Tribunal administratif Numéro 22083 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 30 octobre 2006 Audience publique du 22 janvier 2007 Recours formé par Monsieur … et consorts, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de protection internationale
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 22083 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 30 octobre 2006 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Kosovo/République de Serbie), ainsi que de son épouse, Madame …, née le … (Kosovo/République de Serbie), agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leur enfant … (République de Serbie), tous de nationalité serbe, demeurant actuellement ensemble à L-…., tendant, d’une part, à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 29 septembre 2006 leur refusant une protection internationale et, d’autre part, à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire luxembourgeois contenu dans la même décision ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 20 décembre 2006 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Isabelle RAMBOUILLET, en remplacement de Maître Nicky STOFFEL et Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 8 janvier 2007.
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Le 17 août 2006, Monsieur … et son épouse, Madame…, accompagnés de leur fille mineure …, introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande de protection internationale au sens de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection.
Les époux …-… furent entendus en date du 30 août 2006 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur leur situation et sur les motifs se trouvant à la base de leur demande de protection internationale.
Par décision du 29 septembre 2006, notifiée par envoi recommandé du 2 octobre 2006, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après dénommé « le ministre », les informa que leur demande avait été rejetée comme étant non fondée après l’avoir évaluée par rapport aux conditions d’obtention du statut de réfugié et de celles d’obtention du statut conféré par la protection subsidiaire. Il a retenu plus particulièrement que les faits allégués, en l’occurrence des menaces et des jets de pierres, ne seraient pas d’une gravité suffisante pour être qualifiés d’actes de persécution au sens de la Convention de Genève et de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, de même que les auteurs de ces menaces, à savoir des Albanais non autrement identifiés, ne sauraient être considérés comme des agents de persécution au sens de la Convention de Genève, ceci d’autant plus qu’il ne ressortirait pas de leur dossier que les forces onusiennes auraient refusé ou auraient été dans l’incapacité de leur fournir une protection quelconque. Il a retenu qu’il ressortirait au contraire très clairement des déclarations de Madame … qu’elle a pu saisir la police au sujet de son agression subie en 2001 et que le coupable a été arrêté à la suite d’une instruction judiciaire. Quant à la situation générale des minorités au Kosovo, le ministre a retenu que leur situation serait devenue plus stable et qu’en règle générale elles ne devraient plus craindre des attaques directes contre leur sécurité, même si la situation économique était encore peu favorable dans les villes de la région de Gnjilane.
Le ministre a retenu ensuite que le récit des époux …-… ne contiendrait pas de motifs sérieux et avérés permettant de croire qu’ils courent un risque réel de subir des atteintes graves définies à l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 précitée et que les faits invoqués à l’appui de leur demande ne permettent pas d’établir qu’ils craignent de se voir infliger la peine de mort ou de se faire exécuter, qu’ils risquent de subir des actes de torture ou de traitements ou sanctions inhumains ou dégradants ou encore qu’ils seraient susceptibles de faire l’objet de menaces graves et individuelles contre leur vie en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international. Après avoir relevé dans ce contexte que la Serbie a aboli la peine capitale pour tous les délits en date du 26 février 2002 et que la situation actuelle au Kosovo ne saurait être considérée comme conflit armé interne ou international, le ministre a ainsi rejeté comme non fondées les demandes introduites en obtention d’une protection internationale.
Par requête déposée le 30 octobre 2006, les époux …-… ont fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation de la décision du 29 septembre 2006 par laquelle ils se sont vus refuser la reconnaissance d’un statut de protection internationale et un recours tendant à l’annulation de la décision du même jour, incluse dans le même document, portant à leur encontre ordre de quitter le territoire luxembourgeois.
1. Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 29 septembre 2006 portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 19 (3) de la loi précitée du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées, une demande en réformation a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle déférée.
