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28/03/2007 | LUXEMBOURG | N°21964

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 28 mars 2007, 21964


Tribunal administratif N° 21964 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 septembre 2006 Audience publique du 28 mars 2007 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision de la secrétaire d’Etat à la Culture, à l’Enseignement supérieur et à la Recherche en matière de sites et monuments

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 21964 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 27 septembre 2006 par Maître Jean Welter, avocat à la Cour, i

nscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, retraité, demeura...

Tribunal administratif N° 21964 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 septembre 2006 Audience publique du 28 mars 2007 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision de la secrétaire d’Etat à la Culture, à l’Enseignement supérieur et à la Recherche en matière de sites et monuments

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 21964 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 27 septembre 2006 par Maître Jean Welter, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, retraité, demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’une décision de la secrétaire d’Etat à la Culture, à l’Enseignement supérieur et à la Recherche du 27 juin 2006 portant inscription à l’inventaire supplémentaire des sites et monuments nationaux d’une maison lui appartenant, sise à …, inscrite au cadastre de la commune de …, section C de …, sous le numéro … ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 20 décembre 2006 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 17 janvier 2007 par Maître Jean … pour compte de Monsieur … ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Jean WELTER et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 12 mars 2007.

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Suivant courrier recommandé du 17 octobre 2005, le ministre de la Culture, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur … de ce que conformément aux dispositions de l’article 7 de la loi modifiée du 18 juillet 1983 concernant la conservation et la protection des sites et monuments nationaux, il se proposait, en raison de son intérêt architectural, d’inscrire à l’inventaire supplémentaire des sites et monuments nationaux, la maison située … , inscrite au cadastre de la commune de …, section C de …, sous le numéro … , tout en l’informant que cette inscription entraînerait pour le propriétaire l’obligation de ne procéder à aucune modification de l’immeuble ou partie de l’immeuble inscrit sans avoir, trente jours auparavant, informé par écrit le ministre de son intention et indiqué les travaux qu’il se proposerait d’effectuer.

Par le même courrier, le ministre a invité Monsieur … à lui faire tenir sa réponse à sa proposition d’inscription dudit immeuble à l’inventaire supplémentaire au plus tard dans un délai de trois mois.

Par arrêté du 27 juin 2006, la secrétaire d’Etat à la Culture, à l’Enseignement supérieur et à la Recherche décida d’inscrire à l’inventaire supplémentaire des sites et monuments nationaux l’immeuble en question « en raison de son intérêt historique et architectural », ceci au vu de l’article 17 de la loi du 18 juillet 1983 précitée, du règlement grand-ducal du 17 mars 1998 fixant les modalités d’application dudit article 17, d’un avis de la commission des sites et monuments nationaux du 29 septembre 2005, d’un avis émis en date du 12 janvier 2006 par le conseil communal de …, ainsi que sous la précision que le propriétaire avait été demandé en ses observations.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 27 septembre 2006, Monsieur … a fait introduire un recours contentieux tendant à l’annulation de ladite décision du 27 juin 2006.

Estimant que la décision déférée s’analyserait en une décision intervenue en dehors d’une initiative de la partie concernée au sens de l’article 9 (1) du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, le demandeur reproche au ministre de ne pas avoir porté à sa connaissance, dans sa lettre du 17 octobre 2005, les éléments de fait et de droit qui l’amènent à agir, mais de s’être borné à l’informer simplement de son intention d’inscrire l’immeuble concerné à l’inventaire supplémentaire des sites et monuments nationaux.

Dans la mesure où la lettre du 17 octobre 2005 ne comporterait aucune annexe et ne mentionnerait pas l’avis de la commission des sites et monuments nationaux qui, selon la décision attaquée, aurait pourtant été élaborée le 29 septembre 2005, soit à une date antérieure, les dispositions dudit article 9 (1) n’auraient pas été respectées, de sorte que la décision litigieuse serait entachée d’illégalité et devrait être annulée en raison du fait que l’intéressé n’aurait pas été mis en mesure de participer utilement à son élaboration.

Quant au fond, s’estimant dans l’ignorance des raisons ayant amené la secrétaire d’Etat à prendre la décision déférée, le demandeur conteste l’intérêt architectural mis en avant dans la lettre du 17 octobre 2005, ainsi que l’intérêt historique de sa maison invoqué à l’appui de la décision attaquée, tout en précisant qu’une communication post festum des documents en question ne saurait purger la décision attaquée du vice dont elle serait irrémédiablement entachée.

