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21/12/2006 | LUXEMBOURG | N°21524

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 21 décembre 2006, 21524


Tribunal administratif N° 21524 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 juin 2006 Audience publique du 21 décembre 2006 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 21524 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 14 juin 2006 par Maître Olivier LANG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Umuafo (Nigeria), de nati

onalité nigériane, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ...

Tribunal administratif N° 21524 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 juin 2006 Audience publique du 21 décembre 2006 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 21524 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 14 juin 2006 par Maître Olivier LANG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Umuafo (Nigeria), de nationalité nigériane, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 5 avril 2006 ayant rejeté sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 18 mai 2006, rendue sur recours gracieux, par laquelle le statut de la protection subsidiaire lui a également été refusé ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 2 août 2006 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 16 octobre 2006 par Maître Olivier LANG pour compte de Monsieur … ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 24 octobre 2006 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Maître Olivier LANG, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 14 janvier 2004, Monsieur … introduisit auprès du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur … fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut encore entendu en dates des 22 juin, 27 juillet et 27 septembre 2004 par un agent du ministère de la Justice respectivement du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 5 avril 2006, notifiée par envoi recommandé du 10 avril 2006, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration informa Monsieur … que sa demande d’asile avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« En mains le rapport du Service de Police Judiciaire de la même date, le rapport d’audition de l’agent du Ministère de la Justice du 22 juin 2004 et le rapport d’audition de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration du 27 septembre 2004.

Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire que vous auriez quitté le Nigeria avec l’aide d’un prêtre en bateau 3 semaines auparavant, vous ne sauriez cependant pas où vous auriez accosté. Ensuite, vous auriez rencontré une personne qui vous aurait acheté un billet de train pour le Luxembourg. Le dépôt de votre demande d’asile date du 14 janvier 2004. Vous ne présentez aucune pièce d’identité.

Il résulte de vos déclarations que votre père aurait été un commandant des Bakassi, un groupe de vigilance qui aurait été instauré sous le président nigérian Obasanjo pour combattre la criminalité. Vous expliquez qu’au début les Bakassi auraient seulement arrêté les criminels pour les transmettre à la police. Après avoir remarqué que la police les relâchait, ils auraient décidé de tuer leurs victimes. Alors, les membres des familles des défunts ainsi que des criminels relâchés auraient décidé de se venger sur les chefs de groupe.

Ils auraient donc brûlé le magasin de votre père. On aurait tiré sur les pneus de votre voiture, alors que vous auriez été en route avec votre famille. Vous seriez rentré dans une maison, causant ainsi 4 morts, votre famille n’aurait eu que quelques égratignures. Puis, votre soeur aurait été kidnappée et on lui aurait coupé sa main droite. En février 2003, ils auraient brûlé vos parents et votre soeur chez eux. Ensuite, il y aurait eu une tentative de meurtre sur vous à l’école. Le révérend qui serait le principal de l’école, aurait alors décidé de vous faire habiter chez lui. Mais, il aurait reçu une lettre menaçante sur la vitre de sa voiture, et vous aurait donc envoyé avec votre frère chez le prêtre Amah à Lagos. Après 2 mois votre frère aurait été tué alors que vous auriez été absent. Finalement, en décembre 2003 le prêtre Amah aurait organisé votre départ du Nigeria.

Vous dites craindre de vous faire à votre tour tuer par les criminels qui souhaitent se venger de votre père.

Enfin, vous admettez n’avoir subi aucune persécution ni mauvais traitement, et ne pas être membre d’un parti politique.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

