Tribunal a Numé dmini ro 21 s 940 du tratif rôle Numéro 21961 du rôle du Grand-
Duché de Luxembourg Inscrit le 27 septembre 2006 Audience publique du 7 février 2007 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié
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JUGEMENT
Vu la requête, inscrite sous le numéro 21961 du rôle et déposée le 27 septembre 2006 au greffe du tribunal administratif par Maître Marie BENA, avocat à la Cour, assistée par Maître Nicolas BERNARDY, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Liberia), de nationalité libérienne, demeurant à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 28 août 2006 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée et lui ayant refusé le bénéfice de la protection subsidiaire ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 novembre 2006 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 29 novembre 2006 par le mandataire du demandeur ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Nicolas BERNARDY ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 22 janvier 2007.
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Le 6 avril 2004, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
En date du même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur son identité.
Il fut entendu en date du 13 juillet 2004 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.
Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministre », entre-temps en charge du dossier, l’informa par décision du 28 août 2006, notifiée par courrier recommandé du 30 août 2006, que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée aux motifs énoncés comme suit :
« En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 21 avril 2004 et le rapport d’audition de l’agent du Ministère de la Justice du 13 juillet 2004.
Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire que, le 7 janvier 2004, vous auriez quitté le Liberia avec un ami qui vous aurait conduit à Nouadhibou en Mauritanie.
Vous y seriez resté trois semaines afin d’organiser votre départ. Le 27 janvier 2004, un marin vous aurait aidé à vous infiltrer à bord d’un bateau en partance pour le Portugal, cependant vous ne sauriez pas dans quel port le bateau aurait accosté. Vous y seriez néanmoins resté une semaine avant de prendre un train pour Paris. Trois jours plus tard, vous auriez rejoint le Luxembourg en train. Le dépôt de votre demande d’asile date du 6 avril 2004. Vous ne présentez aucune pièce d’identité. Vous désirez également continuer vos études au Luxembourg.
Il résulte de vos déclarations qu’en septembre 2003 un groupe rebelle aurait attaqué votre village et aurait pris quelques jeunes garçons pour les former au combat.
Ne voulant pas rejoindre les rangs des rebelles, vous auriez pris la fuite en laissant votre famille derrière vous. Quelque temps après vous seriez retourné à la maison mais votre famille aurait disparu. Pendant 3 mois vous auriez vécu dans la rue. N’ayant nulle part où aller et pas assez à manger, vous auriez décidé de quitter votre pays. Un homme mauritanien propriétaire d’un magasin dans votre village vous aurait alors emmené en voiture à Nouadhibou en Mauritanie. Vous seriez resté pendant 2 semaines avec lui avant qu’il vous mette en relation avec un marin, lequel aurait organisé votre départ.
Vous ajoutez que vous n’auriez pas pu trouver refuge auprès des habitants de votre village car ceux-ci seraient à majorité chrétienne et insulteraient fréquemment votre famille de confession musulmane.
Enfin, vous admettez n’avoir subi aucune persécution ni mauvais traitement, et ne pas être membre d’un parti politique.
Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.
Force est cependant de constater qu’à défaut de pièces, un demandeur d’asile doit au moins pouvoir présenter un récit crédible et cohérent. Or, il est peu concevable que vous n’ayez rien payé pour votre voyage en Europe. En outre, le récit que vous faites de votre voyage auprès de la police judiciaire diffère à plusieurs reprises de ce que vous expliquez durant l’audition. D’après le rapport de la police, un copain vous aurait emmené en voiture à Nouadhibou en Mauritanie, le voyage ayant duré deux jours.
