gouvernement congolais.
Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.
Or, même à supposer les faits que vous alléguez comme établis, ils ne sauraient, en eux-mêmes, constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’ils ne peuvent, à eux-seuls, fonder une crainte justifiée d’être persécuté dans votre pays d’origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève ainsi que les articles 31 et 32 de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection. En effet, le fait que vous auriez été retenu pendant une semaine en janvier 2003 par le service secret du RCD ne saurait suffire et n’est pas d’une gravité telle pour fonder à lui seul une demande en obtention du statut de réfugié. Vous dites que lors de votre passage à la frontière du Congo avec l’Ouganda en mai 2003 l’agent du bureau d’immigration aurait retenu votre passeport et vous aurait fait attendre. Vous n’auriez pas été immédiatement arrêté. Ce serait votre fils et plus tard un ami qui vous aurait dit que vous seriez recherché par le service secret du RCD à cause de vos activités pour les Maï-Maï. Or ce fait ne saurait davantage fonder une demande en obtention du statut de réfugié. Notons également que vous dites vous-même ne pas avoir eu des activités importantes au sein des Maï-Maï, mais que vous les auriez surtout soutenu financièrement.
Votre peur du service secret du RCD traduit plutôt un sentiment général d’insécurité.
Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.
Par ailleurs, il faut souligner le changement important de la situation politique en RDC. En effet, on assiste à un réel effort de la part du pouvoir en place de rétablir la paix et de former un gouvernement démocratique à représentation géographique et ethnique. Ainsi, le 16 décembre 2002 un Accord Global sur le partage du pouvoir fut signé afin de créer un gouvernement d’unité nationale au terme duquel le président Joseph Kabila demeurera à son poste et ce, jusqu’à la tenue des premières élections libres et démocratiques depuis 45 ans ayant lieu le 30 juillet 2006. Les élections se sont déroulées dans un environnement généralement calme, marqué seulement par quelques incidents isolés. Un deuxième tour se déroulera le 29 octobre prochain. Les congolais ont été appelés à choisir leur président et les membres de leur parlement. Durant la transition M. Kabila a été assisté par quatre vice-
présidents, représentant respectivement le gouvernement, le Rassemblement congolais pour la démocratie-Goma (RDC-Goma), le Mouvement de libération du Congo (MLC) et l’opposition politique non armée. Nombreux progrès ont été réalisés durant la transition.
Ainsi, une nouvelle Constitution ad[o]ptée par référendum ayant eu lieu en décembre 2005 a été promulguée le 17 février 2006 et une loi électorale en date du 9 mars 2006.
Plus particulièrement, les Maï-Maï ont participé au Dialogue intercongolais et en tant que signataires de l’Accord Global ils ont participé aux institutions de transition. Les Maï-
Maï sont également concernés par le programme de désarmement, de démobilisation et de réinsertion. De même à l’issu des élections de juillet 2006, quatre députés nationaux du PRM (Patriotes Résistants Maï-Maï) ont été élus. Plus précisément un député MMM (Mouvement Maï-Maï) a été élu au Nord Kivu et 1 député du PRM et un autre du Maï-Maï au Sud Kivu.
Notons également que le PPRD, Parti du Peuple pour la Reconstruction et la Démocratie de Joseph Kabila a hautement gagné les élections dans les deux Kivus, le RCD n’ayant obtenu que 5 sièges au Nord Kivu.
Enfin, la seule appartenance à l’ethnie banyamulenge (congolais tutsi d’origine rwandaise habitant au Kivu), ne constitue pas une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève. Par ailleurs, depuis l’arrivée au pouvoir de Joseph Kabila le gouvernement n’arrête ou ne détient plus les banyamulenge sur la seule base de leur ethnie comme tel a été le cas en août 1998 lors de la rébellion contre LD Kabila. De même il ressort du UK Home Office report sur la RDC d’avril 2006 qu’un « report of May 2005 from BBC News Online about the proposed post-transition Constitution approved by the National Assembly in May 2005 also stated “ It also recognises as citizens all ethnic groups at independence in 1960. This article is recognition of the citizenship of thousands of ethnic Tutis, who were transplanted to the then Belgian-ruled Congo back in the 19th Century” ».
Par ailleurs, le rapport soulève un rapport du USSD 2005 qui énonce que « Unlike in the previous year, anti-Tutsi sentiment – including appeals to force Tutsis into exile and practice discrimination towards Tutsis in regard to citizenship rights – were not expressed in private media or government affiliated media. There were no known reports that government members encouraged hate speech against Tutsis ».
