Tribunal administratif N° 22153 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 novembre 2006 Audience publique du 12 mars 2007
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Recours introduit par Monsieur XXX, contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 22153 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 16 novembre 2006 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à XXX, au nom de Monsieur XXX, né le XXX à XXX, de nationalité XXX, demeurant à XXX, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 29 août 2006, portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée et lui refusant le bénéfice de la protection subsidiaire, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre prise le 16 octobre 2006 sur recours gracieux ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 22 décembre 2006 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 19 janvier 2007 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH pour compte du demandeur ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions ministérielles entreprises ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Jacqueline GUILLOU-JACQUES en leurs plaidoiries respectives.
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Le 19 août 2005, Monsieur XXX introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
Le même jour, Monsieur XXX fut entendu par un agent de la police XXX sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au XXX.
Il fut encore entendu en date du 8 septembre 2005 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur les motifs à la base de sa demande d’asile.
Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration l’informa par lettre du 29 août 2006, lui notifiée en mains propres le 31 août 2006, que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée aux motifs énoncés comme suit :
« En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 19 août 2006 et le rapport d’audition de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration du 8 septembre 2005.
Il résulte du rapport de la Police Judiciaire que vous auriez quitté XXX le 13 juin 2005 pour embarquer comme passager clandestin sur un navire en partance pour XXX. De là, vous seriez allé à XXX, à XXX, à XXX et finalement vous seriez venu au XXX. Vous ne présentez aucun document d’identité car vous affirmez avoir tout laissé en XXX.
Vous exposez à l’agent ministériel que vous auriez fait votre service militaire de 1988 à 1989. Votre père serait membre d’une association de professeurs qui oeuvrerait à la paix en XXX. Cette association organiserait des réunions et des manifestations. Vous n’auriez pas fait partie de l’association mais vous auriez seulement aidé votre père à coller des affiches. Le 13 janvier 2005, votre père aurait été arrêté par la Sécurité militaire car l’Etat XXX soupçonnerait l’association de votre père d’aider les XXX. Vous-même auriez été convoqué par deux fois au commissariat mais vous n’y seriez pas allé. Vous précisez que ceux qui y sont allés se seraient vu confisquer le passeport et auraient fait l’objet de contrôles. Vous seriez parti pour XXX, ville où vous n’auriez plus reçu de convocations. Vous pensez que votre père bénéficiera d’un procès équitable et qu’il sera acquitté mais vous voulez attendre que sa situation soit clarifiée pour rentrer en XXX.
Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.
Or, les faits que vous alléguez ne sauraient constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’ils ne peuvent, à eux seuls, fonder dans votre chef une crainte justifiée d’être persécuté dans le pays dont vous venez du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève ainsi que les articles 31 et 32 de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection.
En effet, force est de constater que le fait que la police vous ait envoyé deux convocations dans le cadre d’une enquête qui ne vous concerne qu’indirectement ne constitue pas un motif de persécution prévu par cette Convention. Je relève que vous ne faisiez pas partie de l’association de votre père, que vous ne connaissez pas vraiment les buts de cette organisation et qu’à part coller des affiches, vous n’avez rien fait pour cette organisation.
Rien de tout cela ne vous plaçait dans une position particulièrement exposée. De plus, vous estimez que votre père fera l’objet d’un procès équitable et il n’y a pas de raison pour que votre interrogatoire à la police se passe dans d’autres conditions. Vos craintes sont donc hypothétiques.
Finalement, vous aviez dit pouvoir vous faire envoyer des pièces d’identité pour les remettre au Ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration, ce que vous n’avez pas fait.
Votre identité reste donc sujette à caution.
Ainsi, vous n’alléguez aucun fait susceptible de fonder raisonnablement une crainte de persécution en raison d’opinion politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social, susceptible de rendre votre vie intolérable dans le pays dont vous venez. Les conditions permettant l’octroi du statut de réfugié ne sont pas remplies.
En outre, vous n’invoquez pas non plus de raisons valables fondant un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37 de la loi précitée du 5 mai 2006. En effet, les faits invoqués à l’appui de votre demande ne nous permettent pas d’établir que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous voir exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptible de faire l’objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international. Ainsi, les faits que vous alléguez ne justifient pas la reconnaissance du statut conféré par la protection subsidiaire.
En effet, selon le même raisonnement que celui appliqué à l’évaluation de votre demande d’asile, le fait de craindre un interrogatoire policier, à supposer ce fait établi, ne justifie pas la reconnaissance du statut conféré par la protection subsidiaire.
Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. Le bénéfice de la protection subsidiaire tel que prévu par la loi du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection doit également vous être refusé ».
