Tribunal administratif N° 21792 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 août 2006 Audience publique du 11 décembre 2006 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de police des étrangers
_____________________________________________________________________
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 21792 du rôle, déposée le 7 août 2006 au greffe du tribunal administratif par Maître Adrian SEDLO, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 5 mai 2006 portant rejet de sa demande en obtention d’une autorisation de séjour pour raisons humanitaires, sinon du statut de tolérance ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 août 2006 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport à l’audience publique du 4 décembre 2006, en présence de Maître Alban COLSON, en remplacement de Maître Adrian SEDLO, et de Madame le délégué du Gouvernement Jacqueline JACQUES, qui se sont tous les deux rapportés aux écrits de leurs parties respectives.
En date du 7 avril 2003, Monsieur … introduisit une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971. Cette demande fut rejetée par une décision du ministre de la Justice du 16 juillet 2004, confirmée par une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 22 septembre 2004 sur recours gracieux.
Le recours contentieux introduit par Monsieur … à l’encontre de ces décisions ministérielles fut rejeté par jugement du tribunal administratif du 27 avril 2005 (n° 18772 du rôle), confirmé sur appel par un arrêt de la Cour administrative du 13 octobre 2005 (n° 19866C du rôle).
Par courrier de son mandataire du 2 mai 2006, Monsieur … sollicita auprès ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après dénommé « le ministre », l’octroi d’« une autorisation de séjour sur base humanitaire, ou, à défaut, un statut de tolérance ».
Par décision du 5 mai 2006, le ministre refusa de faire droit tant à la demande en obtention d’une autorisation de séjour qu’à la demande en obtention du statut de tolérance de Monsieur … pour les motifs suivants :
« J'ai l'honneur de me référer à votre courrier du 02 mai 2006 en matière de demande d'autorisation de séjour pour raisons humanitaires en faveur de Monsieur ….
Je suis toutefois au regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande d'autorisation de séjour. En effet, selon l'article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1° l'entrée et le séjour des étrangers; 2° le contrôle médical des étrangers; 3° l'emploi de la main-d'œuvre étrangère, la délivrance d'une autorisation de séjour est subordonnée à la possession de moyens d'existence personnels suffisants légalement acquis permettant à l'étranger de supporter ses frais de séjour au Luxembourg, indépendamment de l'aide ou des secours financiers que de tierces personnes pourraient s'engager à lui faire parvenir.
Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que votre mandant se trouve en séjour irrégulier au pays et qu'il ne fait pas état de raisons humanitaires valables justifiant une autorisation de séjour au Luxembourg.
Je ne suis également pas en mesure de donner une suite favorable à votre demande en obtention du statut de tolérance basée sur l'article 13(3) de la loi du 3 avril 1996 portant création 1. d'une procédure relative à l'examen d'une demande d'asile; 2. d'un régime de protection temporaire, étant donné qu'il n'existe pas de preuves que l'exécution matérielle de l'éloignement de votre mandant serait impossible en raison de circonstances de fait.
La présente décision est susceptible d'un recours en annulation devant le Tribunal administratif. Ce recours doit être introduit par requête signée d'un avocat à la Cour dans un délai de trois mois à partir de la notification de la présente. (…) » Par requête déposée le 7 août 2006 et inscrite sous le numéro 21792 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours contentieux tendant à l’annulation de la décision ministérielle du 5 mai 2006 portant rejet de sa demande en obtention d’une autorisation de séjour, sinon du statut de tolérance.
Par requête déposée le 8 août 2006 et inscrite sous le numéro 21804 du rôle, Monsieur … a introduit une demande tendant à obtenir le sursis à exécution, sinon l’institution d’une mesure de sauvegarde par rapport à la décision ministérielle du 5 mai 2006 en vue d’obtenir une autorisation de séjour provisoire au Luxembourg, sinon à se voir tolérer sur le territoire national en attendant que son recours au fond soit vidé, requête qui s’est soldée par une ordonnance de rejet du 11 août 2006.
A l’appui de son recours au fond, le demandeur expose qu’il aurait été membre des services secrets monténégrins, qu’il aurait refusé de se plier aux « exigences de service », consistant notamment à procurer au parti politique en place le contenu de conversations téléphoniques de hautes personnalités politiques en vue de les utiliser comme moyen de pression, qu’il aurait encore refusé de voter pour le parti politique DPS, ce qui aurait entraîné qu’il aurait été suspendu de ses fonctions et ce qui l’aurait incité à quitter le Monténégro.
Le demandeur signale encore, sur base d’un avis juridique dressé par un cabinet d’avocat monténégrin du 1er juin 2005, qu’il risquerait à l’heure actuelle, en cas de retour au Monténégro, une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 30 ans pour « agissement contre la sécurité d’Etat et la violation de secrets d’Etat ».
Sur base de l’ensemble de ces faits, le demandeur soutient qu’il existerait de manière évidente « des éléments/circonstances de fait » empêchant son éloignement vers le Monténégro.
Le délégué du Gouvernement estime que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration a fait une saine appréciation de la situation du demandeur.
Aucun recours au fond n’étant prévu en matière d’octroi d’une autorisation de séjour, ni en la matière du statut de tolérance tel que prévu par les articles 13 (3) et suivants de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, le recours en annulation, par ailleurs introduit dans les formes et délai de la loi, à l’encontre des décisions ministérielles déférées, est recevable.