Cependant, lors de l’audition vous expliquez que votre trajet en voiture jusqu’en Mauritanie aurait duré plus de deux semaines. Vous déclarez ensuite auprès de la police judiciaire que vous seriez resté pendant trois semaines chez des connaissances à votre ami à Nouadhibou. Pourtant, le rapport de l’audition indique que vous y auriez seulement séjourné pendant deux semaines et ceci chez l’homme mauritanien et sa famille. Puis, vous répondez à la police que vous ne vous souvenez pas dans quelle ville votre bateau aurait accosté alors que lors de l’audition vous attestez que vous seriez arrivé à Lisbonne au Portugal. A cela s’ajoute que le rapport de la police judiciaire mentionne que vous seriez resté 3 jours à Paris en France. Pourtant, auprès de l’agent du Ministère de la Justice vous révélez que vous auriez rejoint le Luxembourg le jour de votre arrivée à Paris. Finalement, soulignons que vos connaissances concernant votre pays natal s’avèrent très vagues. En effet, vous ne connaissez pas la date de la fête nationale, ne savez pas que le Liberia est divisé en 15 comtés et êtes incapable d’en nommer un seul malgré des exemples donnés par l’agent. Ensuite, vous ne pouvez citer que deux groupes ethniques au Liberia et ne savez pas que MODEL est un groupe rebelle, alors que c’est l’un des plus connus. De telles imprécisions sèment le doute quant à la véracité de votre récit.
De toute façon, même à supposer les faits que vous alléguez établis et vos craintes à l’encontre des rebelles qui auraient semé la terreur durant la guerre civile au Libéra en 2003 avérés, celles-ci n’ont à présent plus lieu d’être. En effet, une force multinationale intervenue le 4 août 2003, le départ de Charles Taylor du gouvernement et l’instigation d’un gouvernement transitoire le 14 octobre 2003 ont permis de démanteler les groupes rebelles et ont mis fin aux conflits dans votre pays. De plus, les élections démocratiques et pacifiques d’octobre et novembre 2005 ainsi que l’investiture de la nouvelle Présidente Ellen Johnson Sirleaf le 16 janvier 2006 ont définitivement stabilisé la situation et restauré une paix durable au Libéria. Soulignons également que la Présidente, lors de sa prestation de serment, a imploré le retour des nombreux réfugiés libériens afin de participer à la reconstruction de leur pays. Elle a par ailleurs garanti que le Gouvernement les assistera dans leur réintégration professionnelle et au sein de leur communauté.
En ce qui concerne les villageois qui vous insulteraient à cause de votre appartenance à la religion musulmane, ceux-ci ne peuvent pas être assimilés à des agents de persécutions au sens de la Convention de Genève. De telles insultes, par ailleurs non établies, ne peuvent être considérées comme une persécution au sens de la Convention de Genève.
Ainsi, vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est par conséquent pas établie.
En outre, vous n’invoquez pas non plus de raisons valables fondant un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection. En effet, tel que mentionné ci-dessus, la situation générale au Libéria s’est stabilisée, les conflits dans votre pays ont cessé en 2003 et une paix durable a été restaurée. Ainsi, les faits invoqués à l’appui de votre demande ne nous permettent pas d’établir que vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, ni que vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants. Enfin, la situation actuelle ne peut plus être qualifiée de « violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international » comme le prévoit l’alinéa c) de l’article 37. Ainsi, les faits que vous alléguez ne justifient pas la reconnaissance du statut conféré par la protection subsidiaire.
Enfin, le mauvais comportement des villageois à votre égard ne justifie pas non plus la reconnaissance du statut conféré par la protection subsidiaire puisque de simples insultes ne peuvent être qualifiées d’atteintes graves.
Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. Le bénéfice de la protection subsidiaire tel que prévu par la loi du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection doit également vous être refusé ».
Par requête déposée le 27 septembre 2006, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation à l’encontre de cette décision ministérielle du 28 août 2006.
Etant donné que tant l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection prévoient un recours en réformation en matière de demandes d’asile et de demandes de protection subsidiaire déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation, lequel est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Le recours subsidiaire en annulation est en conséquence irrecevable.
A l’appui de sa demande d’asile, le demandeur expose qu’au courant du mois de septembre 2003, son village aurait été attaqué par un groupe de rebelles qui aurait cherché à enlever les jeunes du village. Il soutient qu’il avait pu fuir son village et ainsi échapper à l’emprise des rebelles, mais qu’à son retour, toute sa famille aurait disparu. Il soutient avoir été contraint de fuir son village pour trouver refuge en Europe, étant donné que les rebelles « menaçaient de revenir à chaque instant dans son village afin d’enrôler de nouveaux combattants ».