Le délégué du Gouvernement rétorque que suite à la réception de la lettre du 17 octobre 2005, Monsieur … avait contacté par téléphone le service des sites et monuments nationaux et que lors de cet entretien, il aurait reçu bon nombre d’informations complémentaires, de même qu’une réunion aurait été fixée sur place avec des représentants du service des sites et monuments nationaux. Lors de cette réunion qui aurait eu lieu fin novembre 2005, Monsieur … aurait informé les agents de l’Etat sur les travaux qu’il voulait faire réaliser à moyen terme au niveau de la maison faisant l’objet de la décision litigieuse.

Ces travaux n’ayant posé a priori pas de problèmes aux agents étatiques, ceux-ci, forts d’un climat de bonne coopération, n’auraient pas pu constater une quelconque opposition de la part de Monsieur … à l’inscription de l’immeuble à l’inventaire supplémentaire, de sorte que faute pour celui-ci de s’être manifesté par la suite, les autorités administratives seraient parties de l’hypothèse qu’il aurait donné son accord implicite pour la protection de l’immeuble et auraient dès lors mené à bon terme la procédure d’inscription. Il ajoute qu’en date du 12 janvier 2006, le conseil communal de … s’est prononcé en faveur de la protection dudit immeuble.

Tout en admettant que par courrier du 7 août 2006, Monsieur … avait sollicité, par l’intermédiaire de son mandataire, la communication des avis respectifs de la commission des sites et monuments et du conseil communal de …, le délégué du Gouvernement relève que la non-communication de ces pièces aurait été la conséquence d’une omission malencontreuse et regrettable de la part du service des sites et monuments nationaux, toute en faisant valoir que cette omission ne vicierait pas pour autant la procédure ayant abouti à l’arrêté déféré du 28 juin 2006.

Quant au fond, le délégué du Gouvernement conteste formellement la prétendue absence d’intérêt architectural et historique de la maison sise …, construite à la fin du 19ième siècle, qui serait un élément remarquable du tissu villageois de la localité de …, village pilote qui se distinguerait par la restauration exemplaire de nombreuses anciennes fermes et de maisons villageoises. Avec son volume important, l’immeuble de Monsieur … serait à protéger afin de préserver l’ensemble harmonieux qu’elle forme avec les anciennes fermes sises …, qui auraient été admirablement restaurées. Les trois immeubles en question témoigneraient de l’architecture rurale des 18ième et 19ième siècles et formeraient un ensemble homogène notamment par la structuration rigoureuse en cinq axes de la façade et par leur toit en croupette.

Il conteste en outre que l’inscription à l’inventaire supplémentaire de cet immeuble porterait gravement atteinte au droit de propriété de l’intéressé, alors que l’article 17 de la loi du 18 juillet 1983 précitée prévoirait uniquement que l’inscription entraîne pour les propriétaires l’obligation de ne procéder à aucune modification de l’immeuble ou partie de l’immeuble sans avoir, trente jours auparavant, informé par écrit le ministre de leur intention et indiqué les travaux qu’ils se proposent d’effectuer. Ainsi, l’inscription n’entraînerait nullement une impossibilité pour le propriétaire d’effectuer des travaux et, de plus, le propriétaire concerné pourrait demander une aide de l’Etat pour supporter les charges financières générées par des travaux de rénovation.

Dans son mémoire en réplique, le demandeur précise que lors de la réunion sur place ses interlocuteurs l’auraient certes informé qu’en cas d’inscription de l’immeuble à l’inventaire supplémentaire, il y aurait lieu d’envisager une participation, à concurrence d’un certain pourcentage, au coût des travaux de réfection de l’extérieur de la maison, mais qu’en dépit de cet argument qui se serait voulu persuasif, il n’aurait ni déclaré qu’il était d’accord avec les projets de l’administration, ni laissé entendre de quelqu’autre manière qu’il pourrait s’y rallier.

Quant aux avis du conseil communal de … et de la commission des sites et monuments prévus par le règlement grand-ducal du 17 mars 1998 précité, il n’aurait eu connaissance de leur existence que par la lecture de la décision attaquée et, pour en connaître le contenu, il lui aurait fallu attendre leur production à titre d’annexes au mémoire en réponse du délégué du Gouvernement dans la présente instance.

Après avoir ainsi reçu communication de ces avis, le demandeur ajoute un deuxième moyen à son recours tiré de la méconnaissance de l’article 4 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 précité en ce que ces deux avis, obligatoires, ne répondraient pas aux exigences légales :

-

l’avis du conseil communal, s’il respectait certaines des conditions de cette disposition en ce que, émanant d’un organisme collégial, il indique la composition dudit organisme, les noms des membres ayant assisté à la délibération et le nombre de voix exprimées en faveur de l’avis exprimé, ne comporterait en revanche ni motivation, ni énonciation des éléments de fait ou de droit sur lesquels se basent les éventuels motifs, -

quant à ce qui est qualifié d’avis de la commission de sites et monuments, il méconnaîtrait quasi toutes les conditions de formes prévues par la loi, dont notamment l’énonciation des éléments de fait et de droit ainsi que l’obligation de motivation.

