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10/01/2007 | LUXEMBOURG | N°21514

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 janvier 2007, 21514


Numéro 21514 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 juin 2006 Audience publique du 10 janvier 2007 Recours formé par Monsieur XXX contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 21514 du rôle, déposée le 13 juin 2006 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à l

a Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur XXX,...

Numéro 21514 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 juin 2006 Audience publique du 10 janvier 2007 Recours formé par Monsieur XXX contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 21514 du rôle, déposée le 13 juin 2006 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur XXX, né le 30 septembre 1977 à XXX, de nationalité XXX, demeurant à XXX, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 3 avril 2006 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 12 mai 2006 prise sur recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 8 septembre 2006 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 2 février 2005, Monsieur XXX, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur XXX fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut entendu en dates des 24 mars et 26 avril 2005 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après désigné par le « ministre », l’informa par décision du 3 avril 2006, notifiée par courrier recommandé du 4 avril 2006, que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée aux motifs énoncés comme suit :

« En mains le procès-verbal du Service de Police Judiciaire du même jour et le rapport d’audition de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration daté des 24 mars et 26 avril 2005.

Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté XXX pour la frontière turque en bus deux mois avant le dépôt de votre demande d’asile. Vous précisez qu’à la frontière, on trouverait toujours des passeurs prêts à organiser un voyage. Vous auriez été emmené par l’un de ces passeurs à XXX puis vers la côte. Vous auriez alors pris place dans un bateau qui vous aurait déposé dans une île grecque. De là, vous auriez pris un autre bateau jusqu’à Athènes. Vous auriez séjourné clandestinement dans cette ville pendant une quinzaine de jours. Vous auriez pu acheter une fausse carte d’identité et prendre un billet d’avion pour Bruxelles. Vous auriez finalement pris un train pour Luxembourg où vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 2 février 2005.

Vous exposez que vous auriez payé pour ne pas devoir faire votre service militaire et que vous auriez reçu une carte de fin de service militaire. Ceci ne vous aurait causé aucun problème.

Vous affirmez que votre famille compterait des personnes qui auraient eu un poste très élevé sous le régime du XXX et que votre ligne de pensée politique serait favorable à la royauté. Votre famille serait très connue à XXX. En juillet 2000, vous auriez participé aux commémorations des manifestations estudiantines de juillet 1999. Des agents du Service de renseignement se seraient infiltrés parmi les manifestants et auraient joué les « casseurs » pour que la commémoration puisse être mâtée par les forces de l’ordre. Vous auriez été arrêté et conduit, les yeux bandés, dans une cellule. Vous auriez été interrogé sur votre participation à la manifestation commémorative et au sujet de votre famille ; vous auriez été maltraité. On vous aurait cassé le nez. Vous seriez resté en prison pendant deux mois et demi environ. Vous auriez dû vous engager à ne plus manifester. Après votre libération, vous n’auriez plus participé à des manifestations mais en 2004, vous auriez rencontré un ami d’enfance. Cet ami, XXX, aurait fait partie d’un groupe qui photocopiait et distribuait les discours du XXX. Ce groupe aurait été dirigé par un certain XXX. Un jour, alors que vous étiez chez XXX pour arranger des tracts, le téléphone portable de votre ami aurait sonné. Vous auriez alors compris qu’il vous fallait vous enfuir. Vous auriez vu deux personnes qui faisaient le guet et vous vous seriez enfui par les toits. Vous vous seriez caché chez un ami. Cet ami vous aurait aussi indiqué comment sortir d’XXX. Vous ignorez si vos parents ont été inquiétés après votre départ et si les forces de l’ordre auraient perquisitionné chez vous. Vous ajoutez qu’une mallette avec vos cours d’étudiant serait restée chez XXX.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Je vous rends attentif au fait que, pour invoquer l’article 1er, A, 2 de la Convention de Genève, il faut une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Je constate que vous avez invoqué avoir participé à une manifestation commémorative en 2000, ce qui vous aurait valu une arrestation. En admettant que votre nez ait vraiment été cassé par un coup porté en 2000 par les forces de l’ordre, ce qui n’est pas prouvé, cet élément est trop ancien pour être pris en considération. En effet, par la suite, jusqu’en 2004, vous n’auriez plus été inquiété.

En ce qui concerne vos activités en 2004, les craintes que vous invoquez restent à l’état de supposition. Vous auriez distribué des discours du XXX pris sur Internet pendant environ neufs mois.

Vous dites avoir quitté XXX après un coup de fil sur le portable de votre ami XXX. Vous supposez qu’XXX a été inquiété ou même arrêté, vous supposez que la police a trouvé votre mallette chez lui. En admettant même que cela soit le cas, je relève que votre mallette ne contenait que des cours universitaires mais pas de tracts, même s’il s’y trouvait des discours du XXX. Le fait d’avoir, éventuellement, trouvé des discours du XXX dans votre mallette est insuffisant pour vous placez [sic] dans une position particulièrement exposée. Ceci d’autant plus que ces discours figurent sur un site web que l’on peut capter en XXX, même s’il est illégal.

