Tribunal administratif N° 21762 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 août 2006 Audience publique du 19 mars 2007 Recours formé par la société à responsabilité limitée XXX, contre une décision du ministre du Trésor et du Budget en matière d’assurances
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 21762 du rôle et déposée le 2 août 2006 au greffe du tribunal administratif par Maître Victor ELVINGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à XXX, au nom de la société à responsabilité limitée XXX, représentée par son gérant actuellement en fonctions, inscrite au registre de commerce et des sociétés de XXX sous le numéro XXX, établie et ayant son siège social à XXX, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une « décision » du 5 janvier 2006, par laquelle le ministre du Trésor et du Budget lui a retiré, avec effet au 31 décembre 2005, l’agrément pour exercer l’activité de courtier en matière d’assurance ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 9 novembre 2006 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 11 décembre 2006 par Maître Victor ELVINGER pour le compte de la société demanderesse ;
Vu les pièces versées au dossier et notamment la décision critiquée ;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport ainsi que Maître Victor ELVINGER et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.
Par arrêté du 23 mai 2000, le ministre du Trésor et du Budget, ci-après désigné par le « ministre », autorisa la société à responsabilité limitée XXX, ci-après dénommée la « XXX », à exercer par l’intermédiaire de personnes dûment agréées « l’activité de courtier en matière d’assurance conformément à l’article 3 de ses statuts », tout en précisant que « l’agrément est limité aux opérations d’assurances définies à l’article 107 de la loi modifiée du 6 décembre 1991 sur le secteur des assurances ».
Par arrêté du 5 janvier 2006, le ministre retira à la XXX ledit agrément avec effet au 31 décembre 2005. L’arrêté ministériel est rédigé comme suit :
« Le Ministre du Trésor et du Budget, Vu la loi modifiée du 6 décembre 1991 sur le secteur des assurances ;
Vu que la société de courtage « XXX » ne remplit plus les conditions requises par la loi modifiée du 6 décembre 1991 sur le secteur des assurances pour exercer l’activité de courtier en matière d’assurance, spécialement qu’elle ne dispose plus d’un courtier personne physique pour la représenter contrairement aux dispositions de l’article 105 paragraphe 1 ;
Vu l’absence de proposition de la part de la société « XXX » d’une personne remplissant les conditions énoncées à l’article 105 de la loi susmentionnée ;
Vu la convocation par lettre recommandée avec avis de réception adressée par le Commissariat aux Assurances à Monsieur XXX, gérant de la société, en date du 25 novembre 2005 en vue de l’entendre en ses moyens de défense, conformément à l’article 111 de la prédite loi ;
Vu qu’il s’est présenté avec son avocat Me Victor ELVINGER suite à la convocation du Commissariat aux Assurances aux date et heure fixées ;
Vu la demande exprimée en date du 1er décembre 2005 par Me Victor ELVINGER de réexaminer le dossier de Monsieur XXX afin de lui accorder l’agrément comme courtier d’assurances avec dispense d’examen ;
Vu l’échec de Monsieur XXX à l’examen pour courtiers d’assurances du 2 juin 2004 lui notifié en date du 16 juin 2004 et l’absence d’éléments nouveaux dans son dossier d’agrément ;
A r r ê t e :
Art. 1er.- En application de l’article 111 de la loi modifiée du 6 décembre 1991 sur le secteur des assurances, l’agrément pour exercer l’activité de courtier en matière d’assurance délivré à la société « XXX », ayant son siège social à XXX, est retiré avec effet au 31 décembre 2005.
Art. 2.- La présente décision peut être déférée au tribunal administratif pour examen au fond par voie d’avocat dans un délai de trois mois.
Art. 3.- Le présent arrêté sera transmis à la société XXX pour information.
Pour le Ministre du Trésor et du Budget, XXX Directeur du Commissariat aux Assurances ».
Par courrier de son mandataire du 5 avril 2006, la XXX introduisit auprès du Commissariat aux Assurances un recours gracieux à l’encontre de la prédite décision de retrait du 5 janvier 2006.
Par une décision du 2 mai 2006, le ministre, sous la signature du directeur du Commissariat aux Assurances, rejeta le recours gracieux introduit contre la prédite décision de retrait.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 2 août 2006, la XXX a fait introduire un recours contentieux tendant selon le dispositif de la requête introductive d’instance, principalement à faire constater l’absence de « décision », subsidiairement à l’annulation de la décision du ministre du 5 janvier 2006 et encore plus subsidiairement à la réformation de ladite décision.
Il convient de prime abord d’examiner le volet du recours en ce qu’il tend à faire constater l’absence de décision pour défaut de signature par son auteur, abstraction faite de toute considération quant à la recevabilité d’une telle demande, la question de la signature d’un acte administratif relevant plutôt de la légalité externe de la décision attaquée.
La XXX soutient à cet égard que la décision litigieuse du ministre du 5 janvier 2006 serait inexistante en ce qu’elle ne porterait pas la signature de son auteur.