Ainsi, vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est par conséquent pas établie.
En outre, votre récit ne contient pas de motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection. En effet, les faits invoqués à l’appui de votre demande ne nous permettent pas d’établir que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptible de faire l’objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
En effet, vous ne faites pas état d’un jugement ou d’un risque de jugement vous condamnant à la peine de mort. Vous ne faites également pas état de risques concrets et probables de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants en cas de retour en RDC ou de risques émanant d’une violence aveugle résultant d’un conflit armé interne ou international.
Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. Le bénéfice de la protection subsidiaire tel que prévu par la loi du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection doit également vous être refusé ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 17 novembre 2006, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation sinon en annulation à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 20 octobre 2006.
L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, respectivement l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, prévoyant un recours en réformation en matière de demandes d’asile et d’obtention du statut de protection subsidiaire déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation, lequel est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Le recours subsidiaire en annulation est en conséquence irrecevable.
A l’appui de son recours, Monsieur … expose être né dans la ville de Kalima au Sud Kivu, qu’en raison des origines rwandaises de ses grands-parents il aurait souvent été discriminé, qu’au courant de l’année 1998 lors du mouvement anti-rwandais ses parents et plusieurs de ses frères et sœurs, ainsi que sa fille Sofie auraient été tués lors d’une attaque de militaires, que par la suite il se serait installé ensemble avec le restant de sa famille à Goma au Nord Kivu tout en continuant à faire du commerce dans sa ville natale de Kalima. Le demandeur précise qu’il aurait adhéré au mouvement PAREMA (Patriotes Résistants Maï-
Maï) au courant de l’année 1999, groupe qui se serait opposé au parti politique RCD (Rassemblement congolais pour la démocratie), que depuis 2002 il aurait été le représentant des « Maï-Maï » à Kalima, qu’il les aurait surtout soutenu financièrement et par des informations sur le RCD obtenues lors de ses nombreux voyages d’affaires. Monsieur … expose plus particulièrement qu’en raison de son engagement pour les « Maï-Maï », il aurait été arrêté le 18 janvier 2003 par deux agents du service secret du RCD, qu’il aurait été questionné sur les Maï-Maï et son engagement pour le groupe PAREMA, que lors de ces interrogatoires il aurait été torturé, mais aurait pu être libéré après une semaine de détention sur intervention de sa femme qui aurait corrompu le commandant du service secret. Le demandeur précise finalement qu’à son retour d’un voyage d’affaires le 16 mai 2003, il aurait essayé de regagner le territoire de la République démocratique du Congo via le poste de frontière ougandais de Bunagana, qu’à cette occasion un agent d’immigration congolais du RCD du bureau de frontière aurait retenu son passeport et l’aurait fait attendre, qu’en sortant à l’extérieur du bureau du côté ougandais, il aurait aperçu son fils aîné James qui l’aurait prévenu qu’il serait recherché par le service secret du RCD en raison de ses activités de financement du mouvement PAREMA et qui lui aurait remis une convocation afférente dudit service, ce qui l’aurait incité à regagner l’Ouganda pour aller s’installer pendant deux semaines chez un ami à Kampala. Pendant ce séjour à Kampala, il aurait réussi à joindre un ami travaillant pour le service secret du RCD qui lui aurait confirmé qu’il serait recherché, que son commerce aurait été confisqué et son domicile fouillé et qu’il ne serait pas non plus en sécurité en Ouganda, étant donné que le service secret du RCD connaîtrait son lieu de séjour. Comme par la suite son épouse aurait également dû quitter le domicile familial à Goma avec ses enfants et que son fils James aurait été arrêté, il se serait résigné à quitter Kampala le 3 juin 2003 avec l’aide d’une tierce personne pour rejoindre l’Europe en avion via Nairobi.
Dans son recours contentieux, Monsieur … insiste encore plus particulièrement, articles de presse à l’appui, sur la situation générale régnant en République démocratique du Congo et notamment la situation politique au Nord Kivu qui serait loin d’être stabilisée et où les exactions par la branche militaire du RCD et d’autres groupes armés seraient à l’ordre du jour. Le demandeur précise encore avoir appris entretemps que son fils James serait porté disparu et présumé mort, que le restant de sa famille se serait réfugié en Ouganda et qu’un retour dans son pays d’origine serait à l’heure actuelle exclu, étant donné qu’il ferait l’objet d’un avis de recherche de la part du service secret du RCD.
