Numéro 21663 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 juillet 2006 Audience publique du 8 février 2007 Recours formé par Monsieur XXX contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié
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JUGEMENT
Vu la requête, inscrite sous le numéro 21663 du rôle, déposée le 14 juillet 2006 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur XXX, né XXX à XXX, de nationalité XXX, demeurant à XXX, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 18 avril 2006 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 12 juin 2006 prise sur recours gracieux ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 août 2006 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, en remplacement de Maître Louis TINTI, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.
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Le 11 mars 2003, Monsieur XXX, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
En date du même jour, Monsieur XXX fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police XXX sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au XXX.
Il fut entendu en dates des 25 juin et 25 juillet 2003 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.
Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après désigné par le « ministre », l’informa par décision du 18 avril 2006, notifiée par courrier recommandé du 19 avril 2006, que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée aux motifs énoncés comme suit :
« En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 11 mars 2003 et le rapport d’audition de l’agent du Ministère de la Justice du 25 juin 2003.
Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire que vous auriez quitté XXX par avion le 9 mars 2003 vers une destination qui vous serait inconnue. Après escale vous auriez pris un autre avion pour le XXX où vous seriez arrivé le 10 mars 2003. Le dépôt de votre demande d’asile date du lendemain.
Il résulte de vos déclarations que vous seriez membre du parti politique d’opposition XXX depuis 1998. Vous dites avoir été dans l’organisation, vous auriez affiché et distribué des tracts et auriez rassemblé les gens lors de manifestations. Vous n’auriez pas eu d’autres activités ou de fonction particulière au sein de XXX. Pour prouver vos dires, vous apportez une carte de membre de XXX établie le 10 avril 1998, une attestation de XXX établie le 12 juin 2003, ainsi que quelques photos de manifestations.
Le 21 juillet 2002, vous auriez fait partie d’une délégation de 50 membres de XXX participant à l’enterrement d’un représentant XXX de XXX, préfecture de XXX. Lors du trajet en bus, la délégation aurait été contrôlée par des soldats et retenue pendant une demie heure. Lors de l’enterrement la délégation aurait été provoquée verbalement par des jeunes du parti politique au pouvoir, le XXX. Après l’enterrement, ces jeunes auraient couru derrière le bus et jeté des pierres. Il y aurait eu des blessés légers et des dégâts matériels.
Vous-même n’auriez pas été blessé, mais vous auriez perdu votre carte d’identité lors des incidents.
Le 25 juillet 2002, des gendarmes seraient venus à votre domicile et vous auriez été emmené à la Gendarmerie Territoriale de XXX. On aurait retrouvé votre carte d’identité et vous auriez été accusé d’avoir agressé des gens à XXX. Vous auriez été relâché après 3 semaines, notamment après l’intervention du secrétaire général de XXX. Les gendarmes vous auraient dit qu’ils auraient des rapports sur vos activités pour XXX et vous auraient ordonné d’arrêter.
Le 9 novembre 2002, vous auriez participé à une marche contre la « modification des listes électorales ». Le 12 novembre 2002, alors que vous auriez été sous la douche commune à l’extérieur de votre domicile, une personne serait venue vous avertir que des gendarmes seraient en train de parler avec votre femme. Vous vous seriez caché dans une maison voisine. Votre femme vous aurait rapporté que vous seriez recherché parce que vous auriez participé à la marche du 9 novembre 2002 et que la gendarmerie aurait confisqué votre passeport ainsi que quelques tracts de XXX. Les gendarmes auraient dit que vous devriez passer à la gendarmerie pour récupérer votre passeport. Encore le même soir, vous seriez allé vous cacher dans votre maison familiale à XXX. Vous y seriez resté jusqu’au 2 mars 2003. Vers janvier 2003, votre femme aurait été menacée par la police et votre frère arrêté pendant un jour.
Le 2 mars 2003, alors que vous auriez été chez votre oncle des personnes en civil seraient passées et auraient voulu savoir où vous vous trouveriez. Vous n’auriez pas reconnu ces personnes et vous vous seriez caché. Par la suite, une personne vous aurait dit que ces personnes auraient été des soldats. Vous auriez eu peur et dans la même nuit encore vous seriez parti pour le XXX.
Vous ne faites pas état d’autres problèmes.
La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.
Or, il ne résulte pas de vos allégations, qui ne sont d’ailleurs corroborés par aucun élément de preuve tangible, que vous risquiez ou risquez d’être persécuté dans votre pays d’origine pour un des motifs énumérés par l’article 1er, A., § 2 de la Convention de Genève.
