Tribunal administratif N° 22532 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 février 2007 Audience publique extraordinaire du 16 février 2007 Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 22532 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 9 février 2007 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, de nationalité albanaise, retenu au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant à la réformation d’un arrêté du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 22 janvier 2007 ordonnant son placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une durée maximum d’un mois à partir de la notification ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 13 février 2007 par le délégué du Gouvernement ;
Vu les pièces versées en cause et notamment l’arrêté entrepris ;
Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Madame le délégué du Gouvernement Jacqueline JACQUES en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 14 février 2007.
A l’occasion d’un contrôle d’identité opéré en date du 21 janvier 2007 par le Centre d’intervention de la police grand-ducale de Luxembourg, Monsieur … fut appréhendé et placé, sur instruction du Parquet, au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig.
Le 22 janvier 2007, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après « le ministre », prit à l’encontre de Monsieur … une décision de placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig pour une durée maximale d’un mois à partir de la notification de la décision en question, en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois.
La décision de placement est fondée sur les considérations et motifs suivants :
« Vu l’article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers ;
Vu le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière ;
Vu le rapport n° 20137 du 21 janvier 2007 établi la police grand-ducale, CI Luxembourg ;
Considérant que le Parquet a ordonné une mesure de rétention en date du 21 janvier 2007 ;
Considérant que l’intéressé n’est pas en possession d’un document de voyage valable ;
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qu’il ne dispose pas de moyens d’existence personnels suffisants ;
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qu’il se trouve en séjour irrégulier au pays ;
Considérant qu’il est signalé au système EURODAC comme ayant déposé une demande d’asile en Belgique en date du 19 juin 2006 ;
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qu’une demande de reprise en charge en vertu du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 sera adressée aux autorités belges dans les meilleurs délais ;
Considérant qu’un éloignement immédiat n’est pas possible ;
Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d’éloignement ; » Des recherches effectuées par la police grand-ducale révélèrent un « hit » EURODAC selon lequel Monsieur … aurait été appréhendé à Bruxelles en date du 19 juin 2006 ; en revanche, si le demandeur s’est prévalu lors du contrôle de police d’une copie d’une carte établie par le Centre d’accueil pour réfugiés d’Arlon en date du 20 juin 2006, la police belge a informé ses collègues luxembourgeois que le dénommé … serait inconnu en Belgique.
En date du 12 février 2007, le ministre soumit à l’autorité belge compétente une demande de reprise en charge de Monsieur … en se prévalant de ces informations.
Par requête déposée le 9 février 2007, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre de la décision de rétention prévisée du 22 janvier 2007.
Etant donné que l’article 15, paragraphe (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3.
l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, institue un recours de pleine juridiction contre une décision de placement, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit contre l’arrêté ministériel du 12 décembre 2005.
Ledit recours, ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.
A l’appui de son recours, le demandeur fait plaider que les conditions légales pour prononcer une mesure de placement à son encontre ne seraient pas remplies, étant donné qu’aucune circonstance de fait n’empêcherait les autorités luxembourgeoises de l’éloigner vers la Belgique sur base des articles 16, 1. c) et 20 b) du règlement CE n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des États membres par un ressortissant d'un pays tiers, ci-après désigné par le « règlement CE 343/2003 ».
Il conteste encore le fait que les autorités luxembourgeoises se soient trouvées devant une impossibilité de le refouler et allègue qu’il aurait pu être refoulé vers la Belgique conformément aux dispositions des accords de réadmission du Benelux et de l’article 12 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1° l’entrée et le séjour des étrangers ; 2° le contrôle médical des étrangers ; 3° l’emploi de la main-d’œuvre étrangère.
Il conclut enfin au caractère inapproprié du lieu de placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière.
L’Etat, dans son mémoire en réponse, conclut au bien-fondé de la décision litigieuse et justifie la mesure de placement en exposant qu’une demande de reprise ou de transfert valable exigerait une photo d’identité ainsi qu’un bref résumé du voyage de la personne à transférer, pièces et données qui feraient cependant actuellement encore défaut.
Il explique encore que compte tenu des informations actuellement disponibles, il y aurait impossibilité d’exécuter le transfert du demandeur sur base du prédit règlement CE 343/2003.
Concernant la justification au fond de la mesure de rétention, il se dégage de l’article 15, paragraphe (1) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers que lorsque l’exécution d’une mesure d’expulsion ou de refoulement en application des articles 9 ou 12 de la même loi est impossible en raison des circonstances de fait, l’étranger peut, sur décision du ministre compétent, être placé dans un établissement approprié à cet effet pour une durée d’un mois.