Le délégué du gouvernement estime que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte que celui-ci serait à débouter de son recours. Il soutient que la simple qualité de membre d’un parti politique d’opposition ne constituerait pas, à elle seule, un motif valable de reconnaissance du statut de réfugié et insiste plus particulièrement sur l’évolution favorable de la situation politique en République démocratique du Congo.
L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».
La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne.
Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.
En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur … lors de ses auditions qui se sont déroulées en date des 27 août et 11 septembre 2003, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte-rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours de la procédure contentieuse, ainsi que les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur fait état et établit à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de son appartenance à une minorité ethnique respectivement en raison de ses opinions politiques, ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.
En effet, le demandeur a soumis un récit crédible et cohérent duquel il ressort qu’une partie de sa proche famille a été massacrée au courant de l’année 1998 lors du mouvement anti-rwandais au Sud-Kivu, qu’il s’est engagé par la suite dans le mouvement PAREMA défendant la cause des Maï-Maï qu’il a soutenu surtout financièrement (voir attestation de témoignage de Monsieur F. K. M. K., pièce 12 de la farde de pièces I et carte de membre, pièce 6 de la farde de pièces II), qu’il a manifestement été torturé avant son départ de son pays d’origine de manière à garder encore à l’heure actuelle des cicatrices de brulures et des cicatrices de « piqure avec objet tranchant » (voir certificat du Dr. G. R. du 18 novembre 2006, pièce 7 de la farde de pièces II) et qu’il souffre d’un syndrome de stress post-
traumatique (voir certificat du Dr. S. H. du 27 mars 2006, pièce 16 de la farde de pièces I), qu’il fait l’objet d’un avis de recherche de la part de la Direction générale de la Sécurité de la République démocratique du Congo réduisant sensiblement les possibilités de fuite interne sur le territoire dudit pays (pièce 15 de la farde de pièces I), que son fils aîné James a été arrêté et est actuellement porté disparu (pièces 13, 13 bis et 13 ter de la farde de pièces I) et que son épouse a également dû fuir la République démocratique du Congo pour se réfugier avec ses enfants en Ouganda, pays dans lequel elle a néanmoins encore été blessée lors d’une attaque d’un camp de réfugiés (pièces 14, 14 bis et 14 ter de la farde de pièces I et attestation de Madame M. J. du 6 mars 2004 se trouvant dans le dossier administratif). Au vu de ce récit, il y a lieu de conclure à l’existence d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève à l’encontre de Monsieur …. au moment de son départ de son pays d’origine et qu’il peut valablement craindre de subir de nouveaux actes de persécution en cas de retour dans ce pays à l’heure actuelle.
En effet, la situation politique au Nord Kivu demeure des plus instables. S’il est indéniable que depuis l’Accord Global de Sun City du 16 décembre 2002 des efforts de démocratisation réels ont été entrepris en République démocratique du Congo avec la tenue des premières élections libres depuis 45 ans en date du 30 juillet 2006, il convient cependant de constater que la région Est du pays et plus particulièrement le Nord-Kivu, dont est originaire le demandeur, est toujours la proie à de violents affrontements inter-ethniques et que la population locale continue à être victime des exactions commises par l’armée régulière et les membres du RCD. Dans ce contexte, il échet de renvoyer notamment au rapport mensuel de la MONUC (Mission de l’ONU en RD de Congo) du mois de décembre 2006 (pièce 1 de la farde de pièces II) et à l’article de l’organisation Human Rights Watch (pièce 5 de la farde de pièces I).
Ainsi, dans la mesure où la crédibilité des déclarations du demandeur n’a pas été utilement mise en cause par la partie publique et est, au contraire, confortée par le contenu des nombreux articles de presse et rapports d’organisations internationales, il y a lieu de conclure que la vie de Monsieur …, compte tenu de sa situation particulière et des événements dramatiques vécus par lui, lui était devenue insupportable en République Démocratique du Congo, de même qu’à l’heure actuelle il peut toujours craindre avec raison d’être persécuté dans son pays d’origine.
Il s’ensuit que la situation personnelle de Monsieur … rentre dans les prévisions de la Convention de Genève et que la décision ministérielle de rejet de sa demande d’asile est à réformer.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours principal en réformation en la forme ;
au fond, le déclare justifié ;
partant réforme la décision ministérielle du 20 octobre 2006 et accorde le statut de réfugié au sens de la Convention de Genève à Monsieur … ;
renvoie l’affaire devant le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration pour exécution ;
déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable ;
condamne l’Etat aux frais.
Ainsi jugé par:
M. Schockweiler, premier vice-président, M. Schroeder, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 28 mars 2007 par le premier vice-président, en présence de M. Legille, greffier.
Legille Schockweiler 8