Il soutient encore que ce serait à tort que le ministre aurait déclaré son récit incrédible et incohérent et essaye de justifier ses déclarations par le fait qu’il n’aurait eu à l’époque des faits que 14 ans et que les incohérences ne porteraient que sur des détails.
Il relève encore l’instabilité politique et sociale régnant au Libéria en se référant à divers rapports versés en annexe de son recours pour soutenir qu’il devrait bénéficier du statut de réfugié. Il ajoute qu’il n’aurait plus de famille au Libéria et qu’il aurait perdu tout contact avec son pays.
Le représentant étatique soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.
Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».
La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.
En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de ses différentes auditions, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les arguments apportés dans le cadre de la procédure contentieuse, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.
En effet, force est de constater que le demandeur fait essentiellement état de sa crainte de voir commettre des actes de violence à son encontre dans le contexte du climat d’insécurité ayant régné au Liberia, et plus particulièrement de la part des rebelles, sans cependant donner des précisions quant à leur identité.
Or, cette crainte, dans la mesure où les faits ainsi mis en avant remontent au mois de septembre 2003 et donc à une époque se situant avant le départ du président Charles TAYLOR, n’est plus de nature à fonder à l’heure actuelle une crainte justifiée de persécution dans son chef, faute notamment par le demandeur d’avoir rapporté en cause un quelconque élément tangible permettant de conclure à la persistance d’un risque individualisé de persécution à son égard dans le contexte politique actuel dans son pays d’origine.
Cette conclusion n’est pas ébranlée par l’argumentation du demandeur tenant à la situation générale prévalant au Liberia. En effet, le changement politique, amorcé par la signature en août 2003 d’un accord entre le gouvernement libérien, les forces rebelles, les partis politiques et des représentants de la société civile et par l’instauration en date du 14 octobre 2003 d’un gouvernement de transition auquel s’est ajouté la mise en place d’une force internationale (UNMIL) par la résolution n° 1509 du Conseil de Sécurité des Nations Unies du 19 septembre 2003 avec la mission notamment d’assurer la sécurité intérieure du pays et de soutenir la démobilisation et le désarmement des forces rebelles, a abouti à des élections parlementaires et présidentielles en octobre et novembre 2005 ayant porté une femme à la présidence du Liberia. L’UNHCR a, en février 2006, pris officiellement position en faveur d’une politique de promotion active du retour des réfugiés libériens dans leur pays d’origine en retenant que dans l’ensemble, les conditions sont réunies pour un retour des réfugiés dans la sécurité et la dignité.
S’il est certes exact que le Conseil de sécurité des Nations Unies a relevé dans son rapport du 29 septembre 2006 que la situation au Liberia demeure une menace pour la paix et la sécurité internationales dans la région et que le mandat de la MINUL a été prorogé jusqu’au 31 mars 2007, ledit rapport constate également en guise de conclusion que les efforts consentis pour consolider la paix au Liberia portent déjà leurs fruits, notamment en ce qui concerne l’établissement de bonnes relations avec les pays voisins.
Face à cette évolution somme toute positive de la situation générale au Liberia et en l’absence d’éléments suffisants de nature à étayer un risque concret de recrudescence générale des violences, les craintes exprimées par le demandeur ne sont pas de nature à fonder à l’heure actuelle une crainte justifiée de persécution, étant relevé que le demandeur n’a fourni aucun élément permettant d’admettre que sa situation diffère de celle de ses compatriotes.
Concernant le volet de la décision portant refus dans le chef du demandeur du bénéfice de la protection subsidiaire au sens de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, force est encore de retenir que c’est à juste titre que le ministre a estimé que le demandeur ne court pas, en cas de retour éventuel au Libéria, un risque réel de se voir infliger la peine de mort ou de se faire exécuter ou encore de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants respectivement de faire l’objet de menaces graves et individuelles contre sa vie en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
En effet, les prétendues tensions interethniques ne sont pas suffisantes pour établir une impossibilité de retour à l’heure actuelle au Libéria.
Au vu de ce qui précède, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, déclare le recours non justifié et en déboute, déclare le recours en annulation irrecevable, condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 7 février 2007 par :
Mme Lenert, vice président, Mme Lamesch, premier juge, M Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.
s. Schmit s. Lenert 7