A défaut de pièces, un demandeur d’asile doit au moins pouvoir présenter un récit crédible et cohérent. Or, il est peu concevable que vous n’ayez rien payé pour votre voyage en Europe et que vous ne sachiez pas où vous auriez accosté avec le bateau alors que vous auriez eu des contacts fréquents avec l’équipage. Enfin, soulignons que votre récit contient quelques contradictions. En effet, le rapport de la police judiciaire mentionne que votre dernière adresse au Nigeria serait à Warri. Cependant lors de l’audition vous révélez qu’avant votre départ vous auriez vécu à Lagos. Puis, auprès de la police judiciaire vous déclarez qu’un prêtre vous aurait aidé à monter à bord du bateau et qu’à votre arrivée vous auriez demandé de l’aide à une personne, laquelle vous aurait acheté un billet de train. Or, lors de l’audition vous expliquez qu’un inconnu vous aurait infiltré sur le bateau. Ensuite, on vous aurait confié à un chauffeur de camion, lequel vous aurait emmené à une gare où il vous aurait acheté un billet de train. En outre, auprès de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration vous déclarez d’abord que le révérend vous aurait envoyé avec votre frère à Lagos. Pourtant, plus loin vous dites que votre frère aurait déjà été à Lagos depuis le décès de vos parents. Puis, vous évoquez également que votre frère aurait été tué dans la maison du prêtre Amah, alors que vous auriez été absent. Or, plus loin vous affirmez que vous auriez été à l’intérieur de la maison quand on aurait tiré sur votre frère, qui se serait trouvé devant la maison. Enfin, notons également que votre récit manque de clarté puisque vous hésitez souvent à donner des dates sur les faits évoqués.

De toutes façons, même à supposer les faits que vous alléguez comme établis, ils ne sauraient constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’ils ne peuvent, à eux seuls, fonder dans le chef du demandeur d’asile une crainte justifiée d’être persécuté dans votre pays d’origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève. En effet, en l’espèce, le fait que des voleurs voudraient se venger sur votre famille d’avoir été punis par le groupe « bakassi » que dirigeait votre père ne pourra être considéré comme acte de persécution ou crainte de persécution au sens de la Convention de Genève. Les poursuites dont vous êtes victime consistent davantage en un règlement de compte personnel, puisqu’elles sont uniquement dues à la fonction passée de votre père sans se fonder sur une des causes de persécutions prévues par la Convention de Genève.

En outre, ces criminels ne sauraient être considérés comme agents de persécution au sens de la prédite Convention puisqu’il s’agit de personnes privées et indépendantes, qui ne sont pas sous le contrôle du gouvernement et dont les agissements peuvent être qualifiés de crimes de droit commun. De tels criminels sont normalement poursuivis par la police. Or, il ressort du rapport de l’audition que, malgré le fait que ce groupe de personnes ne soit pas soutenu par le Gouvernement, vous n’avez pas requis la protection des autorités de votre pays. Il n’est ainsi pas démontré que celles-ci seraient dans l’incapacité de vous fournir une protection.

Enfin, vous n’apportez en l’espèce aucune raison valable justifiant une impossibilité de vous installer dans une autre région de votre pays d’origine pour ainsi profiter d’une fuite interne. Il est en effet peu vraisemblable que des criminels vous aient poursuivi et retrouvé dans une ville aussi vaste et peuplée que Lagos pour se venger d’agissements commis par votre père alors que ce dernier aurait déjà été assassiné par ces mêmes personnes.

Ainsi, vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est par conséquent pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. » Par courrier du 11 mai 2006, Monsieur … formula, par le biais de son mandataire, un recours gracieux auprès du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration à l’encontre de la décision ministérielle prévisée du 5 avril 2006 et par le même courrier, il sollicita, à titre subsidiaire, la reconnaissance du statut de la protection subsidiaire telle que prévue aux articles 2.e) et 37 à 40 de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection.

Suivant décision du 18 mai 2006, envoyée le lendemain par lettre recommandée, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration confirma sa décision initiale, « à défaut d’éléments pertinents nouveaux » et refusa par ailleurs de faire droit à la demande tendant à la reconnaissance d’un statut de protection subsidiaire, au motif que Monsieur … n’invoquait pas de raisons valables fondant un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37 de la loi précitée du 5 mai 2006. Le ministre a justifié cette décision par le constat que « les faits invoqués à l’appui de [la] demande ne nous permettent pas d’établir que a) il craint de se voir infliger la peine de mort ou de se faire exécuter, b) il risque de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) il est susceptible de faire l’objet de menaces graves et individuelles quant à sa vie en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 14 juin 2006, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre des décisions ministérielles prévisées des 5 avril et 18 mai 2006.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, respectivement l’article 19 (3) de la loi précitée du 5 mai 2006 instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile et d’obtention du statut de protection subsidiaire déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises.

Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur expose être originaire du Nigeria et avoir fui ce pays en raison des activités de son père. En effet, ce dernier aurait été un commerçant « aisé » de la ville de Aba (Abia State), où il aurait exploité sa propre entreprise de fabrication de chaussures et au cours des années 2000 à 2002, il aurait été le « commandant fondateur du groupe d’autodéfense des Bakassi Boys » de la ville d’Aba. D’après le demandeur, ce groupe d’autodéfense aurait été à l’origine créé sur l’initiative de son père et également d’autres commerçants d’Aba pour lutter contre le crime, parallèlement aux activités de la police, et il aurait par la suite été légalement reconnu sur base d’une loi qui aurait été prise au mois d’août 2000, malgré le fait que ledit groupe aurait eu recours à des exactions illégales et à la violence pour arriver « à ses fins ». Le demandeur expose encore que s’il est vrai que l’activité « première » de ce groupe d’autodéfense aurait été de combattre le crime, il se serait très rapidement mis au service du gouvernement pour lutter contre les opposants politiques de celui-ci, en commettant « de multiples et effroyables exactions contraires aux principes les plus fondamentaux de protection des droits de l’homme, non seulement contre des criminels avérés, mais également contre des opposants politiques au pouvoir ». Sous la pression internationale, l’Etat du Nigeria aurait toutefois fini par interdire tant l’existence que les activités du groupe d’autodéfense des Bakassi Boys, au milieu de l’année 2002, de sorte que les membres dudit groupe seraient « soudainement » devenus des « hors la loi », « exposés aux vengeances de leurs victimes et des membres de leurs familles », et qu’ils n’auraient plus bénéficié de la protection des autorités politiques du Nigeria, qui les auraient soutenus et utilisés pendant une période de deux années.

A la suite de la cessation des activités du groupe d’autodéfense, le père du demandeur aurait abandonné les activités qu’il aurait eues au sein du groupe des Bakassi Boys en continuant à s’occuper de ses affaires commerciales. C’est pendant cette période que le père du demandeur, ainsi que d’autres membres de sa famille, auraient commencé à faire l’objet d’actes de vengeance de la part des victimes du père du demandeur, voire de leurs proches, et ainsi sa maison aurait été incendiée au milieu de l’année 2002. Dans ce contexte, il fait encore état de ce qu’à une époque ultérieure, le véhicule dans lequel tous les membres de sa famille auraient pris place, aurait été poursuivi par d’autres véhicules et qu’en essayant d’échapper à leurs poursuivants, leur véhicule serait entré en collision avec une habitation en provoquant la mort de quatre des occupants de ladite maison.

Au titre des actes de persécution dirigés contre les membres de sa famille, le demandeur fait encore état de ce qu’au mois de décembre 2002, sa petite soeur aurait été kidnappée et ses ravisseurs lui auraient coupé la main avant de la relâcher.

Le demandeur expose par ailleurs que la maison familiale aurait été incendiée une deuxième fois, entraînant le décès de ses père et mère, ainsi que de sa petite soeur. A la suite de cet évènement, il aurait été envoyé dans un pensionnat dans la ville d’Owerri, située dans l’Etat d’Imo et son frère aurait été envoyé à Lagos, auprès du pasteur Amah. Dans ledit pensionnat, il aurait fait l’objet d’une tentative d’assassinat, au cours de laquelle l’étudiant qui aurait partagé sa chambre, aurait été tué, et à la suite de cet évènement, le directeur de son école aurait reçu des menaces afin de l’obliger à le faire quitter ledit pensionnat, à la suite desquelles le directeur aurait décidé de l’envoyer, en septembre 2003, à Lagos auprès du pasteur Amah auprès duquel son frère aurait déjà trouvé refuge depuis une période de deux mois. Arrivé à Lagos, il aurait dû assister au meurtre de son frère devant la maison du pasteur Amah, ce qui aurait motivé ce dernier à le faire quitter le Nigeria vers l’Europe, au mois de décembre 2003, étant donné qu’il aurait dû constater que le demandeur ne pourrait pas être en sécurité au Nigeria. Le demandeur fait encore état de ce qu’après que son père s’était adressé aux autorités de police de son pays d’origine, à la suite de l’enlèvement de sa petite soeur, celles-ci se seraient bornées à constater les faits leur relatés, sans entreprendre le moindre acte afin d’aller à la recherche des « criminels » ou pour protéger sa famille.

