Tribunal administratif N° 21455 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 mai 2006 Audience publique du 14 mars 2007 Recours formé par la société à responsabilité limitée XXX et Monsieur XXX contre un arrêté du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de permis de travail
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 21455 du rôle et déposée le 29 mai 2006 au greffe du tribunal administratif par Maître Emmanuelle VION-HAYO, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à XXX, au nom de la société à responsabilité limitée XXX, établie et ayant son siège social à XXX, représentée par son gérant actuellement en fonction, inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro B 8977, et au nom de Monsieur XXX, cuisinier, né le XXX, de nationalité XXX, demeurant à XXX, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’un arrêté du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 24 mars 2006 par lequel a été retiré à Monsieur XXX le permis de travail de type A délivré en date du 27 décembre 2005 ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 30 octobre 2006 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 29 novembre 2006 par Maître Emmanuelle VION-HAYO pour compte de la société à responsabilité limitée XXX et de Monsieur XXX ;
Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif le 21 décembre 2006 par le délégué du gouvernement ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Maître Lionel GUETH-WOLF, en remplacement de Maître Emmanuelle VION-HAYO, et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline GUILLOU-JACQUES en leurs plaidoiries respectives.
Par arrêté du 9 septembre 2004, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, dénommé ci-après le « ministre », refusa à Monsieur XXX un permis de travail pour travailler auprès de la société à responsabilité limitée XXX , dénommée ci-après la « société XXX », pour les raisons inhérentes à la situation et à l’organisation du marché de l’emploi suivantes : « -
des demandeurs d’emploi appropriés sont disponibles sur place :
2417 ouvriers non qualifiés inscrits comme demandeurs d’emploi aux bureaux de placement de l’Administration de l’Emploi -
priorité à l’emploi des ressortissants de l’Espace Economique Européen -
poste de travail non déclaré vacant par l’employeur -
recrutement à l’étranger non autorisé -
n’est pas un cuisinier qualifié ».
A la suite d’une nouvelle demande présentée par le mandataire de la société XXX et de Monsieur XXX en date du 14 avril 2005, auprès du ministre, celui-ci accorda, par décision du 27 décembre 2005, un permis de travail de type A à Monsieur XXX pour travailler auprès de la société XXX.
En date du 24 mars 2006, le ministre prit un arrêté portant retrait avec effet rétroactif du permis de travail précité délivré en date du 27 décembre 2005, au motif que « la décision est entachée d’une illégalité justifiant son annulation devant les juridictions de l’ordre administratif », en se basant sur la constatation que la décision ministérielle précitée du 27 décembre 2005 « ne repose pas sur les avis préalables de l’Administration de l’Emploi et de la Commission consultative conformément à l’article 8 du règlement XXX modifié du 12 mai 1972 précité ». Il ressort encore de ladite décision que « la demande en obtention du permis de travail est portée à l’ordre du jour de la prochaine réunion de la Commission d’avis spéciale en matière de permis de travail ».
Dans son avis du 31 mars 2006, la Commission d’avis spéciale en matière de permis de travail proposa à l’unanimité de refuser le permis de travail à Monsieur XXX, au motif qu’il ne disposait pas de la qualification nécessaire pour exercer l’emploi de cuisinier auprès de la société XXX. Se basant notamment sur ledit avis, le ministre refusa, par lettre du 18 avril 2006, la délivrance d’un permis de travail à Monsieur XXX au motif qu’il était « titulaire d’un certificat attestant [qu’il] a des connaissances en cuisine du niveau 4, connaissances insuffisantes pour occuper une fonction qualifiée comme celle de cuisinier ».
Par courrier de son mandataire du 7 août 2006 adressé au ministre, Monsieur XXX, ainsi que la société XXX ont fait exposer que Monsieur XXX disposerait des qualifications professionnelles nécessaires afin d’exercer la profession de cuisinier auprès de la société XXX, les demandeurs faisant déclarer par ailleurs que ledit courrier était à considérer comme constituant un recours gracieux dirigé contre la décision ministérielle de rejet du 18 avril 2006.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 29 mai 2006, la société XXX et Monsieur XXX ont fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 24 mars 2006.
