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26/02/2007 | LUXEMBOURG | N°22490

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 26 février 2007, 22490


Tribunal administratif N° 22490 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 janvier 2007 Audience publique du 26 février 2007

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Recours formé par Madame XXX contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l'Immigration en matière de protection internationale

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 22490 du rôle et déposée le 26 janvier 2007 au greffe du tribunal administratif par Maître Arnaud RANZENBERGER, avocat Ã

  la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à XXX, au nom de Madame XXX, née le XXX à X...

Tribunal administratif N° 22490 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 janvier 2007 Audience publique du 26 février 2007

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Recours formé par Madame XXX contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l'Immigration en matière de protection internationale

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 22490 du rôle et déposée le 26 janvier 2007 au greffe du tribunal administratif par Maître Arnaud RANZENBERGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à XXX, au nom de Madame XXX, née le XXX à XXX, de nationalité XXX, agissant tant en son nom personnel qu’en celui de sa fille mineure XXX, demeurant ensemble à XXX, tendant à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l'Immigration du 27 novembre 2006, retenant que le XXX n’est pas responsable de l’examen de la demande en obtention d'une protection internationale, introduite le 23 octobre 2006 par Madame XXX, et que cette responsabilité incombe à la République fédérale XXX ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 2 février 2007 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Arnaud RANZENBERGER et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline GUILLOU-

JACQUES en leurs plaidoiries respectives.

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Le 23 octobre 2006, Madame XXX, alias XXX, alias XXX, introduisit en son nom propre et pour le compte de sa fille mineure XXX une demande en obtention d'une protection internationale au sens de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.

Le même jour, Madame XXX fut entendue par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police XXX, sur son identité et sur l’itinéraire de voyage suivi pour venir au XXX.

Les vérifications effectuées par le service de police judiciaire ayant révélé que l’intéressée avait déposé en date du 7 juillet 2005 une demande d’asile en XXX sous le nom de XXX, née le XXX à XXX, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministre », adressa le 22 novembre 2006 aux autorités XXX une requête aux fins de reprise en charge de Madame XXX sur base des dispositions du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des Etats membres par un ressortissant d'un pays tiers, ci-après désigné par « le règlement (CE) n° 343/2003 ».

Cette demande ayant fait l’objet d’une réponse positive datant du 27 novembre 2006 de la part des autorités XXX, le ministre, par décision du 27 novembre 2006, notifiée à Madame XXX en date du 22 janvier 2007, l’informa « qu’en vertu des dispositions de l'article 15 de la loi précitée du 5 mai 2006 [relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection] et des dispositions des articles 13 et 16§1e du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003, ce n’est pas le XXX, mais la République fédérale XXX qui est responsable du traitement de votre demande d'asile.

En effet, il résulte des informations dont nous avons connaissance que vous avez déjà précédemment déposé une demande d’asile en XXX en date du 7 juillet 2005.

Le XXX n’étant pas compétent pour examiner votre demande, je regrette de ne pas pouvoir réserver d’autres suites à votre dossier. (…) » Par arrêté du même jour, le ministre refusa à Madame XXX l’entrée et le séjour sur le territoire du XXX aux motifs tirés de ce qu’elle ne disposerait pas de moyens d’existence personnels et qu’elle se trouverait en séjour irrégulier au pays.

Par requête déposée le 26 janvier 2007, Madame XXX a introduit un recours contentieux tendant à l’annulation de la décision d’incompétence précitée du 27 novembre 2006.

Il ressort des termes de la décision entreprise que le ministre s’est basé sur les dispositions de l'article 15 de la loi précitée du 5 mai 2006 et des articles 13 et 16, paragraphe 1 e) du règlement (CE) n° 343/2003 pour se déclarer incompétent.

L’article 17 de la loi précitée du 5 mai 2006 prévoit expressément qu’en matière de décisions d’incompétence prises au titre de l’article 15 de la même loi du 5 mai 2006, seul un recours en annulation est ouvert devant les juridictions administratives.

