Tribunal administratif Numéro 21562 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 juin 2006 Audience publique du 31 janvier 2007 Recours formé par Madame …, … (Belgique) contre une décision du directeur de l’administration de l’Emploi en matière de garantie de salaire Vu la requête inscrite sous le numéro 21562 du rôle et déposée le 21 juin 2006 au greffe du tribunal administratif par Maître Michel KARP, avocat à la Cour, assisté de Maître Dogan DEMIRCAN, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, demeurant à B-…, tendant à l’annulation sinon à la réformation d’une décision du directeur de l’administration de l’Emploi non datée portant refus de garantie de la créance salariale par elle invoquée dans le cadre de la faillite de la société anonyme Transport Frigorifique International S.A. ainsi que d’une décision confirmative du 15 juin 2006 intervenue sur recours gracieux ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 20 septembre 2006 par le délégué du Gouvernement ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;
Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Madame le délégué du Gouvernement Jacqueline JAQUES en ses plaidoiries à l’audience publique du 4 décembre 2006 ;
Vu la rupture du délibéré prononcée le 13 décembre 2006 ;
Vu le mémoire additionnel déposé au greffe du tribunal administratif le 19 décembre 2006 par le délégué du Gouvernement ;
Vu le mémoire additionnel déposé au greffe du tribunal administratif le 20 décembre 2005 par Maître Michel KARP au nom de Madame … ;
Entendu le juge-rapporteur en son rapport complémentaire, ainsi que Maître Dogan DEMIRCAN et Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 8 janvier 2007.
Madame … commença à travailler pour le compte de la société anonyme … S.A., désignée ci-après par « … SA », au courant de l’année 2004.
Par jugement du tribunal d’arrondissement de Diekirch du 27 avril 2005 la société … SA fut déclarée en faillite.
Il résulte du procès-verbal de vérification de créances du 20 juillet 2005 que le juge commissaire et le curateur ont admis au passif privilégié la créance de Madame … au titre d’arriérés de salaire pour un montant de 6.115,80 €.
Le dossier de Madame … ayant été soumis à l’administration de l’Emploi, ci-après désignée par « ADEM » aux fins de bénéficier du mécanisme de la garantie salariale pour les arriérés de salaire pour les mois de juin 2004 à février 2005, le salaire du 1er au 13 mars 2005, une indemnité pour congés non pris pour les années 2004 et 2005 et une indemnité de préavis, l’ADEM, en sa qualité de garante des créances salariales, s’adressa à Madame … dans les termes suivants :
« Concerne : Faillite … S.A.
Madame, J’ai l’honneur de vous informer par la présente que l’instruction de votre dossier dans la faillite émargée a fait apparaître que vous avez été engagée en tant que administrateur délégué sous le statut d’indépendant.
Or, les dispositions des articles 30, 42, 43 et 46 de la loi modifiée du 24 mai 1989 sur le contrat de travail ne s’appliquent qu’aux seuls travailleurs salariés.
Dans ces conditions, je me vois dans l’impossibilité de réserver une suite favorable à votre demande… ».
Le 19 mai 2006, Madame … a fait introduire un recours gracieux à l’encontre de cette décision de refus. En substance elle fait valoir qu’elle aurait été engagée en tant que salariée, qu’elle se serait trouvée dans un lien de subordination vis-à-vis de son employeur, qu’elle aurait exercé des travaux de secrétariat et qu’elle n’aurait bénéficié d’aucune autonomie de décision.
Le 15 juin 2006, le directeur de l’ADEM confirma sa décision précédente en retenant que « faisant suite à l’affaire émargée, j’ai l’honneur de vous informer que je maintiens ma décision prise en date du 10 avril 2006 ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 21 juin 2006, Madame … a fait introduire un recours en annulation, sinon en réformation à l’encontre de ces deux décisions de refus.
Le recours en annulation introduit en ordre principal ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. La loi ne prévoyant pas de recours au fond en cette matière, le tribunal est incompétent pour connaître du recours en réformation introduit en ordre subsidiaire.
En premier lieu Madame … soulève le défaut de motivation de la décision confirmative du directeur de l’ADEM prise sur recours gracieux, défaut de motivation qui entraînerait partant son irrégularité.
Il est exact que le directeur n’a pas répondu aux arguments développés par la demanderesse dans le cadre de son recours gracieux, mais qu’il s’est limité à renvoyer à sa décision prise antérieurement, contraignant ainsi le demandeur à exercer un recours contentieux à l’encontre des décisions litigieuses afin de voir toiser le fond de l’affaire et voir développer le cas échéant les arguments de l’ADEM.
Il n’en reste pas moins qu’en cas de décision prise sur recours gracieux, la motivation de la deuxième décision peut consister dans le renvoi à la décision antérieure dûment motivée, si celle-ci précise les éléments de fait constitutifs de la notion juridique applicable, ces derniers devant être spécifiques à la cause et ne pas se limiter à des considérations d’ordre général1.