Aucun recours au fond n’étant prévu ni par la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ;
3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, ni par aucune autre disposition légale ou réglementaire, le tribunal est incompétent pour statuer en tant que juge du fond. Il en découle que seul un recours en annulation, qui constitue le recours de droit commun, a pu être intenté contre la décision déférée.
Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours en annulation, au motif que l’annulation de l’arrêté ministériel précité du 24 mars 2006 ne serait pas de nature à procurer une satisfaction personnelle, directe, effective, née et actuelle aux demandeurs, au motif que ladite décision ministérielle a été suivie de la décision précitée du 18 avril 2006 qui n’aurait pas fait l’objet d’un recours contentieux. Il estime partant que le recours en annulation devrait être déclaré irrecevable pour défaut d’intérêt à agir.
Dans leur mémoire en réplique, les demandeurs rétorquent que le recours en annulation devrait être déclaré recevable, en relevant que contrairement à l’affirmation du délégué du gouvernement, un recours gracieux aurait été dirigé le 7 août 2006 contre la décision ministérielle précitée du 18 avril 2006. Ils font encore soutenir qu’ils auraient un intérêt à obtenir la « validation du permis de travail de Monsieur XXX », en faisant état de ce qu’il disposerait des compétences professionnelles adéquates pour travailler en tant que cuisinier dans un restaurant asiatique.
Dans son mémoire en duplique, le délégué du gouvernement se rapporte à prudence de justice quant à son moyen d’irrecevabilité soulevé dans le cadre de son mémoire en réponse, au vu du recours gracieux introduit contre la décision ministérielle précitée du 18 avril 2006, qui n’aurait pas figuré au dossier administratif au moment de la rédaction du mémoire en réponse.
S’il est établi que ni la réformation, ni l’annulation d’une décision administrative ne saurait avoir un effet concret, le demandeur garde néanmoins un intérêt à obtenir une décision relativement à la légalité d’une décision administrative, de la part de la juridiction administrative, puisqu’en vertu d’une jurisprudence constante des tribunaux judiciaires, respectivement la réformation ou l’annulation des décisions administratives individuelles constitue une condition nécessaire pour la mise en œuvre de la responsabilité des pouvoirs publics du chef du préjudice causé aux particuliers par les décisions en question1.
S’il est vrai qu’en l’espèce, à la suite de la décision litigieuse du 24 mars 2006, le ministre a pris une nouvelle décision en date du 18 avril 2006, portant refus de délivrance dans le chef de Monsieur XXX d’un permis de travail tel que sollicité par ce dernier, de sorte que cette dernière décision est censée remplacer la décision actuellement litigieuse, il n’en reste pas moins que les demandeurs gardent un intérêt à voir vérifier la légalité de la décision sous analyse du 24 mars 2006.
1 trib. adm. 24 janvier 1997, n° 9774 du rôle, Pas. adm. 2006, V° Procédure contentieuse, n° 19 et autres références y citées Il s’ensuit que le moyen d’irrecevabilité soulevé par l’Etat est à déclarer non fondé et doit partant être écarté.
Aucun autre moyen d’irrecevabilité n’ayant été soulevé en cause, le recours en annulation est à déclarer recevable pour avoir été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi.
Quant au fond, les demandeurs reprochent au ministre d’avoir violé l’article 9 du règlement XXX du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, en ce qu’ils n’auraient pas été informés au préalable, dans le délai réglementaire ainsi fixé, de l’intention du ministre de procéder au retrait du permis de travail délivré à Monsieur XXX le 27 décembre 2005.
Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement soutient que la décision litigieuse est basée non pas sur l’article 9 du règlement XXX précité du 8 juin 1979, mais sur l’article 8 dudit règlement XXX qui autoriserait l’administration à procéder au retrait d’une décision administrative à partir du moment où, comme en l’espèce, celle-ci serait entachée d’une illégalité justifiant son annulation par les juridictions administratives.
