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28/03/2007 | LUXEMBOURG | N°21672

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 28 mars 2007, 21672


Numéros 21661 et 21672 Tribunal administratif du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrits les 14 et 17 juillet 2006 Audience publique du 28 mars 2007 Recours formés par - Madame …, … - Madame …, … contre un arrêté du ministre de la Culture, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche en matière de sites et monuments

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JUGEMENT

I. Vu la requête inscrite sous le numéro 21661 du rôle et déposée le 14 juillet 2006 au greffe du tribunal

administratif par Maître Henri FRANK, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des ...

Numéros 21661 et 21672 Tribunal administratif du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrits les 14 et 17 juillet 2006 Audience publique du 28 mars 2007 Recours formés par - Madame …, … - Madame …, … contre un arrêté du ministre de la Culture, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche en matière de sites et monuments

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JUGEMENT

I. Vu la requête inscrite sous le numéro 21661 du rôle et déposée le 14 juillet 2006 au greffe du tribunal administratif par Maître Henri FRANK, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’un arrêté du ministre de la Culture, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche du 15 février 2006 portant inscription à l’inventaire supplémentaire des sites et monuments des immeubles sis 1, rue du Village à Godbrange, inscrits au cadastre de la commune de Junglinster, section JA de Godbrange, sous les numéros 296/1862, 295/1447 et 297/1448, lui appartenant en propriété indivise avec sa sœur, Madame … ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 23 novembre 2006 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment l’arrêté attaqué ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Sonia POLNIASZEK, en remplacement de Maître Henri FRANK, et Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives ;

II. Vu la requête inscrite sous le numéro 21672 du rôle et déposée le 17 juillet 2006 au greffe du tribunal administratif par Maître Gast NEU, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, veuve …, demeurant à L-…, tendant à l’annulation de l’arrêté précité du ministre de la Culture, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche du 15 février 2006 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 23 novembre 2006 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment l’arrêté attaqué ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Frédéric NOEL, en remplacement de Maître Gast NEU, et Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives ;

Vu la rupture du délibéré prononcée suivant avis du 1er février 2007 ;

Ouï Maître Frédéric NOEL, en remplacement de Maître Gast NEU, et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline GUILLOU-JACQUES en leurs plaidoiries respectives.

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Par deux courriers recommandés du 14 avril 2006, le président de la Commission des sites et monuments nationaux notifia à Madame … et à sa sœur, Madame …, veuve …, préqualifiées, un arrêté du ministre de la Culture, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, ci-après désigné par le « ministre », du 15 février 2006 portant inscription à l’inventaire supplémentaire des sites et monuments des immeubles sis 1, rue du Village à Godbrange, inscrits au cadastre de la commune de Junglinster, section JA de Godbrange, sous les numéros 296/1862, 295/1447 et 297/1448, leur appartenant en propriété indivise.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 14 juillet 2006, Madame … a fait introduire un recours contentieux, inscrit sous le numéro 21661 du rôle, tendant à l’annulation de cet arrêté du 15 février 2006.

Par requête séparée déposée au greffe du tribunal administratif le 17 juillet 2006, Madame … a fait introduire un recours contentieux, inscrit sous le numéro 21672 du rôle, tendant aux mêmes fins.

Dans la mesure où ni la loi modifiée du 18 juillet 1983 concernant la conservation et la protection des sites et monuments nationaux, ni aucune autre disposition légale n’instaure un recours au fond en la présente matière, les deux recours en annulation sont recevables pour avoir été introduits dans les formes et délai de la loi.

Suite à la demande sur l’opportunité d’une jonction des deux recours leur soumise par le tribunal à l’audience, les mandataires des deux demanderesses ont estimé qu’il n’y aurait pas lieu de procéder à cette jonction. Le tribunal est cependant amené à constater que les deux recours sont dirigés par deux coindivisaires d’un même immeuble contre un acte administratif affectant le plein exercice du droit de propriété de cet immeuble et que les moyens développés à l’appui des deux recours se recoupent en large partie. S’y ajoute qu’une décision administrative annulée est réputée n'être jamais intervenue et qu’elle disparaît rétroactivement depuis la date où elle a été prise, de manière que l’annulation a un effet erga omnes. La séparation des deux recours aurait ainsi, en cas d’une annulation sur base d’un moyen particulier à un seul recours, la conséquence que l’autre des demanderesses se verrait débouter de son recours nonobstant l’annulation de l’arrêté déféré qui aurait également effet à son égard. En considération de tous ces éléments, il y a lieu, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, de joindre les deux recours sous analyse et d’y statuer par un seul et même jugement.

Les demanderesses critiquent d’abord la procédure d’adoption de l’arrêté attaqué du 15 février 2006 en ce qu’elles n’auraient pas été entendues préalablement en leurs explications sur l’intention du ministre de procéder à l’inscription à l’inventaire complémentaire du complexe immobilier susvisé et qu’ « une simple information de l’inscription » aurait été notifiée à Madame …, de manière que le ministre n’aurait pas respecté les formes légales protectrices des intérêts privés et que l’arrêté attaqué du 15 février 2006 devrait encourir l’annulation de ce chef.