Suite à un recours gracieux formé par le demandeur suivant lettre de son mandataire du 2 octobre 2006 à l’encontre de la prédite décision ministérielle, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration confirma sa décision initiale de refus le 16 octobre 2006.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 16 novembre 2006, Monsieur XXX a fait introduire un recours en réformation à l’encontre des décisions précitées du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration des 29 août et 16 octobre 2006.
Etant donné que tant l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1.
d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2. d’un régime de protection temporaire que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection prévoient un recours en réformation en matière de demandes d’asile et de protection subsidiaire déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises. Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
A l’appui de son recours, le demandeur expose qu’il serait originaire de la ville XXX, que son père serait membre-fondateur de l’« Association des professeurs pour la paix en XXX » dont le but serait la promotion de la paix, qu’il aurait lui-même collé des affiches pour ladite organisation et qu’il aurait été convoqué à deux reprises au commissariat de police, convocations auxquelles il n’aurait pas réservé de suites préférant partir s’installer dans la ville XXX. Monsieur XXX précise encore que son père aurait été arrêté le 13 janvier 2005 en raison du fait que les autorités le soupçonneraient de collaborer avec les XXX, que 32 membres de l’« Association des professeurs pour la paix en XXX » auraient été arrêtés au même moment, que d’autres personnes dans une situation semblable à la sienne auraient été retenues au commissariat entre 10 jours et 2 semaines et que son père ne serait toujours pas sorti de prison depuis le 13 janvier 2005, étant toujours en attente d’être jugé.
En substance, il reproche au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la réalité et la gravité des motifs de crainte de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.
Le représentant étatique soutient que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.
L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».
La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.
L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.
Une crainte de persécution doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des persécutions et force est de constater que l’existence de pareils éléments ne se dégage pas des éléments d’appréciation soumis au tribunal.
En effet, il échet tout d’abord de constater que le demandeur n’a soumis ni au ministre compétent ni à la juridiction administrative un quelconque élément de preuve de nature à établir les faits sur lesquels il se base pour établir ses craintes de persécution. De tels éléments de preuve n’ont pas non plus été soumis ni quant aux activités politiques de son père ni quant au prétendu emprisonnement de ce dernier. A cela s’ajoute qu’il ressort du dossier administratif que le demandeur avait déjà présenté une demande d’asile en XXX en date du 14 novembre 2000, ce qu’il a cependant omis de signaler aux autorités XXX, tant au moment du dépôt de sa demande d’asile, que lors de son audition devant l’agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration, attitude laissant planer un doute sur la crédibilité de son récit.
Même à supposer vraies les différentes allégations du demandeur, il échet encore de constater que celui-ci fait exclusivement état de craintes hypothétiques de faire l’objet de persécutions de la part des autorités de son pays d’origine, craignant d’être victime d’une arrestation arbitraire de la part des services de police XXX pour être interrogé en raison de son aide apportée à l’association au sein de laquelle militait son père, étant rappelé que le fait d’être recherché par les autorités de police reste également à l’état de simple allégation non autrement établie en cause.
Or, de simples craintes hypothétiques qui ne sont basées sur aucun fait réel ou probable ne sauraient constituer des motifs visés par la Convention de Genève (cf. trib. adm.
29 avril 1999, n° 11220 du rôle, confirmé par Cour adm. 6 juillet 1999, n° 11313C du rôle, Pas. adm. 2006, V° Etrangers, n° 65 et autres références y citées), le demandeur n’apportant aucun autre élément de nature à faire tomber sa demande d’asile sous le champ d’application de ladite convention.
Pour le surplus, il échet de constater que le récit du demandeur reste incohérent dans la mesure où il déclare lui-même ne plus avoir été inquiété par des autorités policières de son pays d’origine suite à son installation dans la ville XXX, de sorte qu’il a ainsi pu profiter d’une possibilité de fuite interne, étant rappelé que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité du demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir les raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf.
trib. adm. 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm. 2006, V° Etrangers, n° 62 et autres références y citées).
Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef.
Concernant ensuite l’examen des conditions d’obtention du statut de protection subsidiaire dans le chef de Monsieur XXX, force est de retenir que c’est à juste titre que le ministre a estimé que le demandeur ne court pas, en cas de retour éventuel en XXX, un risque réel de se voir infliger la peine de mort ou de se faire exécuter ou encore de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants respectivement de faire l’objet de menaces graves et individuelles contre sa vie en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
En effet, le prétendu fait d’avoir reçu deux convocations par les autorités policières ne justifie pas une impossibilité de retour à l’heure actuelle en XXX, d’autant plus que le demandeur a lui-même affirmé que le système judiciaire XXX réservera à son père un procès équitable et que ce dernier sera probablement acquitté.
Au vu de ce qui précède, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par:
M. Schockweiler, premier vice-président, M. Schroeder, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 12 mars 2007 par le premier vice-président, en présence de M.
Rassel, greffier.
s. Rassel s. Schockweiler 6