En effet, les incidents lors de l’enterrement d’un membre XXX en juillet 2002 et le fait que vous auriez été détenu pendant 3 semaines puis relâché ne sont pas d’une gravité telle et ne sauraient suffire pour fonder une demande en obtention du statut de réfugié politique.
Même si les activités dans un parti d’opposition peuvent justifier des craintes de persécutions, il n’en résulte pas automatiquement que tout membre actif d’un parti d’opposition risque des persécutions de la part du pouvoir en place, d’autant plus que vous n’auriez pas d’activité particulièrement exposée. A supposer le fait que vous seriez effectivement recherché parce que vous auriez participé à une marche en novembre 2002 comme établi, il ne saurait constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’il ne peut fonder une crainte justifiée d’être persécuté dans votre pays d’origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section 1 (sic), § 2 de la Convention de Genève. Vous n’auriez jamais été confronté aux soldats ou gendarmes, des personnes vous auraient simplement reporté qu’ils seraient à votre recherche. Votre peur de vous faire arrêter constitue une crainte hypothétique qui n’est basée sur aucun fait réel ou probable et ne saurait constituer des motifs visés par la Convention de Genève.
Vos motifs traduisent plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte justifiée de persécution au sens de la prédite Convention.
Par conséquent, vous n’alléguez aucune crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.
Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».
Le recours gracieux formé par courrier de son mandataire du 22 mai 2006 ayant été rencontré par une décision confirmative du même ministre du 12 juin 2006, Monsieur XXX a fait introduire un recours en réformation à l’encontre des décisions ministérielles initiale du 18 avril 2006 et confirmative du 12 juin 2006 par requête déposée le 14 juillet 2006.
L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit, lequel est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, le demandeur reproche au ministre une appréciation erronée des faits à la base de sa demande d’asile et de ne pas avoir tiré les conséquences nécessaires des éléments de persécution par lui invoqués en raison de son activisme politique au sein du parti « XXX ». Il expose ainsi qu’il aurait eu un rôle actif dans ce parti pour avoir participé à de nombreuses campagnes de sensibilisation, avoir occupé la fonction de délégué de XXX dans un bureau de vote à XXX et fait partie de délégations de XXX lors d’enterrements de militants et que cette activité politique l’aurait régulièrement mis en conflit avec les autorités militaires et la gendarmerie qui auraient essayé à plusieurs reprises de l’arrêter. Il ajoute qu’il aurait été effectivement arrêté le 25 juillet 2002 par des gendarmes et mis en détention durant trois semaines, occasion à laquelle on lui aurait signifié qu’il devrait cesser toute activité politique. Il critique ainsi la conclusion du ministre qu’il n’aurait pas eu « d’activité particulièrement exposée » et que sa crainte serait plutôt hypothétique et il relève encore que peu avant son départ du XXXX, des militaires auraient menacé son épouse et arrêté son frère durant un jour afin de le retrouver, de manière que son arrestation immédiate en cas de retour serait plus que probable. Le demandeur fait encore valoir que son frère se trouverait sous la protection du XXX en raison du danger auquel il serait exposé suite à son arrestation prévisée. Finalement, le demandeur conclut « à voir apprécier les éléments de la cause avec une certaine bienveillance alors que l’instruction de sa demande s’est étalée sur un délai anormalement long ».
Le représentant étatique soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.
Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».
La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue.
En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de ses auditions en dates des 25 juin et 25 juillet 2003, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.
Ainsi, le demandeur fait essentiellement état de sa crainte d’être victime de persécutions de la part des autorités en place du fait de son activité au sein du parti « XXX » et des actes de répression de la part des autorités en place.
S’il est vrai que les activités dans un parti d’opposition peuvent justifier des craintes de persécution au sens de la Convention de Genève, il n’empêche qu’en l’espèce, les faits soumis par le demandeur remontent aux années 2002 et 2003 et s’insèrent dans le contexte politique général de la présidence de XXX, de manière qu’ils ne paraissent plus de nature à fonder à l’heure actuelle une crainte justifiée de persécution dans son chef, faute notamment par le demandeur d’avoir rapporté des éléments suffisants permettant de conclure à la persistance d’un risque individualisé de persécution à son égard dans le contexte politique actuel dans son pays d’origine, au vu de l’évolution de la situation politique au XXX après le décès en 2005 du président XXX et du processus de réconciliation nationale amorcé par la signature de l’Accord Politique Global au mois d’août 2006.
Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, de manière que le recours en réformation doit être rejeté comme n’étant pas fondé.
PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par:
M. SCHOCKWEILER, premier vice-président, M. SCHROEDER, premier juge, Mme GILLARDIN, juge, et lu à l’audience publique du 8 février 2007 par le premier vice-président, en présence de M. RASSEL, greffier.
s. RASSEL s. SCHOCKWEILER 6