Etant donné que le directeur de l’ADEM fait référence au fait que Madame … aurait été engagée en tant qu’administrateur-délégué sous le statut d’indépendant et que dès lors la protection applicable au statut de salarié ne lui serait pas applicable, il y a lieu de retenir que cette décision a été motivée à suffisance, de sorte que le moyen est à écarter.
Madame … fait valoir ensuite que la vérification de la créance d’arriérés de salaire par le curateur et son admission au passif de la faillite à titre privilégié par le juge commissaire témoigneraient à suffisance de droit du fait que le statut de salarié lui aurait été reconnu. Elle ajoute que l’ADEM ne saurait méconnaître l’autorité de la chose jugée qui s’attacherait aux décisions de justice dans la mesure où le tribunal de Diekirch a entériné le caractère privilégié de sa créance, ainsi que, par voie de conséquence, le statut de salariée de Madame ….
Le délégué du Gouvernement estime de son côté que l’ADEM serait en droit de vérifier la qualité de salarié bénéficiaire de la garantie de salaire et que le législateur aurait entendu conférer à l’ADEM un pouvoir de vérification étendu. L’ADEM serait dès lors admise à remettre en question une décision prise par le curateur et confirmée par le tribunal.
L’article 46, paragraphe 6 de la loi modifiée du 24 mai 1989 sur le contrat de travail est libellé comme suit :
« A la demande du curateur, le fonds pour l´emploi verse aux salariés, dans les limites visées au présent article, les sommes impayées figurant sur le relevé des créances présenté par le curateur, visé par le juge-commissaire et vérifié par l´administration de l´emploi. Le relevé prévu au présent alinéa peut être présenté par le curateur avant la clôture du procès-verbal de vérification des créances ».
Encore que l’article 46, paragraphe 6, confère expressément au curateur la possibilité de présenter le relevé des créances à l’ADEM avant la clôture du procès-verbal de vérification des créances, permettant ainsi à l’ADEM de procéder à ses propres vérifications avant la clôture et de déclencher le cas échéant la procédure à suivre en cas de contestation relative aux créances non admises conformément aux articles 502 et suivants du Code de commerce, il est un fait qu’en l’espèce le curateur n’a pas profité de cette option, de sorte que l’ADEM ne fut confrontée avec le relevé des créances qu’après la clôture du procès-verbal de vérification des créances.
Il est encore constant que la décision du juge-commissaire, qui vérifie les créances du curateur en application de l’article 500 du Code de commerce, consignée au procès-verbal de vérification des créances, met la créance à l’abri de toute modification et empêche le créancier 1 Cf TA 3 mai 2001, n° 12437, Pas. adm. 2006, Procédure administrative non contentieuse, n° 64, p. 636.
de demander ultérieurement un changement de la quotité ainsi fixée. La vérification des créances en cas de faillite ayant pour but de déterminer définitivement les droits respectifs des créanciers, il s’ensuit que l’admission pure et simple d’une créance, qu’elle ait eu lieu amiablement ou par autorité de justice, implique ou un contrat judicaire ou une décision équivalente par l’effet desquels cette créance est désormais à l’abri de toute contestation nouvelle tendant à l’anéantir, la réduire ou la modifier2.
Il n’en reste pas moins qu’on ne saurait cependant opposer un précédent jugement à une personne qui n’y a pas été partie et n’est pas non plus considérée comme y ayant été représentée. Dans la mesure où un tel jugement crée des obligations à une personne, celle-ci peut en contester les effets dans une procédure ultérieure si elle n’a pas été partie ou représentée dans la procédure originaire.3 Il en résulte que l’ADEM, en sa qualité de tiers par rapport à la décision prise par le juge-commissaire, ne saurait se voir refuser son droit de vérifier les créances dont elle est tenue au paiement.
Il s’ensuit que le moyen soulevant l’autorité de la chose jugée est à écarter pour être non fondé.
Quant au fond, l’ADEM refuse de garantir la créance de Madame … au motif qu’elle n’aurait pas le statut de salariée.
Etant donné que la contestation de l’ADEM porte sur l’interprétation du contrat de travail, le tribunal a ordonné la rupture du délibéré afin de permettre aux parties de prendre position sur la question de la compétence des juridictions administratives pour connaître du litige, eu égard notamment aux articles 95bis de la Constitution et 25 du Nouveau Code de procédure civile.
Madame … estime que le tribunal administratif serait compétent pour statuer sur la décision lui soumise.
Le délégué du Gouvernement précise que le recours est dirigé contre une décision du directeur de l’ADEM refusant à la créance de Madame … la garantie telle que prévue par l’article 46 de la loi modifiée du 24 mai 1989 sur le contrat de travail, de sorte qu’il s’agirait d’une décision administrative faisant grief. Il continue que s’il est vrai qu’à la base de ce refus se trouve une considération quant à l’interprétation du contrat de travail, l’examen de cette question relèverait évidemment de la compétence des juridictions du travail, si elle constituait l’objet unique du litige. Cependant en l’espèce cette question ne constituerait qu’un aspect du recours. Il ajoute que si le tribunal administratif se déclarait incompétent, la requérante serait privée de tout recours contre la décision directoriale entreprise.