Le tribunal constate que la décision lui déférée a un double objet, à savoir, d’une part, un refus opposé à la demande en obtention d’une autorisation de séjour pour raisons humanitaires de Monsieur … et, d’autre part, un refus opposé à sa demande en obtention du statut de tolérance.
1.
Quant à la demande principale tendant à l’obtention d’une autorisation de séjour humanitaire :
Conformément aux dispositions de l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main d’œuvre étrangère « l’entrée et le séjour au Grand-
Duché pourrant être refusés à l’étranger :
- qui est dépourvu de papiers de légitimation prescrits, et de visa si celui-ci est requis, - qui est susceptible compromettre la sécurité, la tranquillité, l’ordre ou la santé publics, - qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour. » Force est au tribunal de constater que la décision litigieuse est fondée sur le fait non utilement contesté en cause que Monsieur … ne dispose pas de moyens d’existence personnels, le demandeur ne prenant d’ailleurs tout simplement pas position par rapport à ce motif de refus, de sorte que le ministre a valablement pu lui refuser l’autorisation de séjour en se fondant sur le prédit motif.
En ce qui concerne les raisons qualifiées d’humanitaires avancées par Monsieur … aux fins de justifier l’obtention de l’autorisation de séjour sollicitée, il y a lieu de constater qu’aucun texte légal ne comporte de disposition imposant, voire prévoyant l’octroi d’une autorisation de séjour pour raisons humanitaires.
Il se dégage dès lors de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’en l’état actuel du dossier et compte tenu des moyens figurant dans la requête introductive d’instance, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée relative à la demande en obtention d’une autorisation de séjour dans la mesure où Monsieur … reste en défaut de formuler utilement un quelconque moyen de légalité, voire seulement d’invoquer une quelconque base légale susceptible d’étayer ses prétentions.
Il s’ensuit que le recours est à rejeter en ce qu’il est dirigé contre la décision ministérielle portant rejet de la demande en obtention d’une autorisation de séjour.
2.
Quant à la demande subsidiaire tendant à l’obtention d’un statut de tolérance Aux termes de l’article 13 (1) de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, « si le statut de réfugié est refusé au titre des articles 10 ou 12 qui précèdent, le demandeur d'asile sera éloigné du territoire en conformité des dispositions de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers; 2. le contrôle médical des étrangers; 3. l’emploi de la main-d’œuvre étrangère » tandis qu’aux termes de l’article 13 (3) « si l'exécution matérielle de l'éloignement s'avère impossible en raison de circonstances de fait, le ministre [compétent] peut décider de le tolérer provisoirement sur le territoire jusqu'au moment où ces circonstances de fait auront cessé ».
Il s’ensuit que le bénéfice du statut de tolérance est réservé aux demandeurs d’asile déboutés dont l’éloignement se heurte à une impossibilité d’exécution matérielle.
Il s’ensuit encore que le statut de tolérance constitue par définition une mesure provisoire, temporaire, destinée à prendre fin en même temps que les circonstances de fait empêchant le rapatriement du demandeur d’asile débouté auront cessé.
Le demandeur se prévaut à ce titre des mêmes faits que ceux soumis au ministre compétent dans le cadre de l’examen de sa demande d’asile, demande dont il a été définitivement débouté par arrêt de la Cour administrative du 13 octobre 2005.
Or il convient de relever que la Cour, dans cet arrêt, a souligné qu’il ne résulterait pas du dossier qu’il « risquerait actuellement, individuellement et concrètement, de subir des traitements discriminatoires en raison de son appartenance ethnique, politique, religieuse ou sociale, ou que de tels traitements lui auraient été infligés dans le passé, alors qu’il n’a pas établi avoir été victime de persécutions, mais fait seulement état de craintes traduisant un sentiments d’insécurité générale », la Cour relevant tout particulièrement que le demandeur, « peut être soumis en sa qualité de membre des services secrets à un statut spécifique et le non-respect des obligations résultant dudit statut peut légitimement être sanctionné tant pénalement que disciplinairement, de manière que le simple principe d’une sanction ne rentre pas dans les prévisions de la Convention de Genève ».
Le demandeur entend cependant actuellement se prévaloir du contenu de l’avis juridique de Maître … du 1er juin 2005. Or il ne ressort pas du contenu de cet avis juridique que Monsieur … serait en cas de retour au Monténégro particulièrement exposé, et ce à tel point que sa vie ou sa liberté seraient gravement menacées, respectivement qu’il serait susceptible de subir des traitements contraires à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, l’avis en question se contentant de brosser un tableau général de la situation au sein du service de la Sécurité d’Etat monténégrin et d’en extrapoler certaines conséquences hypothétiques pour le demandeur. Le tribunal ne saurait par ailleurs considérer le fait que le risque de se voir exposer à une condamnation pénale prononcée par un tribunal a priori indépendant d’un Etat souverain constituerait une raison pour obtenir le statut de tolérance sans mettre d’office et péremptoirement en doute la légitimité, l’indépendance et l’impartialité de ces juges.
C’est dès lors valablement que le ministre a pu, au travers de la décision déférée, considérer que le demandeur n’est pas susceptible de bénéficier du statut de tolérance tel que prévu par l’article 13 de la loi modifiée du 3 avril 1996 précitée.
Il se dégage partant de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours formé par le demandeur est à rejeter comme n’étant pas fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 11 décembre 2006 par :
Mme Lenert, vice-président, Mme Thomé, juge, M Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.
s. Schmit s. Lenert 5