Le délégué du gouvernement se rapporte à prudence de justice en ce qui concerne l’absence de la signature manuscrite de Monsieur XXX, en sa qualité de délégué du ministre compétent, sur la décision litigieuse. En ordre subsidiaire, pour le cas où le tribunal devrait suivre la société demanderesse dans cette voie, il conclut à l’irrecevabilité du recours pour inexistence de décision à l’égard de la XXX. Le représentant étatique précise toutefois que le deuxième exemplaire de l’arrêté ministériel se trouverait dans les bureaux du Commissariat aux Assurances et porterait la signature manuscrite de Monsieur XXX, en sa qualité de délégataire de signature du ministre.
La société demanderesse réplique que l’exemplaire de l’arrêté ministériel qui lui aurait été adressé n’aurait pas été signé et ne pourrait donc pas emporter de conséquences juridiques. Elle estime que le fait qu’un deuxième exemplaire signé se trouve dans le dossier du Commissariat aux Assurances serait sans incidence, tout en relevant que cet argument n’aurait pas été invoqué dans la décision confirmative sur recours gracieux.
S’il est vrai que l’acte administratif doit être signé par son auteur ou par celui qui a régulièrement reçu une délégation de signature et que cette obligation constitue une formalité substantielle, cette obligation ne concerne toutefois pas une copie notifiée à la personne concernée (cf. Juris-Classeur administratif, éd. 1998, Vol. 1, fasc. 107-20, n°46).
Force est au tribunal de constater que le dossier administratif produit en cause contient un exemplaire de la décision litigieuse, signé par le directeur du Commissariat aux Assurances, Monsieur XXX, et que sa signature manuscrite est précédée de la mention « Pour le ministre du Trésor et du Budget ».
Il s’ensuit que nonobstant la circonstance que la copie qui a été notifiée à la société demanderesse ne portait pas la signature manuscrite de son auteur, la décision litigieuse existe matériellement, de sorte que la XXX n’est pas fondée à soutenir que cette décision est inexistante et le moyen d’irrecevabilité du recours en tant que dirigé contre un acte inexistant n’est pas fondé.
Le délégué du gouvernement conclut encore à l’irrecevabilité du recours en annulation, au motif que la loi prévoirait un recours au fond en matière d’agrément des intermédiaires d’assurances.
Encore qu’un demandeur entende exercer principalement un recours en annulation et subsidiairement un recours en réformation, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation, l’existence d’une telle possibilité rendant irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision (trib. adm. 4 décembre 1997, n° 10404 du rôle, Pas. adm. 2006, V° Recours en réformation, n° 3 et autres références y citées).
Il est constant en cause que le recours sous analyse a pour objet une décision de retrait d’agrément pour exercer l’activité de courtier d’assurances, activité régie par les dispositions de la loi modifiée du 6 décembre 1991 sur le secteur des assurances et plus particulièrement par la partie IV de cette loi, intitulée « Les dirigeants et les intermédiaires d’assurances », regroupant les articles 103 et suivants.
Aux termes de l’article 111 point 3. de cette loi, « les décisions prises par le ministre ou le Commissariat en application des articles 103 et 105 ainsi que les décisions de refus ou de retrait d'agrément prises par le ministre peuvent être déférées au tribunal administratif. Elles doivent être motivées et notifiées à la personne concernée avec indication des voies de recours. (…) Le tribunal administratif statue comme juge du fond ».
Il s’ensuit que le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit à l’encontre de la décision litigieuse et que le recours en annulation est irrecevable.
Le recours en réformation est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Quant au fond, la XXX conclut à la nullité de la décision litigieuse du ministre du 5 janvier 2006 pour vice de forme fondé sur l’absence de signature. Dans la mesure où tel que relevé ci-dessus, il ressort des pièces du dossier administratif que la décision a été signée par le directeur du Commissariat aux Assurances à cette date, la circonstance que la copie qui a été notifiée à la société demanderesse ne porte pas la signature manuscrite du directeur est sans incidence sur sa régularité.
La société demanderesse soutient en deuxième lieu que l’arrêté ministériel du 5 janvier 2006 aurait été pris par le directeur du Commissariat aux Assurances qui n’aurait pas été compétent pour le faire. A l’appui de ce moyen, elle fait valoir que l’acte attaqué aurait été signé par le directeur du Commissariat aux Assurances, alors que l’article 111 alinéa 2 de la loi précitée du 6 décembre 1991 désigne le ministre comme autorité compétente pour retirer un agrément. Elle réfute ainsi l’explication fournie en réponse à son recours gracieux par le directeur du Commissariat aux Assurances que celui-ci aurait été investi d’une délégation de signature lui accordée par une décision du Gouvernement en Conseil du 12 février 2001, en soutenant que l’agencement de l’article 111, tel qu’il a été modifié par une loi du 13 juillet 2005 visant à transposer la directive 2002/92/CE du Parlement européen et du Conseil du 9 décembre 2002 sur l’intermédiation en assurance, ne permettrait pas au ministre de déléguer sa signature. En effet, cette loi aurait mis en place un système qui conférerait au Commissariat aux Assurances l’instruction du dossier et au ministre la prise de la décision. Elle déduit de ce « double degré » institué par ledit texte que le législateur n’aurait pas voulu que ces deux organes se confondent en la personne du directeur du Commissariat aux Assurances. Or, il ressortirait du libellé de la décision litigieuse que celle-ci émanerait du Commissariat aux Assurances et non pas du ministre compétent.