Il en découle qu’une décision de placement au sens de la disposition précitée présuppose l’impossibilité d’exécuter une mesure d’expulsion ou de refoulement dans le chef de la personne concernée.
En l’espèce, il constant que le recours a pour seul objet l’impossibilité de l’éloignement ou du refoulement respectivement en l’espèce du transfert de l’étranger en raison de circonstances de fait.
Il résulte en l’espèce des données EURODAC recueillies par les autorités luxembourgeoises en date du 22 janvier 2007, soit le jour-même de la décision déférée, que le demandeur a qualité de demandeur d’asile en Belgique, qualité par ailleurs confirmée par les parties au présent litige. Il en résulte que le demandeur tombe directement dans les prévisions de l’article 16, 1. c) du règlement CE 343/2003 en tant que ressortissant d'un pays tiers dont la demande d’asile est en cours d'examen en Belgique et qui se trouve, sans en avoir reçu la permission, sur le territoire d'un autre État membre, à savoir le Grand-Duché de Luxembourg.
Dans la mesure où le prédit règlement CE 343/2003 est un texte de droit communautaire régissant spécifiquement les droits et obligations des Etats membres de l’Union européenne face aux ressortissants d’Etats tiers ayant déposé une demande d’asile sur le territoire de l’Union européenne, il doit trouver application en l’espèce en tant que loi spéciale par dérogation à toute disposition de droit international ou interne régissant d’une manière plus générale le statut des ressortissants d’Etats tiers (trib. adm. 13 juin 2003, n° 16508 et trib. adm. 4 août 2004, n° 18457, www.ja.etat.lu). Il s’ensuit que c’est à juste titre que le ministre a eu recours en l’espèce à la procédure spécifique instaurée par l’article 20 dudit règlement CE 343/2003 en soumettant aux autorités belges une demande de reprise en charge préliminairement à l’exécution de toute mesure d’éloignement.
Néanmoins, force est au tribunal de constater que la demande de reprise en charge n’a été adressée aux autorités belges qu’en date du 12 février 2007, soit près de trois semaines après le placement du demandeur au Centre de séjour et son identification en tant que demandeur d’asile en Belgique, l’Etat expliquant ce délai par la nécessité de disposer de photographies de la personne détenue et d’un résumé de son voyage depuis le dépôt de sa demande d’asile afin d’être à même de déposer une demande de reprise complète.
S’il ressort des pièces versées en cause que le service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration a fait à cet égard les diligences nécessaires dès le 23 janvier 2007, en chargeant la police d’enquêter sur le demandeur et de prendre des photos d’identité de l’intéressé, et qu’il a adressé un rappel à la police en date du 9 février 2007, force est cependant de constater que les pièces et données manquantes - dont la production n’est par ailleurs pas exigée par le règlement CE 343/2003 - ne se trouvent actuellement toujours pas en possession du ministre.
Or ni le manque apparent de diligence imputé par le délégué du Gouvernement à la police ni le fait d’avoir relancé une seule fois la police ne sauraient exonérer l’Etat de ce retard, alors qu’il appartient au ministre de veiller à ce que toutes les mesures appropriées soient prises afin d’assurer le transfert de la personne retenue dans les meilleurs délais, c’est-
à-dire de façon à écourter au maximum sa privation de liberté qui doit demeurer exceptionnelle.
Il convient de surcroît de relever que ce retard est non seulement pas justifié, mais qu’il est encore non justifiable, les démarches à effectuer consistant uniquement à prendre quelques photographies du demandeur et à établir le trajet parcouru par celui-ci depuis le dépôt de sa demande d’asile à Bruxelles, trajet l’ayant apparemment mené d’après les informations fournies en cause à Arlon et ensuite au Luxembourg.
Comme le tribunal statuant dans le cadre d’un recours en réformation est appelé à apprécier la décision déférée au jour où il statue, il y a lieu de constater que la décision de rétention déférée du 22 janvier 2007 ne remplit plus les conditions imposées par l’article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972.
Le tribunal est partant amené à réformer la décision querellée et à ordonner la libération immédiate du demandeur, sans qu’il y ait lieu de prendre position par rapport aux autres moyens et arguments invoqués.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond, le déclare également justifié ;
partant, par réformation, met fin à la décision du ministre du 22 janvier 2007 et ordonne la mise en liberté immédiate de Monsieur … ;
condamne l’Etat aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 16 février 2007 par :
Mme Lenert, vice-président, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.
s. Schmit s. Lenert 5