Le recours en annulation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Conformément aux dispositions de l’article 1er du règlement grand-ducal du 17 mars 1998 précité, le membre du Gouvernement ayant dans ses attributions la culture est habilité à procéder à l’inscription des immeubles sur l’inventaire supplémentaire. Ledit article prévoit en outre que sauf les cas d’urgence ou s’il y a péril dans la demeure, la commission des sites et monuments nationaux et le conseil communal de la ou des communes où se trouve l’immeuble, sont entendus en leur avis, de sorte qu’en l’absence d’invocation du cas d’urgence ou du péril en la demeure par rapport à la présente espèce, le demandeur a valablement pu se référer aux dispositions de l’article 4 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 précité qui dispose que « les avis des organismes consultatifs pris préalablement à une décision doivent être motivés et énoncer les éléments de fait et de droit sur lesquels ils se basent », étant entendu que conformément aux dispositions de l’article 4 de la loi du 1er décembre 1978 réglant la procédure administrative non contentieuse, les règles établies par le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 s’appliquent à toutes les décisions administratives individuelles pour lesquelles un texte particulier n’organise pas une procédure spéciale présentant au moins des garanties équivalentes pour l’administré.

Il se dégage des pièces versées au dossier que lors de sa séance publique du 12 janvier 2006, le conseil communal de … a émis à l’unanimité « un avis positif au sujet de l’intention du ministre de la Culture, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche d’inscrire à l’inventaire supplémentaire des sites et monuments nationaux l’immeuble (en question) », sans avoir énoncé le moindre élément de fait de nature à sous-tendre cet avis positif.

La même conclusion s’impose par rapport à l’avis de la commission des sites et monuments nationaux émis lors de sa réunion plénière du 29 septembre 2005, le rapport afférent se limitant à retenir ce qui suit :

« Commune de … Localité : … Requérant : SSMN Objet : … -

Protection Maison d’habitation construite vers 1890.

Avis de la COSIMO :

Maison actuellement non habitée et dans un mauvais état. Mise à l’inventaire ».

Force est de constater que le caractère non habité ou le mauvais état d’une maison ne sont pas de nature à justifier à eux seuls l’inscription d’un immeuble à l’inventaire supplémentaire, étant donné que ces critères ne sont pas rattachables en tant que tels à la définition établie à l’article 1er, alinéa 1er de la loi du 18 juillet 1983 précitée, qui définit les immeubles dignes de protection comme suit : « les immeubles, nus ou bâtis, dans la conservation présente au point de vue archéologique, historique, artistique, esthétique, scientifique, technique ou industriel, un intérêt public, sont classés comme monuments nationaux en totalité ou en partie par les soins du Gouvernement, selon les distinctions établies par les articles ci-après.

Sont compris parmi les immeubles susceptibles d’être classés, aux termes de la présente loi, les monuments mégalithiques et les terrains qui renferment des stations ou gisements préhistoriques.

Il en est de même les immeubles dont le classement est nécessaire pour isoler, dégager ou assainir un immeuble classé ou proposé pour le classement, ainsi que, d’une façon générale, des immeubles, nus ou bâtis, situés dans le périmètre de protection d’un immeuble classé ou proposé pour le classement ».

En l’absence de toute autre considération en fait de nature à documenter les raisons ayant amené le conseil communal de … ainsi que la commission des Sites et Monuments nationaux à aviser positivement la proposition d’inscription à l’inventaire supplémentaire, leurs avis respectifs ci-avant énoncés sont à considérer comme étant dépourvus de motivation valable.

Il se dégage des considérations qui précèdent que les deux avis en question ne répondent pas aux prescriptions de l’article 4 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 précité, de sorte que la secrétaire d’Etat n’a pas pu utilement s’y référer pour arrêter l’inscription de la maison de Monsieur … à l’inventaire supplémentaire des sites et monuments nationaux conformément aux dispositions de l’article 17 de la loi du 18 juillet 1983 précitée.

Ledit vice affectant directement la légalité de l’arrêté ministériel déférée, celui-ci encourt l’annulation.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le dit justifié ;

partant annule la décision déférée de la secrétaire d’Etat à la Culture, à l’Enseignement supérieur et à la Recherche du 27 juin 2006 ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 28 mars 2007 par :

Mme Lenert, vice-président, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 21964
Date de la décision : 28/03/2007

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2007-03-28;21964 ?

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