L’article 17 de la loi précitée du 18 juillet 1983 ne comporte pas de dispositions spécifiques concernant l’information et la participation des propriétaires concernés dans le cadre d’une procédure d’inscription à l’inventaire supplémentaire, de manière que les dispositions du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l'Etat et des communes, dont plus particulièrement son article 9, doivent trouver application au vœu de l’article 4 de la loi du 1er décembre 1978 réglant la procédure administrative non contentieuse dans la mesure où ladite loi du 18 juillet 1983 « n’organise pas une procédure présentant au moins des garanties équivalentes pour l’administré ».

En vertu de l’article 9, alinéa 1er du règlement grand-ducal précité du 8 juin 1979, « l’autorité qui se propose (…) de prendre une décision en dehors d’une initiative de la partie concernée, doit informer de son intention la partie concernée en lui communiquant les éléments de fait et de droit qui l’amènent à agir ».

Etant donné que la faculté offerte par l’article 17, alinéa 1er de la loi précitée du 18 juillet 1983 au ministre pour inscrire à l’inventaire supplémentaire des immeubles qui répondent à la définition telle que figurant à l’article 1er, alinéa 1er de la même loi et qui présentent un intérêt suffisant pour en rendre désirable la préservation est susceptible de porter gravement atteinte à la situation des propriétaires, ceux-ci doivent pouvoir bénéficier de la possibilité d’intervenir dans l’élaboration de cette décision en toute connaissance de cause (Cour adm. 11 mars 2004, n° 16941C du rôle, Pas. adm. 2006, v° Sites et Monuments, n° 4) et l’article 9 du règlement grand-ducal prévisé du 8 juin 1979 doit dès lors être compris en ce sens que la communication des « éléments de fait » doit inclure l’indication des particularités de l’immeuble concerné qui sont, d’après l’appréciation du ministre, de nature à fonder l’intérêt suffisant pour en rendre désirable la préservation.

D’un autre côté, les formalités procédurales inscrites à l’article 9 dudit règlement grand-ducal du 8 juin 1979 ne constituent pas une fin en soi, mais consacrent des garanties visant à ménager à l’administré concerné une possibilité de prendre utilement position par rapport à la décision projetée, de sorte que dans l’hypothèse où il est établi que cette finalité est atteinte, la question du respect de toutes les étapes procédurales préalables prévues afin de permettre d’atteindre cette finalité devient sans objet (cf. trib. adm. 18 mars 2002, n° 12086 du rôle, confirmé par Cour adm. 8 octobre 2002, n° 14845C du rôle, Pas. adm. 2006, v° Procédure administrative, n° 73).

En l’espèce, le ministre a adressé aux demanderesses deux courriers datés au 4 mars 2004 et libellés identiquement comme suit :

« J’ai l'honneur de vous faire savoir que, conformément aux dispositions de l'article 17 de la loi du 18 juillet 1983 concernant la conservation et la protection des sites et monuments nationaux, je me propose, en raison de son intérêt historique, esthétique et artistique, d'inscrire à l'inventaire supplémentaire des sites et monuments nationaux l’ensemble des immeubles sis à Godbrange, 1, rue du Village, inscrits au cadastre de la commune de Junglinster, section JA de Godbrange, sous les numéros 295/1447, 297/1448 et 296/1862, dont vous êtes la co-propriétaire.

Pour les deux premières parcelles citées, la protection sera établie pour la totalité des surfaces et bâtisses, tandis que la parcelle no 296/1862 sera comprise dans la mesure de protection sur une bande de terrain ayant une profondeur de cinq mètres à partir de la face arrière de la maison d’habitation de la ferme et parallèle à ladite face. Du côté sud-est, ladite bande ne dépassera pas la prolongation virtuelle de la limite de la parcelle no 295/1447.

L'inscription d'un immeuble à l'inventaire supplémentaire des sites et monuments nationaux entraîne pour le propriétaire l'obligation de ne procéder à aucune modification de l'immeuble ou partie de l'immeuble inscrit sans avoir, trente jours auparavant, informé par écrit le Ministre de la Culture, de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche de son intention et indiqué les travaux qu'il se propose d'effectuer.

Je vous prie de bien vouloir me faire tenir votre réponse à ma proposition d'inscrire lesdits immeubles à l'inventaire supplémentaire au plus tard dans un délai de trois mois.

Veuillez agréer, … ».

Un courrier ministériel du 17 mars 2004 rectifia une erreur contenue dans le deuxième alinéa du courrier précité du 4 mars 2004 et précisa que le début de cet alinéa devait être lu en ce sens que « pour les parcelles 295/1447 et 296/1862, la protection sera établie pour la totalité des surfaces et bâtisses, tandis que la parcelle n° 297/1448 sera comprise dans la mesure de protection sur une bande de terrain … ».

