Tribunal administratif N° 21502 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 juin 2006 Audience publique du 18 décembre 2006 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 21502 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 9 juin 2006 par Maître Tania HOFFMANN, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Libéria), de nationalité libérienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 3 avril 2006 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 12 mai 2006 prise sur recours gracieux ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 juillet 2006 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;
Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Tania HOFFMANN et Madame le délégué du Gouvernement Jacqueline JACQUES, qui se sont rapportées toutes les deux aux mémoires de leur partie respective à l’audience publique du 4 décembre 2006.
Monsieur … introduisit en date du 29 juin 2004 une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
Il fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux de la police grand-ducale, sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur son identité.
Il fut en outre entendu en date du 3 septembre 2004 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur les motifs à la base de sa demande d’asile.
Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration informa Monsieur … par décision du 3 avril 2006, notifiée par voie de courrier recommandé expédié le 3 avril 2006, de ce qu’il ne saurait bénéficier de la protection prévue par la Convention de Genève au motif que les craintes de persécution par lui invoquées traduiraient tout au plus un sentiment d’insécurité générale ne rentrant pas dans les prévisions de la Convention de Genève et qu’il ressortirait clairement de son rapport d’audition qu’il aurait quitté son pays d’origine en raison de la guerre civile. Le ministre a relevé à ce sujet que la situation a totalement changé depuis l’époque du départ de Monsieur …, de sorte que sa crainte y afférente ne serait plus fondée, étant entendu que la guerre civile serait terminée depuis août 2003 et que le président Charles TAYLOR aurait été évincé pour laisser place à un gouvernement transitoire jusqu’aux élections d’octobre 2005.
Depuis lors un appel au retour des réfugiés au Libéria aurait été lancé dans un effort national de reconstruction. Le ministre a ajouté que plusieurs contradictions seraient à relever dans les déclarations de Monsieur …. Il a retenu à ce titre ce qui suit : « Auprès de la Police Judiciaire vous racontez avoir vécu en Côte d’Ivoire alors qu’à aucun moment en audition vous n’avez parlé de ce pays. Ensuite, vous dites d’un côté le 29 juin 2004 à la Police avoir quitté votre pays d’origine 12 ans auparavant, alors que lors de l’audition du 3 septembre 2004 vous prétendez avoir quitté le Libéria à l’âge de 12 ans.
Notons également que votre carte d’identité selon vos propos auprès de l’agent en charge de l’audition aurait été perdue en Italie, or auprès de la Police vous déclarez que la Police italienne vous l’aurait prise. Enfin, il est très étonnant que vous indiquiez à la Police avoir déposé une demande d’asile à Turin alors qu’en audition vous n’en faites absolument pas état. Pour finir, vous affirmez avoir vécu neuf années au Sierra Léone, cependant vous ne connaissez pas la monnaie de ce pays, ni son drapeau, ni son président. Il s’ensuit des prédites remarques que vos déclarations sont sujettes à caution ».
Le recours gracieux que Monsieur … a fait introduire par courrier de son mandataire datant du 2 mai 2006 à l’encontre de ladite décision ministérielle s’étant soldé par une décision confirmative du ministre du 12 mai 2006, il a fait introduire, par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 9 juin 2006, un recours contentieux tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation des deux décisions ministérielles des 3 avril et 12 mai 2006.
L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation.
Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. Le recours en annulation introduit en ordre subsidiaire est dès lors irrecevable.
A l’appui de son recours, le demandeur insiste que depuis plus d’une dizaine d’années la guerre civile ferait rage au Libéria et que les problèmes de son pays n’auraient pas été résolus du seul fait des élections présidentielles en 2003. Quant aux contradictions lui opposées, il précise avoir déclaré avoir quitté son pays d’origine à l’âge de 12 ans et non pas il y a 12 ans, de sorte que la contradiction relevée serait forcément le résultat d’une erreur ou d’une mauvaise compréhension entre le policier et lui-même. Il précise qu’à l’âge de 12 ans les militaires auraient essayé de l’enrôler et que force aurait été employée afin de le faire accepter, mais qu’il aurait néanmoins préféré risquer mourir sous les coups plutôt que de suivre ces militaires. Il insiste sur le caractère systématique de ce type de recrutement pratiqué par tous les groupes armés dans son pays d’origine, ainsi que sur l’absence de protection de la part des autorités en place à l’époque. Quant à sa fuite vers le Sierra Léone, il fait valoir que la violence y aurait également été de mise, de même que les enrôlements d’enfants, ainsi que les actes de tortures, de sorte que la fuite vers l’Europe aurait été sa seule issue possible. Il reproche au ministre de ne pas avoir apprécié à leur juste valeur les craintes de persécutions à caractère social qui l’attendraient en cas de retour dans son pays d’origine.
Dans son mémoire en réponse, le délégué du Gouvernement relève que le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés continue activement d’aider les déplacés à se réinstaller au Libéria afin de soutenir l’effort national de reconstruction dans ce pays, de sorte que face à cette évolution positive et en l’absence d’éléments concrets de nature à étayer un risque concret de recrudescence des violences, les faits mis en avant par Monsieur … ne seraient plus de nature à fonder à l’heure actuelle une crainte justifiée de persécutions.
Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».
La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.
L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.
Force est en effet de constater que le risque de persécution mis en avant par le demandeur reste très vague par rapport à la situation actuelle dans son pays d’origine et que le ministre a valablement pu considérer que la situation de Monsieur … ne présente pas de particularité de nature à dénoter dans son chef un risque de mauvais traitement de la part des autorités en place qui se présenterait de manière individualisée et indépendamment de la situation générale prévalant dans son pays d’origine et devant être affrontée dans une même mesure par l’ensemble de la population de ce pays.
Il se dégage des développements qui précèdent que le recours laisse d’être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours en annulation irrecevable, condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 18 décembre 2006 par :
Mme Lenert, vice-président, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge en présence de M. Schmit greffier en chef.
s. Schmit s. Lenert 4