Les demandeurs font répliquer que même au cas où le ministre aurait entendu se baser sur l’article 8 du règlement XXX précité du 8 juin 1979, il aurait également dû respecter les dispositions de l’article 9 dudit règlement XXX en permettant à l’administré concerné de faire valoir ses droits de la défense.
L’Etat fait rétorquer que l’article 9 en question ne trouverait application qu’à partir du moment où les conditions telles que posées par l’article 8 du même règlement XXX du 8 juin 1979 ne seraient pas remplies, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce, dans la mesure où le ministre aurait été autorisé à procéder au retrait rétroactif de la décision précitée du 27 décembre 2005 avant l’écoulement du délai de recours contentieux. Il ne saurait partant être reproché au ministre de ne pas avoir respecté les dispositions, non applicables en l’espèce, de l’article 9 précité.
L’article 8 du règlement XXX précité du 8 juin 1979 dispose ce qui suit : « En dehors des cas où la loi en dispose autrement, le retrait rétroactif d’une décision ayant créé ou reconnu des droits n’est possible que pendant le délai imparti pour exercer contre cette décision un recours contentieux, ainsi que pendant le cours de la procédure contentieuse engagée contre cette décision.
Le retrait d’une telle décision ne peut intervenir que pour une des causes qui auraient justifié l’annulation contentieuse de la décision ».
C’est à tort que les demandeurs soutiennent que le ministre aurait également dû respecter les dispositions afférentes de l’article 9 du même règlement XXX du 8 juin 1979, étant donné que cet article vise exclusivement les hypothèses dans lesquelles « l’autorité (…) se propose de révoquer ou de modifier d’office pour l’avenir une décision ayant créé ou reconnu des droits à une partie, ou qui se propose de prendre une décision en dehors d’une initiative de la partie concernée (…) ». En effet, alors que l’article 8 du même règlement XXX vise exclusivement l’hypothèse du « retrait rétroactif d’une décision », partant une décision ayant pour conséquence de faire disparaître rétroactivement une décision antérieure, l’article 9 ne vise que les hypothèses dans lesquelles l’autorité fait cesser dans ses effets une décision antérieurement prise, soit en la révoquant dans son intégralité soit en en modifiant certaines dispositions, lesdits effets valant seulement pour l’avenir.
Il y a partant lieu de constater que le champ d’application de l’article 9 du règlement XXX précité du 8 juin 1979 ne vise pas les décisions de retrait rétroactif d’une décision administrative, de sorte que le ministre n’avait pas à respecter les dispositions afférentes.
Le moyen tiré d’une prétendue violation de l’article 9 du règlement XXX précité du 8 juin 1979 est partant à déclarer non fondé et doit être écarté.
La base légale ayant pu fonder le ministre pour prendre la décision litigieuse ayant été retenue, il échet encore de vérifier si les conditions prévues par l’article 8 du règlement XXX précité du 8 juin 1979 étaient remplies en l’espèce, c’est-à-dire qu’il y a lieu de vérifier si la décision du 27 décembre 2005 pouvait faire l’objet d’une annulation contentieuse. A ce sujet, l’Etat fait exposer que contrairement à ce qui avait été retenu par les autorités administratives au moment de l’instruction du dossier pour aboutir au permis de travail litigieux du 27 décembre 2005, la demande ainsi analysée ne constituait non pas un recours gracieux, mais une nouvelle demande de permis de travail, telle que formulée par le courrier précité du 14 avril 2005. Le ministre aurait partant été obligé de prendre l’avis de la Commission d’avis spéciale en matière de permis de travail, ce qui n’aurait pas été le cas en l’espèce, de sorte que le permis de travail du 27 décembre 2005 devrait encourir l’annulation.
Il échet tout d’abord de retenir que contrairement à l’argumentation développée par les demandeurs, l’Etat n’a pas à justifier d’un intérêt pour faire application de l’article 8 du règlement XXX précité du 8 juin 1979, le simple fait qu’une décision administrative émise par lui est de nature à encourir l’annulation contentieuse l’autorise à procéder à son retrait rétroactif à partir du moment où le délai contentieux n’a pas encore expiré.