Vous versez à l’appui de votre demande d’asile une copie de votre livret de famille avec une traduction officielle en langue anglaise, le tout émanant du Département de la Justice de l’administration de la ville [de]XXX. Ce document date du 25 février 2005. Vous versez, traduit de la même façon officielle, une copie de votre diplôme en business management. Cette pièce est datée du 23 février 2005. Votre famille vous aurait fait parvenir ces pièces alors que vous étiez déjà au Luxembourg. Je relève que, si vous étiez recherché, si des perquisitions avaient été faites à votre domicile, aucun membre de votre famille n’aurait pu se rendre au Ministère de la Justice pour y obtenir de tels documents officiels. J’en conclus donc qu’aucun mandat d’amener n’a été lancé contre vous. Il est par ailleurs surprenant que votre famille vous envoie ces pièces sans vous informer de leur situation après votre fuite. Pour le surplus, vos craintes restent à l’état de supposition et sont d’ores et déjà infirmées par les documents officiels que vous versez et qui sont postérieurs à votre départ d’XXX.

Quant au fait d’avoir de la famille qui a exercé des postes influents sous le XXX, en supposant ce fait établi, il est également insuffisant pour vous voir conférer le statut de réfugié politique.

Il résulte de ce qui précède que vous ne faites état que d’un sentiment d’insécurité mais que vous n’invoquez aucune persécution entrant dans le cadre de la Convention de Genève.

En conséquence, votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1993 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le recours gracieux formé par courrier de son mandataire du 5 mai 2006 ayant été rencontré par une décision confirmative du même ministre du 12 mai 2006, Monsieur XXX a fait introduire un recours en réformation à l’encontre des décisions ministérielles initiale du 3 avril 2006 et confirmative du 12 mai 2006 par requête déposée le 13 juin 2006.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation, lequel est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur expose que sa famille, et notamment ses grand-père et père, aurait eu des positions élevées sous le régime du XXX, qu’elle aurait été « bannie par le pouvoir en place » suite à la chute du régime du XXX, que lui-même aurait été emprisonné pendant deux mois et demi en raison de ses activités en faveur des mouvements d’étudiants et qu’il garderait encore aujourd’hui des séquelles d’un coup porté lors de son arrestation par les forces de l’ordre XXX. Il ajoute que son grand-père aurait été magistrat de la Cour de cassation sous le régime du XXX et que son père aurait été un joueur de football professionnel en 1ère division et dans l’équipe nationale XXX, ainsi qu’acteur de cinéma ayant notamment joué le rôle principal dans un film intitulé « XXX », de manière qu’il aurait été maltraité et banni par le pouvoir révolutionnaire « au motif qu’il était un des éléments de l’ancien régime » et en raison de sa participation au film prévisé.

Le demandeur estime qu’une crainte de persécution pourrait découler du manquement de l’Etat d’origine d’un demandeur d’asile à remplir ses obligations de protection à l’égard de ses citoyens telles qu’elles découlent de la Déclaration universelle des droits de l’homme et auxquelles un Etat ne peut pas déroger, même en cas de trouble à la sécurité publique. Le demandeur s’empare de certains rapports internationaux pour étayer son argumentation relative à la persistance de violations systématiques des droits de l’homme en XXX notamment en ce qui concerne l’exercice du droit à la liberté de pensée et à la liberté d’expression à travers la répression de toute forme de critique contre la doctrine politique et religieuse officielle. Le demandeur estime que dans ces conditions l’importance de la sanction qu’il risquerait d’encourir causerait une crainte légitime de persécution de la part des autorités XXX en cas de retour et il renvoie aux éléments mis en exergue durant la procédure administrative pour préciser le risque de persécution par lui invoqué.

Le représentant étatique soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de ses auditions en dates des 24 mars et 26 avril 2005, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, l’arrestation du demandeur et sa détention durant plus de deux mois suite à sa participation à une manifestation d’étudiants en l’année 2000, à la supposer établie, est, même si elle a constitué à bon droit un événement dramatique pour le demandeur, trop éloignée dans le temps pour justifier à elle seule la subsistance d’une crainte légitime de persécution de ce fait à l’heure actuelle et d’autant plus que le demandeur a admis lors de son audition ne pas avoir inquiété depuis l’année 2000 jusqu’aux événements de décembre 2004, même s’il soupçonnait faire l’objet d’une observation par les services secrets.

Ensuite, le demandeur expose avoir pris la fuite en décembre 2004 au moment de copier des tracts avec des allocutions du fils du XXX suite à un avertissement reçu par voie de téléphone mobile, craignant d’être à nouveau arrêté par les services secrets. Néanmoins, le demandeur, qui déclare s’être alors caché immédiatement durant deux semaines et avoir ensuite quitté directement le pays, n’a cependant soumis, à part l’affirmation que deux personnes l’auraient attendu dans la ruelle qu’il avait choisie d’avance pour sa fuite éventuelle, aucun élément concret sur les poursuites qui auraient été effectivement engagées à son encontre par les autorités, dont notamment des perquisitions ou arrestations à l’égard de membres de sa famille ou d’autres membres de son groupe, de manière que la réalité d’un risque concret de poursuites de la part des autorités XXX, dont les services secrets, en cas de retour du demandeur en XXX laisse d’être établie à suffisance de droit.

Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, de manière que le recours en réformation doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. SCHROEDER, premier juge, M. SPIELMANN, juge, Mme GILLARDIN, juge, et lu à l’audience publique du 10 janvier 2007 par le premier juge en présence de M.

RASSEL, greffier.

s. RASSEL s. SCHROEDER 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 21514
Date de la décision : 10/01/2007

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2007-01-10;21514 ?

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