Dans son recours, le demandeur prend encore position, de manière explicite et détaillée, par rapport aux prétendues contradictions et incohérences relevées par le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration dans sa décision initiale du 5 avril 2006, afin d’établir les faits par lui exposés dans le cadre de sa demande d’asile.

En substance, le demandeur reproche au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration d’avoir fait une mauvaise appréciation des faits lui soumis, en soutenant que les actes de vengeance dirigés contre sa famille, et plus particulièrement contre lui-même, seraient « alimentés » par des considérations d’ordre politique, en soutenant que le défaut des autorités nigérianes de le protéger, ainsi que les autres membres de sa famille, contre les actes des victimes de l’ancien groupe d’autodéfense s’expliquerait par des motivations politiques, dans la mesure où les autorités publiques actuellement en place au Nigeria auraient retiré leur soutien antérieurement accordé aux Bakassi Boys.

Il soutient dans ce contexte que les personnes qui le persécuteraient, feraient partie d’un groupe spécial qui aurait été créé par les opposants politiques aux dirigeants qui auraient antérieurement soutenu les activités du groupe d’autodéfense des Bakassi Boys.

Le demandeur estime encore qu’il risquerait des persécutions en raison des opinions politiques qu’il serait supposé avoir d’après lesdits agents de persécution qui constitueraient des opposants au régime du président Olusebun OBASANJO et qui chercheraient à « l’atteindre » en assassinant tant ses « anciens bras armés » que les membres des familles de ceux-ci. Enfin, il conteste pouvoir bénéficier d’une quelconque possibilité de fuite interne au Nigeria.

Quant à la demande tendant à se voir reconnaître un statut de protection subsidiaire, le demandeur soutient qu’en cas de retour dans son pays d’origine, il risquerait d’y subir des « atteintes graves », en rappelant que tous les autres membres de sa famille auraient déjà été tués et qu’une tentative d’assassinat dirigée contre lui aurait échoué. Il soutient partant remplir les conditions telles que prévues par les articles 2.e) et 37 à 40 de la loi précitée du 5 mai 2006 afin de se voir reconnaître un tel statut de protection subsidiaire.

Le représentant étatique soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié (cf. Cour adm. 28 novembre 2000, n° 10482C du rôle, Pas. adm.

2005, V° Etrangers, C. Convention de Genève, n° 57 et autres références y citées).

En ce qui concerne les prétendues incohérences entre les déclarations successives du demandeur, le tribunal est amené à conclure, au vu des explications largement satisfaisantes à cet égard et de l’âge du demandeur, que les incohérences relevées par le ministre ne sont ni suffisamment établies ni suffisamment déterminantes pour hypothéquer la crédibilité de l’ensemble des déclarations du demandeur.

Sur ce, il échet de retenir que l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de ses auditions des 22 juin, 27 juillet et 27 septembre 2004, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes-rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, force est de constater que les prétendus problèmes rencontrés par le demandeur se situent au niveau d’une criminalité de droit commun. Ainsi, il convient de constater que les faits mis en avant par lui, à savoir les prétendus assassinats de membres de sa famille et tentative d’assassinat dirigée contre lui, en réaction aux activités de son père au sein du groupe d’autodéfense des Bakassi Boys censé défendre les intérêts tant de certains commerçants que des autorités politiques en place pendant une certaine période au Nigeria, ne font pas apparaître avec la probabilité requise l’existence d’un arrière-fond politique, religieux, ethnique ou racial, et partant ne sauraient justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef.