Il ressort encore des éléments du dossier administratif que le président de la Commission des sites et monuments nationaux adressa encore à Madame … un courrier daté au 24 janvier 2006 à travers lequel il expliqua que « la mesure de protection concernant l’immeuble susmentionné concerne avant tout la maison d’habitation. Celle-ci est à conserver telle quelle dans sa totalité, ce qui évidemment n’empêche pas des transformations nécessaires pour adapter le logement aux normes et besoins actuels. Le bâtiment encadrant la cour de part et d’autre sont à préserver en tant que volumes. Ils peuvent être reconstruits à condition de respecter la primauté de la maison principale qui doit rester l’élément dominant de l’ensemble.

Quant aux terrains inscrits sous les numéros cadastraux 296/1862 et 297//1448, ils peuvent être bâtis selon les règles en vigueur au niveau communal. Les plans sont évidemment à soumettre pour approbation au Ministère de la Culture ».

Si ces courriers du 4 mars 2004, tels que rectifiés par celui du 17 mars 2004, et du 24 janvier 2006 définissent le périmètre géographique et le degré de protection des immeubles en question, ainsi que les effets de la protection découlant de l’inscription à l’inventaire supplémentaire des sites et monuments nationaux, ils restent cependant entièrement muets sur les particularités du complexe immobilier en cause qui seraient de nature à justifier cette inscription, alors même que la Commission des sites et monuments avait relevé, lors de sa réunion plénière du 25 juillet 2003, les particularités qu’il « s’agit d’une ferme avec dépendances (étables, écuries, granges) qui est restée dans son état d’origine, sauf quelques légères interventions intempestives dues à l’exploitation de l’ensemble comme camping » et que « surtout la maison d’habitation est bien conservée dans les détails (porte d’entrée avec linteau, fenêtres avec encadrements, corniche, toiture avec lucarnes droites », pour alors émettre l’avis que « la valeur du site d’envergure réside aussi bien dans la valeur architecturale quasi intacte des bâtisses que dans l’agencement historique de la ferme (cour centrale flanquée par les dépendances et maison principale au fond). Il constitue un élément typique et important du caractère rural de l’ensemble du tissu bâti de la localité, qui est en train de se perdre en d’autres endroits par la construction contemporaine massive et incohérente » et pour conclure unanimement à l’inscription à l’inventaire supplémentaire.

En s’abstenant de communiquer, soit dans son courrier du 4 mars 2004, soit dans un courrier ultérieur, ces éléments qui sont censés constituer la justification de la mesure envisagée, le ministre a mis Madame … dans l’impossibilité de lui soumettre en connaissance de cause ses observations sur le bien-fondé d’une éventuelle décision d’inscription à l’inventaire supplémentaire, de sorte que, contrairement à la finalité poursuivie par ledit article 9, Madame … n’a pas pu valablement participer à l’élaboration de l’arrêté ministériel du 15 février 2006. Ce vice de la procédure touche aux formalités destinées à protéger les intérêts privés et doit partant entraîner l’annulation de l’arrêté critiqué du 15 février 2006.

Il y a encore lieu de relever que le fait que le ministre a communiqué à Madame …, suite à la demande du mandataire de cette dernière du 18 mars 2004, à travers un courrier du 19 mai 2004, « les raisons qui m’ont amené à proposer la protection de la ferme citée en rubrique par l’inscription à l’inventaire supplémentaire », de manière à avoir satisfait à l’obligation légale découlant de l’article 9 du règlement grand-ducal précité du 8 juin 1979 à l’égard de Madame …, n’est pas de nature à remédier au vice de procédure constaté à l’égard de Madame …, étant donné que même en présence de deux coindivisaires, l’autorité administrative est tenue de respecter la procédure instaurée par l’article 9 du règlement grand-ducal précité du 8 juin 1979 à l’égard de chaque cointéressé et ne peut pas valablement supposer qu’un coindivisaire continue à l’autre les actes préparatoires qu’elle-

même n’a pas dûment communiqué à ce dernier.

Il découle de ces développements que le recours sous analyse est justifié et que l’arrêté critiqué du 15 février 2006 encourt l’annulation pour violation des formes destinées à protéger les intérêts privés.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit les recours en annulation inscrits sous les numéros 21661 et 21672 du rôle en la forme, joint ces deux recours, au fond, les déclare justifiés, partant, annule l’arrêté attaqué du ministre de la Culture, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche du 15 février 2006 portant inscription à l’inventaire supplémentaire des sites et monuments des immeubles sis 1, rue du Village à Godbrange, inscrits au cadastre de la commune de Junglinster, section JA de Godbrange, sous les numéros 296/1862, 295/1447 et 297/1448, condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par:

M. SCHOCKWEILER, premier vice-président, M. SCHROEDER, premier juge, Mme GILLARDIN, juge, et lu à l’audience publique du 28 mars 2007 par le premier vice-président, en présence de M. LEGILLE, greffier.

s. LEGILLE s. SCHOCKWEILER 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 21672
Date de la décision : 28/03/2007

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2007-03-28;21672 ?

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