Selon l’article 25, alinéa 1 du Nouveau Code de procédure civile « le tribunal du travail est compétent pour connaître des contestations relatives au contrat de travail (…) qui s’élèvent entre les employeurs, d’une part, et leurs salariés, d’autre part, y compris celles survenant après que l’engagement a pris fin (…) ».
2 Cf. Cour d’appel 9 mars 1966, Pasicrisie 20, p. 83 et 3 janvier 1979, Pasicrisie 24, p. 275.
3 Cass. 21 janvier 1999, Pasicrisie 31, p. 45.
En l’absence d’une disposition expresse contraire de la loi, le tribunal administratif est compétent pour trancher les problèmes préalables nécessaires à la solution du litige principal, étant donné que la compétence de trancher un litige emporte celle de se prononcer sur toutes les questions de droit que ce litige suscite. Le principe que le juge de l’action est le juge de l’exception est en effet absolu sauf disposition contraire de la loi4. Cette solution n’implique aucun empiètement sur la compétence des juridictions civiles en la matière, puisque l’objet de la contestation n’est pas constitué par un droit civil, mais par une décision administrative dont l’annulation est demandée.
Au vu de ce qui précède, il y a lieu de retenir que le tribunal administratif est compétent pour trancher la question de la qualification de la relation de travail entre Madame … et la société … SA qui s’est posée incidemment devant lui.
Madame … estime qu’elle aurait été engagée en tant que salariée par la société … SA, tandis que le délégué du Gouvernement soutient que la demanderesse serait restée en défaut de donner des explications sur les contradictions manifestes entre les pièces du dossier et la décision de l’assemblée générale extraordinaire de la société … SA la nommant aux fonctions d’administrateur délégué et les explications fournies dans sa requête selon lesquelles elle serait une secrétaire de la société ne prenant aucune décision.
En date du 9 février 2004, la … SA et Madame … avaient conclu un contrat à durée indéterminée. Il y était stipulé que le salarié sera engagé sous le statut d’indépendant en tant qu’administrateur délégué. La date du début de l’exécution du travail était fixée au 9 février 2004.
Par assemblée générale du 16 mars 2004, Madame … fut appelée aux fonctions d’administrateur-délégué, étant donné qu’elle disposait d’une autorisation pour exercer une fonction dirigeante au sein d’une société de transports et que cette autorisation pourrait être étendue à la société. Elle fut nommée en plus au poste d’administrateur, à côté de Madame … et de Monsieur ….
Il résulte encore des pièces versées au dossier que Madame … fut affiliée auprès de l’Office national de sécurité sociale à Bruxelles en tant qu’employée de la société … SA à partir du 1er juillet 2004.
La rémunération fut également versée par l’intermédiaire du « Secrétariat Social SECUREX asbl - Secrétariat social d’employeurs » de Liège, les fiches de salaire afférentes figurant au dossier se rapportant aux mois de juillet 2004 à décembre 2004.
Le Centre commun de la sécurité sociale du Luxembourg atteste en date du 5 mai 2006 que Madame … n’a jamais été enregistrée dans les fichiers du Centre commun de la Sécurité sociale.
Au vu de ces constatations, il y a lieu de retenir que Madame … n’a pas rapporté la preuve d’avoir été, pendant la période concernée de juin 2004 au 13 mars 2005, salariée de la société … SA au Luxembourg.
4 Pour la problématique cf Rép. Pr. Civ. Dalloz, septembre 2006, V° Compétence, n° 111, p. 17, cf Michel Leroy, Contentieux, administratif, Bruylant 2004, p. 595 et 598, cf F. Perin, JT 1951, p. 684.
Il en résulte que l’ADEM a valablement pu fonder sa décision sur les articles 30, 42, 43 et 46 de la loi modifiée du 24 mai 1989 sur le contrat de travail qui ne s’appliquent qu’aux seuls travailleurs salariés pour refuser la garantie des créances déclarées.
A ce titre les explications avancées par Madame … qu’elle aurait été secrétaire au sein de la société … SA, qu’elle n’aurait pris aucune décision, que Monsieur …lui aurait donné des ordres et aurait surveillé son travail tant au niveau des horaires qu’au niveau de la qualité de son travail ne suffisent pas pour contrecarrer les constatations faites ci-avant.
Au vu de ce qui précède, les éléments avancés par Madame … sont insuffisants pour ébranler le bien-fondé de la décision prise par l’ADEM.
Le recours est dès lors à jeter pour être non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond le dit non justifié ;
se déclare incompétent pour analyser le recours en réformation ;
condamne la partie demanderesse aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 31 janvier 2007 par :
Mme Lenert, vice-président, Mme Lamesch, premier juge, Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.
s. Schmit s. Lenert 6