Par ailleurs, il échet de relever que les problèmes invoqués par le demandeur par rapport aux victimes des actes commis par ledit groupe d’autodéfense des Bakassi Boys proviennent de personnes étrangères aux autorités publiques. Or, s’agissant ainsi d’actes émanant de certains groupements de la population, il y a lieu de relever qu’une persécution commise par des tiers peut être considérée comme fondant une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités publiques pour l’un des motifs énoncés par ladite Convention et dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile. En outre, la notion de protection de la part du pays d’origine de ses habitants contre des agissements de groupes de la population n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, et une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel (cf. Jean-Yves CARLIER : Qu’est-ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 113, nos 73-s). Pareillement, ce n’est pas la motivation d’un acte criminel qui est déterminante pour ériger une persécution commise par un tiers en un motif d’octroi du statut de réfugié, mais l’élément déterminant à cet égard réside dans l’encouragement ou la tolérance par les autorités en place, voire l’incapacité de celles-ci d’offrir une protection appropriée.

Or, en l’espèce, le demandeur reste en défaut de démontrer concrètement que les autorités nigérianes chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics ne soient ni disposées ni capables de lui assurer un niveau de protection suffisant, le contraire se dégageant des propres déclarations du demandeur en ce qu’il a exposé que suite à la plainte de son père, après l’enlèvement de sa soeur, les autorités nigérianes auraient procédé à une enquête, qui n’aurait toutefois pas donné de résultat satisfaisant. Or, le fait que cette enquête n’a pas été suivie d’effet concret n’est pas de nature à démontrer l’existence d’un défaut caractérisé de protection de la part des autorités en place.

Pour le surplus, il n’appert pas des éléments d’appréciation soumis au tribunal qu’une possibilité de fuite interne lui aurait été impossible, et le demandeur ne saurait être suivi lorsqu’il allègue sommairement que toute possibilité de fuite interne dans une autre partie du Nigeria, serait à l’heure actuelle exclue dans son chef, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité d’un demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir des raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib. adm. 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas.

adm. 2005, V° Etrangers, n° 62 et autres références y citées).

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation, dans la mesure où il est dirigé contre la décision de refus de lui reconnaître le statut de réfugié, est à rejeter comme n’étant pas fondé.

Concernant le volet de sa demande visant à l’obtention du statut de protection subsidiaire, force est encore de retenir que c’est à juste titre que le ministre, dans sa décision confirmative, a estimé que le demandeur ne court pas, en cas de retour éventuel au Nigeria, un risque réel de se voir infliger la peine de mort ou de se faire exécuter ou encore de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants respectivement de faire l’objet de menaces graves et individuelles contre sa vie en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.

En effet, le fait d’avoir fait l’objet d’une tentative d’assassinat, d’ailleurs non autrement établie en cause, ne justifie pas une impossibilité de retour à l’heure actuelle au Nigeria, pays dont la superficie est assez importante pour qu’il puisse s’installer dans un Etat du Nigeria autre que celui qu’il a fui avant de se rendre au Luxembourg. Il échet encore de relever dans ce contexte qu’il ne s’est adressé à aucun moment aux autorités policières de son pays d’origine pour obtenir une protection par rapport aux actes de persécutions allégués qui émaneraient de membres d’un groupe d’opposition au pouvoir actuellement en place, et qui persécuteraient les anciens membres du groupe d’autodéfense des Bakassi Boys, ainsi que les membres des familles de ceux-ci.

Au vu de ce qui précède, le recours en réformation est également à rejeter dans la mesure où il est dirigé contre ce volet de la décision prise par le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

donne acte au demandeur de ce qu’il déclare bénéficier de l’assistance judiciaire ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, premier vice-président, M. Schroeder, premier juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 21 décembre 2006 par le premier vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 9


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 21524
Date de la décision : 21/12/2006

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2006-12-21;21524 ?

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