La société demanderesse se prévaut encore de l’article 8 de l’arrêté XXX du 22 décembre 2000 concernant les délégations de signature par le Gouvernement, pour soutenir que la délégation de signature ne pourrait pas comporter la prise d’une décision de retrait alors que cette compétence serait réservée au ministre. Elle ajoute dans ce contexte que le directeur du Commissariat aux Assurances serait, en vertu de la délégation de signature du 12 février 2001, uniquement habilité à signer les affaires qui ne requièrent pas l’attention personnelle du ministre ce qui ne serait pas le cas de la décision litigieuse, laquelle exigerait en vertu de l’article 111 de la loi précitée du 6 décembre 1991 l’attention personnelle du ministre.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du moyen d’incompétence du signataire de l’acte, en faisant valoir que la décision litigieuse du 5 janvier 2006 aurait été signée par Monsieur XXX non pas en sa qualité de directeur du Commissariat aux Assurances, mais en qualité de délégué du ministre, en application d’une délégation de signature consentie par le Gouvernement en conseil en date du 12 février 2001. Il soutient en outre que l’article 8 de l’arrêté XXX du 22 décembre 2000 invoqué par la demanderesse ne serait pas applicable dans la mesure où la décision litigieuse ne concernerait pas les compétences du ministre au regard de sa tutelle sur le Commissariat aux Assurances, visées par ledit article 8, mais des compétences propres accordées au ministre en matière d’agrément des intermédiaires d’assurance, de sorte que le ministre aurait été parfaitement en droit de déléguer sa signature en matière d’agrément et de retrait d’agrément des courtiers d’assurances.
Aux termes de l’article 111, point 2. de la loi précitée du 6 décembre 1991, « le ministre peut retirer l’agrément accordé aux personnes visées aux articles 103 et 105 si elles ne remplissent plus les conditions d’agrément ou d’exercice telles que définies dans les articles précédents ou si elles manquent gravement aux dispositions de la présente loi ou d’une loi pénale XXX.
Il est statué sur le retrait d’agrément sur simple requête du Commissariat, après instruction préalable faite par ce dernier, la personne concernée entendue en ses moyens de défense ou dûment appelée par lettre recommandée à la poste ».
Il découle de la disposition légale précitée que la décision portant retrait de l’agrément accordé à un courtier d’assurance tel que visé à l’article 105 de ladite loi doit être adoptée par le ministre, après instruction contradictoire par le Commissariat aux Assurances.
En l’espèce, la décision litigieuse du 5 janvier 2006 a été signée par Monsieur XXX, en sa qualité de directeur du Commissariat aux Assurances, en indiquant comme formule de signature « Pour le ministre du Trésor et du Budget ».
Il n’est pas contesté en cause que Monsieur XXX bénéficiait, au moment de la signature de la prédite décision, d’une délégation de signature consentie par le ministre suivant arrêté ministériel du 12 février 2001, en vertu de laquelle il est autorisé « pour signer les affaires suivantes relatives aux attributions du Ministre du Trésor et du Budget pour autant qu’à son jugement ces pièces correspondent à la politique établie par le Ministre et ne requièrent pas son attention personnelle.
Commissariat aux Assurances – Fonds commun de garantie automobile. (…) » Il y a dès lors lieu d’examiner si le directeur du Commissariat aux Assurances était habilité à signer au nom et pour compte du ministre l’arrêté de retrait litigieux.
Le tribunal est amené à retenir que dans la mesure où l’article 111 point 2. de la loi précitée du 6 décembre 1991 confie expressément la prise de la décision de retrait d’agrément au ministre et l’instruction du dossier au Commissariat aux Assurances, le législateur a clairement voulu séparer ces deux instances de la procédure de retrait d’agrément, de sorte que le directeur du Commissariat aux Assurances, après avoir participé à l’instruction du dossier, n’était pas autorisé en vertu des pouvoirs lui consentis par la délégation de signature précitée à signer la décision en question, étant donné que la décision de retrait d’agrément tombe sous la qualification des décisions qui requièrent l’attention personnelle du ministre et il appartenait donc au ministre de signer la décision litigieuse.
Il s’ensuit que la décision de retrait litigieuse a été prise par une autorité incompétente, de sorte que l’arrêté ministériel déféré du 5 janvier 2006 encourt l’annulation, sans qu’il y ait lieu d’examiner plus en avant les autres moyens invoqués par la société demanderesse à l’appui du recours.
PAR CES MOTIFS, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
dans le cadre du recours en réformation, annule pour raison d'incompétence l’arrêté déféré du 5 janvier 2006 et renvoie l'affaire devant le ministre du Trésor et du Budget ;
déclare le recours en annulation irrecevable ;
condamne l’Etat aux frais.
Ainsi jugé par :
M. Schockweiler, premier vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 19 mars 2007 par le premier vice-président, en présence de M. Rassel, greffier.
Rassel Schockweiler 7