Le recours en annulation à l’encontre de la décision ministérielle litigieuse ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, la demanderesse fait exposer qu’elle serait l’épouse de Monsieur XXX, de nationalité XXX, qu’elle et Monsieur XXX seraient les parents d’un enfant âgé d’à peine un an et que Monsieur XXX aurait également introduit une demande d’asile au XXX en date du 19 juillet 2006 pour laquelle la procédure serait encore en cours. Elle précise que toute la famille vivrait ensemble au XXX, où ils se seraient finalement retrouvés après une séparation suite à la fuite de leur pays d’origine. Dans la mesure où l’exécution de la décision d’incompétence entraînerait à nouveau la séparation de la famille, elle estime opportun que le ministre compétent accorde à elle et à sa fille un droit de séjour temporaire en attendant l’issue de la procédure d’asile concernant Monsieur XXX.

En droit, la demanderesse soutient que la décision attaquée violerait l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, garantissant le droit au respect de la vie privée et familiale au motif que l’autorité administrative, en agissant conformément à la décision attaquée, s’ingérerait dans sa vie familiale dont l’existence serait pourtant établie à suffisance de droit en l’espèce par le fait qu’une preuve du mariage, célébré avant l’immigration des deux époux au pays, aurait été fournie aux autorités et par le fait que les deux époux vivraient ensemble au XXX et s’occuperaient de l’enfant commun. Elle donne à considérer que, d’une part, la demande d’asile introduite au XXX par Monsieur XXX empêcherait la famille de s’établir sur le territoire XXX et que, d’autre part, la procédure relative à sa propre demande d’asile serait achevée en XXX, de sorte que rien ne s’opposerait à ce que les autorités XXX renoncent à leur compétence en faveur des autorités XXX.

Enfin, la demanderesse, en relevant que la décision ministérielle litigieuse aurait été prise 7 jours après le dépôt de sa demande de protection internationale, tandis que la notification de cette même décision aurait pris deux mois, s’interroge sur le point de savoir si la décision litigieuse a été prise à la suite d’un examen « en profondeur » de sa situation ou si elle reflète plutôt une « simple décision générale de police des étrangers ».

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement relève en premier lieu que la demanderesse aurait déclaré à la police judiciaire avoir quitté son pays d’origine quelques jours avant son arrivée au XXX et ne jamais avoir déposé une demande d’asile dans un autre pays. Confrontée au résultat de la recherche effectuée dans le système XXX, la demanderesse aurait admis avoir déposé une demande d’asile en XXX et que sa véritable identité serait par ailleurs XXX. Le représentant étatique précise que le transfert volontaire de la demanderesse en XXX, prévu pour le 30 janvier 2007, n’aurait pas pu avoir lieu en raison de la disparition de celle-ci.

En droit, le délégué du gouvernement met tout d’abord en doute le mariage de la demanderesse avec Monsieur XXX dans la mesure où il résulterait de l’acte de mariage versé par la demanderesse, lequel serait illisible, qu’elle s’appellerait XXX, alors qu’elle a déclaré s’appeler en réalité XXX. Au vu des nombreux mensonges de la demanderesse qui aurait fait usage d’au moins quatre identités différentes et au vu du récit rocambolesque de son prétendu époux, il serait difficile d’accorder foi au prétendu mariage de la demanderesse et de Monsieur XXX.

Pour les mêmes raisons, le représentant étatique conteste l’existence d’une vie familiale au sens de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Dans ce contexte, il donne à considérer que d’après les prétendus époux, ils auraient vécu en XXX, or, rien ne les obligeait à quitter séparément XXX pour se retrouver dans une situation précaire au XXX. Il estime ainsi avoir à faire à un cas de demandeurs d’asile déboutés dans un pays, lesquels prétendraient que l’un d’eux serait retourné dans son pays d’origine avant de déposer une nouvelle demande d’asile dans un autre pays de l’Union européenne pour ainsi déjouer les règles du règlement (CE) n° 343/2003.

Il soutient ensuite qu’il ressortirait clairement du dossier que la demanderesse n’aurait jamais quitté le territoire des Etats membres de l’Union européenne et qu’après avoir été déboutée de sa demande d’asile en XXX, elle serait venue au XXX déposer une nouvelle demande d’asile, de sorte que ce serait à bon droit que le ministre a sollicité la reprise en charge de la demanderesse de la part des autorités XXXX. Il ajoute que la demande d’asile de Monsieur XXX aurait été rejetée par une décision du 28 août 2006.