Le recours en réformation ayant été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
A l’appui de ce recours, les demandeurs font exposer qu’ils sont originaires d’une enclave serbe au Kosovo et que les membres de leur famille auraient dû subir, dans leur quotidien, des menaces et des insultes par des Albanais, de même que leur liberté de circulation et de mouvements auraient été fortement restreinte. Ils se réfèrent à un rapport du UNHCR du mois de juin 2006 pour faire état du caractère inquiétant de la situation des Serbes du Kosovo, des Roms et des Albanais qui se trouveraient en minorité. Ils estiment ainsi avoir établi à suffisance que la situation sécuritaire générale au Kosovo, malgré une amélioration progressive depuis mars 2005, demeurerait fragile et imprévisible et que les minorités continueraient de souffrir et d’être victimes d’incidents motivés par leur appartenance ethnique. Ils rappellent pour le surplus les ennuis subis essentiellement depuis le moi de mars 2006 et relatés au cours de leurs auditions respectives pour soutenir que le ministre se serait livré à une mauvaise appréciation de leur situation.
Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs, de sorte qu’ils seraient à débouter de leur recours.
Aux termes de l’article 2 a) de la loi précitée du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 c) de ladite loi comme s’appliquant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) ».
En l’espèce, l’examen des faits et motifs invoqués par les époux …-… à l’appui de leur demande en obtention d’une protection internationale lors de leurs auditions, ainsi qu’au cours de la procédure contentieuse, à les supposer établis, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte fondée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leurs opinions politiques ou de leur appartenance à un certain groupe social ainsi que le prévoit l’article 2 c) de la loi précitée du 5 mai 2006.
En effet, tel que relevé à juste titre par le ministre les faits invoqués à l’appui de leur demande ne revêtent pas une gravité suffisante pour singulariser leur situation par rapport à la situation générale dans leur pays d’origine, ceci d’autant plus que la situation générale a évolué dans le sens d’une amélioration au Kosovo et que les demandeurs, plutôt que de se diriger directement vers le Grand-Duché de Luxembourg, auraient pu chercher à s’installer dans une autre partie de leur pays d’origine pour éviter une situation éventuellement plus aiguë dans leur région d’origine.
Pour le surplus, force est de constater que les menaces alléguées proviennent de personnes privées et non pas de l’Etat, de sorte qu’il appartient aux demandeurs de démontrer que les autorités en place au Kosovo ne peuvent pas ou ne veulent pas leur accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves alléguées, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, les demandeurs ayant pu s’adresser aux autorités chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics au Kosovo et leur plainte n’étant pas restée sans suite.
Il s’ensuit que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte fondée de persécution susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef.
Quant au volet de la décision déférée ayant trait à l’application éventuelle des dispositions de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 précitée, force est de constater que les demandeurs n’ont pas fait état, à l’appui de leur recours sous examen, de moyens spécifiques de nature à établir que le refus afférent serait illégal ou non fondé, de sorte que le tribunal n’a pas été mis en mesure de procéder utilement à la vérification de ce volet de la décision déférée.
Il se dégage des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a, au terme de l’analyse de la situation des époux …-…, déclaré leur demande de protection internationale sous analyse comme non fondée et que le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.
2. Quant au recours tendant à l’annulation de la décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 29 septembre 2006 portant ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 19 (3) de la loi précitée du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, une requête sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée du 29 septembre 2006 a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.
Aux termes de l’article 19 (1) de la loi précitée du 5 mai 2006, une décision négative du ministre en matière de protection internationale vaut ordre de quitter le territoire en conformité des dispositions de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère.
Force est de constater que les demandeurs se contentent de solliciter l’annulation de l’ordre de quitter le territoire sans avancer un quelconque moyen à l’encontre dudit ordre.
Le tribunal vient, tel que développé ci-dessus, de retenir que les demandeurs ne remplissent pas les conditions pour prétendre au bénéfice d’une protection internationale, de sorte qu’en l’état actuel du dossier et compte tenu des moyens figurant dans la requête introductive d’instance, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause la légalité de la décision déférée portant ordre de quitter le territoire.
Partant, le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 29 septembre 2006 portant refus d’une protection internationale ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 29 septembre 2006 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne les demandeurs aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 22 janvier 2007 par :
Mme Lenert, vice-président, Mme Lamesch, premier juge, Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.
s. Schmit s. Lenert 5