Pour que le ministre ait pu faire application de l’article 8 précité, il échet tout d’abord de vérifier s’il s’est encore trouvé dans le délai contentieux. Or, il échet de constater que tel a bien été le cas. En effet, même en l’absence d’une indication quant à la date à laquelle la décision précitée du 27 décembre 2005 a été notifiée aux demandeurs, celle-ci n’a pu être notifiée à ceux-ci au plus tôt à la date de son émission, à savoir en date du 27 décembre 2005. Dans la mesure où il n’existe aucune disposition légale ou réglementaire prévoyant un délai de recours contentieux spécifique en matière de délivrance de permis de travail, il y a lieu de faire application de l’article 13 paragraphe (1) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, suivant lequel le délai de recours contentieux est de trois mois à compter du jour où la décision a été notifiée à son bénéficiaire.
Il suit de ce qui précède que le délai de recours contentieux a au plus tôt pris fin en date du 27 mars 2006, de sorte que la décision de retrait du 24 mars 2006 a été prise dans le délai légal, en conformité avec la disposition afférente de l’article 8 du règlement XXX précité du 8 juin 1979.
En ce qui concerne la justification au fond de la décision de retrait, il échet de constater que suivant l’article 7bis paragraphe (2) alinéa 1er du règlement XXX modifié du 12 mai 1972 déterminant les mesures applicables pour l’emploi des travailleurs étrangers sur le territoire du XXX « la Commission d’avis spéciale est obligatoirement entendue en son avis avant toute décision d’attribution, de refus ou de retrait d’un permis de travail par l’autorité compétente ».
Il s’ensuit qu’il y a lieu d’annuler une décision du ministre du Travail et de l’Emploi, actuellement du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, accordant un permis de travail à un étranger tombant sous le champ d’application du règlement XXX précité du 12 mai 1972 à partir du moment où la procédure ayant abouti à la prise de la décision litigieuse n’est pas régulière du fait du défaut de l’avis de la Commission d’avis spéciale.
En l’espèce, il y a lieu de retenir qu’à la suite de la demande afférente, précitée, du 14 avril 2005, tendant à la délivrance d’un permis de travail, qui est à analyser non pas comme un recours gracieux contre le refus de délivrer un permis de travail du 9 septembre 2004, mais comme une nouvelle demande, nécessitant la délivrance d’un avis par la Commission d’avis spéciale conformément à l’article 7bis du règlement XXX précité du 12 mai 1972, aucun avis de ladite commission n’a été émis. Il s’ensuit que la décision ministérielle précitée du 27 décembre 2005 portant attribution d’un permis de travail était de nature à entraîner l’annulation contentieuse.
Il suit encore des considérations qui précèdent que le ministre a valablement pu se baser sur cette cause pour procéder au retrait du permis de travail délivré le 27 décembre 2005.
La conclusion ci-avant retenue ne saurait être énervée par le raisonnement développé par les demandeurs quant à la protection dans leur chef d’un droit acquis, au vu de la disposition réglementaire claire et précise contenue à l’article 8 du règlement XXX précité du 8 juin 1979, autorisant expressément l’autorité administrative compétente à procéder au retrait rétroactif d’une décision dans les hypothèses y visées, remplies en l’espèce.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que toutes les conditions prévues par l’article 8 du règlement XXX précité du 8 juin 1979 autorisant le ministre à procéder au retrait de la décision précitée du 27 décembre 2005 étaient remplies, de sorte que le moyen tendant à voir constater une violation des dispositions légales et réglementaires applicables en la matière est à déclarer non fondé.
Aucun autre moyen n’ayant été invoqué à l’appui du présent recours, celui-ci est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;
reçoit le recours en annulation en la forme, au fond, le déclare non justifié, partant en déboute, condamne les demandeurs aux frais.
Ainsi jugé par :
M. Schockweiler, premier vice-président M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 14 mars 2007 par le premier vice-président, en présence de M. Rassel, greffier.
s. Rassel s. Schockweiler 7