Enfin, le délégué du gouvernement donne à considérer que le mécanisme prévu par le règlement (CE) n° 343/2003 permettant de réunir des familles respectivement de déterminer le pays responsable du traitement lorsque des membres d’une famille déposent simultanément dans un même Etat membre ou à des dates suffisamment rapprochées pour que les procédures de détermination de l’Etat responsable puissent être menées conjointement, ne jouerait pas en l’espèce, dans la mesure où le ministre s’était déjà déclaré responsable pour connaître de la demande de protection internationale introduite par le prétendu époux au moment de l’introduction par la demanderesse de sa demande de protection internationale. Il estime encore que même si l’article 15 du règlement (CE) n° 343/2003 permettrait au ministre pour des raisons humanitaires de connaître d’une demande d’asile, ce serait à bon droit que le ministre n’aurait pas accepté de traiter la demande de protection internationale de la demanderesse au vu de l’usage par celle-ci de plusieurs identités.

En l’espèce, il n’est pas contesté par la demanderesse que suivant les dispositions invoquées à l’appui de la décision litigieuse, ce n’est pas le XXX, mais la République fédérale XXX qui est en principe responsable du traitement de sa demande de protection internationale, étant donné qu’elle y a déposé en date du 7 juillet 2005 une demande d’asile.

Afin de voir mettre en échec le mécanisme de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale, la demanderesse s’empare des seules dispositions de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme en faisant valoir que l’exécution de la décision litigieuse opérerait une ingérence injustifiée dans l’exercice de son droit au respect de sa vie privée et familiale.

Dans la mesure où la décision d’incompétence du ministre en faveur des autorités XXX, lesquelles ont préalablement accepté la reprise en charge de la demanderesse et de sa fille mineure XXX, comporte implicitement mais nécessairement la décision de transférer la demanderesse et sa fille en XXX, il y a lieu d’examiner la conformité de ladite décision d’incompétence dans sa globalité par rapport à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.

L’article 8 de ladite Convention dispose que :

« 1) Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2) Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».

Concernant la prétendue vie familiale invoquée en l’espèce par la demanderesse, à laquelle la décision d’incompétence déférée porterait atteinte, s’il est vrai que l’existence d’une telle vie familiale est contestée par le délégué du gouvernement qui reproche à la demanderesse d’avoir usé de différentes identités et d’avoir nié avoir séjourné en Europe avant son arrivée au XXX, il n’en demeure pas moins que ces éléments ne sauraient suffire en l’état actuel du dossier pour mettre en doute l’existence d’une vie familiale, à défaut d’autres éléments versés en cause. Dans ce contexte, le fait de savoir si la demanderesse et Monsieur XXX sont effectivement mariés est sans incidence quant à la question de l’existence d’une vie familiale, dès lors que la demanderesse affirme que Monsieur XXX est le père de l’enfant XXX et qu’ils vivent actuellement ensemble.

Dans la mesure où la décision d’incompétence a pour conséquence le transfert de la demanderesse et de sa fille en XXX, entraînant ainsi la séparation de la demanderesse et de son enfant du père de celui-ci, la mise en balance entre les intérêts supérieurs de l’enfant et de la mère de celui-ci et les motifs ayant amené le ministre à se déclarer incompétent dégage en l’espèce une ingérence injustifiée ou disproportionnée au sens de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Par voie de conséquence, le ministre aurait dû, afin de se conformer à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme précité, faire usage de la clause dérogatoire de l’article 3, paragraphe 2 du règlement (CE) n° 343/2003, selon lequel chaque Etat membre peut examiner une demande d’asile qui lui est présentée, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés par ce règlement, et accepter l’examen au fond de la demande d’asile de la demanderesse par les autorités XXX.

Ainsi, en se déclarant incompétent pour connaître de la demande de protection internationale de la demanderesse, le ministre a commis une erreur manifeste d’appréciation.

Partant, le recours est fondé et la décision d’incompétence litigieuse encourt l’annulation.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare justifié ;

partant annule la décision ministérielle déférée du 27 novembre 2006 et renvoie le dossier en prosécution de cause devant le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration ;

donne acte à la demanderesse de ce qu’elle déclare bénéficier de l’assistance judiciaire.

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, premier vice-président, M. Schroeder, premier juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 26 février 2007 par le premier vice-président, en présence de M. Rassel, greffier.

Rassel Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 22490
Date de la décision : 26/02/2007

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2007-02-26;22490 ?

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